Pendulation : un désamour français
Ce fut l’un des grands dossiers des années 1990 : pour accélérer certaines relations empruntant des lignes au profil difficile, la technique pendulaire, employée en Italie et en Allemagne, suscitait l’intérêt des Régions, qui étaient encore au stade de l’apprentissage du rôle d’autorité organisatrice.
La pendulation en France restait un objet de recherches, depuis l’essai de la voiture Chartet dans les années 1950. La SNCF privilégiait alors la vitesse pure et le TGV, en quelque sorte « son » invention.
La voiture Chartet, conçue dans les années 1950 pour tester le comportement d'un train à compensation de l'insuffisance de dévers. On notera au passage l'allure futuriste de la caisse. (cliché X)
Il faut rappeler que l’initiative sur la pendulation en France revient à la Région Languedoc-Roussillon qui, au début des années 1990, s’est intéressée à cette technique pour améliorer les performances sur des itinéraires de montagne, à commencer par la ligne des Cévennes. La majorité politique, constituée d’un étonnant attelage entre les centristes et les écologistes, avait obtenu de la SNCF qu’elle procède à l’essai d’un autorail pendulaire de la DB, série VT610, mis en service en 1992. Premier galop d’essai, resté relativement discret à l’époque, ne sortant guère de la presse ferroviaire.
Le sujet prit de l’ampleur autour de 1995, quand, déjà, furent posées les premières questions sur le modèle économique de la grande vitesse, alors que la question de la dette de la SNCF, encore « une et indivisible », était déjà sur la table… et dans la rue. Deux réflexions furent lancées, sur Paris – Toulouse pour améliorer les performances de la ligne classique (ce qui est devenu SEA était encore dans les cartons) et sur Paris – Strasbourg en alternative à une LGV au taux de rentabilité interne jugé insuffisant.
La pendulation ne connut cependant en France qu’une seule réelle application avec l’emploi des automotrices italiennes ETR460 entre Lyon et Milan : elle ne fut qu’éphémère du fait d’un parc trop réduit – 3 rames – pour assurer 3 allers-retours. Néanmoins, entre Ambérieu et Modane, la rame prouvait ses aptitudes.
Principe de la pendulation ferroviaire ou compensation de l'insuffisance de dévers : à gauche, l'axe vertical des voyageurs n'est pas perpendiculaire au plan de roulement. A droite non plus mais la suspension pendulaire rectifie l'inclinaison de la caisse.
L’essai des Cévennes
Mis en service à l’été 1992, les autorails VT610 de la DB sont équipés du système de pendulation Fiat. Employés essentiellement en Bavière, ils circulent sur des lignes présentant des rampes de 12 ‰. Les gains de temps procurés à leur mise en service étaient de l’ordre de 20 %.
L’année suivante, la Région Languedoc-Roussillon lançait une étude pour tester l’intérêt de la pendulation sur la ligne des Cévennes, et plus précisément entre Mende et Montpellier. La SNCF était hostile à cet essai, prétextant que le réseau allemand ne tolérait des insuffisances de dévers que de 120 à 130 mm, contre 180 mm en France, réduisant de ce fait l’intérêt de la technique pendulaire. Elle poussait alors à la solution de l’automoteur d’avenir qui ne s’appelait pas encore X72500.
Les techniciens de la SNCF ont cependant accepté l’étude, et de travailler avec leurs homologues de la DB détachés pour l’occasion. Durant une semaine au mois de mars 1994, le VT610 a circulé entre Langogne et Nîmes à des vitesses supérieures de 15 à 25 % au meilleur matériel alors engagé sur la ligne, à savoir les RGP1.
Le gain de temps maximal pouvant être obtenu était de 19 minutes, mais l’étude comparait une situation de référence avec le rebroussement au triage de Courbessac et une situation de projet avec pendulation, rectification du tracé et raccordement direct. Aussi, la majorité du gain procédait de cette infrastructure nouvelle : le gain permis par la seule pendulation n’était que de 5 minutes. C'est assez logique car le profil du parcours d'essai devient difficile au nord d'Alès : au sud, la pendulation n'apporte aucun avantage.
L’essai n’eut aucune suite et la Région Languedoc-Roussillon commandait par la suite des X72500, comme préconisé par la SNCF, avec une modernisation de la section Nîmes – Alès et le lancement du projet de raccordement direct de Courbessac afin de supprimer le rebroussement dans le triage pour accéder à la gare de Nîmes. Il fallut toutefois attendre près de 20 ans avant que l’ensemble de ces opérations ne soient effectives !
Et si les X72500 sont bien motorisés, leur caractère de matériel d’avenir a été sérieusement bousculé par les handicaps structurels de leur conception qui pose la question de la pérennité de ces automoteurs… Depuis, AGC et Régiolis ont pris la relève.
Une italienne dans le Quercy
En 1997, les Régions Centre, Limousin et Midi-Pyrénées obtiennent de la SNCF l’expérimentation d’une automotrice ETR460 des FS pour évaluer les potentialités de la pendulation sur un axe qui venait d’apprendre que le projet de TGV Limousin était renvoyé aux calendes grecques. Du 10 février au 3 mars 1997, trois sections constituèrent le domaine d’essai : des Aubrais à Vierzon, avec une vitesse de 220 km/h au lieu de 200 km/h, d’Argenton sur Creuse à Limoges, à 195 km/h au lieu de 150/160 et de Brive à Cahors à 145 au lieu de 110.
Dans son numéro 101, la revue Voies Ferrées avait réalisé une analyse de ses essais. Il en ressortait un gain théorique maximal de 57 minutes sur le temps de parcours sec, hors arrêts et sans aucune marge de régularité soit Paris – Toulouse en 4h33 contre 5h30 pour la composition de l’époque (CC6500 + 11 voitures V200) avec arrêts uniquement à Châteauroux, Limoges, Brive, Cahors et Montauban. En diminuant les relèvements de vitesse pour le confort des voyageurs et la sollicitation de la voie, le temps sec était porté à 4h46 soit 5h17 en réintégrant arrêts et marge de régularité. A l'époque, le meilleur train était tracé en 6h01. Limoges aurait été à 2h32 voire 2h26 de Paris (sans arrêt rappelons-le) selon que la marge soit de 4,5 min ou 3 min aux 100 km. Même chose pour Brive, atteinte en 3h16 ou 3h23.
Au sud de Gignac-Cressensac - 6 février 1997 - Essai de l'ETR460 italien sur la section Brive - Montauban, où la pendulation aurait procuré les plus importants gains de temps. En essai, une vitesse de 145 km/h a pu être atteinte au lieu de 110 km/h pour les trains classiques. En exploitation, une vitesse de 130 km/h aurait été retenue. © R. Douté
A l’époque, Louis Gallois, Président de la SNCF, considérait que « la pendulation n’est pas la panacée universelle mais c’est un moyen dont on ne peut plus se priver ». Et pourtant… Un appel d’offres avait été engagé pour équiper l’axe POLT dans une double configuration vers Paris Austerlitz d’une part et vers Roissy d’autre part, face à la forte pression politique réclamant la connexion du Limousin au premier aéroport français. Mais il n’est pas allé plus loin que les intentions.
P01, AXIS, X72500 : 3 prototypes sans lendemain
Ne pouvant rester à l’écart des réflexions impulsées par les Régions, la SNCF engageait la transformation de la rame TGV PSE n°101 en démonstrateur pendulaire. Particularité : les motrices extrêmes ne pendulaient pas, seul le tronçon de 8 remorques articulées était équipé.
Réalisée en novembre 1997, la rame fut présentée le 19 janvier 1998 et engageait une série d’essais d’abord entre Melun et Montereau par Héricy (jusqu’à 160 km/h… mais sans penduler) avant d’aller sur Brive – Cahors (avec des pointes à 145 km/h) puis sur Chambéry – Bourg-Saint-Maurice.
Les résultats ne pouvaient être que médiocres puisque seul le segment voyageur pendulait. Les motrices, concentrant la masse à l’essieu la plus élevée, infligeaient les efforts les plus importants à la voie avec la vitesse accrue dans les courbe, ce qui ne faisait guère les affaires de la maintenance, cherchant à limiter ses investissements.
Même programme pour AXIS, le démonstrateur pendulaire de Bombardier, reposant sur 2 motrices de turbotrain RTG, présenté le 26 juin 1998 : le constructeur cherchait à valoriser son expérience en la matière, mais sans succès, compte tenu de la forte réticence de la SNCF sur la pendulation. Beaucoup plus intéressant, ce démonstrateur n’eut aucune suite réelle.
Axis, sur base de RTG et le démonstrateur TGVP01 sur la base d'une rame PSE présentés lors d'une exposition ferroviaire à Paris-Bercy. Si le premier a permis au constructeur de valider des solutions techniques pour ses produits pendulaires, P01 n'est pas allé bien loin puisque les motrices ne pendulaient pas... tout en sollicitant plus fortement la voie par la vitesse accrue dans les courbes. Un essai qui a juste permis de démontrer que pendulation + TGV n'était pas compatibles dans leur formule actuelle. (cliché X)
Limoges - 14 octobre 1998 - Deux motrices RTG avaient donc été adaptées pour tester le bogie pendulaire développé par Bombardier. Les essais ont eu lieu sur différentes lignes classiques, dont POLT, mais aussi en Savoie. L'élément Axis a aussi été accouplé à un TGV pour tester le comportement des bogies à 300 km/h entre Lille et Calais ! © F. Lanoue
Dernier test avec un automoteur X72500 : la conception de celui-ci prévoyait la possibilité de l’équiper de bogies pendulaires. Fiat, dont les activités ferroviaires n’avaient pas encore été reprises par Alsthom, équipa l’X72547/48, engagé dans une série d’essais dans plusieurs Régions potentiellement intéressées. Sans suite évidemment : trop cher, marché trop restreint et trop d’investissement sur des infrastructures régionales en état moyen voire déjà franchement dégradées.
L’exploitation commerciale Lyon – Milan
Le 29 septembre 1996, la SNCF et les FS modernisent l’offre Eurocity Lyon – Turin assurée en rame tractée italienne, avec relais traction entre une locomotive française (généralement une CC6500) et une italienne (en principe une E444), en introduisant les automotrices pendulaires ETR460 qui firent alors sensation en France. Gain de temps : 1 heure, avec une liaison en 4h55 au lieu de 5h55 entre Lyon et Milan, avec notamment l’adaptation de la signalisation pour la pendulation entre Ambérieu et Modane.
Lyon Part Dieu - Octobre 2000 - 3 ETR460 ont été adaptés pour la circulation sur le réseau français afin d'assurer la liaison Lyon - Turin - Milan. Mais l'effectif était trop limité et le marché plutôt faible... © N. Godin - lyonrail
Cependant, avec 3 rames adaptées à la circulation en France sous 1500 V pour 3 allers-retours, le dimensionnement du parc s’avéra rapidement trop juste pour le service prévoyant 2 rotations sur Turin et une sur Milan, entrainant de récurrentes suppressions. Une rame de réserve peu avenante, composée de voitures UIC type A8x, était alors engagée mais incapable de tenir l’horaire. La desserte fut allégée dès l’été 1999 avec un aller-retour Lyon – Turin supprimé, et le maintien de 2 allers-retours Lyon – Milan, avec une copieuse détente horaire pour compenser les problèmes de fiabilité des ETR460.
Le 15 décembre 2002, les ETR460 abandonnent la liaison à des rames tractées fournies par les FS. Un an plus tard, la desserte est totalement supprimée, compensée par une liaison TGV supplémentaire sur Paris – Milan avec une desserte via Lyon Saint Exupéry.
Meximieux - Avril 2002 - Section facile pour cet ETR460 en direction de l'Italie, dans la plaine du Rhône à 160 km/h. Le montage trop tendu de la desserte a eu raison de son existence. La signalisation entre Ambérieu et Modane présente toujours les vitesses autorisées pour ce matériel, 20 ans après l'abandon de cette liaison ! © transportrail
La pendulation : intérêt et limites
Pourquoi la technique pendulaire n’a pas connu de débouché en France ? Parce que l’orgueil français interdit d’attenter à la suprématie du TGV ? Pas totalement à exclure : il fallait préserver la vitrine industrielle française. Mais le désintérêt français pour la pendulation est aussi un reflet d’une vision de l’offre ferroviaire passant sous silence les dessertes classiques en se résumant – quasiment – à l’alernative TGV ou TER.
Sur le plan technique, le réseau français tolérant des insuffisances de dévers – c’est-à-dire un niveau d’inconfort en courbe liée à une vitesse plus élevée – plus importantes que sur ceux qui pratiquent la pendulation, son impact sur le temps de parcours serait mécaniquement moindre, sans pour autant diminuer le coût d’investissement, ni celui des adaptations de l’infrastructure.
Or le réseau ferroviaire français est handicapé par son état moyen sinon médiocre : la pendulation implique une maintenance renforcée donc plus onéreuse, ce qui n'est pas compatible avec une trajectoire financière des plus serrées. L' alimentation électrique n'est pas toujours compatible avec le plein usage des aptitudes d’automotrices pendulaires : sur POLT, 8 MW sont disponibles, ce qui est correct mais sans plus pour aller convenablement chercher 220 km/h en Beauce et en Sologne (au lieu de 200) ou 130 km/h (au lieu de 110) dans le Quercy.
En résumé : à coût d’investissement constant, la pendulation impliquait des investissements sur les lignes accueillant de tels trains (certes sans commune mesure avec le coût d’une LGV), des dépenses courantes accrues par rapport à la situation de référence, tout en procurant des gains de temps amoindries par la tolérance élevée du réseau français. En dépit d’un coût à la minute gagnée nettement moindre qu’une LGV, l’idée a été rangée au placard.
Qu’importent les perspectives raisonnablement réalistes de trains Paris – Toulouse par Limoges en 5h20 (contre 6h pour le mythique Capitole) ou de liaisons Nantes – Bordeaux en 3h25 (contre 3h55 en référence classique), sans compter les applications régionales…