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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Grande vitesse : le rapport de la Cour des Comptes

Il était très attendu et il suscite déjà de très nombreuses réactions. Le rapport de la Cour des Comptes intitulé « La très grande vitesse : un modèle porté au-delà de sa pertinence » fait les choux gras de la presse qui ne se privent pas d'amplifier le message. Il est indéniable que le modèle économique du TGV est en crise. La marge opérationnelle de l'activité Voyages est passée de 29% en 2008 à 12% en 2013. La hausse des péages ne fait pas tout, mais c'est le discours récurrent de la SNCF, exportant la responsabilité sur RFF (ce qui est au passage une preuve œcuménisme ferroviaire en cette période de réintégration). Pourtant, les coûts d'exploitation augmentent trop rapidement avec une moyenne annuelle de 6% depuis 2002 et n'appellent, eux, aucune remarque de la direction de la compagnie. Etonnant non ?

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Sur la LGV Atlantique - 21 juillet 2013 - L'avenir de la grande vitesse en question : quelle est la soutenabilité de ces investissements, alors que les nouveaux projets viennent prolonger des lignes existantes au-delà des troncs communs ? quelle est la viabilité économique de dessertes parfois un peu trop destinées à satisfaire certains élus en dépit d'une chalandise des plus limitées ? A trop faire du TGV une solution universelle, n'est-on pas en train de le fragiliser sur des domaines de pertinence ? © J. Sivatte

Comprenant 173 pages, transportrail vous propose une synthèse commentée la plus concise possible.

La Cour effectue 8 recommandations pouvant ainsi être résumées :

  • se limiter aux parcours sur ligne à grande vitesse entre 1h30 et 3h ;
  • diminuer le nombre d'arrêts intermédiaires, tant sur LGV que sur le réseau classique ;
  • obtenir de l'exploitant la transparence de ses coûts et de ses données de trafic ;
  • fonder les projets sur le bilan socio-économique ;
  • conditionner les études préliminaires à la définition d'un plan d'affaires sur les relations considérées associant le gestionnaire d'infrastructures et les opérateurs ;
  • assurer le financement des projets via l'AFITF et donc lui garantir les ressources suffisantes ;
  • prioriser la modernisation du réseau existant ;
  • ne pas augmenter la dette du gestionnaire d'infrastructures.

Un rapport handicapé par quelques caricatures

  • D'abord, il serait utile que la Cour des Comptes précise systématiquement les conditions économiques des coûts qu'elle compare. Ce n'est pas anodin et cela renforcerait la crédibilité des analyses. Sinon, « on compare des choux et des navets »...
  • 40% du temps d'utilisation des rames TGV hors des LGV. Certes, mais le TGV n'est pas l'aérotrain et cette capacité à circuler sur l'ensemble du réseau permet de diffuser le gain de temps à un périmètre plus large que la seule LGV, en évitant des ruptures de charge dont on sait qu'elles font perdre en moyenne 25% du trafic sur la liaison considérée.
  • 230 gares desservies contre 150 en Allemagne. A ceci près que les 230 gares concernent la France, la Belgique, les Pays Bas, l'Espagne, la Suisse, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume Uni.
  • Le Shinkansen ne dessert que 17 gares. Certes, mais la Cour compare un réseau (TGV) et une seule ligne nipponne, le Tokyo - Osaka, qui comprend effectivement 17 gares sur un peu plus de 1000 km, mais avec 3 niveaux de desserte : Nozomi (4 arrêts), Hikari (6 arrêts) et Kodoma (14 à 15 arrêts) qui, soit dit au passage, se font dépasser 14 fois en ligne avec une ponctualité à la demi-minute. Au total, 320 à 390 circulations quotidiennes deux sens cumulés entre Tokyo et Osaka, contre 262 en semaine et jusqu'à 280 le vendredi sur la seciton la plus chargée de la LN1.
  • Entre Rennes et Quimper, le TGV s'arrête plus souvent que le TER. La Cour manque de précision : sur un train donné, c'est inexact. En revanche, sur une journée, il y a effectivement plus de TGV que de TER assurant la liaison Rennes - Quimper.
  • Une pertinence limitée au créneau 1h30 - 3h. Une approche mystique du seuil des 3 heures mais trop statique. La comparaison doit être dynamique avec les autres modes de transport. Le mode de transport qui provoque un écart significatif de temps de parcours complet (y compris l'accès et la diffusion) peut avoir une part de marché dominante.
  • Un argumentaire contre la LGV Bordeaux - Toulouse étonnant puisqu'il évoque la trace environnementale d'une LGV à sa construction et pendant son exploitation (l'analyse sur la source de production d'électricité est discutable), un aéroport toulousain non saturé et un projet de second aéroport.
  • L'omission des avantages fiscaux dont bénéficie la route et le trafic aérien, qui biaise la comparaison.

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Epinal - 1er févier 2015 - Un TGV Duplex à Epinal, c'est assurément surdimensionné par rapport au volume de trafic potentiel entre Paris et les Vosges. Mais que la rame stationne une demi-journée ou une nuit à Nancy ou bien qu'elle pousse jusque dans les vallées vosgiennes, cela n'a finalement que peu d'importance en matière de structure de coût de production du service. En revanche, quand on mobilise 2 rames pour un aller-retour Lille - Brive au remplissage des plus limités, il y a vraiment matière à s'interroger... © transportrail

L'évaluation socio-économique au cœur des décisions

La Cour s'intéresse en revanche de façon assez intéressante sur la socio-économie des projets. D'abord avec ce premier constat : en monnaie constante, le kilomètre de LGV coûte aujourd'hui 5 fois plus cher qu'il y a 30 ans. Le renforcement normatif, notamment dans le domaine environnemental, explique une partie de cette dérive par rapport à la LN1. Et un second : les prévisions de trafic dans les études sont surestimées par rapport à la réalité observée, avec un écart d'environ 24% en moyenne.

Elle pointe :

  • des ajustements à la demande des instructions officielles pour légitimer des annonces politiques récurrentes, en faisant varier les critères les plus sensibles contribuant à basculer dans le vert l'analyse. C'est par exemple le cas de POCL où plus de 90% des gains de trafic seraient liés à un temps de parcours inférieur à la LN1qui serait désaturée alors que la SNCF écrème progressivement son offre ; sur Lyon - Turin, c'est la diminution de la mortalité routière qui est utilisée pour verdir le bilan ;
  • une évaluation socio-économique menée trop tardivement, après la concertation publique et non pendant, pour confronter fonctionnalités, coûts et bénéfices pour la collectivité ;
  • un article 4 de RFF (sur la contribution du gestionnaire d'infrastructures par rapport aux recettes et au coût complet sur 50 ans) dont on s'accommode pour poursuivre des projets générateurs de dette ;
  • la persistance de projets en étude depuis plusieurs années alors qu'ils ne sont pas jugés prioritaires par la Commission Mobilités 21 (au hasard Poitiers - Limoges) ;
  • une Déclaration d'Utilité Publique qui entérine une décision préexistante plus qu'elle ne constitue un acte fondateur.

Dit autrement, la Cour des Comptes suggère au politique d'arrêter de faire du TGV un argument électoral qui in fine coûte cher au système ferroviaire et aux contribuables en contraignant insidieusement à légitimer une revendication électorale par une étude n'allant pas forcément dans le sens de la rationalité. Elle suggère de replacer l'expertise technique au centre de décisions aujourd'hui trop politisées. Un vœu pieu ?

Reste que le rapport de la Cour comporte des faiblesses que la FNAUT a pointé et qui viennent inéluctablement affaiblir son analyse économique.

Des chiffres et des ombres

Avoir des données de trafic relève de la mission impossible : la SNCF prétexte le secret des affaires, ce qui de la part d'une entreprise publique, de surcroît en situation de monopole, ne manque pas d'étonner. La tutelle n'aurait-elle aucun droit de regard ? Donc il faut se contenter de peu de choses. On y apprend tout de même que l'activité TGV ne représente pour la SNCF que 7% des voyageurs par jour : c'est peu, mais le trafic francilien fait partie de l'assiette de cette comparaison. Ce n'est pas tout à fait logique. En revanche, ils représentent 61% des voyageurs-kilomètres de l'opérateur. Logique, puisque le parcours moyen est de 450 km.

Peu de voyageurs qui font beaucoup de kilomètres ou beaucoup de voyageurs qui font peu de kilomètres ? Entre les deux, une question de prix moyen. Le voyageur quotidien et ses trajets de faible distance (même en grande banlieue parisienne) n'a qu'une faible capacité contributive puisque le coût de son trajet est d'abord financé par la collectivité. Le voyageur du TGV est tout de même plus occasionnel (même s'il y a des abonnés quotidiens) et consent à payer un prix moyen du kilomètre plus élevé.

L'autre question qu'on peut formuler est liée à la desserte TGV sur le réseau classique. Dans l'absolu, on peut critiquer l'utilisation de ces rames à moindre vitesse, par exemple au-delà de Rennes vers Brest et Quimper. Mais ensuite, il faut raisonner du point de vue commercial. En supposant une correspondance : est-on certain qu'on aurait autant de voyageurs à transporter ? Ferroviairement parlant, les gares sont-elles suffisamment capacitaires pour accepter une telle organisation du service ? Dans les deux cas, la réponse est probablement négative, et il faut en tirer les conclusions qui s'imposent de sorte à éviter de voir réapparaître tous les 18 mois les mêmes questions dans les médias. Voila qui a de quoi rassurer : c'est à une étude de marché sérieuse que doit revenir l'arbitrage sur le maillage du territoire par le TGV.

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Besançon Viotte - 20 octobre 2017 - Besançon ne sort pas forcément gagnante de la LGV Rhin-Rhône : 3 allers-retours ont été maintenus à la gare Viotte en 2h27, alors que les autres liaisons imposent au moins une correspondance avec des temps de parcours majorés de 20 à 30 minutes. © transportrail

Payer plus pour avoir moins : un des scénarios de la SNCF

De son côté, la SNCF voit dans ce rapport la confirmation de certaines de ses préconisations maintes fois évoquées sur la contraction du périmètre des dessertes. Elle a aussi envisagé de revoir sa politique tarifaire pour contrer la diminution de sa marge opérationnelle. Elle étudie la possibilité d'augmenter assez sensiblement le tarif en 1ère classe, de l'ordre de 6 à 12 euros, et d'obliger les voyageurs de 1ère classe à réserver en supplément le service de restauration à la place (gain de 10 à 15 M€ par an). Elle étudie aussi le durcissement des conditions d'échange et de remboursement des billets (25 M€ par an) et la suppression du bar dans les relations de moins de 3 heures sauf Paris - Lyon (12M€ par an). Bref, payer plus pour moins de services, assurément le bon filon pour rendre le service encore plus attractif... sans pour autant parvenir à redresser la barre puisque ces économiques ne couvriraient même pas l'évolution du coût des sillons. En revanche, régulièrement évoqué, l'écart de 20 à 30% sur les coûts d'exploitation par rapport aux autres réseaux européens reste toujours sans perspective de réduction...

Bref, à une véritable question « quel modèle économique pour la grande vitesse ferroviaire dans les années 2020 ? », on reste toujours avec aussi peu de perspectives de réponse que le maintien du statu quo se traduisant soit par une hausse des prix (qui fera fuir le client) soit une baisse de l'offre (qui fera aussi bien que la première alternative...).

Lire enfin l'analyse de ce rapport par le site Médiarail.be.

Conclusion : attention aux idées reçues

Il n'y a pas que du faux dans ce rapport, mais il gagnerait en crédibilité et donc en poids politique à s'affranchir de certaines images d'Epinal et autres approximations quant à l'analyse des sujets ferroviaires. La Cour des Comptes ne se défait pas de certains points de vue qui résistent mal à une lecture un peu plus opérationnelle, un peu plus ferroviaire. La dimension financière est une chose, la dimension politique n'est jamais bien loin, mais qu'en est-il de l'analyse commerciale et du point de vue de l'industrialisation de la production du service ?

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