Autocars de ligne : les recettes du ministère pour justifier la libéralisation
Comment justifier la libéralisation des lignes d'autocars en France en faisant croire qu'elle sera un progrès, une liberté âprement conquise et une mesure sociale en faveur de l'emploi et du pouvoir d'achat, rien que tout ça ma bonne dame (ou mon bon monsieur, rayez la mention inutile) ? En grossissant le trait, car c'est bien connu, "plus c'est gros, plus ça passe". La loi "Mobilités pour tous" est un véritable florilège de désinformation... volontaire ?
Voici ce que mentionne la présentation du projet de loi :
"Les articles 2 et 3 prévoient l’ouverture de lignes de transports collectifs réguliers non urbains par autocar. Le développement de ce mode de transport, performant en termes de coûts, plus écologique et plus sûr que l’utilisation d’un véhicule individuel, sera un facteur de mobilité important pour les plus jeunes et les voyageurs les plus sensibles au prix des transports. Il contribuera au resserrement du maillage territorial et aux développements de nouvelles offres sur les liaisons les plus fréquentées et sur celles mal desservies par les autres modes de transports collectifs.
L’article 2 insère à cette fin une nouvelle section dans le code des transports, intitulée « Services librement organisés ». Le I du nouvel article L. 3111-17 prévoit la possibilité pour les entreprises de transport public routier de personnes d’assurer à leur initiative toute desserte interurbaine. Le II du même article permet aux autorités organisatrices de transport, après avis conforme de l’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), de limiter ou d’interdire ces services afin de préserver l’équilibre économique des services publics qu’elles organisent. L’article L. 3111-18 prévoit la possibilité de saisir de l’ARAFER pour les AOT comme pour les entreprises. Enfin, l’article L. 3111-19 précise que ces dispositions seront applicables en Ile-de-France."
D'abord, l'emploi. Le ministre de l'économie ne manque pas de faire du larmoyant et de nous jouer un - mauvais - remake des Misérables, en nous expliquant que cette mesure permettra de créer des emplois de conducteurs afin de proposer des perspectives de reclassement aux conducteurs de poids lourds en sureffectif du fait de l'atonie de la croissance économique. Comme si c'était la seule perspective. Au hasard, et pour se limiter au cas parisien, la RATP lance une campagne de recrutement de 1000 machinistes d'autobus pour répondre aux besoins de développement de l'offre et au renouvellement générationnel. 1000 à Paris, mais combien en France en se limitant aux 10 ou 15 réseaux urbains "majeurs" du pays ?
Ensuite, l'écologie. Par on ne sait quel miracle - mais que fait le Vatican ? - technologique, les autocars, toujours mus par des moteurs Diesel, sont parés de toutes les vertus environnementales. Alors certes, les nouvelles motorisations font de conséquents progrès en matière de consommation et de gestion des émissions de particules. C'est indéniable. Mais quand la SNCF rappelle que les autorails modernes qu'elle exploite, financés par les Régions, rejettent moins de CO² par voyageur transporté qu'un nombre d'autocars permettant de comparer à capacité égale, l'Etat se borne à répondre que "les autocars sont écologiques". C'est le sketch de Coluche du Qui perd perd : "Quelle est la différence entre un pigeon ?"
Pas un mot non plus sur la contribution de ces compagnies d'autocar à l'entretien du réseau routier hors autoroutes concédées. C'est le contribuable qui paie de toute façon...
Pas une ligne non plus sur les conséquences sur l'équilibre économique des dessertes ferroviaires TER ou TET. Pourtant une question est simple : en Allemagne, 8 millions de passagers annuels sont passés en 2013 des trains de la DB aux autocars de différentes compagnies pour 2 milliards de voyageurs transportés, mais ce chiffre inclus toutes les activités voyageurs du groupe, y compris les S-Bahn, sur un réseau qui est en bon état et qui fonctionne à peu près correctement. 8 millions pour 2 milliards, c'est peu : 0,4 %. Mais la comparaison s'effectue sur toutes les activités voyageurs de la DB. Et si on enlève les trafics urbains (S-Bahn) pour avoir une comparaison sur des bases comparables ?
Les itinéraires cités en référence, pour expliquer que l'offre ferroviaire n'est pas adaptée, font aussi sourire puisqu'ils ne font que refléter les méfaits de l'Etat autorité organisatrice.
- Clermont Ferrand - Périgueux : mais l'Etat n'est-il pas autorité organisatrice des TET Lyon - Bordeaux ?
- Clermont Ferrand - Toulouse : liaison interrégionale malmenée par les piètres performances ferroviaires dues au sous-investissment de l'Etat préférant développer les autoroutes ;
- Caen - Toulouse : la liaison vers Tours se résume à un seul TET par jour pour récupérer le TGV : encore un cas de mauvaise gestion de l'Etat autorité organisatrice ;
- Caen - Rennes : même problème que Clermont - Toulouse, les Régions ont récupéré des liaisons fragilisées par une infrastructure obsolète ;
- Brest - Perpignan : oui, mais quel trafic ?
- Cherbourg - Nantes : objectivement, le car peut être une solution vu que le train impose soit un passage par Paris, soit de changer à Caen et au Mans, ou à Lison et Rennes ;
- Besançon - Metz : le volume de desserte ferroviaire entre Dijon, Nancy et Metz est faible, ce qui rend les correspondances peu efficaces ;
- Bordeaux - Lyon : c'est le pompon puisque qui a supprimé les liaisons ferroviaires ?
Autre élément croustillant dans l'étude d'impact : l'autocar est un vecteur d'égalité homme-femme car les femmes sont en moyenne moins motorisés que les hommes. Comble du cynisme, la même étude affirme doctement que "l'autocar est un moyen de transport privilégié quand on a du temps devant soi donc qui peut potentiellement bénéficier à la population retraitée" et ajoute un couplet larmoyant sur le sort des veuves dépourvues du permis de conduire en milieu rural. S'il est vrai que ces personnes ont une mobilité mécaniquement plus faible que celles qui disposent de leur permis de conduire, est-ce un argument à présenter au Parlement pour justifier le projet. Quand on en est là, c'est qu'on n'a pas grand chose de sérieux !
Passons à l'aspect écologique. L'étude s'appuie sur les chiffres diffusés par la Fédération Nationale du Transport de Voyageurs. 0,023 g de CO² par voyageur-kilomètre en autocar et 0,028 en train. La SNCF donne des chiffres radicalement différents :
- 10,2 g par voyageur-kilomètre sur un train Intercités
- 3,4 g sur un TGV
- 30 g sur un TER
- 41,7 g sur un IDBUS
"Le langage des fleux a ceci de ceci de commun avec le langage des chiffres : c'est qu'on leur fait dire ce qu'on veut". (Michel Audiard). Il y a manifestement un décalage, d'autant plus flagrant que sur son site, la SNCF publie des chiffres du ministère de l'écologie tablant sur 171 g de CO² pour un autocar interurbain Au ministère britannique des transports, les chiffres donnés sont de toute autre nature : 60 g de CO² par voyageur-km en train contre 89 g en car : en volume, les chiffres sont nettement supérieurs à ceux de la SNCF car le réseau ferroviaire britannique est peu électrifié. En revanche, le ratio est clairement favorable au train. L'éco-comparateur de l'ADEME, testé pour un aller simple de 500 km donne 29,25 kg de CO² pour l'autocar, 11,5 kg pour le train classique et 6,5 kg pour le TGV. Sur un trajet de 250 km, l'autocar émet encore 42% de CO² que le plus défavorable des trains en supposant un TER.
Conclusion, le gouvernement ne semble pas savoir quoi inventer de plausible pour motiver la création des "Macron Express" dont les justifications sont plutôt à trouver du côté du lobbying des transporteurs routiers et de la volonté de contourner le mammouth social qu'est la SNCF...