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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Perpignan – Figueras : la frontière franco-espagnole s'estompe

Ne s'use que si l'on s'en sert...

C’est rageant : voici une infrastructure mise en service en 2013 dont l’usage demeure anecdotique. Certes, la gestation fut difficile et le couple franco-espagnol a connu quelques passades. Mais alors qu’on ne cesse d’évoquer la muraille de camions sur les autoroutes, que la communication des gouvernements prêche à toutes les messes radio-télévisées la relance du fret et le report modal, la ligne nouvelle Perpignan – Figueras, qui se prolonge en Espagne avec la ligne à grande vitesse vers Barcelone, n’accueille qu’un maigre trafic.

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Collioure - 9 mars 2019 - ECR assure la traction de ce convoi Allemagne - Espagne avec des pièces détachées du constructeur automobile Ford. Le fret sur la ligne historique via Cerbère n'est pas totalement éteint, certains opérateurs organisant la rotation de leurs locomotives en intégrant le relais traction à Cerbère avec le changement d'écartement. © transportrail

Un point de sémantique : nous parlons bien de ligne nouvelle et non pas de ligne à grande vitesse. Certes, les trains de voyageurs peuvent circuler jusqu’à 300 km/h, mais l’infrastructure admet aussi les trains de marchandises avec un profil moins sévère (18 ‰) que ne l’est celui d’une ligne à grande vitesse qui, rappelons-le, profite de la forte puissance embarquée pour réduire le coût de génie civil en admettant des rampes de 35 ‰.

Ce maillon européen de 44 km est pourtant sur le papier d’une utilité avérée. Il facilite le trafic international et assure une continuité du réseau à écartement européen pour les voyageurs, mais aussi pour le fret car ADIF a procédé à la pose d’un troisième rail sur la ligne classique pour atteindre le port de Barcelone (et continuer ensuite jusqu’à celui de Valence). Il a aussi l’avantage d’éviter le transit par la ligne côtière, sinueuse et de performance moyenne.

Mais il faut probablement trouver dans un excès de centralisme, côté français d’abord et côté espagnol aussi, les raisons de la maigre utilisation de cette ligne. Perçue au travers d’une liaison Paris – Barcelone, elle se retrouve à négliger tout le reste : un Paris – Barcelone en plus de 6 heures demeure rédhibitoire face à l’avion… et le positionnement horaire focalisé sur Paris rend la desserte peu intéressante pour les villes de l’arc méditerranéen… ce qui ouvre les appétits d’opérateurs variés.

L’Espagne connectée au réseau européen

Longue de 44,35 km très exactement, la ligne nouvelle Perpignan – Figueras a été confiée au groupement TP Ferro, composé du français Eiffage et de l’espagnol ACS Dragados dans un partenariat public-privé. Elle comprend un tunnel bitube de 8,4 km dont 950 m en Espagne, précédé côté français d’un saut de mouton à Tresserve puisqu’on roule à droite sur les lignes à grande vitesse espagnoles.

Cette infrastructure met en connexion le réseau espagnol à grande vitesse établie à l’écartement UIC avec le reste de l’Europe… à commencer évidemment par la France. Un intérêt de premier plan donc.

Le profil est modéré, avec une rampe généralement de 11,8 ‰ et un court passage à 18 ‰ dans le tunnel. Alimentée en 25 kV 50 Hz, la ligne est équipée de naissance de l’ERTMS niveau 1. Elle est apte à 300 km/h mais conçue pour 350 km/h, comme les autres lignes des deux côtés de la frontière.

Sur le réseau classique français, la gare de Perpignan a gagné 2 voies et un Poste à Relais à Commande Informatique en 2008, tandis que 3,5 km de la ligne de Villefranche-de-Conflent ont été mis à double voie avec banalisation et réorganisation du faisceau marchandises de Perpignan-Roussillon (emprunté par le fameux train des primeurs), lui aussi équipé de son propre PRCI.

Ligne nouvelle mixte aussi côté espagnol

La ligne de 128,5 km entre Figueras et Barcelone est conçue pour 350 km/h et parcourue à 300 km/h, avec équipement ERTMS niveau 2. Un quart du parcours est en tunnel, incluant notamment la traversée souterraine de Gérone et de Barcelone, avec des gares nouvelles dans ces ouvrages. Finalement achevée en fin d’année 2012, elle a pu être mise en exploitation dès janvier 2013 à 300 km/h – 200 km/h dans les tunnels urbains – autorisant finalement une liaison Barcelone – Figueras en 55 minutes, ce qui est peu performant pour 138,5 km. En effet, ADIF avait différé la réalisation de 2 sous-stations pour alimenter la ligne et pour ménager les installations, les marches étaient des plus molles.

Il s’agit aussi d’une ligne mixte, équipée en outre du système de signalisation ASFA qui équipe les lignes classiques. Les trains de marchandises peuvent l’emprunter de Figuerad Villafant à Nudo-de-Mollet, avant l’entrée dans le tunnel sous Barcelone qui lui comprend des rampes de 25 ‰. Les trains de fret peuvent donc emprunter cette infrastructure de façon continue de Perpignan jusqu’à l’entrée de Barcelone.

Les déboires

Côté français, les travaux ont été engagés dans les temps, si bien que le tunnel fut livré conformément au calendrier théorique, sauf que rien n’avait bougé côté espagnol. Il fallut donc créer dans l’urgence une courte section de 2,7 km pour rejoindre la gare de Figueras Villafant, prévue dans la partie espagnole du projet, avec 4 voies dont une à écartement large. De surcroît, le retard pris dans la mise en œuvre d’ERTMS a nécessité le recours – inédit sur une LGV – au cantonnement téléphonique afin de pouvoir exploiter a minima, à 200 km/h, la ligne nouvelle. Une correspondance était assurée entre des TGV Paris – Figueras Villafant et des trains Alvia à destination de Barcelone, rejoignant par un raccordement de 5,5 km à voie unique (et sous 3000 V continu) la ligne classique Barcelone – Port Bou.

Autre difficulté, l’homologation des matériels roulants pris un retard considérable, moins par leur nouveauté (du moins côté français) que par le circuit de validation par les instances française et espagnole, qui devaient déjà s’accorder sur la version de l’ERTMS (la fameuse « baseline »). Côté RENFE, il fallait aussi procéder à la modification importante d’une partie des locomotives série 252 pour circuler sous 1500 V continu dans la zone de Perpignan.

Résultat, la ligne devait ouvrir fin 2009 en régime nominal… mais ne débuta qu’en mode très dégradé que le 19 décembre 2010 avec 2 allers-retours Paris – Figueras Villafant. Il fallut attendre le 15 décembre 2013 pour que les TGV et AVE puissent emprunter la ligne nouvelle à 300 km/h. La SNCF engageait ses nouvelles rames Eudoduplex 3UH sur les liaisons avec Paris, portées à 3 allers-retours, et la RENFE modifiait des AVE série S-100, similaires aux TGV Atlantique (mais en version 8 remorques) pour les liaisons depuis Barcelone vers Toulouse, Lyon et Marseille.

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Banyuls-dels-Aspres - 6 août 2019 - Venant de franchir le tunnel du Perthus, cette rame S100 de la RENFE file vers Perpignan. Dans le partage de l'offre, la RENFE assure les relations entre Barcelone, Marseille, Lyon et Toulouse... mais elles sont bien rares... © D. Diallo

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Banuyls-dels-Aspres - 6 août 2019 - Le saut de mouton côté français permet de passer d'une circulation à gauche (en France) à une circulation à droite (en Espagne). © D. Diallo

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Banyuls-dels-Aspres - 6 août 2019 - Un Euroduplex 3UH pour Paris : le positionnement horaire destiné à satisfaire la clientèle parisienne n'est pas forcément pour faciliter l'usage du train entre le Languedoc et la Catalogne. © D. Diallo

Une faillite industrielle

Le retard accumulé sur le projet mit en difficulté TP Ferro. La concession, attribuée le 17 février 2004 pour la construction et l’exploitation sur une durée totale de 50 ans, prévoyait un concours des Etats et de l’Union Européenne pour la moitié du coût du projet (1,1 MM€). Le reste provenait d’emprunts gagés sur le trafic… qui non seulement accusa 4 ans de retard mais s’avéra très inférieur aux prévisions de trafic. A l’époque, M. Pépy annonçait rien de moins que 34 circulations de TGV sur cette ligne et 25 fret quotidiens. Il fallut se contenter du tiers pour les premiers et du sixième pour les seconds, celui-ci continuant majoritairement à transiter par Cerbère sachant qu’un changement de locomotives était de toute façon nécessaire…

Même si le gouvernement espagnol a indemnisé à hauteur de 108 M€ TP Ferro pour le manque de recettes, même si la concession a été allongée à 53 ans, le groupement n’a pas évité la faillite. ADIF et SNCF Réseau ont pris le relais (y compris la dette)… mais il y a maintenant un autre sujet : faire venir les trains sur la ligne.

Et demain ?

Il serait assez regrettable de conditionner le développement de l’usage de Perpignan – Figueras à la réalisation de la ligne nouvelle, en partie mixte, entre le sud de Montpellier et Perpignan. Quitte à froisser la présidente de la Région Occitanie, LNMP a besoin d’un sérieux « aggiornamento » car le projet actuel est bancal, reproduisant des schémas du passé, avec une gare nouvelle près de Béziers connectée à l’autoroute mais pas au réseau ferroviaire existant, et une gare narbonnaise placée de telle sorte qu’elle imposerait aux liaisons type Bordeaux – Marseille et Lyon – Toulouse soit de ne pas desservir Narbonne soit de rebrousser, puisque la gare serait au sud de la bifurcation : conséquence, on irait plus vite… mais sans gagner de temps.

En attendant, il semble tout de même possible d’utiliser plus efficacement cette réalisation récente en se focalisant sur le marché depuis Perpignan évidemment, mais aussi Toulouse, Montpellier, Marseille, Lyon… voire Genève. Pas d’ostracisme de notre part à l’égard de Nice, mais là encore, l’avion a probablement encore un peu d’avenir (Nice – Barcelone via Avignon, ce n’est pas le plus court). Cela supposerait donc de rompre avec une vision parisiano-centrée : les liaisons Paris – Espagne par train semblent pour l’instant relever soit de l’avion, soit du train de nuit (voir aussi notre souvenir de voyage dans le trenhotel Paris - Barcelone) disparu un peu trop rapidement à la mise en service de Perpignan – Figueras : le TGV diurne ne peut guère être autre chose qu’un appoint car le trajet de plus de 6 heures consomme plus d’une demi-journée… Bref, la complémentarité entre le train et l'avion, plutôt qu'une opposition binaire...

Pour autant, la RENFE s'intéresse aux liaisons France - Espagne, demandant en 2019 pas moins de 4 allers-retours Lyon - Barcelone et Trenitalia lorgne sur un Milan - Barcelone. L'opérateur espagnol relancera les relations Barcelone - Marseille / Lyon qui ont été supprimées à la fin de l'accord avec la SNCF. La RENFE souhaite en outre répliquer à l'arrivée de Ouigo Espagne.

La ligne nouvelle Perpignan – Figueras pourrait donc être mieux utilisée pour le transport de voyageurs en ciblant le marché de l’arc méditerranéen et en tirant profit des infrastructures à grande vitesse existantes. La question la plus délicate est évidemment le choix de desserte de Nîmes et de Montpellier. Si ces 2 bassins constituent un objectif commercial de premier ordre, il serait préférable de desservir les gares centrales… mais d’aucuns diront qu’ajouter des sillons rapides ne facilitera pas l’augmentation de la desserte fine. Peut-être pourrait-on considérer que les trains orientés vers Marseille, vraiment destinés au réseau de villes méditerranéennes, auraient intérêt à desservir les gares centrales, mais que ceux venant de Lyon pourraient s’arrêter dans les gares nouvelles, considérant les autres offres province-province pouvant aussi contribuer à la desserte des gares centeales. Enfin, la liaison avec Toulouse, elle, n’aurait pas ce genre de dilemme, et aurait logiquement vocation à emprunter le raccordement direct de Narbonne. Mais que ces gares nouvelles peuvent compliquer la vie !

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Montpellier - 15 décembre 2013 - Premier jour de circulation complètement interopérée entre la France et l'Espagne, avec la rame S100 n°16 qui pointe le bout de son nez sous la dalle de la gare de Montpellier St Roch. (cliché X)

A minima, 3 allers-retours sur chaque destination (Toulouse, Lyon, Marseille) mériteraient d’être mis en œuvre en desserte de base pour couvrir une large amplitude.

Parlons aussi du réveil des trains de nuit : la restauration du Paris – Barcelone n’est pas encore envisagée en France, mais la Suisse semble lorgner sur un Zurich – Barcelone. L’emprunt de la ligne nouvelle de Perpignan à Barcelone ne poserait pas dans ce cas de difficultés majeures, dès lors que la locomotive est équipée des bons systèmes de signalisation et compatible avec les tensions rencontrées sur le parcours.

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Port la Nouvelle - 10 mai 2012 - Impossible pour nous de ne pas évoquer l'absence du train de nuit Paris - Barcelone, ici illustré dans ces paysages typiques de la ligne classique Narbonne - Cerbère. Il est ici assuré à l'aide de 3 coupons Talgo, ce qui ne sollicite pas trop la BB 7200 ! © O. Savoye

Enfin, la ligne historique verra son rôle cantonné aux dessertes régionales des localités de la Côte. Une correspondance à Cerbère ou à Port-Bou serait à systématiser pour faciliter les déplacements entre les deux pays surtout dans ce secteur où les flux quotidiens sont nourris. Du fait de la différence d'écartement, et du choix de ne pas équiper d'un troisième rail à écartement européen le nord du parcours espagnol, l'itinéraire interopérable passera uniquement par la ligne nouvelle.

Et le fret ?

Au-delà de l’effet vitrine des autoroutes ferroviaires, qui répondent à un type de besoin logistique, le développement du transport combiné demeure une solution indispensable pour augmenter les tonnages transportés par le rail (notre dossier sur ce sujet)

Cela suppose évidemment des installations intermodales de qualité, commodes d’accès par la route, ainsi qu’une bonne qualité des prestations ferroviaires. L’emprunt de la ligne nouvelle de Perpignan à Figueras est de nature à y répondre, car l’itinéraire historique via Cerbère est de performance moyenne. Il garde les faveurs de certains opérateurs qui profitent de la frontière pour gérer la rotation de leurs locomotives, puisque la contrainte de l’écartement impose le changement de locomotives. Pourtant, la ligne nouvelle Perpignan – Figueras se prolonge sur le réseau classique espagnol avec un itinéraire à 3 files de rail jusqu’à Barcelone. Mais il y a d’autres facteurs restrictifs : en voici 2 pour exemples.

Du fait de leur rapport de réduction pour une vitesse de 220 km/h, les locomotives espagnoles série 252 ne peuvent enlever que 950 tonnes sur cet itinéraire et doivent donc être employées en UM2. Les Traxx série 186 comme les BB27000 peuvent enlever 1300 tonnes, ce qui est déjà nettement plus intéressant, mais assez peu utilisé. Entre 2020 et 2023, Captrain Espagne a annoncé l'acquisition de 24 locomotives Euro6000, dont 14 pourront circuler sur voies à écartement européen, destinées à l'axe  Barcelone – Bettembourg, les autres étant destinées aux lignes à écartement ibérique. Ces locomotives de type CC développant 6 MW pourront enlever, en unité simple, des trains de 2050 tonnes à 100 km/h sur cet itinéraire malgré la rampe de 18 ‰ : de quoi sérieusement améliorer la productivité du sillon pour les chargeurs !

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Llinares del Valez - 3 février 2017 - La ligne nouvelle facilite en principe la circulation des trains de fret à travers les Pyrénées. Les BB série 252 espagnoles ne sont pas les plus adaptées à cet exercice en raison du faible tonnage qu'elles peuvent remorquer. D'où un train court et composé d'automobiles, avec une charge des plus modestes. © D. Vazquez-Herrera

Autre sujet, côté espagnol cette fois : les évitements sont adaptés à la longueur moyenne des convois traditionnels, plutôt courts, de l’ordre de 500 à 550 m. Il faudra passer par une standardisation, au moins à 750 m, en cohérence avec le réseau français où cette valeur tend à être la norme minimale sur les grands axes. Même chose quant au gabarit, car l'évolution du format des conteneurs maritimes impose une évolution - à coût non nul évidemment - des infrastructures ferroviaires.

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Narbonne - 13 mai 2010 - L'autoroute ferroviaire Bettembourg - Le Boulou traverse la gare de Narbonne. Le prolongement en Espagne est désormais théoriquement possible avec un troisième rail à écartement européen jusqu'à Barcelone. © transportrail

L’émulation entre opérateurs ferroviaires à grande vitesse européens et la volonté exprimée de développer le fret ferroviaire réveilleront-elles la ligne nouvelle Perpignan – Figueras ?

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Banyuls-sur-mer - 2 mai 2016 - La ligne de la Côte Vermeille jouit d'un attrait touristique assez évident, surtout à l'extrême sud du parcours. Le développement de l'offre a connu un succès rapide. L'amélioration des correspondances avec les Rodalies espagnols permettrait une continuité de parcours sur la côté qui pourrait être intéressante... © P. Hurzeler

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