Ouibus : quand la SNCF organise sa propre concurrence
Un réseau autoroutier étendu, un réseau ferroviaire contracté
La France n'est pas un paradoxe près... Avec l'essor du réseau autoroutier, quasi continu depuis plus de quarante ans, la plupart des agglomérations de notre pays sont reliées par des autoroutes. Chose étonnante, certaines autoroutes assurent des liaisons entre des villes qui sont privées des mêmes liaisons mais en transport collectif, qu'il soit routier ou ferroviaire.
C'est le cas par exemple de l'axe Orléans - Montargis - Sens - Troyes - Chalons en Champagne, sur lequel tout service ferroviaire a disparu depuis belle lurette au gré des vagues de suppressions de lignes, quand bien même celles-ci avaient été qualifiées de stratégiques par l'état-major français, qualificatif très relatif étant donnée les circonstances et issues des trois dernières guerres ayant eu notre territoire pour théâtre d'opérations.
Bref, des autocars intercités rapides auraient toute leur pertinence pour relier ces villes et proposer des correspondance dans chacune d'elles avec les dessertes ferroviaires dont elles bénéficient, principalement depuis Paris.
Est-ce là qu'on crée aujourd'hui des lignes d'autocar ? Ce serait trop simple. Pourtant, il y a forcément un potentiel - sinon, on n'aurait pas fait d'autoroute ! - pour lequel l'autocar peut constituer une solution à coût modique et suffisamment flexible pour avoir un caractère expérimental.
L'autocar, révélateur de potentiel pour le train ?
L'autocar pourrait être le moyen de démontrer qu'il existe une demande non satisfaite de transport public et, parfois, d'amorcer une démarche vers une solution ferroviaire. On pensera ici à des liaisons comme Nantes - Poitiers, Orléans - Chartres - Dreux, ou encore Orléans - Le Mans, les solutions ferroviaires existantes (via Tours) ou envisagables à moyen terme (via Chartres avec la réouverture de Chartres - Orléans) n'étant pas forcément toujours assez compétitives par rapport à la route.
Autre piste sur laquelle l'autocar pourrait jouer un rôle aux côtés des dessertes ferroviaires : les liaisons avec les aéroports parisiens. Orléans et Dijon ne disposent que d'un seul aller-retour direct, par TGV, avec Roissy.
La SNCF organise sa propre concurrence
Or aujourd'hui, IDBUS, devenu depuis Ouibus, préfère concurrencer des dessertes ferroviaires déjà fournies sur des axes porteurs à forte marge potentielle, par exemple en venant concurrencer Thalys ou Eurostar, mais aussi le TGV avec la nouvelle offre Lyon - Londres. Encore plus cocasse, ou dramatique, la mise en oeuvre de relations par autocar sur Lyon - Turin, étouffant le marché potentiel sur lequel semblait apparaître un embryon de compétition entre la SNCF et Thello (qui lorgnaient sur les mêmes sillons). Dans ces conditions, la Transalpine part assurément avec un certain handicap, alors même que la ligne ferroviaire existante est loin d'être saturée.
Avec la mise en service du dernier maillon de l'A89 entre Lyon et Bordeaux, on peut craindre qu'apparaissent des liaisons par autocar, éventuellement segementées, pour proposer des liaisons directes vers Bordeaux d'une part et Limoges d'autre part, tandis que des services vers Clermont Ferrand et Montluçon capteraient les courants interrégionaux : assurément, toute velléité de modernisation de l'axe Lyon - Bordeaux serait rendue indéfendable du fait du captage du trafic par une desserte routière estampillée SNCF.
De même, pendant combien de temps résistera-t-on au développement de liaisons routières entre Clermont Ferrand, Limoges et Bordeaux, toujours via l'A89, et entre Clermont Ferrand et Toulouse, où le transport ferroviaire est quasiment aux abonnés absents, notamment du fait de l'atonie d'une Région qui se targue d'avoir soutenu la fameuse A75, soit disant vecteur de désenclavement, et sa gratuité. Avec les liaisons routières entre Clermont et Mende et entre Mende et Montpellier, il est facile de s'abstenir de soutenir la modernisation des infrastructures ferroviaires en expliquant qu'il n'y a plus de potentiel.
Campagne de lancement IDBUS : que pensent les voyageurs des TER et Transilien qui, eux, voyagent réellement serrés comme des sardines ? (affiche SNCF)
Une question qui dérange : d'où vient l'argent ?
La situation économique de Ouibus est pour le moins précaire car, 5 ans après le lancement expérimental d'IDBUS et 3 ans après la libéralisation du marché, tous les opérateurs sont en situation de perte... mais celle de la filiale de la SNCF est particulièrement impressionnante. Pour occuper le terrain et contrer les tentatives de Flixbus et Isilines, Ouibus fait feu de tous bois et semble ne pas rechigner à la dépense. Pourtant, les résultats sont plus qu'inquiétants : une entreprise privée normale aurait déjà depuis longtemps mis la clé sous la porte avec un niveau de pertes équivalent à celui du chiffre d'affaire. 1€ de recette = 1€ de perte, c'est la situation de Ouibus, sur laquelle se penchent les concurrents. Malgré une saisine de l'Autorité de la Concurrence d'Isilines, personne ne semble se poser la question du renflouage quasiment annuel par la SNCF... et surtout sur l'origine de ces moyens ? Certains y voient la reconversion des excédents des conventions de service public ferroviaire, ou un moyen de disperser des frais de structures facturés lourdement aux collectivités : ce serait un comble...
A quand une nouvelle coordination ?
En conclusion, il est grand temps d'engager un véritable schéma d'exploitation, définissant clairement les rôles et les complémentarités entre le rail et la route, et misant sur l'autocar sur des axes où le réseau ferroviaire est structurellement moins compétitif que la route, plutôt que sur des relations où le transporteur pourra faire de la marge sur des axes à forte demande... sans parler des cas où le car viendra inéluctablement contrer les possibilités de valorisation du réseau ferroviaire !