Les révélations de l’audit Rivier

La publication de l’audit de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, sous la direction du Professeur Robert Rivier, avait mis en lumière en 2005 l’obsolescence des infrastructures ferroviaires françaises, singulièrement sur les lignes régionales. Il avait estimé qu’un quart du réseau était menacé de fermeture à court terme si d’importants investissements n’étaient pas consentis à très court terme pour renouveler des lignes proches de leur état d’origine. L’audit Rivier a constitué un électrochoc, aboutissant au renforcement des moyens destinés à la gestion du réseau ferroviaire, effort « nécessaire mais pas suffisant » selon la formule habituelle…

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Figeac - août 1999 - X2800 et rail Double Champignon : image sympathique mais révélatrice de l'obsolescence du réseau ferroviaire régional. Si les matériels roulant ont constitué la face visible du problème, l'état de l'infrastructure révélé en 2005 constitua un électrochoc. © transportrail

En Midi Pyrénées, l’audit était plus qu’inquiétant puisqu’il estimait qu’à moyens constants, le réseau régional serait privé de la quasi-totalité de sa substance, en ne conservant que les grands axes Paris – Toulouse, Bordeaux – Marseille et Toulouse – Bayonne. Les moyens mobilisés pour le Contrat de Plan Etat-Région étaient incapables d’assurer le maintien de l’intégrité du réseau.

Face à cette situation, la Région Midi Pyrénées n’avait d’autre choix que de financer très massivement la régénération du réseau ferroviaire, allant bien au-delà de sa compétence sur l’exploitation des TER et le développement du réseau, en dépit des positions de principe face à l’Etat, trop en retrait sur une vision stratégique des infrastructures. La démarche du Plan Rail a été initiée en 2007, avec la Région aux commandes puisque principal financeur (« qui paie décide »), RFF et l’Etat pour définir un programme concernant l’intégralité des lignes (à une exception près) et les moyens mobilisables.

Un programme exceptionnel

Ainsi, 820 M€ ont été mobilisés dont 400 par la seule Région, 193 par l’Etat, 179 par RFF et 48 par l’Union Européenne via le FEDER.

Le Plan Rail Midi Pyrénées poursuit 4 objectifs : pérenniser les infrastructures, améliorer la qualité des installations et le confort de voyage, assurer la sécurité et fiabiliser le service, particulièrement affecté par l’obsolescence des composants de la voie et des systèmes mécaniques de signalisation.

Depuis 2008 et jusqu’en 2014, le Plan Rail comprend :

  • des renouvellements de la voie (rails, traverses) et du ballast
  • des renouvellements ponctuels de rails et de traverses
  • le renouvellement d’ouvrages d’arts (ponts, viaducs), de tranchées et de remblais
  • le renouvellement de la signalisation manuelle par du BAPR
  • le redécoupage du block automatique pour fluidifier le débit et augmenter la capacité des infrastructures
  • la création d’aménagements pour les dessertes périurbaines de Toulouse
  • la mise à double voie de la section Toulouse – Saint Sulpice sur Tarn, commune aux lignes de Capdenac, Rodez et Mazamet
  • l’adaptation des gares par le rehaussement et l’allongement de certains quais
  • la suppression de passages à niveau.

Le Plan Rail s’apparente à une remise à neuf du réseau, en particulier sur les plus anciennes, dont les composantes de la voie peuvent dater au mieux des années 1920. L’expression « dégénérescence avancée » de l’audit Rivier n’était pas un vain mot.

Les travaux ont été réalisés pour l’essentiel en recourant à la fermeture continue des lignes au trafic, avec report sur des autocars de l’ensemble des dessertes. Une solution lourde, pénalisante pour les voyageurs, mais qui était surtout la garantie d’une maîtrise des coûts et d’une réalisation la plus rapide possible.

Six années de travaux

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Les travaux ont débuté en 2008 sur la section Figeac – Bagnac de la liaison Toulouse – Aurillac, avec 15 km de voies, 6 ouvrages métalliques et 6 en maçonnerie, et l’amélioration de la signalisation entre Toulouse et la bifurcation d’Empalot.

En 2009, les opérations ont commencé à prendre leur rythme de croisière avec les sections Tarascon sur Ariège – Latour de Carol (61 km de voie, 5 tabliers renouvelés et 15 rénovés, 4 tranchées) et Tessonnières – Rodez (51 km de voie et 4 ouvrages étanchéifiés).

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Gramat - 23 juillet 2010 - La liaison Brive - Rodez est l'un des axes où la concurrence de la route s'avère la plus sévère, avec néanmoins une marge d'amélioration importante pour le train par la combinaison entre l'arrivée de nouvelles rames, ici pour succéder aux X2100, et d'une amélioration de l'infrastructure. © transportrail

En 2010, les travaux sur les infrastructures ont concerné les sections Saint Sulpice – Mazamet (50 km de voies, 2 ponts et le confortement du remblai de Vielmur sur Agout), Tessonnières – Capdenac (95 km de voies, 12 ponts, 16 ouvrages en terre et l’adaptation des quais des 6 gares comprises entre Lexos et Villefranche de Rouergue), Capdenac – Saint Denis près Martel (51 km de voies, 18 tranchées confortées, 4 ponts rénovés et le confortement du tunnel de Figeac). En outre, les travaux d’installation du BAPR se sont déroulés entre Colomiers et Auch tandis que le terminus périurbain de Boussens a été réalisé pour développer la desserte du sud-ouest toulousain, avec un service toutes les 30 min.

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Capdenac - 12 août 2013 - Le viaduc de Capdenac sur le Lot pourra donc encore continuer d'accueillir des trains, ici ce TER en direction d'Aurillac. © transportrail

En 2011, les sections Portet sur Garonne – Tarascon sur Ariège (49 km de voies, l’ensemble des ouvrages et la rénovation du tunnel du Puymorens, hors plan Rail) et Saint Sulpice – Tessonnières (25 km de voie) ont été ciblées.

En 2012, le chantier principal était la mise à double voie de la section Toulouse – Saint Sulpice, sur 18 des 25 km avec le renouvellement intégral de la voie existante et la reprise de la commande centralisée Toulouse - Tessonnières. Les travaux de signalisation ont permis la mise en service du BAPR entre Muret et Boussens et l’achèvement de la bifurcation d’Empalot.

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Saint Sulpice sur Tarn - 27 février 2009 - La gare de Saint Sulpice constitue le point de fusion des itinéraires venant de Mazamet, Rodez et Capdenac, convergeant sur Toulouse, alors sur une voie unique. Désormais, l'itinéraire est majoritairement à double voie, offrant de nouvelles capacités de desserte... dès lors qu'un accord sur leur coût aura été trouvé entre la Région et la SNCF. © transportrail

En 2013, les travaux concernent uniquement la signalisation avec le BAPR entre Toulouse et Tessonnières et l’adaptation des installations sur la section Saint Sulpice – Lavaur. En gare de Toulouse Matabiau, la création d’un « bloc autonome » pour le sud-ouest toulousain est devenue effective avec l’installation d’une communication V1 – V2 supplémentaire, une voie nouvelle vers les chantiers de garage de Toulouse Raynal, la création d’une voie 1C et l’affectation exclusive des voies 1 à 3 pour ce secteur (Auch, Bayonne, Latour de Carol).

En 2014, le Plan Rail prévoit la mise en service du BAPR entre Tessonnières et Albi et la poursuite des travaux à Matabiau pour la constitution du bloc « centre » avec les voies 4 à 8 destinées aux trains des lignes de Bordeaux, Brive / Paris et Narbonne par l’allongement des voies 1A et 1B et la liaison nouvelle entre le tiroir T6 et la voie 1. Il faut enfin rappeler que le bloc « nord-est » avait été réalisé dès 2009 par la création du quai 6, consacrant la partie est de la gare aux lignes de Capdenac, Rodez et Mazamet.

Il est également envisagé de renouveler la signalisation entre Brive et Saint Denis près Martel, sur le tronc commun aux lignes de Capdenac et d’Aurillac. Les signaux mécaniques et le poste à levier Pitron sur le quai devraient donc disparaître, probablement en 2014/2015.

Enfin, le Plan Rail a intégré la suppression de 24 passages à niveau et l’étude pour 18 autres franchissements.

Des atouts, des lacunes et des interrogations

Le Plan Rail a permis d’assurer l’avenir du réseau ferroviaire en Midi Pyrénées, au prix de 6 années de travaux souvent pénalisants pour les voyageurs. A l’issue du programme, quelques éléments complémentaires ont été décidés en utilisant des reliquats de crédit, qui concerneront la ligne Toulouse – Auch, avec l’achèvement de la double voie entre Arènes et Colomiers ainsi que sur la signalisation entre Arènes et la bifurcation d’Empalot.

Une ligne est toutefois demeurée à l’écart du Plan Rail : Rodez – Séverac le Château. L’état de l’infrastructure et la faiblesse du trafic, en dépit de la liaison entre les deux principales agglomérations de l’Aveyron (Rodez et Millau), n’ont pas permis de justifier un investissement spécifique sur cette ligne, desservie par 3 allers-retours d’autorail seulement, en 1h15, soit un temps de trajet identique au car. L’hypothèse d’un report sur route du service TER ne peut pas être écartée, en dépit des conséquences sur le maillage du réseau, Millau ne devenant accessible depuis Toulouse qu’en passant par Béziers et Narbonne. En attendant, un maigre service.

Cependant, les choix qui ont prévalu n'ont pas profité de l'occasion du renouvellement pour améliorer les performances des infrastructures tout en restant dans les emprises existantes. C'est même parfois le contraire : le nouveau plan de voies de la gare de Saint Sulpice sur Tarn issu du doublement partiel entraîne une réduction de la vitesse pour les trains passant sans arrêt dans cette gare. En aucun cas, on n'a profité du Plan Rail Midi Pyrénées pour traiter les entrées de gare dans une logique de gain de performance alors que c'est clairement une source importante de gains de temps de parcours sur des trains régionaux à arrêts fréquents, qui plus est avec des matériels modernes aux aptitudes substantiellement meilleures que celles des engins anciens (notamment les X2100). Le coût aurait été marginal par rapport aux sommes engagées dans le Plan Rail et ce n'est désormais pas de sitôt qu'on pourra rectifier le tir...

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Colomiers - 26 février 2009 - La liaison Toulouse - Auch fut l'une des premières concernées, avec non seulement la rénovation de l'infrastructure mais aussi de sgares et de l'intermodalité. Ici l'AGC assure une liaison en provenance de L'Isle Jourdain tandis que l'X73500 assurera une navette vers le métro Arènes. © transportrail

La principale interrogation porte sur les relations entre la Région et RFF. La première a contribué à près de 50% à une opération de remise à neuf des infrastructures, autorisant des gains de productivité sur les coûts de maintenance et d’exploitation. Les voies neuves peuvent être entretenues par des moyens mécanisés lourds, tandis que le BAPR rationalise la présence des personnels d’exploitation en ligne. Il semblerait légitime qu’en contrepartie des investissements consentis, la Région bénéficie en retour de RFF d’engagements sur le niveau des péages, qui plus est sur des lignes où le TER est souvent la seule activité présente.

Quant à la SNCF, la réduction des causes « infrastructures » dans la régularité de ses prestations devra être accompagnée d’efforts similaires sur ses propres responsabilités, afin de tirer pleinement profit des effets du Plan Rail sur la qualité du service ferroviaire. Les premières tendances ne semblent pas pouvoir affirmer que la régularité a progressé avec le Plan Rail.

Un cas d’école

Le Plan Rail Midi Pyrénées a engendré une déclinaison dans d’autres Régions, notamment en Auvergne et en Limousin, deux Régions dans lesquelles l’état du réseau était devenu là aussi préoccupant. Le Plan Rail laisse donc un goût d'inachevé puisqu'il a permis de sauver ce qui pouvait l'être mais sans essayer de tirer vers le haut les aptitudes du réseau, pour créer un écart de performances par rapport à la route.