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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

TER : le rapport de la Cour des Comptes

Un réseau déjà largement contracté depuis 50 ans

Le linéaire ferroviaire français en 2015 n'excède pas la consistance du réseau de 1880 : c'est dire si l'écrémage du réseau survenu depuis près de 80 ans a été massif, puisque les 42 000 km de l'apogée du rail français (hors réseaux départementaux) sont devenus 28 808 km. Dans son rapport sur le transport ferroviaire régional, la Cour des Comptes s'interroge sur la pertinence du train sur les 7800 kilomètres de voies peu utilisées, souvent en zone rurale, et qui plus est en mauvais état : les fameuses lignes en catégorie UIC 7 à 9. Elle argue sur le bilan carbone, nouveau concept à la mode, pour justifier l'abandon du train au profit de l'autocar, en partant du principe qu'un autocar consomme moins de gasoil qu'un autorail.

Elle s'adosse en outre sur le rapport de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne sur l'état du réseau français, pour mettre en avant le probable gaspillage des deniers publics que constitue la remise en état de ces voies, alors que le car pourrait offrir des solutions plus souples, plus proches des habitants et plus économiques pour la collectivité. Bref, un tir à vue sur le TER, une des actions phares des Régions : à quelques semaines des élections régionales de 2010, la ficelle était un peu grosse.

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Les Eyzies de Tayac - 31 mars 2006 - Installations désuètes, voies fragiles... matériel neuf, véloce et au taux de remplissage limité : tout ce que les argentiers détestent... Service public et aménagement du territoire seraient-elles des notions abstraites à leurs yeux ?  © transportrail

 De la question de la fréquentation, de la contrepointe et de l'exploitation en navette

Comparer le taux de remplissage des TER, activité de service public qui se doit de proposer des trains toute la journée, même quand la demande est faible, et celui des TGV, activité commerciale dont l'offre est déterminée par des études de marketing et qui peut se permettre d'inciter par les prix à orienter les voyageurs vers d'autres horaires où les trains sont potentiellement moins remplis. Par ailleurs, contrairement au trafic régional lié aux déplacements domicile-travail par définition polarisés par les centres urbains, le trafic des Grandes lignes est beaucoup plus équilibré, la fréquentation des trains étant moins dépendante des flux liés aux activités quotidiennes. Il n'en demeure pas moins que les TER de pointe et dans le sens de la pointe ont un taux de remplissage de 100% voire en suroccupation dans certains cas !

Et comme on ne sait pas télétransporter un train pour éviter un parcours dans le sens inverse de la pointe, la construction en navette des roulements du matériel impose inéluctablement des trains en sens inverse du flux dominant, et donc beaucoup moins remplis. Une simple observation des principes fondamentaux de l'exploitation ferroviaire aurait permis à la Cour des Comptes de gagner en crédibilité.

En comparaison, personne ne dénonce le fait qu'on bouchonne sur les 3 voies de l'autoroute le matin en direction de la ville alors que les 3 voies d'en face sont désertes !

Sur les lignes à faible trafic, la disparition des TER entraînerait mécaniquement le report de toutes les charges d'infrastructures sur les quelques trains de fret : leur équilibre économique en serait bouleversé et le fret ne tarderait pas à disparaître, avec les conséquences potentielles sur l'industrie locale.

Ce que la Cour omet de rappeler, c'est que l'offre ferroviaire ne correspond que rarement au potentiel du marché local : quand on a 9000 véhicules / jour sur la route, comme entre Morlaix et Roscoff, et que la SNCF ne propose que 2 allers-retours par jour et en heures creuses uniquement, on tourne le dos à la chalandise ! Entre un coût d'exploitation toujours élevé et des lignes mal équipées, peu performantes et parfois plombées par un système d'exploitation plafonnant à 16 trains par jour, difficile d'être dans le coup. Mais la Cour n'en dit mot. Dommage.

Quid des lignes à rouvrir ?

Si quelques lignes sont probablement indéfendables au regard d'une situation calamiteuse des voies et d'un potentiel de trafic beaucoup trop faibles, la Cour des Compte n'en a pas pour autant fait l'inventaire des lignes fermées alors que la demande est bien réelle. Combien de projets de réouverture sont aujourd'hui au mieux en phase d'études ou en stand-by par manque de volonté (courage) politique ou un excès d'obstacles de tous ordres, des lobbies anti-ferroviaires au pro-routiers ? Avignon - Carpentras se débloque alors qu'on espérait rouvrir la ligne avec le TGV Méditerranée ouvert voici neuf ans. Chartres - Orléans progresse à pas millimétrés, Rouen - Evreux est à la peine, Sathonay - Trévoux frise le blocage...

Matériel roulant : quel dimensionnement ?

Gloserie sur les acquisitions de matériel roulant des Régions : des matériels très performants mais qui roulent à vitesse réduite sur des voies en mauvais état. « Que les Régions arrêtent d'acheter du matériel » dit la Cour des Comptes. Qu'importe si la capacité offerte en heures de pointe ne suffit plus. Qu'importe si le vieillissement du parc continue et qu'il faudra bien remplacer les matériels des années 1970-1980, sauf à accepter de supprimer une partie des circulations et donc amorcer un repli du service public de nature à dissuader les voyageurs d'y recourir. Bref la spirale de la décadence ! Et accessoirement, comment sauve-t-on Alstom tous les 5 ans ?

On se contentera de rappeler les propos d'un sage : « Il faut dimensionner le chemin de fer sur l'heure de pointe et le réseau routier sur l'heure creuse ». Etait-ce Louis Armand ou Raoul Dautry ? Notre mémoire a quelques failles...

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Dijon Ville - Mai 1996 - Image d'un chemin de fer qui vivait sur ses acquis de l'après-guerre et d'une époque où le transport régional était considéré comme une troisième zone. La régionalisation a permis de sauver les meubles... © transportrail

Commercialisation, coûts d'exploitation et de maintenance

Pas un mot sur la politique commerciale de la SNCF qui reste certainement perfectible pour amener du monde dans les trains : on dit que la France est la première destination touristique au monde. Pourquoi l'offre ferroviaire touristique reste aussi microscopique en volume et anonyme du point de vue de la communication ? L'Auvergne, le Jura, la Côte Méditerranéenne, le Quercy, la Normandie, la Bretagne, la côte Vendéenne, les Châteaux de la Loire, autant d'exemples de territoires renommés où le rail pourrait aussi être un outil de développement d'un tourisme plus écologique.

Pas un mot non plus sur la nécessité de se poser des questions sur les charges d'exploitation et de maintenance du réseau. Le blocage d'une partie du monde ferroviaire français sur l'exploitation des dessertes à faible trafic par un unique agent crée les conditions d'un déséquilibre économique puisqu'on maintient un principe coûteux en exploitation alors qu'on devrait pouvoir s'inspirer de la suppression des receveurs dans les transports urbains engagée voici plus de 50 ans et développer des équipes de contrôles volantes.

Sur les infrastructures, la productivité de la convention de gestion du réseau entre RFF et la SNCF mériterait d'être expertisée, la recherche de modalités d'entretien et de renouvellement des voies secondaires plus adaptées aux moyens que l'on peut y consacrer est toute aussi prioritaire pour éviter qu'on ne se retrouve à employer les mêmes sabots que l'on marche sur du ciment coulé depuis 30 ans ou des oeufs pondus du matin... entendez qu'on doit pouvoir trouver des méthodes adaptées à l'économie des petites lignes pour obtenir un bonne qualité de voie sans pour autant employer les mêmes procédés que ceux des grands axes parcourus par 150 trains par jour et par sens.

Quant à la comparaison avec les coûts de la route, comment être objectif quand la majorité des coûts d'entretien du réseau sont supportés par le contribuable, et non individualisés au niveau de l'usager ?

Bilan carbone : la nouvelle marotte anti-ferroviaire ?

Enfin, l'argumentation sur le bilan carbone est utilisée pour dénigrer le mode ferroviaire en mettant en avant l'importante consommation de gasoil d'un autorail qui transporte somme toute peu de monde. Ceci dit, dès lors qu'il faudrait sortir un deuxième autocar pour remplacer un autorail, donc à partir de 50 personnes, le coût environnemental du deuxième autocar est aussi constant qu'il y ait 51 ou 100 personnes à transporter.

On pourrait cependant s'interroger sur les conséquences pour le transport routier de voyageurs de la multiplication des ronds-points et autres ralentisseurs, qui dans le but - louable - d'améliorer la sécurité routière, conduisent à casser régulièrement l'allure des véhicules à moteur, et donc à multiplier les remises en vitesse qui sont les phases les plus gourmandes en carburant. Mieux, on sait très bien que la mise sur route de certaines dessertes ferroviaires serait utilisée pour créer quelques déviations pour aller desservir quelques villages à l'écart de la grande route, avec à la clé des kilomètres supplémentaires et des litres de gasoil supplémentaires...

Bref, si on peut saluer l'existence de la Cour des Comptes comme garde-fous, les appréciations portées sur des sujets techniques mériteraient d'être un peu plus éclairés par des connaissances spécifiques au sujet et non un seul raisonnement d'argentier.

Notre dossier sur les lignes secondaires régionales.

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