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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Rapport Spinetta : préconisations et arbitrages gouvernementaux

Après le diagnostic, quelles ruptures propose ce rapport ? C’est finalement ce qu’on attendait de cette mission, destinée à jeter les bases d’une réforme du système ferroviaire. En tête d’affiche : le statut des cheminots, le statut des entreprises publiques et la consistance du réseau.

Et une constance : une vision très technocratique dans laquelle le maillage du territoire, l’équilibre entre grandes métropoles et régions moins peuplées. L’angle politique est mis dans la bordure au profit d’une vision purement financière du sujet.

Consistance du réseau : le sécateur sera-t-il de sortie ?

Comme déjà dit dans notre page consacrée au diagnostic, Jean-Cyril Spinetta met au banc des accusés les « petites lignes » qui consommeraient 17% des 10,5 MM€ que coûte le réseau ferroviaire.  17% pour 44% du réseau, de prime abord, cela pose question… même si on se concentre sur les lignes accueillant des trains de voyageurs, soit 33% du réseau (9252 km d’UIC 7 à 9 avec voyageurs et 3380 km sans voyageurs). Donc, le « Spin doctor » préconise la saignée comme les – mauvais – médecins du 18ème siècle qui ont fait plus de victimes que de guérisons. On dirait une rediffusion du feuilleton ferroviaire de 1995.

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Aspres sur Buech - 29 décembre 2016 - Pas si désertiques que cela, les petites lignes : pourtant, la relation Grenoble - Gap est en danger, considérée non viable par une Région qui manifeste nettement moins d'appétit pour le train que par le passé. 50M€ pour sauver cette ligne : la Région préfère financer des canons à neige artificielle pour les stations de moyenne montagne, avec un bilan écologique désastreux... © transportrail

Dire que le maintien des petites lignes est une particularité française est un mensonge grossier et on ne peut qu’inviter M. Spinetta à aller justement voir d’autres réseaux (Espagne, Italie, Suisse, Autriche, Allemagne, Royaume-Uni, voilà un panel représentatif).

Autre analyse ô combien biaisée, seul le quart des UIC 7 à 9 accueilleraient au moins 50 voyageurs par train, avec une moyenne globale de 30. Sans surprise, le rapport n’évoque en aucun cas la cohérence entre besoins de mobilités, offre ferroviaire et fréquentation des trains. Redisons-le encore une fois : seules 18% de ces « petites lignes » desservent des territoires dont la densité de population et d’emplois est inférieure un indice 50 (base 100 pour la moyenne nationale)… alors que 37% de ces lignes traversent des territoires plus denses que la moyenne française. Donc s’il n’y a pas grand monde dans les trains, c’est d’abord qu’il n’y a pas de trains. Regardons simplement le trafic sur les routes parallèles.

On se répète à transportrail ? Oui, mais la pédagogie est l’art de la répétition !

Tout au plus, on pourra apprécier que le rapport demande à SNCF Réseau de consolider le besoin de financement à 10 ans et d’établir une autre segmentation du réseau se substituant aux groupes UIC à cantonner à la politique de maintenance de la voie.

Quant à vouloir renforcer le rôle de SNCF Réseau pour fermer des lignes, c’est tout simplement un outrage démocratique et financier : celui qui décide, c’est lui qui paie. Vu le niveau de participation de SNCF Réseau sur les projets de lignes UIC 7 à 9 (8,5%), l’entreprise publique n’est pas bien placée pour donner des leçons…

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Paimpol - 29 juillet 2016 - La PME ferroviaire existe en Bretagne : CFTA est le sous-traitant historique de SNCF Mobilités sur les vestiges du Réseau Breton et parvient à dynamiser le trafic sur ces deux lignes en misant sur la réactivité, l'agilité et la polyvalence. Plus du tiers du trafic sur Guingamp - Paimpol est constitué de voyageurs en correspondance venant de Rennes ou de Paris par exemple... Ou comment les petites lignes peuvent nourrir les grandes... © transportrail

Le rapport Spinetta manie la carotte et le bâton en renouant avec des principes des années 1970 mis au goût du jour : transférer aux Régions la redevance d’accès, supportée aujourd’hui par l’Etat pour les TER. En clair : fermez des lignes et en contrepartie, l’Etat ne réduira pas la dotation correspondant à cette part de péage.

Moderniser l’exploitation du réseau principal

Pour le réseau le plus circulé, le rapport semble faire sienne les contributions de SNCF Réseau qui a profité de l’occasion pour recycler le Grand Plan de Modernisation du Réseau avec comme étendard l’ERTMS sur les grands axes et l’alignement entre renouvellement, modernisation des équipements et réexamen des infrastructures, en axant la stratégie sur la signalisation. « Haute Performance Grande Vitesse » sur la LGV Sud-Est, centré sur ERTMS niveau 2 et pilotage automatique, est évidemment un projet phare, tout comme Marseille – Vintimille, où ERTMS remplacera la signalisation existante (BAL+ KVB) horizon 2025-2030.

Reste une question qui s’est posée dans nombre de voisins européens : qui paie l’équipement du matériel roulant ? Le plus souvent, il a fallu que l’Etat mette la main à la poche… mais en France, le sujet reste tabou.

Point intéressant du rapport, l’impasse sur le financement du renouvellement de la signalisation dans l’actuel contrat de performances, soit un trou de 400 M€, légitime un réexamen de la trajectoire financière de SNCF Réseau.

Dans un registre similaire, le raisonnement budgétaire de ce contrat aboutit à de mauvais choix par rapport à une logique économique : aujourd’hui, SNCF Réseau choisit les modalités compatibles avec les crédits annuels et non la solution correspondant à l’optimum économique. En clair, dépenser moins chaque année pour au final probablement dépenser plus sur un même projet (par exemple, des renouvellements sur des UIC 5-6).

2009-07-25 14h53 Caudos - TGV 8521 v Irun (TGV-A 346+329)

Caudos - 25 juillet 2009 - Image résumant de nombreuses problématiques ferroviaires : le discours récurrent sur le domaine de pertinence du TGV et la tentation de contracter l'offre pour éviter de disperser les rames sur le réseau classique, mais aussi le choc générationnel entre un matériel hautes performances et une infrastructure obsolète, incarnée par une caténaire Midi de faible puissance et aux équipements nonagénaires qui ne tiennent plus guère que par la rouille... © J.J. Socrate

Donc, préconiser une évaluation socio-économique pour tous les projets, pourquoi pas, mais à deux conditions (au moins…) :

  • Adapter la méthode à la diversité des projets ferroviaires car, pour le cas des « petites lignes », même un doublement de l’offre sur une ligne à potentiel « moyen » aboutit à un bilan négatif ;
  • Aligner le contrat de performances sur les solutions correspondant à l’optimum économique des projets pour éviter la situation actuelle qui aboutit au renchérissement d’opérations pour satisfaire l’orthodoxie du ministère des finances.

TGV : quel domaine de pertinence ? quelle tarification de l’infrastructure ?

On passera rapidement sur ce chapitre tant il est convenu… surtout de la part d’un ancien PDG d’Air France ! Le couplet sur le domaine de pertinence du TGV jusqu’à 3 heures, c’est comme la rediffusion des Gendarmes en été…

Même remarque pour la contraction de l’offre sur les LGV : le propos est usé comme les bobines des épisodes de L’inspecteur Derrick, mais M. Spinetta reconnaît que l’organisation des correspondances dans des grands nœuds déjà bien encombrés n’est pas une contrainte anodine…

Ce qui est plus intéressant, c’est l’analyse sur le niveau des péages. C’est la pression politique de l’Etat qui a permis le maintien d’une desserte étoffée malgré leur augmentation. Le réexamen des péages est clairement mis sur la table, afin de favoriser le développement des trafics, en instaurant une proportionnalité entre redevances d’usage du réseau et chiffres d’affaires des relations : les liaisons à faible taux recettes / charges devraient bénéficier de péages moins élevés que les lignes rentables dont la capacité contributive au coût complet est plus solide.

On remarquera qu’au-delà de 700 km, le TGV devrait céder sa place à l’avion. Ceux qui imaginent qu’un train roulant moins vite, de nuit, avec des voyageurs couchés, pourrait être une solution adaptée car globalement plus économique sont de dangereux rebelles…

Maîtriser les coûts de production et la dette

Face à la dérive non maîtrisée de la dette par un Contrat de Performance insuffisamment efficace, le rapport propose de renforcer le rôle de l’ARAFER en lui confiant la responsabilité de l’évaluation du coût complet du réseau et de la définition des objectifs de productivité pouvant être atteints.

La trajectoire financière du Contrat devrait donc être revue, d’abord en réduisant le taux d’augmentation des péages à 2%, tout en créant un seuil d’indexation de 5% sur les péages acquittés par les Régions afin de mieux couvrir les coûts imputables aux TER. Naturellement, Jean-Cyril Spinetta verse au crédit du réseau le bénéfice de la suppression des petites lignes et propose d’affecter non plus 40 mais 50% des dividendes versés par Mobilités à Réseau, en contrepartie d’un effort de productivité accru de 10%, afin d’augmenter les investissements de 150 M€ supplémentaires en 2021, 300 M€ en 2022 et 500 M€ pour les années suivantes.

Quant à la dette, celle-ci devra être à terme reprise au moins en partie par l’Etat. Mais à terme, l’objectif est d’interdire à SNCF Réseau de reconstituer une dette non soutenable, en serrant la vis sur le taux de la règle d’or (marge opérationnelle / chiffre d’affaires) actuellement à 1/18 (il est en réalité à 1/24).

Pour le fret, M. Spinetta préconise la filialisation de l’activité et en particulier pour les petites lignes capillaires (des Opérateurs Fret de Proximité en puissance), tout en reconnaissant que l’augmentation envisagée des péages est assez injustifiée au regard de l’état du réseau et de la qualité des sillons. De fait, le maintien d’une subvention du fret par l’Etat semble justifiée, au regard des effets positifs du report modal vers le rail, et compte tenu du naufrage de l’écotaxe dont l’absence est soulignée (recommandation n°16).

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Villeneuve lès Avignon - 20 septembre 2014 - Fret au long cours pour cette relation Calais - Cerbère assurée par ECR avec une E186 en livrée DB. Principal problème du fret : obtenir des sillons de qualité sur un réseau où circuler devient de plus en plus difficile en raison de l'accumulation de chantiers et d'une vision budgétaire qui sacrifie les circulations et donc les recettes pour diminuer les dépenses annuelles... tout en renchérissant le coût global des opérations ! © R. Lapeyre

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Béziers - 8 avril 2011 - Les autoroutes ferroviaires sont présentées comme une solution miracle pour relancer le trafic ferroviaire de marchandises et diminuer le nombre de camions sur les routes. Erreur. C'est un produit d'appel, qui peut intéresser les grands groupes logisitiques, qui ont la capacité à placer un camion de part et d'autre du trajet ferroviaire. Pour les artisans routiers, ils n'ont d'autre moyen que de convoyer leur tracteur du point de départ au point d'arrivée... © J.J. Socrate

Pour TGV, on note que le parc à horizon 2027 ne devrait plus compter que 302 rames contre 460 actuellement, entre contraction de l’offre et généralisation des rames Duplex. En contrepartie, la productivité du parc devrait augmenter en s’inspirant de l’organisation de la production mise en œuvre par Ouigo : au moins 30% de kilomètres journaliers supplémentaires par rame, une baisse du coût de la place-kilomètre de 11%.

Cependant, Ouigo a ses limites, en étant cantonnée à une offre ponctuelle du fait même du principe du low-cost (petit parc à haute productivité), et alors même que le modèle économique reste fragile : le coût de production du siège-km est encore inférieur aux recettes associées. De fait, M. Spinetta considère que le développement de Ouigo passera par une augmentation du prix des billets.

La stratégie tarifaire est également examinée en préconisant une modulation du yield management en diminuant, sous conditions (aller-retour avec durée minimale de séjour sur place), pour augmenter leur remplissage des trains d’heures de pointe.

En outre, les injonctions contradictoires entre la profitabilité de l’activité et les tarifs encadrés par l’Etat devraient cesser, surtout dans la perspective de l’ouverture du marché.

Enfin, réexamen des péages acquittés par TGV et taux de rémunération du capital seraient deux leviers d’évolution de la rentabilité de l’activité, notamment dans la perspective industrielle de renouvellement du parc. Le capital immobilisé est aujourd’hui valorisé à 8,5% à la SNCF contre 4,7% en Italie et 5,1% en Allemagne. Or le « coût de l’argent » est moindre, et pourrait être abaissé autour de 6,6%.

Ouverture à la concurrence

Pas de grande surprise dans ce chapitre qui reprend des analyses déjà détaillées dans d’autres rapports. Pour le TER et les Intercités, M. Spinetta conforte le principe de concurrence pour le marché, encadrée par exemple par des délégations de service public comme pour les réseaux urbains. Pour le TGV, le principe de concurrence sur le marché, en open access, est plus difficile compte tenu du fort investissement pour se doter de matériels de ce type. Le cas italien montre qu’il faut des investisseurs solides pour absorber cette mise de fond très élevée au départ, plombant le bilan financier.

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Milan Centrale - 12 novembre 2017 - Côte à côte, les deux concurrents de la grande vitesse italienne : à gauche un AGV Italo et à droite une rame Frecciabianca, le service Intercity à 250 km/h constituant le milieu de gamme du service national italien. Après des débuts laborieux, Italo a atteint son régime de croisière et vient d'être racheté par un fonds américain, succédant aux investisseurs italiens. La SNCF s'était déjà retirée de l'actionnariat du seul concurrent national de Trenitalia. © transportrail

Pour les liaisons TGV non rentables, M. Spinetta suggère un financement partiel par l’Etat ou les Régions. On pourrait aussi suggérer l’achat de places par les Régions sur les axes où le TGV structure la desserte du réseau de villes (par exemple Rennes – Brest /Quimper).

Statut des entreprises et du personnel

Enfin, les dernières recommandations portent sur le statut des EPIC, avec en filigrane le devenir de l’EPIC « de tête » régulièrement mis en question par des rapports parlementaires. Il faut surtout retenir la proposition de transformation des EPIC SNCF Mobilités et SNCF Réseau en Sociétés Anonymes à Capitaux Publics, solution déjà employée dans de nombreux pays européens (Allemagne, Suisse, Belgique, Autriche, Italie). Pour SNCF Réseau, la proposition peut être risquée car elle pourrait renchérir les intérêts de la dette.

Au passage, une fois de plus, est préconisé le rattachement des gares à SNCF Réseau plutôt qu’à SNCF Mobilités : à force de le répéter, la sphère politique parviendra-t-elle à passer à l’acte ?

Concernant le statut du personnel, proposition la plus médiatisée, il serait progressivement éteint par l’embauche uniquement sous contrat privé, situation concernant aujourd’hui 15% du personnel du groupe SNCF. Cependant, on peut douter du caractère prioritaire de cette mesure dans l’objectif de maîtriser les coûts du système ferroviaire, alors que la principale faiblesse est plutôt la mauvaise utilisation des moyens existants. Le statut du personnel cheminot est une contrainte plus faible qu’on ne veut bien le dire, surtout sur les grands axes structurants. C’est peut-être un peu plus le cas sur les petites lignes où une plus grande agilité est requise pour faire du chemin de fer une solution pour les territoires (grands oubliés de ce rapport) un peu plus soutenables par les finances publiques.

Les suites de ce rapport

Remis au gouvernement mi-février 2018, le gouvernement a tranché dix jours plus tard avec des signaux forts, mais politiquement très sensibles.

On notera d’abord que l’Etat semble valider une révision du Contrat de Performance de SNCF Réseau pour porter l’effort de renouvellement et de modernisation du réseau à 3,5 MM€, en échange de contreparties sur une meilleure productivité des infrastructures et de leur exploitation.

Sur le plan tactique, l’Etat rejette - au moins pour l'instant - les conclusions brutales de M. Spinetta sur le devenir des petites lignes, considérant que ce n’est pas depuis le bureau d’un ministère qu’on peut décider de l’avenir de 44% du réseau ferré national. Bref, l’Etat semble comprendre que les petites lignes ne sont pas un gros problème dans la crise du système ferroviaire… Restons prudents, mais pour l’instant, cette partie du réseau gagne un peu de temps… en évitant au gouvernement de se mettre à dos des élus locaux déjà agacés par de précédents dossiers !

C’est habile, car en mettant en avant la question du statut du personnel et des entreprises, et de surcroît en voulant légiférer par ordonnances, le gouvernement va immanquablement être confronté à des positions syndicales très dures, qui agitent la menace d'un conflit de longue durée comme en 1995. Cependant, il leur faudra sortir des postures de principe pour s'attirer le soutien de la population, mais on n'en prend pas le chemin.

Sur le plan institutionnel, l’Etat veut aller vers plus d’intégration, dans un modèle « à l’allemande » alors que l’Union Européenne avait déjà dodeliné lors de la réforme de 2014, rapprochant un peu trop opérateur et gestionnaire d’infrastructure. On pressent la fin du ménage à trois avec la disparition de l’EPIC de tête (dont les missions relèvent tantôt de SNCF Réseau, SNCF Mobilités ou… de l’Etat selon  les sujets) et le possible transfert des gares à SNCF Réseau.

Et pour que le voyageur ne soit pas totalement oublié du sujet, l’Etat annonce une concertation sur l’évolution du service public ferroviaire. Le voyageur (surtout celui de la ligne Paris - Le Havre) a fait une réapparition médiatique dans l'interview du Premier Ministre le 26 février dans le journal de 20 heures de France 2, mais pour l'instant, la proposition a un côté fourre-tout qui permet surtout de gagner du temps… alors que l’Etat semble vouloir aller vite. Saura-t-il tenir le rythme face aux syndicats ? réussir là où tant d'autres ont échoué ? Relancer une véritable politique ferroviaire en France centrée sur les territoires, les populations, les activités sans être déconnectée des réalités économiques ? «  Le changement, c’est maintenant » ?

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