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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Faut-il s'interdire des mises à voie unique ?

Question étonnante a priori, mais dont la justification peut aisément se comprendre. Conçues voici plus d'un siècle, la consistance des différentes lignes du réseau ferroviaire, du moins celles qui n'ont pas été supprimées, a souvent évolué pour suivre l'évolution de leur usage. Souvent d'abord établies à voie unique, elles ont pu être doublées, voire plus pour les grands axes. Les progrès techniques dans le domaine de la signalisation ont aussi notablement influé sur leurs caractéristiques... même si nombre de celles qu'on appelle désormais lignes de desserte fine du territoire n'ont guère évolué depuis l'après-guerre.

Une conséquence du manque de moyens pour le réseau ferroviaire

Avec une dotation annuelle de 2,7 MM€, il manque environ 1,2 MM€ par an pour assurer normalement le renouvellement du réseau ferroviaire : de l'ordre de 500 M€ selon l'audit EPFL-IMDM pour le réseau structurant et une évaluation à 750 M€ annuels pour les lignes de desserte fine du territoire et sans aborder le sujet de l'amélioration nette des fonctionnalités. De quoi relativiser la notion de performance du contrat liant l'Etat et SNCF Réseau sur la période 2017-2027, dont la trajectoire n'est pas respectée : l'Etat n'honore pas sa signature, puisque les 3 MM€ prévus en 2020 sont devenus 2,77 MM€ et la perspective d'une dotation de 3,5 MM€ en 2025 s'éloigne de plus en plus.

Quelles conditions élémentaires (ou comment éviter les dogmatismes) ?

Face à l'ampleur des besoins de modernisation du réseau et à l'insuffisance des budgets, il devient incontournable de réinterroger le niveau d'équipement des lignes de façon très pragmatique, c'est à dire en construisant d'abord, dans le cadre de ces opérations de renouvellement, le schéma capacitaire et la grille horaire pour connaître l'infrastructure nécessaire pour le mettre en oeuvre de façon fiable. Il va sans dire que toutes les parties prenantes doivent donc préalablement être réunies pour définir ce besoin : autorités organisatrices, opérateurs voyageurs et fret.

Un préalable à cette réflexion : s'interroger sur la mise à voie unique de certaines sections du réseau ferroviaire n'a généralement de sens que si le renouvellement de l'infrastructure comprend un volet sur la signalisation. Si cette dernière est encore récente, le coût des modifications risque d'être supérieur aux économies d'investissement générées par la mise à voie unique de certaines sections. Il ne s’agit donc pas d’une recette universelle. Comme toute posologie, il convient de lire la notice avant usage.

En outre, la réduction des coûts de possession de l’infrastructure, elle offre potentiellement des opportunités fonctionnelles non négligeables :

  • relever la vitesse afin d’améliorer les temps de parcours, par la rectification des courbes tout en restant dans les emprises, bref, optimiser la performance de l'infrastructure ;
  • dégager un meilleur gabarit sous des ouvrages ponctuels en positionnant la voie dans l’axe de l’ouvrage.

Il ne s'agit en aucun cas de promouvoir la voie unique par principe... mais il ne faut pas, à l'inverse, l'écarter pour des questions de posture.

Retour dans le passé

En remontant d’une vingtaine d’années en arrière, on trouvera notamment deux cas de mises à voie unique qui avaient en leur temps alimenté la chronique ferroviaire : Argentan – Granville et Paray le Monial – Lozanne.

Dans le premier cas, la solution alors mise en œuvre en 1998 par le tout nouvel établissement RFF consistait en une mise à voie unique avec création de deux zones d’évitement dynamique, l’une de 21 km entre Saint Hilaire de Briouze et Flers et l’autre de 11 km entre Viessoix et Saint Martin de Tallevende, permettant le croisement des trains en vitesse. A la clé, des relèvements à 160 km/h avaient pu être mis en œuvre dans l’objectif d’approcher les 3 heures de trajet sur la liaison Paris – Granville. Un projet plutôt à classer parmi les « bonnes » solutions.

Dans le second, la mise à voie unique réalisée en 1995 n’avait pour objectif que de réduire les coûts de maintenance de la ligne alors gravement menacée de fermeture. Dans ce contexte, la SNCF avait simplement neutralisé la seconde voie, en ne gardant qu’un seul point de croisement à Lamure sur Azergues. Ainsi, la section Lamure – Paray devait constituer le plus long canton de France soit 62 km : pas très pratique pour l’exploitation, mais avec 4 allers-retours par jour, la contrainte demeurait somme toute modeste. Résultat : la Région Bourgogne Franche-Comté souhaite créer un point de croisement pour casser en deux ce canton, probablement à La Clayette, dans la perspective d'un renforcement de la relation Lyon - Paray le Monial.

Plus récemment, en 2018, la Région Normandie a financé la mise à voie unique de la section Avranches - Dol de Bretagne qui, avec 3 allers-retours Caen - Rennes par jour, n'avait pas franchement besoin de 2 voies. D'ailleurs, l'opération avait été envisagée de longue date puisque seule une voie avait été renouvelé. Le Block Manuel a été remplacé par du BAPR et un évitement a été aménagé à Pontorson. Pas de quoi gêner un développement de la desserte, sur la relation Rennes - Granville notamment, pour profiter de la baie du Mont Saint Michel... Mais il est vrai que même avec cette mise à voie unique, la maigreur extrême de l'offre n'en fait pas nécessairement un bon exemple !

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Nantes – Bordeaux : le cas de La Roche sur Yon - La Rochelle

4 allers-retours voyageurs par jour, en moyenne un train de fret par jour, voilà le maigre trafic de La Roche sur Yon – La Rochelle. 103 km de double voie sur la transversale Nantes - Bordeaux, en lisière du Marais Poitevin, sur une ligne relativement sinueuse exploitée avec le Block Manuel Nantes-Bordeaux à renouveler.

En mai 2016, le comité de pilotage associant Etat, Régions et SNCF Réseau a ainsi acté la proposition de SNCF Réseau de mise à voie unique de cette section passablement dégradée (vitesse limitée à 60 km/h depuis décembre 2015 pour une vitesse de référence oscillant entre 110 et 130), en démontrant sa capacité à absorber la desserte existante sans besoin de croisement à Luçon, et la possibilité d’insérer 3 allers-retours supplémentaires, cette fois-ci avec croisement à Luçon, supposant donc la conception de l’évitement de sorte à en neutraliser l’effet sur le temps de parcours. Un second évitement, positionné plutôt côté La Rochelle (secteur de Marans), a été ajouté, grâce à l'évolution de la signalisation vers un block digital, pour mieux gérer les aléas et surtout repousser encore un peu plus loin l'échéance qui justifierait le rétablissement d'une seconde voie... qui reste pour l'instant infinançable.

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En revanche, le projet n'a pas pris en considération les opportunités de relèvement de vitesse, avec un gain potentiel de 7 minutes, sous réserve de pouvoir le valoriser dans l'horaire, contraint à ses deux extrémités. A minima, cela aurait pu constituer la première brique d'une démarche d'amélioration de la performance de cette transversale mal traitée...

Au regard du trafic actuel et de ses perspectives, les sections Rochefort - Saintes et Beillant - Saint Mariens pourraient être examinées. Sur la première, la signalisation doit être renouvelé : le Block Manuel Nantes-Bordeaux n'offre qu'un faible débit qui pénalise le développement de la desserte périurbaine La Rochelle - Rochefort, section sur laquelle il n'est pas question de se passer des deux voies. Sur Beillant - Saint Mariens, le BAPR est relativement récent, ce qui délégitime d'emblée l'hypothèse d'une mise à voie unique compte tenu des coûts de reprise de la signalisation. Alors, voie unique sur Rochefort - Saintes ? Pas sûr ! Il faudra évaluer l'impact sur l'ensemble de la relation Nantes - Bordeaux, surtout avec les vélléités de développement de la desserte de la Région Nouvelle Aquitaine.

En conclusion, sur Nantes - Bordeaux, il ne semble pas raisonnable d'envisager d'autres mises à voie unique que celle réalisée en 2020-2021 entre La Roche sur Yon et La Rochelle. Pragmatisme !

Paris - Belfort

S'attaquer à la ligne Paris - Bâle pourrait confiner aux yeux de certains au sacrilège mais il faut bien admettre qu'avec 5 allers-retours, au-delà de Chalindrey, la ligne 4 n'est plus ce qu'elle était.

Les installations ne sont pas des plus modernes, car outre une voie proche de la retraite, la signalisation n'est pas de la première fraîcheur avec un Block Manuel équipant les 89 km entre Jussey et Bas-Evette. Dans ce cas, il serait peut-être intéressant d'évaluer les avantages et inconvénients d'une mise à voie unique couplée avec la modernisation de la signalisation, comme entre La Roche sur Yon et La Rochelle, au moins de Jussey à Vesoul (34 km), voire jusqu'à Lure (30 km supplémentaires), malgré les 8 allers-retours supplémentaires dpeuis la préfecture de la Haute Saône. Au-delà, le niveau de revitalisation de la liaison Epinal - Belfort (5 allers-retours en 2019) pourrait faire la différence entre le maintien de la double voie et une mise à voie unique : sur cette section, la prudence semble donc s'imposer (pas de dogmatisme, nous l'avons dit).

Autre avantage de cette réflexion, il serait possible de constituer un itinéraire fret à grand gabarit à moindres frais, évitant les difficultés de la tranchée de Saverne et de la vallée du Doubs, où la reprise des nombreux tunnels représente un investissement important et d'autant moins justifiable aux yeux des argentiers de Bercy qu'il concerne le fret, qu'on veut encourager... mais qu'on accuse de générer des pertes pour le système ferroviaire (et d'user plus rapidement les voies...).

Dégager un gabarit adapté au transport combiné moderne (type P400) entre Chalindrey et Belfort nécessiterait un dispositif particulier : imbriquer les deux voies dans les tunnels, limitant le nombre d'appareils de voies, ce qui pourrait constituer une alternative un peu plus capacitaire sur la ligne, à condition d'avoir de réelles opportunités de trafic sur cet itinéraire. Or, l'absence d'électrification est un handicap pour les opérateurs de fret, même si l'apparition de locomotives bimodes pourrait le réduire significativement.

Quant à l'autre section à trafic limité, entre Troyes et Chaumont, avec une dizaine d'allers-retours, le caractère encore relativement récent de la signalisation reporte à une échéance encore lointaine la pertinence d'une telle réflexion. En outre, l'axe Paris - Chalindrey pourrait être un intéressant itinéraire alternatif grâce à sa connexion à la ligne Dijon - Toul, pour massifier les plages de maintenance de Paris à Toul (sur l'axe Paris - Strasbourg) et sur Paris - Dijon.

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Epinal - Lure : un surprenant résidu

La double voie au sud d'Epinal jusqu'à Aillevillers a de quoi surprendre puisqu'elle débouche ensuite sur une section à voie unique. La desserte à 5 allers-retours reste squelettique et comme la ligne devrait finalement être pérennisée, grâce à la pugnacité de la Région Bourgogne Franche-Comté, il y a matière à repenser complètement la desserte et l'infrastructure utile. Il semble assez probable qu'il faudra garder une section de double voie, mais qu'environ les deux tiers du parcours pourraient être mis à voie unique, tout en permettant une desserte sensiblement plus dense qu'aujourd'hui avec un débit théorique d'un train par heure.

A cette occasion, l'étonnante configuration de la gare d'Aillevillers pourra être revue et corrigée : son entrée nord comprend une courte section à voie unique entre la double voie courante et la gare munie d'un évitement. Etant donné que le Block Manuel reste encore fringant sur cette ligne et que la desserte potentielle reste frugale, Epinal - Lure pourrait être le terrain d'un petit bricolage des installations existantes, sachant qu'il semblerait que l'évitement de Luxeuil ne soit pas nécessaire à l'exploitation. Transposer ses équipements pour constituer la zone de double voie entre Epinal et Aillevillers, et reprendre la tête nord de cette gare serait-elle possible en évitant le renouvellement complet de la signalisation ?

Au passage, Epinal - Lure pourrait aussi constituer un itinéraire dégageant à moindres frais un gabarit équivalent au P400 (encore lui) en alternative au secteur de Saverne, qui pourrait intéresser le flux Anvers - Bâle, pour peu qu'on envisage évidemment l'usage de locomotives bimodes...

Strasbourg - Lauterbourg

Dans la plaine d'Alsace, cette ligne à double voie peut aussi être questionnée : 14 allers-retours de TER à la desserte homogène ne motivent pas vraiment la double voie, survivance d'un lointain passé plus stratégique. Le BAPR encore récent minore fortement l'intérêt économique d'un tel scénario, d'autant qu'on se situe ici sur un des maillons d'un potentiel RER strasbourgeois. Qui plus est, compte tenu de la saturation de la rive droite du Rhin (et de ses aléas come l'incident de Rastatt), envisager d'utiliser la rive française comme itinéraire de délestage ne serait pas forcément une idée incongrue. Mais dans ce cas, l'absence de traction électrique, du moins sans le recours à des machines bimodes, serait aujourd'hui un handicap. Comme quoi, il arrive qu'une double voie en apparence peu utile puisse avoir finalement de l'intérêt... du moins sous certaines conditions !

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Un cas particulier : faut-il garder les quatre voies sur Paris - Dijon ?

L’axe Paris – Dijon avait été mis à 4 voies de Paris à Saint Florentin et des Laumes – Alésia à Blaisy-Bas à l’époque où il fallait écouler un trafic considérable à la fois en service voyageurs et en marchandises, avec la banalisation de toutes les voies pour augmenter encore le débit. Le TGV est passé par là, l’effondrement du fret aussi. Le renouvellement des voies entre Sens et Laroche Migennes, sur 53 km, mené au premier semestre 2016, s’est focalisé sur les 2 voies principales. Le sort des voies « bis » reste à trancher compte tenu du fait que le trafic pourrait très probablement être écoulé sur les deux voies existantes venant d’être rénovées. La simplification des installations procurerait de notables économies de maintenance.

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Esnon - 18 août 2013 - Les 4 voies sur l'axe PLM résultent de l'intense trafic qui a régné sur cette artère jusqu'à la fin des années 1970 avant l'avènement du TGV, à une époque où le fret était la locomotive du chemin de fer... Entre Sens et Laroche Migennes, les deux voies principales, au centre, ont été renouvelées en 2016. Le sort des voies bis n'a toujours pas été acté. © transportrail

Des occasions manquées ?

100 km de renouvellement, présenté comme un chantier phare à l’automne 2015, qui avait suscité de nombreuses critiques puisqu’il avait été réalisé en ligne fermée : la section Dreux – Surdon de l’axe Paris – Granville n’écoule que 22 circulations par jour, deux sens confondus, et pourtant, les deux voies ont bien été rénovées. Certes, le BAPR n'est pas obsolète mais même en imaginant de conserver la double voie sur environ le quart du linéaire pour créer une zone d'évitement dynamique, la comparaison aurait mérité d'être menée, d'autant qu'il aurait possible de relever la vitesse à 160 km/h entre Dreux et Verneuil sur Avre, avec un gain de temps potentiel de 5 minutes.

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Authieux les Pins - 22 juillet 2015 - Deux voies pour 22 circulations journalières, deux sens cumulés : la double voie est-elle justifiée ? La question ne s'est pas posée lors du renouvellement de la section Dreux - Surdon qui a coûté 100 M€ sans chercher la moindre piste de réduction du coût... © transportrail

Même réflexion sur Montchanin – Paray le Monial, avec 10 allers-retours voyageurs seulement et quelques trains de fret occasionnels, la mise à voie unique aurait pû être étudiée d'autant que son block manuel revêt un caractère muséographique certain. Il aurait évidemment fallu statuer sur la structure de desserte pour définir les points de croisement judicieux. Cependant, les hypothèses sont multiples : des navettes Paray - Montchanin ? une mission Chalon - Paray ?  Dijon - Paray ? Un prolongement au moins à Moulins voire Clermont-Ferrand ? Ce sujet n'a pas été mis sur la table. Résultat : une once de frustration.

Entre Paray le Monial et Moulins, la persistance de la double voie jusqu'à Gilly sur Loire peut vraiment interroger quand la desserte ne comprend que 4 allers-retours. Certes, le fret est assez présent à Digoin (bobines d'acier). Le block manuel est lui aussi bon pour le musée : dans ces conditions, il devient intéressant de rebalayer les cartes, avec évidemment la question de la desserte, mais aussi de la maîtrise de la sollicitation de la voie. Garder la double voie de Paray à Digoin n'est pas à écarter, alors que la mise à voie unique entre Digoin et Gilly semble plus que plausible. Mais attendons les orientations sur la desserte...

Inversement, sur la branche sud de l'étoile de Paray le Monial, il faudrait plutôt restaurer un croisement car le canton de 62 km entre Lamure sur Azergues et Paray le Monial est handicapant (en théorie, car vu le trafic...).

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Dans ce même secteur visible sur la carte ci-dessus, la situation de la section Roanne - Saint Germain des Fossés peut être questionnée car le trafic y est assez faible (une douzaine d'allers-retours voyageurs et quelques trains de fret) : or la signalisation y est encore récente, donc l'économie du renouvellement d'une seule des deux voies serait consommé dans les reprises d'installations. Et plus au nord, Nevers - Chagny, désormais intégrée au réseau trans-européen (VFCEA) est intouchable, sauf peut-être au droit du tunnel du Creusot pour augmenter son gabarit...

Dans les Ardennes, le projet de modernisation de la ligne Charleville - Givet est lui aussi lancé sur les bases d'une reconduction à l'identique : cela semble assez logique étant donné que cette ligne est équipée en block automatique lumineux (quel luxe !).

Ces quelques exemples démontrent qu’il est au moins nécessaire de se poser des questions avant de reconduire à l'identique la configuration des infrastructures ferroviaires, surtout sur des lignes où les perspectives de trafic restent assez durablement modestes. La mise à voie unique n'est pas une réponse universelle, elle n'est pas une figure imposée, mais elle est aussi le moyen d'interroger la cohérence entre l'investissement et l'usage du réseau, ce qui pour le coup constitue une figure imposée quand les moyens pour assurer l'avenir du réseau ferroviaire s'avèrent très insuffisants.

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