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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

En Cerdagne à bord du Train Jaune

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Villefranche de Conflent - 8 juillet 2015 - Depuis plus d'un siècle, les Z100 arpentent leur ligne et font partie du paysage cerdan. Juste avant de passer les fortifications, la ligne franchit le Têt par cet ouvrage métallique de structure courante sur le réseau du Midi. © E. Fouvreaux 

Genèse de la ligne

62,5 kilomètres de ligne traversant le parc naturel régional des Pyrénées catalanes et, tout au long du parcours, tunnels, viaducs, ouvrages à flanc de montagne. Combien d’années de procédures administratives, combien de milliards d’euros seraient nécessaires à la construction d’une telle ligne aujourd’hui ? Beaucoup trop pour simplement l’envisager ! Et pourtant, la ligne à voie métrique de Villefranche Vernet-les-Bains à Latour de Carol – Enveitg existe bel et bien. Sa réalisation a été rendue possible par la ténacité de Jules Lax, ingénieur des Ponts et Chaussées, et d’Emmanuel Brousse, ingénieur aux Chemins de fer du Midi, élu conseiller général en 1898.

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Conçue pour désenclaver les hauts cantons et favoriser le tourisme, la ligne de Cerdagne s’inscrivait dans la perspective d’un projet de transpyrénéen oriental qui lui valut le statut de ligne d’intérêt général, obtenant sa déclaration d’utilité publique le 4 mars 1903 pour la section de Villefranche de Conflent à Bourg-Madame.

Pourtant, les premières études dataient de 1865, mais se heurtaient à la rudesse de la géorgaphie : il était simplement envisager de prolonger la ligne venant de Perpignan, faisant alors terminus à Prades, jusqu'à Olette, remontant un peu plus le Têt. Les premières voix en faveur d'une ligne allant vers le plateau de la Cerdagne se firent entendre à partir de 1891 et militaient pour une voie métrique. Les Chemins de fer du Midi s'intéressaient naturellement à ce débat et préconisaient d'emblée le recours à la traction électrique, d'où les orientations définies le 9 novembre 1902.

La construction de cette ligne affrontait la montagne et justifiait la construction de 17 tunnels (longueur cumulée 2653 m) et deux ouvrages d’art majeurs : le pont Séjourné et le pont suspendu de la Cassagne, dit « pont Gisclard », du nom de son concepteur qui y trouva la mort au cours de la construction. L’ouverture de la ligne jusqu’à Bourg-Madame était réalisée le 20 mai 1911. Les deux ouvrages ont été classés aux Monuments Historiques et le pont Gisclard reste le dernier pont suspendu ferroviaire exploité en France.

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Pont Gisclard - 8 juillet 2015 - Assurément le point d'orgue du parcours, apparaissant au sortir d'un tunnel, le dernier pont suspendu à usage ferroviaire de France. © transportrail

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Viaduc Séjourné - 26 juin 2010 - Un autre style pour "le" Séjourné, impressionnant par sa hauteur et la légèreté de son dessin. © X. Vuillermoz

Deux ans plus tard, la concession de la jonction avec le futur Transpyrénéen oriental Toulouse – Latour de Carol était décidée et confirmée par déclaration d’utilité publique le 4 septembre 1922. Sa mise en service, le 7 août 1927, suivait de deux mois l’ouverture de la section Latour de Carol – Ripoll, mais la jonction avec Toulouse devait encore attendre deux ans. C’est donc en 1929 que la gare de Latour de Carol prenait sa configuration actuelle avec 3 écartements (métrique, normal, large).

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Entre Montlouis et Fontpédrouse - 8 juillet 2015 - Ils ne font pas partie des grands viaducs, leur construction dans des lieux d'accès difficiles n'en a pas moins constitué à leur niveau une belle prouesse ! © E. Fouvreaux 

La ligne de Cerdagne a toutes les caractéristiques d’une ligne de montagne : voie unique à écartement métrique, rampes de 60 ‰ et électrification – de naissance – par troisième rail (en 850 V). L’alimentation électrique est assurée par une centrale hydraulique dans la vallée du Têt distribuant le courant à la ligne via 7 sous-stations reliées par une ligne aérienne 20 kV.

Tourisme vert, ciel bleu et train jaune

Le Train Jaune, c’est d’abord une machine à remonter le temps, dans un matériel centenaire, avec son sifflet et ses odeurs d’huile chaude, les compresseurs et le ronronnement des moteurs d’origine. Les voitures découvertes sont très prisées des touristes, à condition de ne pas oublier chapeau et crème solaire. Le Capcir et la Cerdagne ne sont-ils pas renommés pour voir le soleil briller 300 jours par an ? Assurément, le Train Jaune est un formidable fil d’Ariane pour le tourisme en Cerdagne.

Il est aussi surprenant par la rapidité de la transition, en 28 km seulement, entre les influences méditerranéennes de la vallée du Têt et les paysages des plateaux pyrénéens.

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Sautto - 5 février 2016 - Intéressant cliché de la ligne du Train Jaune, avec la route parallèle pas des plus faciles : là où le train passe, l'homme peut passer... © S. Costes

Le succès de la ligne est indiscutable. Sa fréquentation - du moins en été – ferait pâlir d’envie bien des lignes de TER en France. Et pourtant, cette ligne est menacée de fermeture à brève échéance. Paradoxalement, son potentiel semble sous-exploité : on comptait 500 000 voyageurs par an dans les années 1980 et seulement 185 000 en 2012 ! Les pistes pour développer l’attractivité de l’ensemble de la ligne – pas toutes ferroviaires et pas nécessairement compliquées ou coûteuses - ne manquent pas.

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Bolquère - 8 juillet 2015 - Pas de potentiel ? Pas de trafic ? Pas d'avenir ? La plus haute gare SNCF de France, à 1592 m, connaissait ce jour-là une affluence inhabituelle car la gare de Font-Romeu était temporairement inaccessible en voiture. Cela n'a pas empêché touristes et randonneurs de rejoindre le Canari ! © transportrail

1- L’optimisation des correspondances

Le raccordement de la ligne côté Villefranche d’une part (correspondances vers Perpignan) et côté Latour de Carol d’autre part (correspondances vers l’Espagne ou vers Toulouse) constitue indéniablement un atout majeur. La ligne de Cerdagne n’est pas un train touristique isolé mais bien une ligne TER intégrée à un réseau.

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Latour de Carol - 7 juillet 2015 - Imposant bâtiment pour une gare qui devait être au coeur du transpyrénéen oriental, et dont le trafic est somme toute modeste. Le buffet de la gare a fermé. Pour le petit déjeuner, ce sera juste à gauche du photographe, avec en prime vue sur le Train Jaune : que demande le peuple ? © transportrail

Le montage d’une grille horaire optimisant les correspondances aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest, dans les deux sens de circulation, dépend du nœud de Toulouse et des flux TGV Paris – Languedoc : assurément un exercice pas simple. En pratique, les horaires proposés peuvent se révéler assez dissuasifs pour qui souhaite venir en train. Pour un usage quotidien, le périple paraît tout simplement inenvisageable. Pour les touristes venus de Perpignan, l’attente à Villefranche de Conflent pourra être employée à la visite de ce charmant village fortifié et de ses grottes. Mais une correspondance améliorée le matin et le soir permettrait de profiter davantage du Train Jaune et de ses arrêts intermédiaires. Même chose à Latour de Carol : le matin, la correspondance du train de nuit en provenance de Paris était assurée en 2015 - une quarantaine de minutes de battement laisse le temps de s’accorder un petit déjeuner avant d’embarquer dans le Train Jaune - mais le soir, le dernier Train Jaune arrive à Latour de Carol 15 minutes après le départ du train de nuit. Notre conseil : prenez le Canari de mi-journée, sautez dans le TER de 13h21 pour Toulouse et découvrez Foix, où vous pourrez dîner avant de revenir à la gare.

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Entre Saillagouse et Font-Romeu - 7 juillet 2015 - La réputation de la Cerdagne pour son ensoleillement n'est pas usurpée, aussi, en dépit de l'attrait des voitures découvertes, embarquer à bord des motrices vous permettra non seulement d'être à l'ombre mais aussi de profiter du ronronnement caractéristique d'un matériel centenaire... © transportrail

2 - La durée du trajet

Les guides de voyage conseillent, en raison de la durée du trajet de bout en bout, de limiter son excursion à la découverte de la partie orientale de la ligne, de Villefranche à Mont-Louis. Il s’agit, certes, de la partie la plus époustouflante du fait de ses nombreux ouvrages d’art et des paysages vertigineux des gorges du Têt. Il s’agit aussi probablement de la plus facile d’accès (notamment en voiture) depuis Perpignan et la côte Vermeille. La partie occidentale de la ligne, qui ne manque pourtant pas d’attraits avec ses paysages de « haute plaine » de Cerdagne, est moins fréquentée.

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Entre Saillagouse et Font-Romeu - 7 juillet 2015 - Au frais dans les voitures, fenêtres ouvertes, au coeur des plateaux cerdans, le voyageur peut découvrir une autre facette du massif pyrénéen. © transportrail

La vitesse est limitée à 25 ou 30 km/h sur la plupart du parcours du fait de l’état de la voie… Bien sûr, avec une voie renouvelée, les trains pourraient rouler un peu plus vite pour réduire la durée du trajet (sans compromettre l’agrément du voyage), et ainsi rendre le trajet plus compétitif par rapport à la route et moins éprouvant pour les visiteurs d’un jour, notamment les plus jeunes. Mais là n’est sans doute pas le levier majeur. Les horaires du Train Jaune intègrent un arrêt prolongé à chaque gare non munie de distributeurs ou de guichets, afin que le contrôleur effectue lui-même la vente des titres de transport. En période d’affluence, il faut s’attendre à des arrêts de 10 à 15 minutes dans plusieurs gares sur le parcours. Équiper en distributeurs les gares qui ne le sont pas, assurer la vente de billets dans les offices de tourisme, commerces locaux ou sur Internet permettrait, assurément, de raccourcir la durée du trajet, ce qui redonnerait de l’attractivité au Train Jaune sur l’ensemble de son parcours, y compris au quotidien.

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Saillagouse - 7 juillet 2015 - Précédée d'un vaste lacet côté Latour de Carol, la petite gare de Saillagouse marque le début d'une ascension plus soutenue vers Font-Romeu. © E. Fouvreaux 

3 - L’accès depuis les gares vers les villages, centres animés, sites remarquables, hébergements, stations de sports d’hiver…

Citons l’exemple de Font-Romeu. Située à peu près à mi-parcours de la ligne de Cerdagne, la gare de Font-Romeu – Odeillo permet de desservir la célèbre station de ski. En pratique, rares sont les vacanciers de Font-Romeu venus en train, car un cheminement escarpé de 2 400 m sépare le bourg de la gare. Aujourd’hui, une navette bus est mise en place un mois par an. Étendre ce type de service pourrait être le moyen de réduire la présence de l’automobile, été comme hiver, de mettre en valeur le patrimoine (notamment le four solaire d’Odeillo, la station de Bourg-Madame, la cité fortifiée de Mont-Louis et celle de Villefranche de Conflent) et de faire profiter la région du succès grandissant des séjours « verts ».

Matériel roulant : mythe ou principe de réalité ?

Les Z100 ont largement passé le cap des 100 ans de service, avec des rénovations lourdes en 1964 et 1985, et la question de leur devenir est au centre des préoccupation. Les deux Z150 Stadler sont garées sans usage car ces rames sont conçues pour circuler sur de bonnes voies. Les GTW et leur caisse centrale regroupant la chaîne de traction se sont révélées abrasives pour une voie déjà en mauvais état. Résultat, les Z100 assurent quasiment seules un service réduit mais leur avenir reste brumeux.

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Saillagouse - 12 juin 2017 - Circulation rare d'un couplage de Z150 sur le Train Jaune : très bon matériel qui ne tolère pas d'infrastructure en mauvais état. Il est régulièrement question d'une cession de ces rames, mais le devenir du matériel historique est plus qu'incertain... Bref, le Train Jaune n'a pas encore le signal au vert... © S. Costes

Les organisations syndicales soutiennent une reconstruction à l’identique par les ateliers de Béziers, d’autres militent pour l’arrivée de matériel neuf, et les partisans de la fermeture pure et simple ne sont pas absents… En attendant, c’est un tour de force que de pouvoir former 5 trains, mais pour combien de temps ?

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Font-Romeu - 8 juillet 2015 - Le dernier train du soir quitte Font-Romeu en direction de Latour de Carol : c'est la partie qui aurait le plus urgemment besoin de travaux. © E. Fouvreaux 

Offre et capacité de la ligne

L'attrait touristique est indéniable mais les modalités d'exploitation limitent la chalandise potentielle. La Région Occitanie souhaiterait doubler l'offre, au moins en saison haute, pour atteindre 10 allers-retours, mais il faudrait moderniser l'exploitation d'une ligne gérée de façon très particulière, avec une autorisation de départ donnée par le poste de commandement de la ligne à chaque gare de croisement. Les solutions ne sont pas simples à mettre en oeuvre avec le maintien du matériel historique, qui exporte de nombreuses contraintes techniques, notamment pour la liaison sol-bord.

En outre, le relèvement de la vitesse à 50 km/h sur un maximum de sections serait nécessaire pour réduire le temps de trajet, tout comme une simplification de la gestion de la vente de titres de transport pour éviter que les arrêts ne s'éternisent (certes, l'amateur en profitera pour faire des photos). 

Pour clore cet article, quelle plus belle promotion des Petits trains de France que celle d'Enrico Macias ?

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