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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Fret, voyageurs, maintenance : une autre concurrence

Trois activités, trois logiques (au moins) et un point commun : l’infrastructure ferroviaire. La répartition de la capacité du réseau entre la circulation des trains et la maintenance est un sujet très central dans le contexte français, car le programme de travaux est considérable au regard du retard accumulé depuis les années 1980 et par la nature de l’équipement du réseau ferroviaire.

Facteur aggravant, la position de SNCF Réseau, favorisant l’augmentation du nombre de trains accentue paradoxalement la problématique capacitaire avec deux marchés qui sont eux-mêmes dans une potentielle situation de conflit.

Bref, il y a concurrence sur le réseau ferroviaire… même – surtout ! – en restant dans un huis clos au sein de la SNCF.

Dans un précédent dossier, transportrail s’était interrogé sur les raisons de la diminution de la capacité du réseau. Nous continuons donc sur ce thème car, plus que jamais, le chemin de fer est – en principe - un outil essentiel à une stratégie de transports de biens et de personnes, maillon de politiques territoriales d’aménagement favorisant les modes les plus économes en budget, en espace comme en énergie.

D’où cette question centrale…

Les reports souhaités (souhaitables) vers le rail sont-ils aujourd'hui tous conciliables ?

Dans le domaine du transport de voyageurs, le développement de RER dans les grandes agglomérations implique une densification de l’usage du réseau, notamment en heures creuses et le week-end, mais aussi en heures de pointe et, progressivement, de façon de plus en plus intense avec des paliers de desserte à l’heure, à la demi-heure et au quart d’heure. Ce dernier sera assurément dépendant d’une augmentation de capacité du réseau pour être compatible avec les dessertes Intervilles et Longue Distance, donc renvoyé à une échéance relativement lointaine, hors quelques axes particuliers relativement indépendants.

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Dans le domaine des Grandes Lignes, l’interrogation sur le devenir du transport aérien de courte et moyenne distance, émerge – pas seulement en France - de façon assez radicale et pourrait amorcer un virage décisif, d’autant plus que l’ouverture du marché intérieur et une position française plutôt favorable à l’open-access, risquent aussi de modifier substantiellement la donne. Un report d’une partie du trafic aérien intérieur ou avec les pays limitrophes pourrait aussi augmenter le besoin capacitaire, qui plus est avec des sillons rapides dont on connaît la compatibilité limitée avec des RER à arrêts fréquents.

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Epoisses - 4 juillet 2019 - La modernisation de la LGV Sud-Est avec une signalisation plus performante, va repousser la limite capacitaire de la ligne et la nécessité du projet POCL. La SNCF mise sur une rame TGV offrant au moins 80 places de plus que les premiers Duplex. Les autres opérateurs ferroviaires intéressés par le marché français pourraient eux aussi tirer profit de cette opération pour pénétrer le marché. © transportrail

De son côté, le fret ferroviaire se situe en France à un étiage qui ne préoccupent que ceux qui croient encore à un renouveau. Pourtant, un regain d’intérêt manifeste semble se confirmer depuis plusieurs mois sinon quelques années. La pénurie de conducteurs de poids lourds, en partie due à l’activité économique en Europe Centrale, crée un appel d’air en faveur du fret ferroviaire : plus que les discours des gouvernements successifs depuis au moins un quart de siècle, qui n’engagent que ceux qui les écoutent, l’évolution du marché de la logistique génère une demande croissante au bénéfice du fret ferroviaire et singulièrement au profit du transport combiné. Le retour de la tendance haussière du prix des carburants amplifie cette demande accrue. Osons aussi ajouter une prise de conscience accrue des externalités du transport routier en matière d’environnement.

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Compiègne - 21 juin 2019 - Un redémarrage du fret ne serait pas sans conséquence sur les arbitrages dans l'attribution de la capacité du réseau et la diversification des opérateurs accentue cette pression. Lineas, filiale logistique de la SNCB, renforce sa présence dans le nord et l'est de la France, et la rocade Amiens - Chalons - Chalindrey semble devenir son territoire de prédilection. © transportrail

A ces deux besoins tout aussi légitimes l’un que l’autre, il faut ajouter un programme de travaux de renouvellement assez considérable, un besoin de modernisation de l’équipement du réseau (commande centralisée, ERTMS sur les grands axes et nœuds ferroviaires), de probables opérations de développement pour augmenter la capacité du réseau existant et enfin des lignes nouvelles qui pourraient être – pour certaines – remise en selle pour constituer une alternative au transport aérien… mais pas seulement, puisque certains projets combinent accélération des liaisons nationales et capacité pour la desserte des bassins de vie.

En résumé, est-on capable de concilier « en même temps » :

  • une augmentation du nombre de circulations voyageurs, notamment autour des grandes métropoles du fait du développement de dessertes type RER ;
  • une nouvelle dynamique pour le transport de voyageurs sur la longue distance ;
  • une augmentation rapide du fret ferroviaire, notamment le transport combiné ;
  • le maintien d’un volume élevé de travaux sur le réseau ferroviaire pour le renouvellement, la modernisation et le développement ?

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Angers Saint Laud - 24 janvier 2018 - Exemple d'un carrefour ferroviaire simple... en apparence. La gare d'Angers Saint Laud offre une capacité limitée, alors que la demande de desserte TGV est nourrie, renforcée par la LGV BPL. Ajoutez une bonne dynamique du trafic sur la dorsale Le Mans - Nantes, la liaison vers Tours, le potentiel encore important vers Cholet, les besoins périurbains... et ceux du fret vers l'estuaire de la Loire. Un cocktail à l'origine de nombreuses études pour augmenter la capacité de l'axe... mais avec peu de solutions à court terme et à budget limité ! © transportrail

La trame cadencée : un pilier essentiel qui doit mieux intégrer le fret

Parmi les clés de réponse, on pourra d’abord rappeler que l’horaire est le juge de paix suprême : « montre-moi ta grille horaire et je te dirai de quelle infrastructure tu as besoin ». La démarche progressive – et encore inachevée – de cadencement du réseau français, entamée depuis 2007, est déjà un outil de base pour structurer au mieux l’usage et la répartition de la capacité du réseau, moyennant des ajustements, pas toujours indolores, de l’organisation des dessertes.

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Villeneuve lès Avignon - 10 août 2011 - Pas trop de problèmes en 2019 pour tracer des sillons fret sur la rive droite du Rhône. La Région Occitanie souhaite rétablir une desserte voyageurs de Pont Saint Esprit à Nîmes. De son côté, la Région Auvergne Rhône-Alpes souhaite développer une offre dans le bassin valentinois entre Romans, Valence et Le Teil... et s'interroge sur la desserte périurbaine lyonnaise entre Givors et le coteau de Condrieu. Il y a intérêt à ce que les fenêtres pour le fret soient bien alignées, sinon, pour le coup, on passerait d'une ligne sous-utilisée à une ligne saturée avec un nombre de circulations par heure et par section restant pourtant limité ! © transportrail

Cependant, les sillons fret ne sont pas intégrés à cette trame. En Suisse, les CFF s’engagent progressivement à systématiser dans la planification horaire (sachant que l’étape 2035 est stabilisée et qu’on commence à construire la trame élémentaire 2050) des sillons fret de sorte à assurer une offre minimale avec une bonne qualité de service.

Toujours en Suisse, un récent arrêt du Tribunal Fédéral a récemment confirmé qu’un sillon cadencé pouvait être considéré prioritaire sur un sillon hors trame, dans un différend entre CFF Cargo et le ZVV, l’autorité organisatrice des transports zurichois… ce qui confirme la nécessité de construire des trames intégrant systématiquement – au moins en partie – une partie de la capacité attribuée au fret.

Fret : faut-il tout concentrer sur l’Ile de France ?

Deuxième axe de réponse, le recours aux itinéraires alternatifs. Ils sont malheureusement peu nombreux et de consistance parfois très insuffisante. La concentration du trafic fret sur l’Ile de France, pour des logiques de marché et d’organisation logistique générale, génère une forte sollicitation des radiales convergeant sur Paris, ce qui irrite Ile de France Mobilités et Transilien, un opérateur qui rêve de reprendre la gouvernance de l’infrastructure et des circulations dans une logique de « principauté autonome » (en atteste le récent essai de son directeur), assez largement déconnectée des réalités quotidiennes. 

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Chelles - 13 avril 2013 - L'insertion du fret en Ile de France est un sujet de plus en plus délicat car toute la logistique semble organisée autour de la Grande Ceinture. Un scénario de croissance du transport ferroviaire de marchandises devra aussi miser sur de nouveaux itinéraires pour redistribuer la capacité. © transportrail

Or une partie de ces flux ne fait en réalité que transiter par l’Ile de France pour des flux nord-sud ou est-ouest qui pourraient utiliser d’autres itinéraires : on pense évidemment à la VFCEA portée par la Région Bourgogne Franche-Comté, et son équivalent au nord de Paris, entre Amiens et Chalons en Champagne via Laon, avec son extension assez naturelle vers le tunnel sous la Manche et le port de Dunkerque, par la côte d’Opale. 

Autre facteur de complexité : la logistique ferroviaire est très concentrée sur l’Ile de France sur les plateformes du Bourget et de Valenton. Disperser le trafic conduirait à dissocier les flux « parisiens » des flux « province-province », et à générer des coûts supplémentaires à amortir sur un trafic aujourd’hui encore squelettique.

Cependant, tous les grands nœuds ferroviaires n’ont pas la chance de pouvoir disposer d’un un itinéraire alternatif : ce n’est pas demain la veille qu’on pourra éviter la traversée de Bordeaux ou de Toulouse pour relier l’Atlantique à la Méditerranée.

Comment faire évoluer la maintenance ?

Chez nos voisins allemands ou suisses, et plus loin en Autriche, la banalisation des grands axes procure des souplesses dont rêveraient les français, avec certes un investissement de départ plus conséquent sur la signalisation – encore que ERTMS pourrait offrir avec le niveau 2 une banalisation à moindre coût – mais une plus grande souplesse dans l’affectation de la capacité entre les circulations et les travaux.

En France, les installations permanentes de contresens (IPCS pour les intimes) sont encore très rares alors qu’elles pourraient assurer le plus souvent une capacité de 6 trains par heure, y compris en journée, moyennant quelques allégements de desserte. En comparaison, une ligne à 2 voies banalisées pourrait proposer une capacité de 8 à 9 sillons par heure (cas théorique de comparaison : Poissy – Vernouillet en Ile de France). La nuit, la capacité procurée par ces équipements serait déjà conséquente.

Or la tendance actuelle, défendue par les mainteneurs sous couvert de sécurité du personnel, conduit à neutraliser le trafic sur les 2 voies, dès lors qu’au moins l’une des deux est en travaux. En langage technique, une « simultanéité ». Même sur des réseaux banalisés comme en Belgique… mais rien n’est tout à fait anormal au pays du surréalisme.

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Fontainebleau  - 23 juin 2019 - De l'utilité des itinéraires alternatifs : sur le faisceau sud-est, le fret est plutôt tracé par l'itinéraire Montereau - Héricy - Melun - Corbeil - Juvisy pour accéder au triage de Valenton, mais le parcours direct via Moret est aussi mis à contribution selon la capacité disponible. Une commodité qui demeure assez rare... © transportrail

Ce type d’accommodement intéresse le mainteneur aussi pour des raisons économiques (pas besoin d’annonceurs)… mais qui pénalise les recettes du gestionnaire d’infrastructures.

L’hypothèse de concomitance entre travaux et circulation semble aujourd’hui conditionnée à la mise en œuvre de « tunnels temporaires » protégeant la zone de travaux : un investissement élevé pour des besoins en partie discutables., Chez nos voisins (hormis les belges), la cohabitation des travaux avec des trains circulant au moins à 80 voire 100 km/h ne semble pas poser de question irritante… alors que le trafic est intense. La demande est forte et les gestionnaires d’infrastructures sont prudents lorsqu’il s’agit de refuser des sillons ou d’annoncer des suppressions pour travaux.

Une question de moyens (quand même)

Entre optimisation du coût des travaux et impact sur les recettes, un nouvel équilibre sera nécessairement à trouver… mais sans inflexion sur la dotation allouée à la gestion de l’infrastructure ferroviaire, il sera difficile d’influer sur l’équilibre entre maintenance et circulation, du moins tant que le volume de travaux à réaliser restera important.

On sait que le réseau ferroviaire français est insuffisamment doté : l’audit de 2018 de l’état du réseau montre qu’il manque environ 520 M€ pour le réseau principal et l’état des lieux sur les lignes de desserte fine du territoire augmente de 700 M€ ce déficit de ressources. En 2018, la France investissait en moyenne 40 € / an / habitant pour son réseau ferroviaire. Deux fois moins qu’en Allemagne, dont le réseau n’est que de 12% plus étendu qu’en France. Trois fois moins qu’au Royaume-Uni. Ne parlons pas de la Suisse : 365 € / an / habitant, 13 MM CHF pour l’évolution du réseau d’ici 2035 sur un territoire grand comme l’ancienne Région Rhône-Alpes…

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Si aujourd’hui, les investissements portent d’abord sur le renouvellement, en raison du retard accumulé depuis plus de 30 ans, le statu quo ne sera assurément pas suffisant : répondre aux besoins des grandes métropoles, augmenter le report de l’avion vers le train, notamment avec la création de quelques liaisons à grande vitesse supplémentaires, et reconquérir le transport de marchandises impliqueront des investissements massifs en faveur du chemin de fer et donc des choix politiques forts.

Rappelons encore une fois les conséquences dramatiques du scandaleux naufrage de l’écotaxe (au moins 800 M€ par an), Evoquons aussi les exemptions de taxe sur le kérosène dont bénéficie le transport aérien et les subventions accordées à des aéroports au trafic (au total 4 MM€) au mieux faible sinon insignifiant… ou encore les 8 MM€ d’exonérations de taxes sur le gasoil dont bénéficie le transport routier : une lecture écologique – et on serait tenté de dire éco-logique – de l’utilisation des ressources de la nation devrait arriver à dégager des budgets en faveur du chemin de fer, en réduisant ces avantages. L'annonce au cours de l'été 2019 d'une écotaxe sur les vols au départ de la France (hors Corse et Territoires d'Outre-Mer) semble un premier pas mais timide car avec une recette évaluée à 180 M€ par, la mesure relève du symbole...

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Graveson - 16 mars 2010 - La vallée du Rhône a la chance de disposer de deux voies ferrées parallèles, dont l'une est un quasi-désert. Pendant ce temps, le trafic de poids lourds sur les autoroutes A7 et A9 continue d'augmenter... en dépit d'un mouvement amorçant peut-être une relance du transport combiné. Mais sans incitation et sans contrainte accrue sur le transport routier, difficile en l'état actuel de concrétiser les intentions... © transportrail

Reste à faire évoluer la grille d’évaluation des projets, qui aujourd’hui favorise un statu quo incompatible avec les enjeux que nous venons d’exposer. Sans verser dans des extrêmes tels qu’on les a connus avec le projet de SNIT de 2011, il faudra probablement faire évoluer l’appréciation des investissements à l’aune de critères sociétaux et environnementaux qui devront peser – un peu - plus lourd que les logiques de court terme qui prévalent actuellement, surtout quand il y a en face des réalités tangibles : des circulations supplémentaires plutôt que des incantations ou la possibilité de limiter l’impact sur les recettes de circulaion quand des travaux sont nécessaires.

Dernier facteur et non des moindres : le chemin de fer aura besoin de ressources humaines, en amont pour les études et en aval pour la mise en œuvre des projets ! Et pour qu’elles soient opérationnelles, il va falloir anticiper plus qu’aujourd’hui encore, car l’allongement des délais, qui suscite souvent de fortes critiques des élus régionaux, co-financeurs incontournables (car fréquemment majoritaires) des projets, procède souvent d’une saturation des ressources d’études à la SNCF mais aussi dans les ingénieries privées, et d’un renouvellement des générations qui – surtout à la SNCF - a généré quelques pertes de compétence comme on a fermé – souvent un peu trop vite - certaines lignes…

Conclusion : un risque de surchauffe ?

Il semble assez évident que le cumul des trois demandes principales (longue distance, local et fret) est une source importante de conflit dans l’arbitrage entre candidats car la capacité du réseau français reste moyenne, parfois médiocre et altérée par d’importants besoins de maintenance qui, pour des raisons de tensions budgétaires, obèrent la capacité de circulation. C’est aussi la résultante d’un sous-équipement du réseau : la démarche Réseau Haute Performance, avec ERTMS en tête d’affiche, est censée rattrapée ce retard, mais il faudra être patient et surtout consentir à d’importants investissements sur l’infrastructure et le matériel roulant. Il faudra aussi en passer par des investissements plus conséquents encore, en infrastructure nouvelle mais aussi sur une évolution des méthodes de maintenance.

Le report modal sur ces trois grands domaines aura assurément un coût élevé… et on ne sent pas vraiment émerger une position forte pour financer durablement un vaste « Plan Rail » à l’échelle nationale – et malheureusement encore moins européenne - afin de relever ces défis économiques, énergétiques, sociétaux et environnementaux.

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