Trois types de trams-trains en France
C’est un choix que nous assumons : si notre dossier sur le tram-train de Karlsruhe est classé à transporturbain, nous avons décidé de répertorier les trams-trains français à transportrail dans notre série consacrée aux matériels ferroviaires régionaux car tel est leur usage nettement majoritaire.
Trois matériels de type tram-train circulent en France. Le premier est arrivé en 1997, mais du bout des bogies, sur une seule voie en gare de Sarreguemines : c’est le Saarbahn de Sarrebrück, assurant toutes les 30 minutes la liaison Sarrebrück – Sarreguemines. Il ne circule que sur environ 300 m sur le réseau ferré national, avant d’emprunter une voie du réseau allemand et de pénétrer enfin en mode tramway dans les rues de Sarrebrück. Nous l’avons tout de même intégré à ce dossier.
Les deux autres matériels sont issus d’appels d’offres pilotés par la SNCF. Objet de nombreuses études, suite à la « révolution de Karlsruhe », le tram-train en France a donc connu peu de concrétisations et reste d’abord un train léger pas forcément compatible avec les autres circulations ferroviaires.
Siemens pionnier du tram-train en France
La transformation de la ligne francilienne Aulnay – Bondy en tram-train (T4) fut le premier projet français. La SNCF constatait la pleine réussite de la RATP sur la ligne T2, qui réutilisait la ligne des Coteaux entre Puteaux et Issy-Plaine : il fallait à l’opérateur national un terrain de démonstration de ses aptitudes à une exploitation plus urbaine.
En outre, le projet de Mulhouse prévoyait d’emblée la création d’un réseau urbain de tramways et une extension suburbaine sur la ligne Mulhouse – Thann – Kruth, nécessitant un matériel d’interconnexion compatible avec les deux systèmes ferrés.
Mulhouse - Porte Jeune - 29 janvier 2015 - Premier tram-train interconnecté et à ce jour le seul, Mulhouse reste donc une exception française, comme Karlsruhe l'est en Allemagne (avec Kassel). Les Avanto de la SNCF sont gérés en commun avec les Citadis de Soléa. © transportrail
Siemens était alors en position dominante sur le marché avec l’expérience de Karlsruhe, et remporta donc logiquement un appel d’offres de 27 rames dont 15 pour l’Ile de France et 12 pour Mulhouse. L’Avanto propose une architecture assez nettement typée urbaine, avec 5 caisses sur 37 m, dont 3 courtes en position centrale et 2 modules d’extrémité, motorisés. L’Avanto n’est pas à plancher bas intégral : les bogies moteurs, avec des roues de 660 mm de diamètre, nécessitent 2 marches pour accéder à une zone surélevée. En revanche, les 5 portes sont bien dimensionnées pour des services assez urbains.
Si le matériel est similaire entre le T4 francilien et le projet de Mulhouse, l’usage qui est fait de ces rames est très différent puisqu’à Mulhouse, il s’agit d’un usage complet en mode tram et en mode train, alors qu’en Ile de France, la conception reste purement ferroviaire avec cependant une signalisation de type tramway et un principe de marche à vue. L’extension de la ligne T4 vers Montfermeil va cependant modifier la donne.
Gargan - 22 septembre 2017 - Un Avanto du T4 francilien franchit les appareils de voie de la future bifurcation vers Montfermeil. L'alimentation de cette zone, actuellement en 25 kV, sera modifiée en 750 V puisque le courant alternatif ferroviaire n'est pas admis en voirie (et on le comprend). Les Avanto seront en outre exclus de la branche Montfermeil, qui nécessitent d'importants travaux sur toute la section Bondy - Gargan. © transportrail
Autre particularité, les rames de Mulhouse sont entretenues par le dépôt urbain de l’opérateur Soléa (filiale de Keolis, on reste en famille) et conduites par des agents ayant la double formation pour les réglementations urbaine et ferroviaire.
Le roulement de ces rames est assez correct, facilité par des bogies moteurs classiques et d’une suspension assez efficace. En revanche, les rames franciliennes pâtissent d’une fiabilité médiocre, gérées pendant 11 ans par l’atelier de Noisy le Sec devant faire face à une grande diversité de parc. Depuis 2017, elles sont entretenues dans un atelier dédié au tram-train, mais avec les Dualis assurant le service de T11 et qui équiperont également l’extension à Montfermeil de T4, qui ne sera pas accessible aux Avanto.
Qui plus est, le parc semble surnuméraire, tant à Mulhouse qu’à Paris, ce qui a conduit le STIF et Transilien à engager un Avanto sur la courte antenne Esbly – Crécy afin d’y éliminer un segment RIB avec BB17000. A Mulhouse, il y aurait suffisamment de rames pour exploiter toute la ligne de la vallée de la Thur, jusqu’à Kruth, si elle était électrifiée au-delà de Thann.
Alstom reprend la main avec le Dualis
Le fort engouement pour le tram-train en France au début des années 2000 incita la SNCF à lancer un nouvel appel d’offres pour les projets alors à l’étude : le « tram-train nouvelle génération » était promis à un grand avenir et 200 rames furent mentionnées dans ce marché. Dans un premier temps, deux Régions alimentèrent une tranche ferme : Pays de la Loire pour le projet Nantes – Châteaubriant et Rhône-Alpes pour l’Ouest Lyonnais. L’Ile de France était en tranche optionnelle, pour les tangentielles, dont la réalisation était plus tardive.
Fleurieux sur L'Arbresle - 1er octobre 2012 - Les trams-trains ont succédé aux X4630 sur deux des trois branches du réseau de l'Ouest Lyonnais mais les performances ne sont pas significativement meilleure qu'à l'époque du service en en autorails, et surtout, le trafic reste de moitié inférieur aux prévisions, faute notamment à l'absence d'intégration tarifaire avec le réseau urbain lyonnais et d'accès direct au coeur d'agglomération. © transportrail
Ce marché prévoyait la construction de rames à plancher bas intégral, ce qui allait fortement contraindre la conception du matériel avec un nouveau bogie Ixège à moteurs à aimants permanents, dont la mise au point fut assez délicate car entre temps, il fallut adapter le projet pour la circulation sur des lignes courantes. La desserte Nantes – Clisson s’invita au dernier moment compte tenu du retard dans le projet de réouverture de la ligne de Châteaubriant : les premières rames étaient livrées et devaient donc circuler pour ne pas perdre la garantie du constructeur. Les détecteurs de boîtes chaudes n’ont pas apprécié ce bogie par l’échauffement du moteur placé très bas, pour respecter l’objectif du plancher bas intégral. En outre, le niveau d'entretien de la voie pour ce matériel léger est comparable à celui requis pour le passage de TGV à 220 km/h...
Nantes - 27 janvier 2017 - En gare, il a fallu adapter dans l'urgence certains quais pour recevoir le tram-train assurant la desserte périurbaine Nantes - Clisson, qui n'était pas prévue. Or aujourd'hui, la SNCF déplore le manque de capacité en pointe de ces rames. Au passage, on aperçoit sur ce cliché les comble-lacunes qui coûte du temps aux arrêts. © transportrail
On notera au passage que ce choix est intrinsèquement discutable puisque le nouveau tram-train Dualis est dépourvu de portes en extrémité de rames. Il a conduit à rendre complexe un matériel devant déjà composer avec les rigidités ferroviaires françaises, rendant la conception d’un tram-train plus difficile qu’en Allemagne, où la culture du « globalement au moins équivalent » parvient à limiter les contraintes. Quant au bogie Ixège, plutôt conçu pour le service urbain, il procure au Dualis un roulement moyen sinon mauvais quand la voie n’est pas parfaite, et bruyant surtout à haute vitesse.
Autre grief au Dualis : sa masse : 77 tonnes, soit plus de 15 tonnes de plus que les rames de Bombardier pour Sarrebruck. En revanche, le Dualis repose sur 5 bogies et non sur 4, ce qui ramène la masse à l'essieu à un ratio acceptable.
Enfin, Dualis et Avanto se rejoignent sur une problématique commune : les 4 secondes perdues pour le déploiement de la palette comble-lacune entre le seuil de porte et le quai… et autant pour son replu, ce qui finit par compter dans la gestion de l’exploitation.
Une question de profils de roues
L’alimentation est un critère de dissociation des trams-trains : les Avanto sont homogènes de ce point de vue, compatibles avec les tensions de 750 V et 25000 V. Les Dualis nantais sont aptes aux mêmes tensions tout comme les rames franciliennes du T11 et du futur T13. En revanche, celles de l’Ouest Lyonnais et les futures rames de T12 au sud de Paris auront une tension ferroviaire de 1500 V.
Le profil de roues est un autre critère de segmentation : roues mixtes ferroviaire / urbain à Mulhouse évidemment, mais aussi pour les Dualis de T4, T12 et T13 en Ile de France. En revanche, les Avanto du T4 et les Dualis du T11 ont des profils ferroviaires : ainsi par exemple, seuls les Dualis pourront circuler sur la branche Montfermeil du T4 francilien. Une homogénéisation en roues mixtes serait évidemment souhaitable… Les rames nantaises et lyonnaises ont, elles aussi, évidemment, des roues de type ferroviaire puisque n’ayant aucune section urbaine.
La Courneuve - 11 mars 2018 - Chacun ses voies : à gauche, la Grande Ceinture dédiée au fret et à droite, les deux voies nouvelles au gabarit tram-train pour T11, qui roule tout de même à gauche, alors que T4 également exploité par la SNCF, roule à droite. © transportrail
Bref, loin d’être le couteau suisse, le tram-train à la française est un univers fragmenté mais de faible importance car, même en imaginant des scénarios maximalistes en Ile de France, seuls 70% du marché Dualis serait consommé. Désormais, il n’y a plus guère que les besoins franciliens à couvrir : Ile de France Mobilités a ainsi commandé 47 rames pour ses nouveaux besoins.
En résumé, le parc de trams-trains français se cantonnerait à 138 rames :
- Mulhouse : 12 Avanto
- Lyon : 24 Dualis
- Nantes : 25 Dualis
- Ile de France : 15 Avanto + 62 Dualis
Seules potentielles commandes supplémentaires, l’augmentation de capacité sur les lignes franciliennes, à condition de ne pas rompre la continuité de la production… Les projets de Strasbourg et Grenoble sont abandonnés. Il fut un temps vaguement question d'une liaison Sarrebrück - Forbach. A Lille, des études ont été menées, mais se sont heurtées à un différend entre la Région et la Métropole. Autant dire que le tram-train à la française restera un cas - très - particulier d'application...
Sarreguemines : un tram-train transfrontalier
N’oublions pas que les rames du Saarbahn viennent en gare de Sarreguemines depuis 1997. Bombardier avait emporté la commande de 28 rames qui ne s’appelaient pas encore Flexity Swift. Elles circulent en France sur 300 m de voie unique alimentée en 15 kV par le réseau allemand. Leurs principales caractéristiques figurent dans notre tableau de synthèse.
Sarreguemines - 2 mars 2017 - C'est celui qui met le plus d'ambiance en gare de Sarreguemines : le tram-train de Sarrebrück ne fait qu'une courte incursion en France, puisque sur le second cliché, on voit la pancarte annonçant le changement de système de signalisation. © transportrail
Elles sont assez différentes des rames françaises, avec une architecture à 3 caisses (contre 5 pour l’Avanto de longueur équivalente) et proposent, comme à Karlsruhe, une voiture centrale dépourvue de portes d’accès, à plancher surélevé, pour des voyageurs longue distance avec un maximum de places assises.