Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires
modernisation du reseau
14 janvier 2022

La SNCF : un pognon de dingue ?

Empruntons un instant cette expression au Président de la République, utilisée sur un tout autre sujet... Les Echos ont relayé au début de l'année une étude d'un site spécialisé dans les finances publiques qui était manifestement à charge quitte à déformer certaines réalités et surtout, le plus grave, à agglomérer des éléments de nature très différentes, qu'on n'apprend à ne pas faire à des élèves de seconde avec option Sciences Economiques.

Donc la SNCF coûterait 17 MM€ par an au contribuable. Pour arriver à ce résultat, l'institut Fipeco a additionné des dépenses d'investissement et des dépenses d'exploitation. Première erreur que les lycées sus-cités devraient déjà remarquer. En comptabilité publique, on ne mélange pas les coûts récurrents et les coûts ponctuels. Investir pour renouveler une infrastructure ferroviaire ou du matériel roulant, c'est une dépense ponctuelle (on y revient selon les cas tous les 20 à 40 ans). Entretenir la ligne, les rames, les gares et tenir les postes d'aiguillage pour faire rouler les trains (pour ne prendre que quelques exemples), c'est une dépense récurrente. Jusque là, on ne doit rien apprendre aux lecteurs de transportrail...

Les subventions de fonctionnement perçues sont la rémunération des prestations commandées par les autorités organisatrices en charge des desserte de service public. Comme le système tarifaire ne permet pas de couvrir les charges d'exploitation, la collectivité compense la différence entre charges et recettes.

La reprise de la dette est considérée comme un cadeau, non mérité. Pourtant, les 35 MM€ repris au total (25 MM€ en 2020 et 10 MM€ en 2022) correspondent à la valeur des investissements réalisés par la SNCF à la demande de l'Etat et à la capitalisation des intérêts de cette dette. Il reste encore une bonne quinzaine de milliards non couverts, somme qui correspond à la véritable dette structurelle, liée à l'insuffisant niveau des recettes de trafic par rapport aux coûts opérationnels du réseau... et donc au niveau d'investissement insuffisant pour réduire ces coûts : citons par exemple l'âge moyen élevé de l'infrastructure qui augmente les dépenses d'entretien et la gestion du trafic par une myriade de postes qui pourrait être centralisée à condition de moderniser les équipements de sorte à pouvoir télécommander (projet CCR, mais qui ne concerne que les grands axes et donc très marginalement les lignes à forte présence humaine: le block manuel est surtout présent sur les lignes de desserte fine du territoire). Bref, pour réduire vraiment la dette structurelle de SNCF Réseau, il faudrait augmenter les investissements et le nombre de trains. Et dans bien des cas, l'un ne va pas sans l'autre.

On ne peut qu'être surpris par le paradoxe consistant à déplorer l'état du réseau ferroviaire français et dénoncer la hausse du coût pour la collectivité.

Enfin, l'évaluation intègre un sujet assez périphérique : le financement des retraites. C'est un fait, le régime spécial est déficitaire par la pyramide des âges. Il y avait près de 500 000 cheminots au début des années 1950, et seulement 140 000 aujourd'hui. L'espérance de vie augmentant, la situation se déséquilibre. L'Etat prend en charge une partie de ce déficit, alors que d'autres entreprises du secteur public reportent la charge sur le consommateur dans ses tarifs. C'est un choix.

Pour conclure, ce qui fait surtout le principal défaut de cette étude, c'est l'absence de corrélation entre le coût et le service rendu à la collectivité. Indéniablement, le chemin de fer est une industrie dont les frais fixes humains et matériels sont structurellement élevés.

La première véritable question porte donc sur le niveau d'investissement à atteindre pour maîtriser l'évolution - et si possible les réduire intelligemment - les coûts opérationnels. C'est en principe d'abord la responsabilité de l'Etat, qui se défausse de plus en plus sur les Régions. Les premières orientations du nouveau contrat Etat - SNCF Réseau n'envoient assurément pas un signal très favorable.

La seconde porte sur le niveau de service et donc la productivité pour la collectivité de l'euro investi. Comme le ferroviaire est une industrie à coûts fixes élevés (on le répète), il faut les amortir par un usage aussi efficient que possible. Dit autrement, rien ne coûte plus cher qu'un train qui passe plus de temps à ne pas rouler ! Or la SNCF a pendant trop d'années encouragé le principe du train rare, lourd et lent, avant de sombrer dans des comportements malthusiens : on rappellera ainsi que la section centrale de la LGV Sud-Est accueillait 270 circulations par jour en 2008 contre environ 230 en 2019, que la généralisation des rames Duplex a été souvent accompagné d'une réduction des fréquences et que la SNCF expliquait aux Régions que, pour diminuer le niveau de compensation des conventions TER, il fallait supprimer les trains d'heure creuse...

Il est dommage que ni l'analyse auteur de l'étude ni les médias qui l'ont relayé n'aient fait preuve d'un peu d'analyse critique.

Publicité
Publicité
12 janvier 2022

Contrat Etat - SNCF Réseau : le primat du financier

L'approche financière régit les relations entre l'Etat et SNCF Réseau. En dépit des discours - rideaux de fumée - de MM. Castex et Djebbari, ce contrat, dont la mouture actuelle date de 2017, avait été d'abord rédigé par les services du ministère des Finances. Il n'y avait donc aucune raison que la nouvelle n'émane pas des mêmes bureaux et ne soit pas empreinte de la même philosophie. En clair, on serre encore un peu plus les tirefonds... sans regarder si les traverses sont encore bonnes !

Avec une dotation pour le renouvellement plafonnée à 2,8 MM€ par an, l'absence d'actualisation jusqu'en 2030 aura pour effet d'appauvrir encore un peu plus le réseau. Le risque ne porte plus seulement sur les lignes de desserte fine du territoire, alias UIC 7 à 9, puisqu'il est déjà connu depuis 2005.  Paradoxalement, le projet de contrat a le mérite de la clarté sur ce point sensible avec une trajectoire d'investissement de l'ordre de 600 M€ par an, à comparer avec les 225 M€ réalisés en 2015 ou les 460 M€ réalisés en 2021. En revanche, les points sensibles sur ce volet restent la capacité réelle de l'Etat à assurer sa participation nominale, et la couverture pérenne de la participation - fut-elle à 8,5% - de SNCF Réseau.

Il concerne aussi sans nul doute le bas de classement du réseau structurant, c'est-à-dire les UIC 5 et 6 : le renoncement au maintien de leurs performances est assumé. On commence donc à chatouiller les performances - d'abord, l'avenir ensuite - de lignes comme Paris - Toulouse, Paris - Clermont-Ferrand, Le Mans - Tours, Paris - Le Mans ou les radiales bretonnes pour ne prendre que quelques exemples !

Les audits successifs de l'EPFL confirmant tous la perte de substance du réseau sont de lointains souvenirs dont les conclusions sont reléguées au fin fond d'une armoire. La revendication de l'UTP, particulièrement volontariste, est restée lettre morte et on peut douter que, dans le brouhaha politique actuel, quiconque ne s'y intéresse. Pourtant, il faudrait « karcheriser » la politique des transports qui aujourd'hui ne cesse de faire la part belle au transport individuel et singulièrement à la voiture.

On ne sera donc pas étonné de la position des Régions : elles déplorent le manque d'ambition du contrat (mais venant d'un Etat qui n'en a pas, comment pourrait-il en être autrement ?) et l'étouffement de leurs budgets, tant par une augmentation - considérée insoutenable - des péages de 30% sur la période 2022-2030 que par ce qu'il faut véritablement considérer comme un transfert de charge - à peine - déguisé : le financement majoritairement à leur charge de l'investissement de renouvellement des lignes de desserte fine du territoire. Logiquement, devrait entièrement incomber au propriétaire, c'est-à-dire à l'Etat. Mais on est en France...

Aussi, outre une clarification des moyens de l'Etat année par année, les Régions souhaiteraient un réexamen de la tarification de l'usage du réseau et l'abandon du principe inatteignable de la couverture du coût complet par les seules circulations. La revendication est en grande partie légitime, compte tenu de l'effet levier sur l'offre. C'est par ce biais - mais ce n'est pas le seul - que pourrait être amorcée une dynamique vertueuse, pour accélérer la transition énergétique dans le domaine des transports. Mais à ce sujet, pour l'Etat, point de salut au-delà de la voiture électrique et de la filière de l'hydrogène. L'organisation d'un report progressif vers des modes de déplacements plus vertueux intégrés à une politique d'aménagement du territoire plus équilibrée et moins centralisée n'est pas à l'ordre du jour, ni même audible par l'Etat (pourtant, vous l'aurez remarqué : cela se résume en une seule phrase !).

Ne jetons pas la pierre uniquement à l'actuel gouvernement : les précédents n'ont pas brillé, eux non plus ! Cependant, le coup d'accélérateur donné à GPSO et LNMP, marquant la fin de la pause annoncée en 2017 par le chef de l'Etat, prouve s'il le fallait que le « nouveau monde » ressemble furieusement à l'ancien en singeant les mêmes procédés...

La dimension qualitative sur les sillons et la production, la disponibilité de l'infrastructure n'apparaissent pas non plus dans le projet de contrat, ce qui renforce l'impression d'un document purement financier. N'y voyez pas non plus la moindre once de stratégie. La gestion à long terme d'actifs dont la durée de vie est de plusieurs décennies échappe de plus en plus à des approches court-termistes, qui ont  le toupet de s'étonner ensuite des conséquences qui en découlent : aujourd'hui, le seul leitmotiv qui soit, c'est l'équilibre financier de SNCF Réseau en 2024... quoi qu'il en coûte !

Ubu roi existe : il s'occupe du chemin de fer !

23 décembre 2021

2012-2022 : 10 ans de cadencement à la française

Les temps ont changé. Il y a 10 ans, le gestionnaire d'infrastructures ferroviaires et propriétaire du réseau s'appelait Réseau Ferré de France. L'exercice de sa mission de la façon la plus indépendante possible vis-à-vis de l'exploitant SNCF était un objectif de longue haleine. Depuis plus de 10 ans, certaines Régions évoquaient régulièrement un concept pour l'organisation de leurs dessertes, inspiré de la démarche menée en Suisse : le cadencement.

Dans un précédent dossier de transportrail, nous sommes revenus sur cette démarche amorcée en 1982 par les CFF et au final l'ensemble des exploitants ferroviaires de Suisse, avec le succès que l'on sait dans l'attractivité accrue du chemin de fer.

En France, les motivations ayant conduit RFF à engager une refonte horaire d'une telle ampleur étaient assez différentes de celles ayant prévalu 30 ans plus tôt de l'autre côté du lac Léman. Il fallait composer avec une accumulation inédite de travaux sur le réseau, que ce soit pour créer des lignes à grande vitesse ou pour rattraper le retard accumulé sur le renouvellement des lignes classiques, mais aussi accompagner de façon stratégique les Régions, ne serait-ce que pour affirmer vis-à-vis de la SNCF son rôle d'architecte de la capacité du réseau et donc chef d'orchestre de la conception horaire.

221014_277+21583rennes2

Rennes - 22 octobre 2014 - TGV radial, intersecteur et TER : la mise en oeuvre d'un horaire cadencé a pour objectif de faciliter les connexions entre les différents services et de rationaliser l'organisation de la production et de la maintenance du réseau. 10 ans après la mise en oeuvre de ce projet, qu'en reste-t-il... et que reste-t-il à faire ? © transportrail

Une décennie est passée : le bilan reste mitigé ne serait-ce que parce qu'on est encore très loin de la rigueur horaire de nos voisins helvètes (une des différences franco-suisses), tout simplement parce que le projet français avait pour objectif d'ordonnancer les circulations à installations constantes alors qu'en Suisse, il s'agissait de planifier le futur réseau sur la base d'un projet de service. L'absence de véritable démarche nationale, avec l'addition de plusieurs projets régionaux, n'a pas aidé non plus. Les outils de conception horaire aboutissent à des résultats parfois déroutants avec des variantes multiples brouillant la lisibilité de l'horaire, ce qui reste un levier majeur d'attractivité pour le public.

Et les réformes ferroviaires successives ont plutôt eu tendance à affaiblir le gestionnaire d'infrastructures, d'autant qu'il ne dispose pas des moyens budgétaires permettant d'assurer ses missions. Bilan, l'horaire français reste au milieu du gué. Mais pour faire mieux, il faudrait investir durablement sur l'infrastructure, y compris pour améliorer sa disponibilité. Or avec la faiblesse des dotations de SNCF Réseau, le renouvellement se fera encore et encore au détriment des circulations.

La suite dans notre dossier sur ces 10 années écoulées...

7 décembre 2021

Augmentation de capacité en vallée de l'Arve

Avec la mise en service de Léman Express, qui atteint désormais son régime de croisière avec près de 50 000 voyageurs par jour, la Haute Savoie a considérablement renforcé sa relation avec l'agglomération genevoise. Mais cela n'empêche pas l'Etat d'envisager une seconde autoroute entre Annecy et le Châblais.

La ligne de la vallée de l'Arve entre La Roche sur Foron et Saint Gervais constituait jusqu'à présent l'un des points faibles du réseau ferroviaire en raison de la persistance d'une voie unique exploitée en block manuel, limitant la capacité à 40 trains par jour. Dès la conception du projet Léman Express, le volet français prévoyait des investissements de modernisation dont la mise en oeuvre a été décalée par rapport à la partie suisse, le temps d'en consolider le plan de financement.

L'objectif étant d'instaurer une desserte à la demi-heure, il était donc indispensable d'étudier la modernisation de la signalisation, puisque le block manuel date de 1951 entre La Roche sur Foron et Sallanches : seule la section terminale avait bénéficié du block automatique à permissivité restreinte en 1985.

070614_27692marignier

Marignier - 7 juin 2014 - L'exploitation des croisements sur la ligne de la vallée de l'Arve devrait être nettement améliorée par l'automatisation de la signalisation, avec même à la clé la possibilité de récupérer quelques minutes du fait de la simplification des procédures. © transportrail

070614_9516la-roche-sur-foron1

La Roche sur Foron - 7 juin 2014 - Un quai et une voie principale supplémentaire seront aménagés dans cette gare dont le rôle de plaque tournante sera presque aussi important que celui de la gare d'Annemasse. Quant aux Z2, elles appartiennent au passé sur ce secteur, leurs dernières prestations se situant autour de Chambéry. © transportrail

120316_728saint-gervais2

Saint Gervais Le Fayet - 12 mars 2016 - Photo au petit matin permise par le train de nuit, qu'il va bien falloir restaurer. La vallée de l'Arve a besoin de respirer un air plus pur, et le train est une des solutions pour réduire la pollution. © transportrail

Le projet est donc centré sur le remplacement de ces équipements par la nouvelle génération de block automatique à métazones, comme entre La Roche sur Yon et La Rochelle l'été dernier, avec une commande centralisée qui sera implantée logiquement à Annemasse, confortant son rôle de place ferroviaire stratégique pour l'exploitation des lignes de Haute Savoie. Le GSM-R sera également installé sur l'itinéraire.

Au-delà, l'augmentation du trafic implique l'amélioration de l'alimentation électrique pour que les trains puissent utiliser l'ensemble de leurs aptitudes, la tenue des temps de parcours entre gares de croisement étant évidemment essentielle à la stabilité de l'horaire. Il est également prévu le renouvellement des voies de service au terminus du Fayet, l'allongement des quais de la gare de Cluses pour recevoir des UM de TGV, ainsi que l'ajout d'une voie et d'un quai à La Roche sur Foron. Le programme comporte enfin un volet d'accessibilité avec la dénivellation des accès aux quais et la suppression des traversées de voies par les piétons.

La desserte associée à cet investissement de 170 M€, cofinancé aux trois tiers par l'Etat, la Région et le Département, prévoit au total 52 trains par jour et par sens, avec d'abord une liaison toutes les 30 minutes vers Annemasse (un Léman Express pour Coppet, un TER pour Bellegarde) et une liaison toutes les heures qui rebroussera à La Roche sur Foron pour rejoindre Annecy.

Et il nous est impossible de terminer cet article sans évoquer la pression politique, animée par le maire de Chamonix et président de la communauté de communes de la vallée de Chamonix, pour le retour du train de nuit Paris - Saint Gervais !

29 novembre 2021

Autriche : moyens renforcés pour le réseau ferroviaire

Ayez un paquet de mouchoirs avant de lire cette brève...

Avec 2,8 MM€ par an en moyenne - et en euros courants - pour un peu plus de 28 000 km d'infrastructures dans le projet de nouveau contrat entre l'Etat et SNCF Réseau, la France n'investit pas assez sur le ferroviaire pour pouvoir simplement assurer le maintien a minima de la consistance et de la performance du réseau.

Le réseau ferroviaire autrichien ne comprend qu'un peu plus de 6100 km de lignes - certes avec une plus forte proportion de lignes montagneuses à haute densité d'ouvrages d'art - mais sa dotation annuelle de renouvellement a été portée de 2,3 à 3 MM€ pour la période 2022-2027. Objectif : augmenter la capacité, la performance et donc l'attractivité du réseau dans une stratégie de report modal, concernant tant les voyageurs que les marchandises.

Publicité
Publicité
29 novembre 2021

L'UTP présente un manifeste pour les transports

« Donnons enfin la priorité aux transports publics et ferroviaires ». Tout est dit dans le titre de ce manifeste présenté le 10 novembre dernier par l'Union des Transports Publics et dont l'objectif est de sensibiliser les prétendants à l'Elysée à ce sujet qui semble bien loin des préoccupations actuelles des candidats déclarés ou supposés.

Les 20 mesures préconisées sont résumées dans ce document, auquel nous ne pouvons que souscrire.

29 novembre 2021

Etat - SNCF Réseau ou le statu quo régressif

Par pudeur, on ne parlera que d'un projet de contrat entre l'Etat et SNCF Réseau, tant le mot « performance » apparaît usurpé : il a été présenté début novembre au conseil d'administration du gestionnaire d'infrastructures. Pour le résumer : le compte n'y est pas. Quelle surprise !

L'Etat peut certes se targuer d'avoir repris la part de dette qui lui incombait : 20 MM€ en 2020, 15 MM€ de plus en 2022. Les numéros d'auto-satisfaction précédemment évoqués dans transportrail ne peuvent vraiment pas faire illusion. Les effets de manche sur certains projets de développement (hors de toute considération sur leur pertinence) ne font pas illusion.

La dotation de renouvellement envisagée est inférieure à l'actuelle, qui est de 2,9 MM€ : en apparence, 100 M€ de moins, ce n'est pas grand-chose, mais c'est déjà beaucoup moins que le contrat signé en 2017, qui devait assurer un niveau d'investissement de 3 MM€ en 2020 et renforcé de 100 M€ au-delà jusqu'en 2025. Non seulement on n'y est pas, mais c'est comme au jeu de l'oie : « reculez de 3 cases ». Surtout, les chiffres sont mentionnés en euros courants, et n'intègrent pas un taux d'inflation annuel, alors que les coûts des matières premières augmentent rapidement. 2,8 MM€ en 2030, c'est beaucoup moins que 2,8 MM€ en 2022. Il faudra donc encore un peu plus serrer la ceinture...

Et encore : l'audit de l'EPFL de 2005 identifiait - déjà - un besoin de 3,5 MM€ par an pour assurer le maintien de la consistance du réseau structurant, sans parler de modernisation ou de développement, et en mettant de côté les lignes de desserte fine du territoire. L'actualisation en 2012 et en 2018 n'ont fait que renforcer la crédibilité de cette conclusion, tout en soulignant qu'il faudrait aussi penser à actualiser aux conditions économiques du moment l'évaluation de ce besoin, et que certains postes d'investissement demeuraient des angles morts... et lesquels : l'adaptation des installations de traction électrique à l'évolution du trafic et à l'arrivée de nouveaux matériels plus puissants mais aussi moins tolérants à une alimentation de qualité inégale, ainsi que le renouvellement de la signalisation. Comme précédemment évoqué dans transportrail, le besoin sur le réseau structurant se situe plutôt autour de 4,5 MM€, sans compter les lignes de desserte fine du territoire qui reposent aujourd'hui essentiellement sur les finances régionales (hors de toute compétence officielle et sans dotation de décentralisation). Le besoin a été évalué par SNCF Réseau autour de 750 M€ par an pendant 10 ans. Les conditions d'intégration de 14 d'entre elles, sortant du champ des CPER suite aux travaux du Préfet François Philizot, restent vagues et on peut craindre qu'elle se fasse aux prix d'un étalement sur une longue durée et avec des ralentissements en attendant...

Bref, dans l'absolu, il faudrait doubler le montant figurant dans le projet du gouvernement !

Sur cette base, il faudrait ensuite évaluer la dose de modernisation du réseau (la centralisation de la commande, l'évolution de la signalisation avec ERTMS en tête d'affiche pour augmenter le débit) et les projets de développement, pour augmenter la capacité dans les grands noeuds afin de réaliser les RER, pour faciliter l'écoulement du fret (par exemple, la mise au gabarit P400 des grands axes), sans compter les grands projets. Autres enjeux qui ne peuvent plus être négligés : l'adaptation du réseau au changement climatique (puisqu'on confond le frein et l'accélérateur) et à l'élévation du niveau des mers et, dans un registre voisin, l'abandon des énergies fossiles et donc l'électrification de nouvelles sections de lignes, couplées à des évolutions sur le matériel roulant.

« Investir aujourd'hui pour économiser demain » dites-vous ?

Le ratio entre la dette et la marge opérationnelle, qui a été fixé à 1 pour 6 dans la dernière réforme ferroviaire (avec un objectif d'atteinte en 2026), devra être réduit à 1 pour 3,5 en 2030. L'objectif de productivité est encore revu à la hausse et probablement inatteignable : 1,6 MM€ par an à horizon 2026. Mais comment faire sans investissements significatifs de modernisation de l'exploitation et de la maintenance ? Pour faire de la productivité sans investissement, les seules méthodes connues sont de faire moins (donc de menacer la performance puis la consistance du réseau) et de compresser les effectifs : un plan drastique a déjà été engagé

Autre singularité rocambolesque de ce projet de contrat : SNCF Voyageurs devra à partir de 2024 verser 925 M€ de dividendes par an à SNCF Réseau pour financer ses activités. Dans un contexte d'ouverture du marché, pourquoi cet opérateur ? Et les autres ? Cette exigence crée une sévère distorsion de concurrence, sous le voile de la solidarité au sein du groupe SNCF. Il est flagrant que l'Etat fait reposer une partie du financement de l'infrastructure sur les activités commerciale de l'opérateur SNCF, ce qui, mécaniquement, perpétue un malthusianisme ferroviaire : cette exigence imposera encore plus d'efforts à SNCF Voyageurs sur la rentabilité de la place offerte, et elle n'aura d'autre choix que de continuer à caper le nombre de circulations en jouant sur la capacité du matériel roulant. Bref, ce qu'elle ne versera pas en redevances de circulation devra être versé par ce mécanisme de transfert de dividende. Pour le voyageur, cela se traduira donc toujours par des trains rares par rapport à la demande et donc des tarifs élevés.

En parlant de tarif, l'Etat table sur une hausse des péages en moyenne de 3,6% par an... mais l'Autorité de Régulation des Transports a déjà mis son véto à plusieurs reprises à des évolutions bien inférieures à ce taux. La cacophonie reste de mise.

A rebours de la communication du gouvernement, il faut bien appeler les choses par leur nom : le projet de contrat actuellement en phase de concertation est un contrat d'attrition ferroviaire.

19 novembre 2021

Financement du réseau : Sénat et Cour des Comptes inquiets

Alors que le nouveau contrat Etat - SNCF Réseau a été présenté au conseil d'administration du gestionnaire d'infrastructures début novembre et qu'il entame son processus de consultation prévu par la loi, le Sénat et la Cour des Comptes tirent conjointement le signal d'alarme, constatant que la situation du réseau ferroviaire reste extrêmement fragile en raison d'un niveau d'investissements insuffisant... et de surcroît calculé hors inflation, ce qui ne fait que réduire l'enveloppe réellement utilisable.

Il faut néanmoins souligner plusieurs points. Si les coûts globaux de SNCF Réseau restent élevés, c'est en partie en raison de ce retard d'investissements. On parle beaucoup de centralisation de la commande du réseau et du déploiement d'ERTMS sur le réseau principal, mais les investissements associés (évalués à 35 MM€) se font toujours attendre du fait d'un contrat trop malthusien. Qui plus est, ce projet ne porte que sur les grands axes, essentiellement gérés en block automatique : les gains de productivité les plus élevés sont sur les lignes où le trafic est géré encore par un block manuel voire du cantonnement téléphonique. Mais cela concerne les lignes de desserte fine du territoire.

Venons-en à elles : revient une nouvelle fois la réflexion sur la consistance du réseau, mais de façon moins brutale que ne l'avait fait le rapport de M. Spinetta en 2018. Les messages sont passés et tant le Sénat que la Cour des Comptes formulent le souhait d'une étude sur la possibilité de développer l'usage de ces lignes. N'oublions pas que s'il y a peu de voyageurs sur nombre d'entre elles, c'est d'abord parce qu'il n'y a pas beaucoup de trains : pour les deux tiers de ces lignes, l'offre ne dépasse pas 5 allers-retours par jour.

A leur sujet encore, Sénat et Cour des Comptes convergent vers les dispositions de l'article 172 de la LOM pour transférer la gestion de certaines lignes de SNCF Réseau aux Régions. Mais celles-ci sont majoritairement prudentes car le mécanisme semble complexe et pose des questions relatives à l'exploitation pour gérer de futures interconnexions entre gestionnaires d'infrastructure. En outre, la loi grave dans le marbre un principe de neutralité financière pour SNCF Réseau. Ce n'est donc pas un levier de désendettement puisque toute économie devra être également versée aux Régions demandeuses.

Autre facteur de productivité : l'organisation des chantiers. Les moyens techniques mis en oeuvre sont fonction des capacités d'investissement : ceux-ci étant limités, les travaux sont effectués selon des processus qui sont d'une efficacité moyenne au regard du linéaire de renouvellement par jour. De plus, faute d'équipement adapté, leur impact est fort sur les circulations, ce qui pénalise les recettes commerciales. Sur ce domaine aussi, des investissements sur l'équipement du mainteneur et sur l'infrastructure (installations de contre-sens, banalisation) pourraient améliorer la performance des travaux et préserver une partie des recettes.

Le niveau des redevances d'utilisation du réseau est aussi pointé par les deux documents : c'est en France qu'elles sont parmi les plus élevées d'Europe, dans l'espoir de couverture du coût complet de l'infrastructure par le trafic. Comme l'intensité d'usage du réseau est moyenne, sinon médiocre, cet objectif est évidemment hors de portée. Le maintien de péages élevés permet à l'Etat de se défausser sur les opérateurs, à commencer par SNCF Voyageurs... à qui on ne cesse de demander de verser des dividendes à SNCF Réseau, là encore pour que l'Etat échappe à ses responsabilités. Et sur un réseau désormais ouvert à la concurrence, ce mécanisme apparaît inéquitable, tandis que le trio péages élevés - capacité limitée - fiabilité moyenne aura tendance à dissuader les candidats à l'aventure en services librement organisés.

Conclusions convergentes des analyses du Sénat et de la Cour des Comptes : les dernières réformes ferroviaires sont de portée insuffisante, la reprise de 35 MM€ de dette était nécessaire mais ne fait pas une politique et aucun dispositif réel ne permet à ce jour d'éviter ni une nouvelle spirale d'endettement ni de nouvelles menaces sur la consistance et la performance du réseau.

Faudra-t-il appliquer des restrictions sévères de vitesse sur le réseau structurant pour faire comprendre l'acuité de la crise ferroviaire ? Mais qui serait capable de porter un tel scénario sans risquer la révocation en Conseil des Ministres ? Surtout à moins de 6 mois des élections nationales...

25 octobre 2021

Fret : des confirmations de crédits

La mise en oeuvre des moyens alloués au fret ferroviaire par le plan de relance du gouvernement ont été l'autre sujet abordé lors du déplacement dans les Pyrénées Orientales du Premier ministre et du président de SNCF Réseau la semaine dernière, outre la remise en service du train des primeurs. Ainsi, 37 M€ vont permettre le financement de la régénération de certaines voies de service, dans un programme global de 110 M€, ce qui reste peu compte tenu des besoins et de l'état du patrimoine (la liste des voies interdites d'usage commençant à devenir un peu trop longue par rapport aux activités des opérateurs sur certains sites, y compris plusieurs triages). La création d'un service digitalisé d'automatisation de la commande des sillons de dernière minute (puisque le fret est encore souvent astreint à ce régime) est annoncé avec 7 M€ de crédits. Le contenu devra être précisé. 

Enfin, MM. Castex et Lallemand ont signé des conventions de financement d'études portant l'une sur les besoins de modernisation de l'axe Dijon - Ambérieu, un des maillons d'accès à l'itinéraire transalpin, qui souffre notamment d'une alimentation électrique insuffisante, et l'autre sur les modalités de création d'un raccordement entre le terminal fret du Boulou et la ligne nouvelle Perpignan - Figueras, qui ne font aujourd'hui que se croiser.

A cette occasion, le groupe SNCF a aussi annoncé le lancement d'un nouveau projet d'autoroute ferroviaire avec VIIA entre Le Boulou et le port de Gennevilliers à raison de 3 allers-retours par semaine pour commencer et 6 en régime de croisière.

15 octobre 2021

Ferroviaire : l’auto-satisfaction est de mise

Un Goldorak ferroviaire ?

Dans notre récent article sur la stratégie nationale pour le fret ferroviaire, nous évoquions une autre stratégie, celle de la communication gouvernementale, caractérisée par une propension prononcée à l’auto-satisfaction.

Illustration avec l’entretien du ministre des Transports dans Le Monde daté du 16 septembre dernier. « Sur la route et le rail, nous avons rattrapé les errances du passé ». Rien que ça !

Le macronisme ferroviaire a 3 traits de caractère bien affirmés :

  • Le « en même temps » : à 30 mois d’écart, affirmer qu’il est temps de faire une pause durable sur les grands projets pour privilégier la modernisation du réseau existant puis les ériger à nouveau en priorité nationale ;
  • La capacité à faire croire que des engagements déjà pris mais non honorés constituent un concours supplémentaire, pour masquer le retard pris dans les engagements de l’Etat (exemple : les annonces de M. Macron pour les transports en commun à Marseille) ;
  • La capacité à annoncer des chiffres élevés portés par l’Etat, alors qu’il s’agit souvent de l’addition des concours de plusieurs partenaires, à commencer par les Régions, voire l’Union Européenne. Exemple avec le plan pour le fret, annoncé à 1 MM€… mais avec seulement 500 M€ de concours réel de l’Etat.

L’actuel gouvernement serait en quelque sorte comme Goldorak, sauveur de tous les temps. La réalité est un peu différente. Ce serait donc « Goldotrack » ?

Quel bilan ?

L’Institut Montaigne a confié à Patrick Jeantet, ancien président de SNCF Réseau, l’analyse du bilan du quinquennat actuel dans le domaine des transports. La réforme ferroviaire de 2018 lui apparaît paradoxale, avec d’un côté la libéralisation du marché intérieur et de l’autre une réunification du groupe SNCF avec une question sur l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure. La LOM de 2019 a fait l’impasse sur la programmation des investissements, y compris et surtout en maintenant une insuffisance de financement du renouvellement et de la modernisation du réseau existant. Le déficit de stratégie s’exprime aussi sur les lignes de desserte fine du territoire avec des positions de l’Etat variant selon la pression des Régions : la réintégration dans le financement national de 14 d’entre elles semble lui aussi insuffisant. Elle se traduit enfin par des décisions ponctuelles éparses et sans cohérence d’ensemble : les non-choix du COI, la pause sur les grands projets revenant sur le devant de la scène fin 2021, le lancement de CDG Express avec un financement de SNCF Réseau contrariant la « règle d’or » (pour se limiter aux sujets ferroviaires).

L’affaire des 80 km/h sur les routes secondaires a été très révélateur d’un excès de parisianisme, imposant une mesure nationale avant d’en constater l’impact et de se défausser finalement sur les collectivités locales. Bref, les mauvaises pratiques de l’Etat ont résisté au séisme politique de 2017, aux mouvements sociaux et à la crise sanitaire.

En outre, on peut aussi rappeler que l’actuel locataire de l’Elysée avait précédemment provoqué la création de services librement organisés d’autocars qui ont déstabilisé le transport ferroviaire de façon indirect en créant une confusion sur la perception du prix, même s’il faut reconnaître que la tarification de la SNCF n’était pas des plus limpides quoiqu’en moyenne plutôt moins chère que d’autres réseaux comparables.

Des efforts réels… mais encore insuffisants

Il faut néanmoins mettre à son actif le désendettement avec la reprise de 20 MM€ de dette en 2020 et de 15 MM€ l’année prochaine, ce qui devrait ramener le niveau de la dette à celui correspondant réellement aux problèmes structurels du système ferroviaire, et en partie à l’insuffisance du trafic.

Il y a bien eu affectation de crédits supplémentaires via le Plan de Relance, mais de façon très confuse : dans les 620 M€ affichés pour les lignes de desserte fine du territoire, SNCF Réseau doit en dégager 70 par des produits de cession, et 300 ne font que retranscrire des engagements déjà pris mais qui ne s’étaient traduits par aucun financement réel. Pour les 14 lignes devant réintégrer le réseau structurant (et donc un financement par le contrat Etat – SNCF Réseau), la situation reste des plus floues et une stratégie de gestion de la pénurie – avec à la clé une dégradation des performances puisque l’obsolescence progressera plus vite que le renouvellement – qui devrait assurément susciter des réactions dans les Régions…

Il est en revanche à souligner que le volume de travaux sur ces lignes a fortement augmenté, du fait de la mise en œuvre des CPER 2015-2020, d’abord grâce au financement des Régions, avec un doublement du montant (environ 225 M€ en 2027 et plus de 450 M€ en 2021).

« Une histoire banale d’hommes et de misère »

 « Mon but est d’avoir, en 2030, un réseau ferroviaire complètement régénéré, doté d’une signalisation à jour et avec une commande des aiguillages centralisée » : si on ne peut que partager l’intention du ministre, il est évident qu’elle ne pourra être concrétisée qu’à condition de mettre en œuvre des moyens bien plus importants que ceux qui sont aujourd’hui alloués au système ferroviaire et notamment à l’infrastructure. Or le contrat Etat – SNCF Réseau de 2017 n’a pas été tenu. Il prévoyait en 2021 un budget de 3,1 MM€ pour le renouvellement du réseau : la dotation réelle n’est que de 2,7 MM€, comme en 2017. Le retard continue de croître et le nouveau contrat, annoncé tous les 3 mois « pour dans 3 mois » joue les arlésiennes.

La stratégie nationale pour le fret donne une indication sur la consistance du nouveau contrat en évoquant une dotation de 2,9 MM€ par an jusqu’en 2029. C’est évidemment insuffisant : l’audit du professeur Putallaz de 2018 considérait qu’il faudrait plutôt 3,5 MM€ pour amorcer la modernisation du réseau… et certains postes avaient été sous-estimés (notamment la signalisation et l’alimentation électrique, sujets devenant des plus critiques sur nombre de lignes). Plus vraisemblablement, le « bon » niveau d’investissement serait d’au moins 4 MM€ pour le renouvellement, auquel il faudrait ajouter une dose de modernisation. Resterait enfin à définir le niveau de participation de l’Etat sur les lignes de desserte fine du territoire, dont le renouvellement ne devrait pas incomber d’abord aux Régions. Autant dire que le « juste prix » du contrat Etat – SNCF Réseau devrait plutôt se situer autour de 4,5 MM€ par an pour le seul réseau principal !

La commission des finances du Sénat n'a pas manqué de tanser l'Etat en considérant que les mesures du plan de relance et la reprise de 35 MM€ de dette ne suffisaient pas à faire une politique des transports ferroviaires, en soulignant justement l'absence de perspectives sur la modernisation du réseau. Elle a aussi pointé le principe de couverture du coût complet du gestionnaire d'infrastructures qui amplifie le malthusianisme ferroviaire, et le mécanisme de reversement à SNCF Réseau des bénéfices de SNCF Voyageurs, sachant que la période 2020-2021 n'en dégage évidemment aucun.

Bref, il faudra attendre une prochaine réforme pour espérer que le transport ferroviaire soit doté à la hauteur de ses besoins. Ceci dit, il ne devrait pas être trop difficile de faire un article similaire sur l'Education Nationale, la santé, la police, la justice...

« Long is the road »…

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3
Publicité