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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

De CEVA à Léman Express : le RER du bassin genevois

Géographie du bassin genevois

Quasiment encerclée par la France avec la côtière jurassienne d’un côté et la Haute Savoie de l’autre, Genève, constitue le centre économique d’un territoire à cheval entre la France et la Suisse actuellement peuplé d'un million d'habitants - soit 37% de plus qu'en 1994 - sur un territoire de 2000 km². On enregistre en moyenne journalière 550 000 franchissements de la frontière. Environ 50% des actifs domiciliés en France travaillent en Suisse.

La topographie et la présence du Lac Léman contraignent les flux de circulation sur un nombre restreint d’itinéraires. Par conséquent, le recours aux transports publics dans un bassin dense, dans un rayon de 60 km autour de Genève, est le seul moyen de répondre aux enjeux d’un horizon qui se rapproche tout en menant une politique veillant à l’efficacité écologique. La part de marché des transports publics dans le bassin est de 16% en moyenne avec d'importants contrastes : 33% sur la rive nord du lac, entre le canton de Vaud et Genève, 15% depuis Annemasse, mais seulement 8% depuis le secteur de Gex et Divonne, 3% autour de Saint Julien en Genevois et 2% depuis le Châblais.

La coopération « franco-valdo-genevoise » engagée en 2002 a abouti à un projet CEVA (Cornavin – Eaux Vives – Annemasse) destiné à valoriser le réseau ferroviaire et densifier les relations entre la France et la Suisse autour de Genève, en rompant avec la situation actuelle de triple cul-de-sac :

  • venant de Bellegarde, où les TER ne dépassent pas Genève Cornavin ;
  • venant d’Annemasse, où les TER aboutissent dans la gare en cul de sac des Eaux Vives, excentrée du centre genevois ;
  • venant de l’arc Lémanique, où les trains des CFF sont principalement orientés vers l’aéroport.

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Avec CEVA, 45 gares - 22 en France et 23 en Suisse - sur 230 km seront connectées entre elles, tant côté suisse que français, formant un véritable RER transfrontalier, baptisé Léman Express, plus en phase avec les réalités économiques et démographiques du territoire. La mise en service de Léman Express était attendue en 2017 mais doit être repoussée de 2 ans en raison des difficultés rencontrées dans le percement du tunnel de Champel.

Un projet plus que centenaire

La liaison entre Genève et la Haute Savoie a été décidée en 1881 en lien avec le projet d'une ligne Lons le Saunier - Genève, dont elle aurait constitué le prolongement. Une première section fut mise en service en 1888 entre la gare d’Annemasse et celle de Genève Eaux Vives, dans les faubourgs de Genève. Propriété du Canton de Genève, la ligne provisoirement limitée aux Eaux Vives fut logiquement confiée au PLM faute de raccordement avec les autres lignes suisses. Or, la réalisation de la jonction avec Cornavin fut bloquée en raison de l’opposition d’une partie de la population genevoise pour des questions d’insertion urbaine et de nuisances. La convention du 7 mai 1912 entre la France et la Suisse devait conclure sur les modalités de réalisation de cette jonction, mais les vicissitudes économiques et militaires ne cessèrent de différer sa concrétisation. Néanmoins, côté Suisse, une timide avancée aboutit en 1949 à la mise en service d’une courte section entre Cornavin et le quartier de La Praille, où devaient notamment être effectué le relais entre la SNCF et les CFF pour le transport de marchandises.

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Genève Eaux Vives - 21 juillet 2010 - L'état de l'infrastructure française à l'arrivée dans la gare SNCF origine de la ligne vers Annemasse. Avec CEVA, les trains circuleront en tunnel et l'emprise sera réutilisée dans un vaste projet d'urbanisme. © D. Inchikod

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Genève Eaux-Vives - 13 avril 1980 - Rencontres historiques dans la boucle des tramways longeant la gare française. Si la motrice n°67 ne circule qu'à titre historique sur la ligne 12, l'autorail Picasso X3961 est lui bel et bien en service commercial sur une navette vers Annemasse. © A. Knoerr

Dans les années 1980, différents projets sont portés, notamment dans le cadre d’initiatives populaires, allant du tramway au VAL puis au tram-train. Aucun ne put aboutir.

Relancée en 2002, la coopération entre les cantons de Genève, de Vaud et la Région Rhône-Alpes amorçait une nouvelle dynamique en faveur de l’achèvement de la jonction Cornavin – Eaux Vives. Adopté par votation le 29 novembre 2009, le crédit supplémentaire de 113 MCHF destiné à la réalisation de la liaison souterraine Cornavin – Eaux Vives jusqu’à la frontière française aurait pu signifier le coup d’envoi du projet. Cependant, les délais côté français pour assurer le financement complet de l’opération, notamment entre Ambilly et Annemasse, mais aussi une série de recours administratifs contre le projet, ne devaient finalement formaliser le lancement de CEVA que le 16 juin 2011, malgré de nouvelles procédures, qui échouaient définitivement devant le Tribunal Administratif Fédéral le 15 mars 2012 : près de 100 ans après la convention historique, le projet pouvait enfin se concrétiser.

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Genève, gare des Eaux Vives - 28 juin 2008 - L'ancien bâtiment de la gare française de Genève Eaux Vives, avec le terminus des tramways. L'intermodalité avec les TPG sera une des forces de CEVA. © transportrail

CEVA : un tunnel au cœur de Genève et des ramifications

CEVA reprend le principe classique d’une desserte RER diamétralisant des dessertes ferroviaires aboutissant jusqu’alors en cul de sac. Le cœur du projet CEVA est constitué d’une liaison de 16 km dont 14 en Suisse reliant la gare de Genève Cornavin à celle d’Annemasse, qui, conformément à la convention de 1912, sera exploitée par les chemins de fer suisses.

CEVA-tunnel

Côté Suisse, la ligne CFF créée en 1949 sera entièrement réaménagée, succédant à la liaison régionale qui effectuait son terminus à Lancy Pont Rouge. Au-delà du Bachet-de-Pesay et jusqu’aux Eaux-Vives, Léman Express circulera majoritairement en tunnel, sous la colline de Champel, et franchira l’Arve par un viaduc. A partir des Eaux-Vives, l’ancienne ligne française à voie unique sera mise à double voie en tranchée couverte. Enfin, de la frontière à Annemasse, soit sur 900 m, le tunnel émergera pour entrer dans la gare d’Annemasse reconfigurée. Les trois passages à niveau existant seront supprimés.

Côté français, les gares de Thonon et Evian seront également concernées par des travaux d’augmentation de capacité pour gérer l’accroissement des circulations et du nombre de voyageurs. Les capacités de l’infrastructure seront améliorées par la création de voies d’évitement nouvelles, mais aussi par l’installation d’une signalisation plus performante : le Block Manuel a déjà disparu entre Annemasse et Evian ainsi qu’entre La Roche sur Foron et Saint Gervais. Entre Annemasse et La Roche, le volet français du projet prendra en charge la mise en place du BAPR.

A Annemasse, le plan de voie sera considérablement modifié, ne serait-ce que pour disposer de voies alimentées en 15 kV CFF au milieu d’installations en 25 kV RFF, pour les dessertes faisant terminus à Annemasse. L'arrivée étant en forte rampe, on installera une section de séparation entre les 2 tensions franchissables en dynamique comme sur les RER parisiens (Nanterre Préfecture et Gare du Nord) pour maintenir la possibilité de tractionner en partie pendant le passage sous la zone neutre par les pantographes déjà situées au-delà... d'autant qu'elle est placée à l'émergence du tunnel.

La ligne sera mise au gabarit des CFF pour la circulation des rames à 2 niveaux, qui sont plus généreuses (hauteur 4,68 m contre 4,32 m en France). Les trains circuleront exceptionnellement à droite (on roule à gauche en Suisse et en France) afin d'éviter une entrée en gare Cornavin des trains en provenance de l'aéroport à contresens.

Le cœur du projet d'infrastructures CEVA comprend 5 gares intermédiaires :

  • Lancy Pont Rouge, succédant à la station mise en service en 2002
  • Carouge – Bachet près du stade
  • Champel – Hôpital, station souterraine desservant les habitations du plateau de Champel et l’important hôpital genevois
  • Eaux Vives, entièrement transformée et enterrée
  • Chêne Bourg, consacrant la réouverture – toujours en tunnel – de cette station jusqu’alors fermée

L’hypothèse de la réouverture de l’ancienne halte, côté français, d’Ambilly, n’a pas été retenue compte tenu de sa localisation proche d’Annemasse.

120 000 personnes habitent – ou habiteront – à moins de 500 m d’une gare desservies par Léman Express.

Le coût du projet CEVA (donc pour l'infrastructure) atteint 1,8 MM€ dont 86% payés par la Suisse (Canton de Genève et Confédération helvétique), soit 1,566 MM€, et 234 M€ par la Francedans un montage associant la Région Rhône-Alpes, l’Etat, le Département de Haute Savoie et les agglomérations d’Annemasse et du Châblais.

La mise en service est prévue en décembre 2019. Le percement du tunnel s'est achevée en juin 2017, ce qui impose un calendrier serré pour l'équipement des ouvrages et les essais, tant des infrastructures que du matériel roulant.

Une première étape a été mise en service en juin 2018, avec les évitements de Mies et Chambésy, permettant d'introduire une cadence au quart d'heure entre Coppet et Lancy Pont Rouge, cette dernière gare étant remaniée dans sa nouvelle configuration de passage et non plus en terminus.

La desserte Léman Express

A sa mise en service, le RER devrait être emprunté par 50 000 voyageurs par jour. L'offre comprendra 6 trains par heure à la mise en service dont 4 omnibus origine Coppet côté Suisse et desserviront toutes les gares avec :

  • 1 Coppet – Genève – Annemasse – Saint Gervais toutes les 2 heures
  • 1 Coppet – Genève – Annemasse – Evian chaque heure en base, avec un renfort dans l’heure où ne circula pas la liaison vers Saint Gervais
  • 1 Coppet – Genève – Annemasse – Annecy chaque heure

En outre, une desserte semi-directe toutes les 30 minutes reliera Lausanne à Genève et Annemasse, sans arrêt de Coppet à Genève Cornavin. Sur le tronçon central de CEVA, ces trains desserviront Lancy Pont Rouge et Eaux-Vives.

Le service sera assuré de 5h à 0h30, soit une amplitude de service urbain.

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Le matériel roulant

Le service sera assuré par du matériel suisse apte aux deux réseaux : la modification du plan de voies à Annemasse pour disposer d’un itinéraire 15 kV jusqu’à quai permettra en outre l’emploi des rames à 2 niveaux Kiss dont le déploiement a déjà commencé sur l’arc lémanique. Ces rames assureront la mission Lausanne – Annemasse.

Pour les autres relations, c’est un matériel à un niveau, avec accès de plain-pied depuis des quais de 550 mm qui a été retenu. Les rames de 75 m seront couplables jusqu’à 3 unités. La capacité de chaque élément sera d’environ 360 places (assis + debout). Les CFF ont retenu le Flirt France compatible avec les deux réseaux, avec une commande 21 rames. Les 19 autres éléments nécessaires, financées par la Région Rhône-Alpes, auraient dû logiquement être également des Flirt... mais Alstom a su faire pression sur les élus français afin de placer son Régiolis. Les CFF ont cependant prévenu que deux parcs se traduiraient par deux réserves et des surcoûts. Mais rien n'est trop beau - ni trop cher - pour sauver Alstom... d'autant que c'est le contribuable qui paie.

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Bossière - 6 février 2018 - Deux rames Flirt du futur RER genevois, déjà livrées et mises en service, viennent renforcer le parc affecté aux dessertes régionales de l'arc lémanique en attendant l'achèvement de CEVA. Les rames françaises devraient pour leur part arriver en 2019. (cliché X)

Au total, la capacité horaire en heure de pointe pourrait atteindre 10 000 places sur le tronçon central de CEVA.

Un projet d’urbanisme

Avec CEVA, plus de 157 000 m² de surfaces constructibles sont rendues disponibles et 1000 logements sont prévus autour des gares du RER. La mise en souterrain de l’infrastructure ferroviaire sera l’occasion de réaliser une coulée verte accessible aux piétons et aux moyens de déplacement non motorisés.

Les 5 gares souterraines constituent également un enjeu d’urbanisme et un projet d’insertion architectural puisque leur conception est confiée à Jean Nouvel, avec un souci de transparence maximale et de pénétration de la lumière naturelle jusque sur les quais, et la volonté d’une intermodalité avancée avec les réseaux existants, notamment avec les tramways genevois.

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Perspective de l'accès de la future gare de Champel-Hôpital (image de synthèse CEVA)

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Vue intérieure de la nouvelle gare de Genève Eaux-Vives, succédant à la gare en surface (image de synthèse CEVA)

La gare d’Annemasse sera modernisée et adaptée à l’évolution des flux de voyageurs lié au trafic supplémentaire.

Anecdote révélatrice non seulement du souci de préservation du patrimoine (malgré une dépense non nulle), le bâtiment voyageurs de l’ancienne gare de Chêne-Bourg a été ripé de 40 m puisqu’il se situait à l’emplacement prévu pour foncer les parois moulées du tunnel de CEVA.

Notre reportage à bord de Léman Express (du moins sa partie genevoise).

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