X2800 : les 60 ans d'une légende
Ils ont quitté le service régulier en 2009, mais ils restent encore dans nombre d’esprits comme un autorail de légende par les performances qu’il apportait à l’époque et sa longévité. Les X2800 ont incarné la modernisation du service omnibus dans les années 1950, et se sont distingués par leurs aptitudes sur les lignes de montagne. « Meilleur grimpeur » ferroviaire, sa carrière longue de 52 ans se déroula sans anicroche particulière, ce qui lui permit de jouer les prolongations à la faveur des difficultés – et au délai tardif de mise en œuvre – de la nouvelle génération et du regain de trafic grâce à la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs à partir de 1997.
Saint Germain des Fossés - Novembre 2003 - En tête de Clermont Ferrand à Saint Germain des Fossés, l'X2905 passe en queue après le rebroussement pour continuer son parcours jusqu'à Lyon. A l'époque de la photo, le raccordement direct n'existait pas encore. © transportrail
Le plus puissant des autorails unifiés
Le 28 mai 1957, le dépôt de Carmaux réceptionnait l’X2801, premier autorail monocaisse du type Unifié 825 chevaux, le plus puissant des autorails de ce type produit en France.
Après la libération, la SNCF s’était retrouvée à la tête d’un effectif d’autorails hétéroclite et en partie amputé par les dommages de guerre. Elle avait alors engagé un processus de standardisation de la construction des autorails, en même temps qu’un développement important de ces engins pour réduire l’usage de la traction vapeur avec différentes gammes de puissance et de vitesse :
- Unifiés 150 chevaux, vitesse maximale 90 km/h, donnant naissance aux autorails FNC et aux X5500/5800
- Unifiés 300 chevaux, vitesse maximale 120 km/h, incarnés par les X3800 « Picasso »
- Unifiés 600 chevaux, également à 120 km/h, avec les X2400
- Unifiés 825 chevaux, également à 120 km/h, avec les X2800 puis les X4200 panoramiques
L’X2800 constitue l’aboutissement de la conception des autorails de vitesse engagée par Renault dans les années 1930, qui avait été concrétisée par les VH puis les ABJ et ADP. Surtout, l’apparition du moteur Marep-Grosshans-Ollier (MGO) développé d’abord sur les BB63500, procura une substantielle amélioration par rapport à l’X2400, mis en service en 1954, doté de 2 moteurs de 300 chevaux, créant de fait une fragilité au niveau de la transmission. Le choix d’un moteur unique de grande puissance améliorait non seulement les performances de l’autorail, sa fiabilité mais aussi la capacité d’emport. L’adoption de la boîte de vitesse hydromécanique Mekydro à 4 rapports constituait aussi un net progrès par rapport aux boîtes manuelles à transmission mécanique, utilisées encore avec l’X2400. Bref, l’X2800 constituait assurément l’aboutissement d’une succession d’améliorations sur la conception des autorails français.
Fontenay le Fleury - Début des années 1960 - Difficile d'imaginer que cet X2800 presque neuf, associé à 3 remorques Decauville elles aussi récentes, assure une liaison Paris - Dreux aujourd'hui confiée à des rames de 7 voitures à 2 niveaux ! On remarque au passage la différence de largeur entre l'autorail et ses remorques, du fait de leur moindre longeur. © J.P. Hameau
Les X2800 ont été construits à 119 exemples par les Etablissements Decauville (2801 à 2816) et la Régie Renault (2817 à 2919) et mis en service entre 1957 et 1962. Parmi eux, 12 ont été à l’origine aménagés exclusivement en première classe pour assurer des services express de correspondance sur les trains rapide. Un lot de 5 autorails fut affecté en Lorraine, dans une version classique rouge et crème tandis que 7 revêtaient une livrée vert clair et jaune paille proche de celle des RGP, pour assurer la liaison Aunis entre Poitiers et La Rochelle ainsi que sur la liaison Lyon – Turin. Le reste du parc, avec une configuration à deux classes, adoptait la très classique livrée omnibus rouge et crème.
Pontamafrey - 12 avril 1971 - Les vues des X2800 en livrée verte et jaune sont rares car cette livrée n'eut qu'une existence limitée. L'un d'eux a engagé l'ascension de la ligne de la Maurienne sur une relation Lyon - Turin. On remarque le 3ème rail toujours présent mais les poteaux caténaires de la rééletrification sont en cours d'implantation. (cliché X)
« Bon à tout faire »
Les X2800 ont été rapidement engagés sur une large palette de service sur l’ensemble du territoire puisqu’ils ont été affectés au total dans 14 dépôts : Caen, Carmaux, Chalons sur Marne, Dijon, La Rochelle, Limoges, Lyon Vaise, Marseille, Metz, Nancy, Rennes, Rouen, Saint Etienne et Toulouse.
Bellegarde - 22 janvier 1978 - Dernière livrée rouge et crème pour les X2800 dont la rénovation venait de débuter. Initialement, le toit était crème, mais il vira au rouge à la faveur de révisions générales. On remarque la position des prises de couplage et les portes coulissantes, qui disparaîtront avec la rénovation. L'X2845 arrive de Bourg en Bresse par La Cluse, dans un site aujourd'hui profondément transformé par l'opération Haut Bugey. © A. Knoerr
C’est peu dire que ces autorails ont été mis à toutes les sauces. La SNCF leur confia aussi bien des services omnibus sur des itinéraires difficiles, où leur grande puissance procurait d’importants gains de temps de parcours, que des services express sur de grands axes. Parmi les relations les plus emblématiques, citons Genève – Valence, Lyon – Turin (devançant dans les deux cas les RGP), Lyon – Toulouse via Le Puy, Mende et Rodez (donc pas des plus rapides : 12 heures !), Le Cévenol entre Vichy et Marseille en jouant aussi les appoints aux X4200 panoramiques. Mais leur domaine de prédilection était assurément la montagne, les lignes du Jura, du Massif Central et des Alpes.
Cize-Bolozon - 24 août 2005 - Difficile de ne pas associer le "roi des autorails" avec les plus beaux viaducs du réseau français. Ici, cette composition réversible X+XR+XR+X descend de Saint Claude vers Bourg en Bresse et Lyon en franchissant l'Ain. © Trains-en-Voyage
Les remorques Decauville arrivées avec les X3800 ont régulièrement été associées aux X2800, qui, grâce à leur puissance, pouvaient en tracter 4 sur les lignes de plaine et 2 sur les lignes de montagne, tout en offrant de meilleures performances que les trains à vapeur ou les autorails plus anciens. Les X2800 pouvaient circuler en jumelage (un conducteur par engin moteur) avec la plupart des autres types d’autorails unifiés mais aussi avec les RGP monomoteurs (utilisant la même chaine de traction) et bimoteurs (techniquement comparables aux X2400).
Les bleus d’Auvergne
Dans les années 1970, outre un mouvement de concentration progressif vers les dépôts de Lyon Vaise, Toulouse, Limoges et Dijon, les X2800 bénéficièrent d’un programme de rénovation pour l’époque assez novateur. En 1976, l’adoption du plan national de désenclavement de l’Auvergne prévoyait un volet ferroviaire matérialisé par l’acquisition de nouvelles remorques d’autorail, les XR6000 et la rénovation de 90 des 119 X2800, plutôt que l’acquisition d’autorails neufs, d’autant que la puissance des X2100 alors à l’étude devait s’avérer inférieure de 25%.
Bretenoux-Biars - Août 1998 - Composition pur jus "Massif Central" pour ce TER Brive - Aurillac. Sur cette relation, la SNCF varia entre des rames autonomes pour Rodez et Aurillac ou un couplage entre Brive et Saint Denis près Martel... © transportrail
Saint Denis près Martel - Août 1999 - La preuve ! Les tranches Rodez et Aurillac sont en cours de découplement . Le mécanicien de l'X2875 pour Rodez attend la consigne pour déplacer sa rame à destination de Rodez. Le second X2800 est intercalé en milieu de rame. © transportrail
A l’extérieur, la rénovation marquait une rupture avec le traditionnel rouge et crème, au profit des teintes bleu et blanc cassé déjà adoptées sur les X4900. Cette décoration leur valut le surnom de « Bleu d’Auvergne ». Les accès étaient modifiés avec de nouvelles portes louvoyantes à deux vantaux en remplacement des portes coulissantes, avec installation d’un dispositif de fermeture automatique.
A l’intérieur, les banquettes à 5 places de front furent remplacées par des sièges individuels dérivés de ceux installés sur les automotrices Z6400 de banlieue parisienne, améliorés par la présence d’un appuie-tête et d’accoudoirs, avec un revêtement en skaï orange. Aux fenêtres, des rideaux plissés type Corail, de nouveaux habillages pour les parois intérieures, le renforcement de l’isolation phonique et l’installation d’une sonorisation.
Sur le plan technique, peu d’évolutions si ce n’est le renforcement de la statodyne pour alimenter les XR6000 un peu plus gourmandes, ainsi que l’aptitude à l’exploitation en unité multiple avec un seul conducteur. L’aptitude à l’UM était également permise avec les RGP1, puis avec les X2100 et X2200 livrés dans les années 1980. En revanche, jumelage toujours de rigueur avec RGP2, X2400 et X3800. Il était ainsi possible de former des compositions réversibles X2800 + 1 à 4 XR + X2800 avec un seul conducteur, diminuant les coûts d’exploitation et facilitant la conduite en éliminant le besoin de synchronisation des deux agents.
Albi - 31 août 1999 - Certes, les X2800 étaient pour l'époque bien motorisés, mais avec 2 remorques pour un seul autorail, il ne fallait pas attendre des miracles sur des parcours escarpés : difficile de dépasser les 60 km/h sur des rampes de plus de 25 pour mille, comme sur quelques sections de l'axe Toulouse - Rodez... © C. Wenger
Finalement, la rénovation porta sur l’ensemble du parc X2800, ce qui leur permettait de soutenir encore la comparaison avec les X2100 et X2200 apparus à partir de 1980, mais aussi avec les voitures des rapides et express, notamment les voitures Corail mais aussi les Grand Confort engagées sur les meilleures relations de l’axe Paris – Toulouse. Cependant, le niveau de confort restait inférieur à celui des turbotrains.
Bourg en Bresse - Juillet 1996 - Partageant le même moteur, les X2800 et les X2720 (RGP1) ont connu des carrières assez similaires. En revanche, dans le plan de modernisation, les premiers ont conservé leur allure originelle tandis que les seconds ont été affublées d'une face avant en polyester, bien moins élégante que l'originale de forme ovoïde. © transportrail
Il ne manquait finalement à ce programme que la réversibilité des formations X + XR6000 : pour des questions de coût, les nouvelles remorques n’ont pas été dotées de cabines de conduite, ce qui aurait considérablement amélioré l’exploitation. Ce n’est pas un défaut des X2800, mais bien des XR6000.
La concentration sur les dépôts de Toulouse, Limoges et Lyon Vaise accentua leur mainmise sur les lignes les plus difficiles du Massif Central, du Jura et des Alpes du Nord, où leur moteur MGO pouvait donner de la voix.
Les X2800 jouent les prolongations
Autre évolution technique mais plus tardive, 15 autorails ont été modifiés pour porter leur vitesse maximale à 140 km/h au lieu de 120 km/h, pour compenser le retrait du service des ETG (pourtant de 13 ans leurs cadets) sur des relations comme Lyon – Clermont Ferrand, Lyon – Nevers et Clermont Ferrand – Nevers. Néanmoins, ces 15 engins, poussés à un âge avancé au-delà de leur vitesse nominale, pâtirent de cette sollicitation, avec une fiabilité moindre que les engins aptes à 120 km/h.
Villars les Dombes - 19 septembre 2005 - Composition classique pour TER bien chargé entre Lyon et Bourg en Bresse par la "ligne des Dombes", avec 3 XR6000/6200 encadrées par 2 X2800. © N. Godin
Les X2800 ont ainsi résisté non seulement à la vague de fermeture de lignes régionales dans les années 1980, d’autant qu’il y avait d’autres séries plus anciennes à éliminer, notamment les derniers X3800, et ont joué les prolongations à la faveur de la relance du trafic après la régionalisation. Qui plus est, les X72500 et les X73500 ne sont pas parvenus, malgré leur nombre, à les mettre au rebut.
Morez - Janvier 2003 - Autre panorama habituel pour les X2800, le site de Morez, ses viaducs et ses rampes sur lesquels ces autorails donnaient de la voix. L'X2895 en queue de ce TER pour Saint Claude va quelque peu reposer les oreilles des voyageurs sur une partie plutôt descendante... © A. Gillieron
Les opérations de révision générale avaient été cependant interrompues en 1995 en prévision d’une réforme au plus tard en 2003. La réalisation d’opérations de prolongation de parcours repoussa l’échéance de 6 ans. Il fallut attendre l’arrivée des AGC pour « couplet le sifflet » aux X2800, dont il faut bien reconnaitre qu’ils étaient devenus complètement désuets. Ils pouvaient tout au plus jouer les intérimaires, en attendant des matériels plus modernes, plus capacitaires et plus performants (du moins quand l’infrastructure est en bon état). Un crève-cœur pour les amateurs mais une bonne nouvelle pour les utilisateurs quotidiens du train.
C’est donc en 2009 que les derniers X2800 ont circulé, sur la ligne Besançon – Le Locle après 52 ans d’une carrière quasiment irréprochable sur le plan technique. Quelques mois plus tôt, 2 autorails avaient été loués pendant le mois de juin 2008 à Travys, l’exploitant suisse, qui devait faire face à la coupure de l’alimentation électrique de la ligne Vallorbe – Le Brassus.
Les Charbonnières - 23 juin 2008 - Ephémère mais insolite carrière suisse pour ces 2 X2800 qui ont suppléé le matériel électrique de Travys sur la ligne du Brassus. Assemblés côté moteur, les conducteurs n'utilisaient que la moins bruyante des cabines. © A. Knoerr
Fait particulièrement remarquable, 20 X2800 ont été préservés à titre muséographique ou pour des chemins de fer touristiques, ce qui donne encore l’occasion d’entendre le son rauque du moteur MGO.
La descendance
Les X73500 sont les descendants naturels des X2800, avec l’avantage de ne plus avoir à tracter de remorques, mais uniquement à la jouer collectif avec un autre autorail du même type. Ils n’en ont pas la rusticité, mais ont tout de même échappé aux lourdes complexités des circuits informatiques dont sont bardés les matériels modernes.
Appréciables pour le bon niveau de confort et de suspension, la commodité de leurs accès et leur capacité de 80 places assises, ils ne sont cependant pas exempts de reproches quant à leur fiabilité : leurs résultats sont tout de même nettement plus honorables que les X72500.
Quant aux problèmes de shuntage, il est tout autant la conséquence de l’évolution du freinage (disques sur le flanc des roues au lieu de sabots sur la table de roulement) pour gagner en efficacité et en niveau sonore, que la conséquence de la chute du trafic sur le réseau secondaire (en particulier la disparition du fret sur nombre de lignes) et d’une certaine passivité de la SNCF et d’Alstom à résoudre ce problème. Mais de là à regretter les anciens matériels…