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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Rapport Spinetta : un terne constat financier

Face à la situation financière d’un système ferroviaire français plombé par plus de 50 MM€ de dette (dont 46 MM€ pour SNCF Réseau), l’Etat a décidé dès l’été 2017 de confier une mission sur l’avenir du système ferroviaire français à Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d’Air France. Celui-ci n’a eu que trois mois pour rendre sa copie.

Elle est partielle car la première partie ressemble à s’y méprendre à un audit financier, dans lequel l’usager / voyageur / client est étrangement absent. Elle est aussi partiale car plutôt à charge pour SNCF Réseau : l’opérateur SNCF Mobilités s’en sort mieux. Néanmoins, l’Etat n’est pas épargné.

La seconde partie aligne 43 propositions de réforme qui se caractérisent par un air de déjà vu dans la plupart des cas, reprenant des préconisations déjà exprimées dans de précédents rapports parlementaires ou de la Cour des Comptes. N’échappant pas à certains poncifs, il est difficile de le considérer comme réellement novateur, d’autant que les mêmes impasses que les précédentes productions apparaissent de façon flagrante.

Un diagnostic partiel, les lignes régionales en sacrifice

Premier point, qu'on retrouve dans les recommandations : le réseau ferroviaire français est peu utilisé. Avec en moyenne 46 trains / ligne / jour, c'est deux fois moins qu'en Allemagne (85 trains) et au Royaume Uni (96 trains) et très en retrait par rapport à des pays plus compacts comme la Suisse (125 trains) ou les Pays-Bas (140 trains). Mais il est vrai que le réseau est très inégalement utilisé avec 160 trains / ligne / jour en Ile de France et seulement 13 sur la partie la moins utilisée du réseau.

D'emblée, le rapport met donc en exergue le fait qu’un tiers du réseau ferroviaire n’accueille que 2% du trafic voyageurs, ciblant ostensiblement les petites lignes classées UIC 7 à 9.Tout en reconnaissant que cette classification est inadaptée et que SNCF Réseau doit en concevoir une autre, plus axée sur l’usage et la vocation des sections du réseau, il n’échappe pas au raccourci « pas de trafic, pas de potentiel, pas d’avenir ». Disons-le encore une fois : dans bien des cas, s’il n’y a pas – ou peu – de voyageurs, c’est d’abord parce qu’il n’y a pas de trains !

evolution-RFN

Du point de vue des parts de marché, le rapport souligne la décroissance continue du rôle du train depuis l’après-guerre (60% en 1950) jusqu’en 1995 (7,5%) et la relance liée à la régionalisation avec une remontée à 9,2%. Néanmoins, le trafic ferroviaire restait en 2010 à son niveau de 1980, démontrant au passage que le TGV a probablement permis de sauver les meubles mais pas d’augmenter la part de marché du rail à l’échelle nationale. Depuis 2000, le trafic a tout de même augmenté de 20% soit :

  • +57% pour le TGV
  • +60% pour les TER
  • +40% pour l’Ile de France
  • Mais -66% pour trains classiques longue distance

Il ne manque pas d’évoquer le fort lien entre l’évolution industrielle de la France depuis un demi-siècle et le déclin du fret, dont la part de marché a chuté de 25% à moins de 10% entre les années 1980 et aujourd’hui en dépit des effets d’annonce successifs de « plan de relance » qui ont tous échoué. Le rapport souligne l’amorce de relance du trafic à partir de 2014, quoique les résultats de 2016 aient été mauvais en raison notamment de piètres récoltes céréalières. On notera que le transport combiné progresse de 5,7% par an depuis 2010.

evolution-trafics

Pour autant, Jean-Cyril Spinetta reconnaît la très faible empreinte environnementale du train qui ne représente que 0,6% de la consommation d’énergie… avant de nuancer le propos en raison du faible remplissage des trains régionaux (25% sur la globalité de l’offre TER). Cependant, il faudrait distinguer les heures de pointe de la journée…

L’état du réseau

Sans surprise, l’état du réseau est mis en avant et la relance menée depuis 2006, après la parution de l’audit de l’EPFL, constitue une inflexion notable quoique notoirement insuffisante par rapport au besoin : le vieillissement du réseau n’est pas enrayé. Qui plus est, les investissements ont largement porté sur les UIC 7 à 9 car les Régions sont de plus en plus sollicitées pour financer le renouvellement du réseau et les modalités d’intervention sur le réseau structurant sont difficiles. Il faut d’ailleurs noter que le penchant actuel de SNCF Réseau à allonger les plages travaux de jour a pour effet de diminuer les recettes liées aux circulations, ce qui amplifie potentiellement la complexité de l’équation financière.

historique-renouvellements

En attendant, le réseau vieillit, moins vite qu’auparavant et, faute de budgets et d’efforts de productivité industrielle suffisants, le kilométrage de lignes ralenties atteint 5500 km en 2017, soit le double de la situation en 2008.

La comparaison France – Allemagne résumée page 21 est à manier avec précaution car en Allemagne, il n’y a pas de lignes classées UIC 7 à 9, ce qui amplifie l’écart quant aux moyens consacrés au réseau et à leurs effets.

entretien-renouvellement-france-allemagne

Sécurité et qualité de service

Reconnaissant que le rail reste 7 fois plus sûr que la route, Jean-Cyril Spinetta rappelle que selon l’Agence Ferroviaire Européenne, la France n’est qu’en quatrième position derrière les Pays-Bas, la Suisse, le Royaume-Uni et à égalité avec l’Allemagne.

Quoique supérieur à la moyenne européenne, le niveau de satisfaction des français à l’égard du transport ferroviaire reste contrasté car, selon l’ARAFER et le bilan 2016 récemment publié, 5% des trains prévus ont été supprimés, 11% ont circulé avec plus de 5 minutes de retard à l’arrivée et, pour le trafic TER, le taux de retard oscille entre 10 et 30% sur l’ensemble de la journée mais avec des taux nettement plus élevés en heures de pointe.

De son côté, l’Autorité de la Qualité de Service dans les Transports accentue la faiblesse française : seuls 90,3% des TER sont à l’heure en France, contre 97,5% aux Pays-Bas, 96,8% en Allemagne et 92,9% au Royaume-Uni. En Ile de France, la régularité atteint 91,4% alors que les réseaux équivalents affichent des résultats entre 96 et 99% (taux atteint à Madrid par exemple. La banlieue londonienne est en retrait à 90,6%.

Pour les TGV, l’analyse est objective : avec une régularité de 80% à 5 minutes, les trains français font évidemment moins bien que ceux qui roulent intégralement sur un réseau dédié, mais mieux que ceux qui circulent sur le réseau classique (Italie et Allemagne par exemple). Avec 79,3%, le bilan pour les Intercités est honorable dans la moyenne européenne mais à plus de 10 points des meilleurs élèves.

C’est à peu près la seule fois où apparaît – implicitement et furtivement – la notion d’usager / voyageur / client.

Combien ça coûte ?

10,5 MM€ auxquels il faut ajouter 3,2 MM€ pour le régime des retraites : c’est l’estimation du coût du système ferroviaire français, qui reste déficitaire à hauteur de 3 MM€ par an. Et ce qui est inquiétant, c’est une inflation des coûts ferroviaires supérieure à 2% par an. Au final, la France consacrerait 200€ / an / habitant au système ferroviaire, ce qui est beaucoup, plus qu’en Allemagne, en Italie, en Espagne et aux Pays-Bas, mais moins qu’en Belgique, Suisse et Autriche qui investissent plus pour le rail.

Les recettes nettes du groupe public ferroviaire SNCF en 2016 atteignaient 8,7 MM€ pour un besoin de financement de 22,2 MM€ hors retraites. Les concours publics n’atteignant que 10,5 MM€, il subsiste un déficit annuel de 2,8 MM€.

 

En revanche, on cherche encore un examen de l’évolution des coûts de SNCF Mobilités, qui, sur la seule activité TGV, ont augmenté durant la première décennie de plus de 6% par an, hors péages !

flux-financiers-2017

GRAPHIQUE PAGE 26

D’après le rapport, salaires et coûts de production augmentent en moyenne de 2% par an alors que le Contrat de Performance 2017-2027 table sur 3 MM€ d’économies à horizon 2026 dont 1,2 MM€ par SNCF Réseau. La réorganisation du groupe SNCF et notamment les missions de l’EPIC de tête, dont le rôle reste confus depuis sa création dans la loi du 4 août 2014, est donc mise en avant.

Avec en 2017 un chiffres d’affaires de 6,6 MM€, une marge opérationnelle de 1,8 MM€, des frais financiers de 1,3 MM€ et un besoin d’investissement supérieur à 3 MM€, la trajectoire du Contrat de Performance est difficilement soutenable : les péages augmenteront en moyenne de 2,8 % sur 10 ans puis de 3,6% en fin de contrat, mais la dotation aux investissements se réduira à 2,2 MM€ hors concours publics. Dans la situation actuelle, la dette atteindrait 62 MM€ en 2026.

Pour SNCF Réseau, la dette a augmenté de 15 MM€ sur la seule période 2010-2016 et accostait à 45 MM€ fin 2016. 20% de cette hausse est liée à la réalisation des lignes nouvelles SEA, BPL, Est Phase 2 et CNM. La majorité de l’évolution de la dette provient d’un décalage croissant entre l’évolution des péages et l’augmentation des dépenses sur le réseau.

dette-reseau

Mis en cause, l’Etat est accusé d’être un piètre stratège avec une relation quasi-incestueuse avec ses EPIC, adepte des injonctions contradictoires sur les investissements, la tarification ou la politique de services.

Le propos de Jean-Cyril Spinetta n’est pas tant de remettre en cause le principe d’un concours public important dans le secteur ferroviaire que d’interroger radicalement l’efficacité de l’euro investi.

Point important : du point de vue de l’infrastructure, le tarif optimal est celui du coût marginal d’usage. La couverture du coût complet est illusoire. En revanche, il est possible de « surtaxer » le socle du coût marginal dans les cas de congestion de sections de lignes… ou quand l’Etat ne peut subventionner le différentiel entre le coût complet et le coût imputé aux opérateurs. Mais augmenter les péages favorise un comportement malthusien des opérateurs privilégiant des trains chers donc rares car moins fréquentés. Augmenter – modérément – les péages n’est donc envisageable que dans un marché ouvert à la concurrence avec d’autres leviers que la tarification du réseau pour influer sur le niveau du trafic.

Du point de vue de l’exploitation, la comparaison est biaisée car les modes routiers ne supportent pas les externalités qu’ils génèrent. En outre, la subvention du transport ferroviaire est aussi une forme de reconnaissance des effets externes positifs pour la collectivité, liés à la dynamique des territoires, la mise en réseau des métropoles et des activités, l’accès des populations à des bassins d’emplois plus vastes ou le traitement de la congestion routière.

Néanmoins, ce rapport n’échappe pas aux poncifs sur les secteurs de pertinence du rail, cantonnés aux grandes liaisons entre métropoles, à condition de proposer des trajets de 3 heures maximum, et aux dessertes périurbaines. Au-delà de 3 heures, c’est l’avion ; hors des bassins urbains, c’est la voiture ou l’autocar. Une théorie qui a un goût de réchauffé…

Dans ce domaine, on pourra lire le rapport de la Cour des Comptes sur la grande vitesse ferroviaire, le TER et les Intercités.

L’évolution du trafic

L’activité TGV fait face à un tassement du trafic depuis 2010 (concurrence intermodale, conjoncture géopolitique), une augmentation de 50% des péages entre 2008 et 2016 et un surdimensionnement du parc pour des raisons de politique industrielle.

Le rapport souligne la situation d’entre-deux dans laquelle se trouve l’activité commerciale de la SNCF, coincée entre les objectifs de rentabilité assignés par l’Etat (rémunération du capital après impôts de 8,5%) et une régulation des tarifs doublée d’une augmentation de la TVA et des taxes territoriales servant en partie à financer le déficit des TET. Conséquence, SNCF Mobilités déprécie la valeur de son parc TGV depuis 2011.

Pour TER, l’offre a augmenté de 25% et le trafic de 50% depuis 1997 mais la contribution des Régions a plus que doublé sur la même période (+110%). Il y a donc problème…

Pour TET, le bilan est encore plus délicat avec 30% de voyageurs et de chiffres d’affaires en moins entre 2011 et 2016, expliquée en partie par la contraction de l’offre, avec un taux de couverture de 60%. Le déficit est compensé par des taxes territoriales supportées par TGV.

En Ile de France, les résultats sont d’une toute autre nature : Transilien représente 15% des trains-km de la SNCF, 17% des voyageurs-km mais 70% des voyageurs transportés par l’entreprise. Les choix tarifaires du STIF ont accentué le déficit d’exploitation, qui plafonne à 25%, car l’induction de trafic n’a pas généré une augmentation suffisante des recettes.

Quant au fret, sa part de marché a été divisée par deux entre 2003 et 2016, passant de 18 à 9%. L’érosion a en réalité débuté en 1974 avec l’effondrement du trafic minier et sidérurgique, un mouvement de désindustrisalisation. S’y ajoute une relative atonie des ports français, conséquence de choix stratégiques historiques d’une France tournant le dos à son littoral au profit d’un système nord-sud centré sur Paris.

La crise du fret est amplifiée par l’état du réseau et la propension à multiplier les travaux et faire du trafic marchandises une variable d’ajustement dans la planification capacitaire liée aux chantiers, d’autant plus aisément que, vu de la fenêtre de SNCF Réseau, le fret est une source de déficit.

Du côté de l’opérateur historique, la situation n’est pas meilleure avec des pertes récurrentes et une dette de 4,3 MM€ en 2016. L’ouverture à la concurrence n’a pas permis de redresser le niveau du trafic mais a probablement évité un effondrement encore plus violent. Néanmoins, même avec 40% du marché, les opérateurs privés restent de santé précaire, notamment par une difficulté à obtenir des sillons sur le réseau, du fait d'une stratégie de SNCF Réseau cherchant l'optimum pour la maintenance seule, privilégiant ainsi des travaux de jour, sur des plages longues, quelque peu contradictoires avec le discours de Patrick Jeantet cherchant à augmenter le nombre de trains qui l'empruntent...

Bilan

D’une certaine manière, le rapport Spinetta conclue que le problème ferroviaire français ne procède pas tant qu’un manque d’investissements que :

  • d’une mauvaise orientation des moyens alloués, tant dans les choix politiques que dans la productivité de l’euro investi, avec un fort déséquilibre au détriment de la gestion patrimoniale du réseau existant ;
  • d’un déficit de gouvernance avec des relations Etat – SNCF jugées « malsaines » ;
  • d’une propension à la surenchère clientéliste d’investissements.

Il manque tout de même quelques évidences, déjà soulignées par d’autres études, notamment de la Cour des Comptes. Ainsi, on aurait apprécié un examen de la connaissance du marché des déplacements de voyageurs, des besoins logistiques des entreprises et des ports… mais non. Pour concevoir l’avenir du système ferroviaire, c’est – un peu – dommage !

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