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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Pourquoi les trains sont plutôt rares en France ?

Un été 2023 record pour le train ?

Si SNCF Voyageurs se félicite d’aligner des résultats élevés après la crise sanitaire de 2020-2021, que ce soit en nombre de voyageurs transportés ou sur le plan financier, la situation du transport ferroviaire longue distance n’est pas avare en paradoxes. Les trains sont rares et les prix tendent à s’envoler. L’opérateur ne manque pas de mettre en avant les disponibilités en milieu de semaine, les offres Ouigo et l’intérêt à acquérir la carte Avantages. Les prix maximum applicables avec cette dernière vont d’ailleurs être revus à la hausse compte tenu du niveau de la demande.

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Moulins-en-Tonnerrois - 27 juillet 2023 - Juste avant la bifurcation de Pasilly, ce petit village est un point d'observation intéressant du trafic sur la LGV sud-est, où les périodes à 11 sillons par heure et par sens réellement consommés se font plus rares. A noter aussi sur ces clichés les rames Duplex (ou Réseau Duplex sur la seconde) en unité simple ou double : en semaine la répartition entre les deux, même en heures de pointe, peut être surprenante avec une prédominance des rames solitaires. © transportrail

Pour autant, la comparaison avec d’autres pays ne confirme pas nécessairement le propos. En Suisse, en Allemagne ou en Autriche, le train longue distance est cher… parfois très cher : 150 € pour un aller simple « dernière minute » en seconde classe Berlin – Munich pour le samedi 5 août 2023 (jour J de notre comparaison) par exemple… contre 65,90 € pour un départ le mercredi 23 août suivant. Ajoutez le fait que la garantie de voyager assis n’est pas assurée puisqu’il n’y a pas de réservation obligatoire.

Ceci étant, les comparaisons pleuvent ces derniers mois sur le coût des déplacements en voiture, en train, en avion. En réalité, on assiste à un grand écart entre des prix hauts de plus en plus élevés et le développement des offres à bas coût, mais en tant que produits distincts (Ouigo grande vitesse et Ouigo classique).

Le train rare

La récente étude de Trans-Missions met en avant la singularité de la situation française des offres longue distance. Les taux d’occupation sont particulièrement élevés, mais la France a toujours le culte du train rare (« lourd et lent » disait-on en complément jusqu’à l’avènement du TGV), dont le remplissage est optimisé à coups de yield management, très bien admis par le public lorsqu’il prend l’avion, beaucoup moins quand il prend le train. Il n’a majoritairement pas intégré que les dessertes à grande vitesse ne sont pas du service public mais une offre commerciale fonctionnant comme une entreprise privée, sans concours public.

Ce culte du train rare est entretenu depuis une vingtaine d’années par une focalisation sur le taux d’occupation des trains : indicateur intéressant, mais non suffisant. Lorsqu’on analyse charges et recettes, entre une rame Réseau de 1993 et une rame Duplex série 200 plus jeune de 4 à 5 ans, la différence de coût de production porte principalement sur la valeur résiduelle de la rame, logiquement un peu plus élevée pour la rame Duplex. Pour le reste, techniquement, les motrices sont quasiment identiques et leur exploitation nécessite toujours 4 agents (un conducteur, deux contrôleurs, un agent au bar). Les charges sont donc très comparables. Le prétexte de la capacité accrue ne saurait justifier une réduction de fréquence lors du passage d’une relation à la formule Duplex.

Qui plus est, le voyageur se moque de la capacité du train : ce qui lui importe, c’est d’avoir une place dans un train circulant à un horaire qui lui convient, à un prix supportable et avec une prestation de bonne qualité. Réduire les fréquences en arguant du maintien de la capacité journalière passerait donc plutôt pour un prétexte à augmenter les prix sur les trains les plus demandés et entretenir une spirale décliniste.

Bilan, il y a de la place sur les LGV françaises du fait de la réduction de desserte opérée dans les années 2010, atteignant environ 15 % par rapport à l’apogée de 2008. L’arrivée de Trenitalia et de la RENFE reste encore marginale pour redresser la barre. Avis aux candidats !

Il faut cependant aller plus loin.

Tension sur le parc TGV

La gestion du parc de rames TGV a connu quelques soubresauts depuis l’arrivée des premières rames Duplex en 1998. L’orientation vers un parc unique a conduit à éliminer progressivement tout ou partie des rames Sud-Est, Atlantique et Réseau. Pour les premières, c’était logique, après une quarantaine d’années de service. Pour les secondes, l’obsolescence informatique ne saurait être négligée, pas plus que leur périmètre d’action restreint compte tenu de leur formation à 10 remorques. Néanmoins, la fréquentation des liaisons vers l’Atlantique depuis 2017 a conduit SNCF Voyageurs à conserver et rénover 28 rames sur les 105 de la série.

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Paris Montparnasse - 29 septembre 2021 - L'une des 28 rames Atlantique rénovées : quoique cantonnées au sud-ouest, leur domaine de pertinence demeure quand même encore assez vaste. © transportrail

Quant aux dernières, hormis une orientation de principe vers un parc 100 % Duplex (un peu poussée par Alstom aussi…), il est difficile de justifier leur réforme : 9 ont déjà quitté les effectifs et 6 devraient suivre à l’issue du réassemblage d’une partie parc. Pour mémoire, 19 rames Duplex avaient été livrées avec des motrices tricourant : les segments de remorques avaient été associés à des motrices Réseau dont les remorques ont été associées aux motrices tricourant, formant d’une part les « Réseau Duplex » et d’autre part les « POS ». Le mouvement inverse a été engagé en 2022, mais 13 rames Réseau sur les 19 initialement utilisées seront reconstituées.

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Moulins-en-Tonnerrois - 27 juillet 2023 - Plus du quart des rames Réseau a ou va prochainement sortir des effectifs de SNCF Voyageurs. Le reliquat du parc pourrait être touché par la nouvelle génération TGV-M. © transportrail

Le lancement de Ouigo España mobilise 14 rames qui ne sont donc plus disponibles sur les dessertes en France.

Ouigo : petits prix pas sans conséquences

La fragmentation croissante des offres InOui et Ouigo, même en raisonnant à nombre de trains constants, se traduit pour le voyageur par une dégradation de la consistance de la desserte. S’il veut voyager à petit prix, les trains sont en nombre limité et aux horaires fonction de la productivité du parc plus que de l’intérêt commercial (« le client au service du transporteur »). S’il préfère les services classiques, il constate des « trous » dans la desserte, et une tendance à l’élévation du prix du billet, notamment sur les InOui qui suivent les Ouigo.

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Moulins-en-Tonnerrois - 27 juillet 2023 - Bien plus voyants que les InOui à la livrée plus austère, les Ouigo devraient d'ici 2025 représenter le quart de l'offre à grande vitesse de SNCF Voyageurs. Petits prix certes, mais confort de train régional, services plus que minimalistes et constitution d'offres parallèles fractionnant la desserte et sa lisibilité. © transportrail

Ouigo permet aussi de masquer les effets de la contraction du parc TGV : ces rames sont plus capacitaires (634 places contre 510 dans version Duplex d’origine), ce qui, en capacité totale proposée permet de compenser cette tension sur le nombre de rames… au détriment de l’effet fréquence.

L’Etat fait financer le réseau par l’opérateur

Abordons enfin la question économique. SNCF Voyageurs doit reverser une part croissante de ses résultats à SNCF Réseau pour abonder le budget de renouvellement du réseau. Ce mécanisme a un énorme avantage… pour l’Etat : il lui évite de trop sortir son chéquier, et ce n’est pas rien, car actuellement, l’opérateur verse 900 M€ au gestionnaire d’infrastructure, soit plus du tiers des moyens de celui-ci. Dans ces conditions, même dans l’harmonie du Groupe SNCF, il est permis de faire grise mine. Un cercle vicieux maintes fois dénoncées, (rappelons les critiques les plus récentes de l'ART sur le contrat Etat - SNCF Réseau et sur le niveau d'investissement).

Enfin, et enfin seulement, les péages. Leur niveau élevé en France, notamment sur les liaisons à grande vitesse, reflète la faible appétence de l’Etat pour le chemin de fer, appliquant un schéma ultra-libéral dans lequel les circulations doivent tendre à la couverture du coût du complet (entretien et renouvellement) du réseau qu’elles empruntent. Ces péages peuvent représenter jusqu’au quart du prix du billet.

Au-delà des grands axes

La rareté des trains en France concerne évidemment d’autres prestations, conventionnées cette fois-ci. On pourrait se contenter de renvoyer la balle aux autorités organisatrices, ce qui est pour partie justifié. Cependant, les grands discours de ces derniers mois sur les RER autour des grandes villes trahit en réalité une focalisation historique de la SNCF sur les Grandes Lignes et la vitesse, négligeant ce segment de marché dont la faiblesse actuelle est des plus problématiques dans un pays à la métropolisation galopante. La dimension « fréquence - capacité » a été négligée.

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Moulins - 11 février 2018 - D'un Moulins à un autre : croisement de deux Intercités de la relation Paris - Clermont-Ferrand dans la préfecture de l'Allier. La desserte est définie par l'Etat qui finance ce service, comprenant pour l'instant 8 allers-retours par jour. © transportrail

On peut aussi ajouter les retards d’équipement du réseau, particulièrement criants sur les lignes de desserte fine du territoire, en partie exploitées avec des systèmes plafonnant intrinsèquement le nombre de circulations.

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Morez - 25 juillet 2023 - Site magnifique mais trains plus que rares : sur la ligne dite des Hirondelles, le cantonnement téléphonique plafonne le nombre de circulations qui ne permet même pas un cadencement aux 2 heures. Une conséquence d'un sous-investissement sur l'infrastructure et d'une autorité organisatrice pas toujours au mieux de sa forme... © transportrail

Enfin, le besoin colossal en travaux de renouvellement et modernisation sur un réseau mal équipé, disposant de peu d’installations de contresens, encore moins de banalisation, avec peu d’itinéraires réellement alternatifs, se traduit par des interceptions de plus en plus fréquentes, de plus en plus lourdes de conséquences pour l'exploitation.

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