Grenoble : de LAZER au RER
Située dans une cuvette au confluent de l’Isère et du Drac, entourée par trois massifs alpins (Chartreuse, Belledonne, Vercors), l’agglomération grenobloise, qui compte 670 000 habitants, souffre d’une pollution récurrente, quoiqu’en baisse depuis 2010, liée à un usage encore important de la voiture dans les déplacements quotidiens. On enregistre plus de 100 000 véhicules par jour sur l’autoroute qui prend en écharpe l’agglomération, et on compte 236 000 déplacements par jour dans l'aire urbaine grenobloise.
La configuration du territoire est néanmoins intéressante puisqu’avec 3 corridors urbanisés, assez nettement délimités par les massifs montagneux encadrants, le rôle du transport ferroviaire apparaît s’imposer avec évidence. Il faut le reconnaître, les bases existent, depuis assez longtemps, et les évolutions à apporter sont relativement modestes en comparaison avec les autres métropoles.
Fait assez remarquable, c’est aussi une des villes où on utilise le plus le vélo, du fait d’un profil très favorable de la zone urbaine dans la plaine du confluent.
Grenoble - Boulevard Agutte Sembat - 31 décembre 2018 - Difficile de ne pas évoquer Grenoble sans faire une incursion sur la politique de développement du vélo avec ici la nouvelle piste réservée située de façon inédite dans l'axe de la chaussée. A gauche, un couloir de bus à contre-sens et à droite, deux voies de circulation dont une réservée aux autobus. La complémentarité train-vélo est un élément important du schéma multimodal autour du RER grenoblois. © transportrail
Une agglomération pionnière ?
Grenoble peut presque faire partie des pionnières puisqu’en 1989, la SNCF avait lancé, avec l’appui du Département de l’Isère, une amélioration de la desserte ferroviaire sur la relation Rives – Grenoble. Elle tirait profit de la récente modernisation intégrant l’électrification en 25 kV pour l’arrivée du TGV en 1985, mais aussi de la réception des premières RRR, alors symbole de la nouvelle politique de la SNCF, rebaptisant TER ses omnibus.
La desserte baptisée LAZER avait en outre bénéficié de l’extension du domaine électrifié jusqu’à Gières : la gare avait été menacée de fermeture dans les années 1970 mais avait été sauvée par la mobilisation locale, mettant logiquement en avant le développement du domaine universitaire voisin de Saint Martin d’Hères et la commodité d’accès procurée.
Voreppe - Août 1988 - Rutilante car probablement dans ses premières semaines de circulation, cette RRR poussée par une BB25500 encore en livrée verte incarne la nouvelle desserte LAZER entre Rives et Grenoble, prolongée à la gare de Gières. Une amorce de RER avant-gardise ! © R. Cornu-Emieux
Sur le sillon alpin, les capacités restaient contraintes du fait de la voie unique sur la partie sud, entre Moirans et Romans. Sur la partie nord, à double voie, des renforcements de desserte avaient été mis en œuvre rapidement par la Région, dès la signature de la première convention TER en 1994, avec des relations Grenoble – Chambéry. Le coup d’accélérateur sur la section sud dut attendre la mise à double voie de la section Moirans – Saint Marcellin, compatible avec le renforcement de la liaison Intervilles Valence – Grenoble et des navettes périurbaines Grenoble – Saint Marcellin, en partie diamétralisées vers Chambéry.
L’électrification des sections Valence TGV – Moirans et Gières – Montmélian, réalisée en deux étapes avec le concours de la Région Rhône-Alpes, est venue parachever la modernisation de cette transversale régionale qui relie Valence, Grenoble, Chambéry, Annecy et Genève, ce qui n’est quand même pas rien…
Tencin - 13 novembre 2010 - Avant l'électrification de la section Gières - Montmélian, la desserte avait été confié pour large partie aux AGC bimodes B82500. Le pont de pierre comme le sémaphore ont disparu après la modernisation. © transportrail
Vinay - 8 juillet 2017 - Les TER2Nng sont présentes non seulement sur les dessertes périurbaines autour de Grenoble mais aussi sur les liaisons Intervilles type Valence - Annecy. © transportrail
Le cas particulier de la ligne des Alpes
La régionalisation avait entrainé un sursaut d’offres, avec le renforcement de la liaison Grenoble – Gap, qui a compté jusqu’à 7 allers-retours, avec un pic total à 19 circulations avec les services partiels vers Clelles-Mens en pointe. La situation s’est fortement dégradée avec l’accumulation d’un important retard sur le renouvellement de la ligne, générant ralentissements et allègement de l’offre… jusqu’à une suspension probable en fin d’année 2020.
Grenoble - 1983 - Les X2800 ont été très présents autour de Grenoble, non seulement sur la ligne des Alpes qui fut un de leurs domaines de prédilection mais aussi sur le sillon alpin, en complément des ETG. C'était l'époque où la desserte omnibus autour d'une grande ville était assurée a minima... y compris sur le plan capacitaire ! © J.H. Manara
Monestier de Clermont - 21 février 1987 - Les RGP1 ont été aussi les vedettes de la ligne des Alpes. Ce convoi composé de 2 rames et d'une remorque Decauville poursuit l'ascension de cet itinéraire de moyenne montagne. Monestier de Clermont est la principale localité sur la branche sud de l'étoile de Grenoble, au-delà des limites de l'agglomération, constituant un enjeu local de rabattement des flux pouvant être drainés par autocar ou du trafic routier, juste avant le moignon de l'A51 conduisant vers les encombrements du réseau routier grenoblois. © R. Cornu-Emieux
Alors que la SNCF avait jusqu’en 2019 une attitude très négative sur le devenir de la ligne, un revirement assez spectaculaire semble avoir été amorcé : les études de trafic menées sur l’axe ont mis en évidence un potentiel conséquent sur la liaison avec les Hautes Alpes, en journée et le week-end, complétée par des flux pendulaires jusqu’au Monestier de Clermont voire Clelles-Mens. Région, Département, Métropole de Grenoble et communes rurales en montagne semblent progressivement converger vers une reconquête de la ligne avec une organisation d’ensemble d’un service complet de transport organisé autour du train.
Outre l’hypothèse d’une desserte à l’heure entre Grenoble et Gap, le PDU grenoblois table sur une desserte périurbaine à la demi-heure, aboutissant à 3 trains par heure dont un express et deux omnibus. Une révolution… qu’il faudra quand même financer car la ligne est en mauvais état, avec des rails âgés de 70 à 90 ans, et son côté spectaculaire est le fait de ses nombreux ouvrages d’art qui ont eux aussi besoin d’être traités avec attention.
Evidemment, cette desserte nécessiterait une nouvelle signalisation plus capacitaire, mais aussi le traitement de la bifurcation de Veynes : aujourd’hui, les trains Grenoble – Gap circulent à contre-voie sur le sillon alpin puisque la voie unique n’est raccordée qu’à la voie 2. SNCF Réseau devrait logiquement proposer NeXT Regio sur cet axe, avec une centralisation à Veynes qui pourrait embarquer la ligne du val de Drôme mais aussi une partie de l’axe Marseille – Briançon.
La coordination train – transports urbains
Autre domaine sur lequel le bassin grenoblois a connu une évolution significative, le renforcement de la complémentarité entre le réseau ferroviaire et le réseau urbain grenoblois. Evidemment, en 1987, la renaissance du tramway avec la correspondance en gare de Grenoble a été un premier coup d’accélérateur.
Le deuxième était moins visible mais d’une grande importance : l’accès aux TER dans le périmètre des transports urbains grenoblois avec un titre de transport TAG est possible depuis 1999, concernant d’abord les gares de Saint Egrève, Grenoble, Gières et Pont de Claix.
Gières - Rue de la gare - 9 novembre 2019 - Intermodalité réussie à Gières : la ligne B du tramway est connectée aux dessertes du sillon alpin, facilitant l'accès au domaine universitaire sans passer par la gare centrale. © transportrail
En 2004, une nouvelle gare a été créée sur le sillon alpin à Echirolles, avec en parallèle une nouvelle station de tramway sur la ligne A. Elle était naturellement accessible avec un titre urbain. Cependant, sa desserte reste médiocre puisque subsistent des creux de desserte de 2 heures.
Echirolles - 31 décembre 2018 - Réalisation intéressante puisque directement connectée à la ligne A du tramway qu'on aperçoit sur le pont en arrière-plan, la gare d'Echirolles souffre cependant encore des maux chroniques de la desserte périurbaine des grandes agglomérations françaises avec d'importants creux de desserte. Cet AGC assurant une liaison St Marcellin - Chambéry passe la gare en vitesse. © transportrail
Echirolles - 31 décembre 2018 - Même chose pour cette liaison Valence - Annecy assurée en rame Corail réversible... ce qui apparaît cette fois relativement cohérent avec la vocation de cette relation. © transportrail
Le prolongement de la ligne B en 2006 à la gare de Gières a créé une nouvelle connexion, d’abord destinée aux étudiants mais aussi à la zone d’activités. Gières est devenue une importante porte d’entrée dans l’agglomération grenobloise, avec de surcroît l’usage de la capacité de la ligne B du tramway en contrepointe.
Le périmètre des transports urbains a été ensuite étendu, intégrant les gares de Jarrie-Vizille, Saint Georges de Commiers et Vif, sur la ligne des Alpes. Compte tenu de la faiblesse de la desserte ferroviaire, cet élargissement a favorisé un report du trafic sur les lignes de bus TAG et les autocars TransIsère, bénéficiant d’abord de l’avantage de la proximité : la gare de Vif est éloignée de la ville et Vizille n’est pas desservie. Ils ont aussi l’avantage de la fréquence, ce qui n’est pas difficile face au niveau de la desserte ferroviaire. Les lignes 25 et 26 du réseau TAG peuvent proposer au total jusqu’à 6 départs par heure depuis Vif, tandis que la ligne Trans’Isère 4500 offre 5 allers-retours par jour entre les gares de Grenoble et Mens… mais avec un temps de parcours de 1h20 à 1h35 bien moins attractif que le train.
Le prolongement de la ligne A entre Echirolles (Denis Papin) et Pont de Claix (L’Etoile, anciennement Flottibulle) sera accompagné d’un nouvel arrêt ferroviaire sur la ligne Grenoble – Gap. Située à environ 1,3 km de l’actuelle gare de Pont de Claix, cette nouvelle halte renforcera le maillage train-train… dès lors que la ligne des Alpes serait sauvée.
De nouvelles ambitions
A plus long terme, le PDU grenoblois envisage la mise à l’étude de nouvelles gares dans l’agglomération sur l’axe du sillon alpin : à Eybens, Saint Martin d’Hères et Domène, toutes les trois sur la section Grenoble - Montmélian. Il faudra analyser l'impact sur les liaisons Intervilles de ces arrêts supplémentaires sur les missions omnibus. La perpsective d'une diagonale Rives – Brignoud, avec une cadence au quart d’heure en pointe, se profile. Elle amènera à intégrer la question capacitaire entre Grenoble et Moirans, du fait de l’importance du trafic et de la mixité d’usage entre des RER omnibus et des liaisons régionales vers Lyon et Valence qui sont par nature à vitesse élevée et arrêts peu fréquents. L’intervalle entre les gares dans l’agglomération serait en moyenne de 2 km.
Dans un registre similaire, l’ajout de deux stations ferroviaires à Grenoble pourrait être examiné :
- au croisement du boulevard Foch pour donner un accès supplémentaire à la ligne C du tramway, mais aussi à la ligne E qui passe à proximité ;
- à hauteur du stade Lesdiguières, afin de proposer une connexion à la ligne E qui devrait être prolongée au-delà de l’actuel terminus Louise Michel, et de la ligne de rocade C6 dont on espère toujours qu’elle soit à terme remplacée par un prolongement de la ligne D.
Enfin, selon les marges de manœuvre capacitaires, au nord de Grenoble, l’ajout d’un arrêt à hauteur de la zone commerciale de Saint Egrève pourrait compléter le maillage.
Voir également la page du syndicat mixte des transports de la métropole grenobloise.
La desserte de l'aéroport et de la plaine de la Bièvre-Valloire
Au nord du bassin grenoblois, la connexion de l'aéroport au RER grenoblois pourrait être examinée. Avec 356 000 voyageurs sur l'année 2018, la plateforme n'est pas au mieux de sa forme : elle avait accueillit 100 000 clients de plus en 2008 avant de plonger sous la barre des 300 000 en 2015. Depuis 4 ans, le rebond est net mais l'usage de l'avion reste tout de même assez limité avec une moyenne annuelle de 1000 embarquements par jour. Est-ce suffisant pour envisager une desserte ferroviaire de l'aéroport par la réactivation de l'ancienne ligne Rives - Saint Rambert d'Albon (qui fut le premier itinéraire ferroviaire entre Lyon et Grenoble) jusqu'à Saint Etienne de Saint Geoirs (5300 habitants) ? Le trafic routier n'est pas anecdotique : 5200 véhicules / jour sur la RD519 qui dessert les communes de Beaucroissant (1700 habitants) et Sillans (1800 habitants), comme la voie ferrée, et 13500 sur la RD119 qui relie l'autoroute à l'aéroport et constitue la voie d'accès la plus directe pour La Côte Saint André (4800 habitants).
Une desserte à cadence horaire avec l'organisation de rabattements par autocars depuis les communes alentours (notamment La Côte Saint André et Beaurepaire) pourrait donc faire l'objet d'une étude pour un développement ultérieur, après la structuration de l'offre sur les lignes existantes.
Matériel roulant : besoin de gagner encore en performance ?
La création de ces nouvelles stations RER dans l’agglomération grenobloise devra être accompagnée d’une réflexion sur le type de matériel roulant employé. Aujourd’hui, les TER2Nng sont assez largement dominantes sur le sillon alpin, complétées par des AGC, tandis que les rames Corail n’assurent que les relations Intervilles.
Grenoble - 25 décembre 2015 - Les TER2Nng ont largement pris possession de l'étoile de Grenoble après l'électrification du sillon alpin. Leur capacité sur une longueur réduite permet de desservir des gares aux quais courts. Leurs performances sont satisfaisantes, mais les temps de stationnement pâtissent souvent d'une composition insuffisante par rapport à l'alffluence. La bonne adéquation offre-demande est aussi un gage de rapidité des circulations. © transportrail
Plutôt bien motorisées, ces rames pourraient être suffisantes mais il faudra probablement relever le niveau d’exigence pour que l’ajout de ces arrêts ne couche pas trop le graphique et en particulier les horaires des relations Genève / Annecy – Valence, qui ont besoin d’être au plus près des performances maximales pour être attractives. L’inspiration pourrait venir du Léman Express et son duo Flirt – Régiolis. Pour le coup, on essaiera d’unifier le parc, tout de même restreint sur les relations Rives – Brignoud.
Quant à la ligne des Alpes, l’électrification traditionnelle n’est pas franchement à l’ordre du jour mais pourrait émerger dans l’hypothèse d’un tram-train Grenoble – Vizille évoqué dans un dossier de transporturbain. Les dessertes vers Clelles et Gap nécessiteraient toujours des autorails de grande puissance compte tenu du profil de la ligne et du caractère peu réaliste d'une électrification de la ligne par caténaire compte tenu du linéaire et de l'abondance d'ouvrages d'art qui en renchérirait le coût. Le gasoil pourrait être remplacé par un biocarburant n’émettant pas de particules fines nocives en guise d’exemplarité. La relation Grenoble - Gap pourrait alors être accélérée en laissant aux missions partielles vers Clelles et au tram-train la desserte des gares périurbaines, modulo les besoins de croisement sur la voie unique : le maintien de l'arrêt à Jarrie semble assuré. Celui de Vif dépendra de la capacité à le rendre plus attractif mais un schéma multimodal renforcé.