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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires
report modal
24 mars 2022

Spécial présidentielle : le débat TDIE-Mobilettre

Exercice salutaire, mais destiné à un petit cercle d’initiés alors qu’il est en réalité assez central dans les grands enjeux sociétaux, le débat organisé par TDIE et Mobilettre n’a pas véritablement été l’occasion de grandes surprises.

Du côté des sortants, l’autosatisfaction restait de mise mais le flou régnait sur la suite. Abstrait ou surréalisme, on vous laisse choisir. Pour Emmanuel Macron, Fabienne Keller s’est refusée au bilan et aux perspectives. De là à considérer que c’était « parler pour ne rien dire »… mais cela en dit long, une fois de plus, sur un exercice un peu trop personnel du pouvoir, par quelqu’un dont on sait qu’il n’a pas vraiment le service public ni les questions écologiques chevillées au corps. Décidément, ce quadragénaire est un peu « old school » dans sa tête…

Du côté des prétendants qui avaient répondu favorablement (tous ne sont pas dans ce cas), ce n’était pas forcément beaucoup mieux. Seule convergence sur la question ferroviaire, reprenant presque à l’unisson le diagnostic de l’ART. Mais pour ce qui est des solutions, la plupart des représentants des candidats ont été évasifs. Philippe Tabarot pour Valérie Pécresse mettait en avant la fusion des livrets d’épargne à destination des investissements « verts ». Une proposition qui avait le mérite d’être clairement exprimée, contrairement aux autres. En matière de transports urbains, il était plus question de financement d’aménagements pour les vélos et de développement des voitures électriques que d’amélioration des services publics. Seul Olivier Jacquin, pour Anne Hidalgo, évoqua la baisse de la TVA sur les transports publics et le train longue distance : la mesure a toujours été refusée. Elle a été appliquée avec succès en Allemagne. Pour Yannick Jadot, David Belliard a renvoyé bien des questions à une « grande convention » pour financer les mesures de son candidat.

Conclusion : plus le temps passe, plus les échéances se rapprochent, plus la classe politique française semble inapte à embrasser l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et les modalités de mise en œuvre. Même les « têtes de gondoles » des différents programmes apparaissent bien vides. Autant dire qu’on n’a pas forcément envie d’aller voir dans les rayons. Il est donc fort probable que ce soit encore un quinquennat « pour rien ». Cela devient grave.

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7 mars 2022

Spécial présidentielle 2022 : le constat

C'est parti : les candidats à l'élection présidentielle ont donc été officialisés par le Conseil Constitutionnel.

Sans surprise, les questions relatives aux transports, à l'aménagement du territoire et à la réduction des gaz à effet de serre ne sont pas vraiment en première ligne. Jusqu'à présent, le débat a été radicalement orienté par certains candidats sur le lien entre migrations, religions et sécurité. La dramatique actualité ukrainienne bouscule, sinon neutralise, la campagne. Et pourtant, comment ne pas rappeler que, si nous avions engagé une stratégie énergétique moins dépendante aux énergies fossiles, nous serions un peu moins dépendants du gaz russe (même si la France est probablement le pays européen dans la situation la moins inconfortable) ? Le sujet est presque aussi vieux que la présence de M. Poutine sur le fauteuil du Kremlin...

La guerre dans l'antichambre de l'Europe (au sens communautaire) est une préoccupation réelle : c'est indéniable. Il faudra quand même réussir à essayer d'évoquer d'autres sujets. L'actualité, surtout quand elle est d'une violence inédite, rend amnésique.

Pourtant, la pandémie a révélé les faiblesses de notre système de santé. Mais finalement, hôpitaux, écoles, police, justice et transports ont un point commun : une situation de fragilité, principalement le fait d'une approche dans laquelle la composante financière écrasait la dimension qualitative autour de l'efficacité du service rendu à la collectivité. En ce sens, l'état du réseau ferroviaire est finalement très cohérent avec la situation de nos hôpitaux ou de nos établissements scolaires. Bercy voit ce que cela coûte... moins ce que cela peut rapporter.

Situation assez comparable dans le secteur énergétique, avec le projet de relance de la filière nucléaire par M. Macron. Depuis le tournant de 1997 avec l'abandon par le gouvernement Jospin du projet de surgénérateur de Creys-Malville (Super-Phénix), la France n'a-t-elle pas un peu trop baissé la garde ? Les difficultés autour du projet EPR à Flamanville révèlent aussi d'une certaine façon la perte partielle d'un savoir-faire industriel stratégique (ne serait-ce que pour gérer la fin de vie des équipements existants si on décidait de s'en passer) qui va prendre du temps à être réamorcé. Encore une illustration d'un mécanisme voisin du problème des grands services publics.

Oui, l'ordre mondial est bouleversé comme jamais depuis la deuxième guerre mondiale. Le défi de cette campagne électorale serait d'être capable d'aborder sérieusement le court terme autour de la guerre en Ukraine et un autre péril, avec lequel on semble devoir s'accommoder ou se résigner, lié aux émissions de gaz à effet de serre. Les candidats en seront-ils capables ?

Pourtant, il y a de quoi être inquiet. La réduction de 55% de nos émissions par rapport au niveau de 1990 ne sera pas atteinte en 2030 contrairement aux engagements français. La neutralité carbone en 2050 devient de moins en moins probable. L'actualité prouve une fois de plus que notre dépendance aux énergies fossiles importées peut nous mettre en grave difficulté. Et pourtant, les solutions sont en grande partie connues : la maîtrise de la consommation d'énergie ne reposera pas uniquement sur les développements technologiques mais aussi sur une plus grande frugalité au quotidien. Les transports représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre mais la réduction des émissions dans ce secteur impose une démarche croisée avec l'aménagement du territoire, la stratégie industrielle et l'évolution des comportements individuels. On ne compte plus les milliers de page rédigées sur ce sujet depuis 30 ans, tant pour démontrer l'efficacité que pour inciter à aller encore plus loin.

Au cours de ce quinquennat, les transports n'ont existé qu'au travers de quelques messages chocs et souvent contradictoires dont on peine à trouver la cohérence et l'efficacité des orientations. Il est malheureusement probable qu'on restera sur notre faim à l'issue de la séquence électorale de ce printemps... et probablement à l'issue de la prochaine mandature.

POST-SCRIPTUM : voir le sondage des candidats réalisé par la FNAUT.

22 février 2022

Les opérateurs pour un plan d'investissement européen

24 dirigeants d'entreprises ferroviaires européennes, emmenés par le président du groupe SNCF, ont appelé le 20 février dernier à un grand pacte ferroviaire pour accroître l'attractivité du chemin de fer par un plan massif d'investissement européen, destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux trasnsports. La tribune a été publiée en France dans Le journal du dimanche (en accès payant : en voici les morceaux choisis par Le Monde).

Il est diffcile de ne pas lier cet appel et l'actualité franco-française sur l'insuffisance des investissements dans le projet de contrat Etat - SNCF Réseau... 

10 février 2022

Transports et mobilités : une prospective à 40 ans

France Stratégie et le Commissariat Général à l’Environnement et au Développement Durable ont publié une série de documents de prospective sur les transports et les mobilités à horizon 2040-2060, au regard des objectifs de neutralité Carbone à horizon 2050. Le rapport de synthèse, d’un peu plus de 70 pages (hors annexes) est complétée de rapports thématiques approfondissant les différents domaines. Qu’en retenir ? (en italiques : nos commentaires). La tâche est délicate car isoler ce qui est principalement une conséquence d'une organisation territoriale, politique et économique n'est pas simple, à tel point qu'on a du mal à identifier clairement les objectifs à atteindre en matière de déplacements, sachant qu'il faudra distinguer ce qui relève du report modal des flux existants et ce qui est de l'augmentation des déplacements en privilégiant des modes vertueux. Exercice intellectuellement complexe !

« Gouverner c’est prévoir »

… et on serait tenté de dire « planifier » car il reste un peu plus d’un quart de siècle pour atteindre l’objectif. Or la chronique 1997-2019 montre qu’on a plutôt pris le chemin inverse : les émissions directes liées aux déplacements de biens et de personnes ont augmenté de 15% et l’empreinte carbone de 21%. Moralité, la pente est encore plus rude pour les années à venir.

Changer la motorisation des voitures ne fera pas tout

Croire que passer de voitures thermiques à des voitures électriques sans remettre profondément en cause l’usage du transport individuel motorisé est un leurre, ne serait-ce que par les incertitudes autour de l’efficacité de certaines solutions. La voiture restera un mode de transport important, mais dont l’usage devra être redéfini, en complément des transports en commun et du vélo. La cible est donc un peu moins « la voiture » que « l’autosolisme ». Ce ne sera pas évident et c'est peut-être une limite de cette analyse, orientée sur l'usage et qui peut avoir tendance à négliger le besoin. Nous y revenons par la suite.

Néanmoins, le passage à la motorisation électrique ne se limite pas à la conversion du parc. Comme la voiture à essence n’a pu se développer qu’avec des réseaux de distributeurs de carburant, la voiture électrique a besoin d’un réseau dense de bornes de recharge. Voilà qui rejoint la question centrale de l’approvisionnement énergétique français.

La routine est une facilité : rendre désirable un futur différent

L’évolution des comportements de la population n’est envisageable qu’à condition de créer les conditions de l’accompagnement, de montrer qu’un autre chemin est possible, organisé, valorisant et donc désirable. Il faut donc tenir compte des contraintes des différentes situations : que ce soit le revenu des ménages (car la part des transports a tendance à être d’autant plus forte que le revenu est faible) ou la localisation. Les solutions applicables en cœur de grande métropole ne le sont pas forcément dans un bourg de 1500 habitants de moyenne montagne. 

Comme évoqué dans le point précédent, il sera donc essentiel de bien comprendre les besoins de déplacement, notamment afin d'identifier le socle incompressible de déplacements pour lesquels l'automobile constituera la solution de référence, soit à défaut d'alternatives soit parce qu'elle se révèle la plus adaptée à certains usages. Par conséquent, au-delà des usages, c'est donc la capacité à influer sur les besoins (d'auto-mobilité, pas de déplacement) qui devra être le fil d'ariane de cette démarche... et c'est loin d'être la tâche la plus facile. Pourtant elle est essentielle pour positiver des évolutions comportementales.

Il va falloir faire durer les véhicules

L’évaluation, non pas sur les émissions directes liées à l’usage mais sur une empreinte carbone complète incluant la fabrication des modes de déplacement, amène à privilégier une augmentation de la durée de vie des mobiles de déplacement. Le rapport estime que l’usage moyen d’une automobile devra être de 300 000 km, tout en recherchant un allègement conceptuel pour limiter la consommation et la quantité de matériau nécessaire à sa construction. Cela donne un avantage assez naturel aux véhicules de transport collectif, en particulier ferroviaire : un tramway, un métro et un train peuvent durer au moins 40 ans.

Oui, le transport individuel coûtera – beaucoup – plus cher

C’est incontournable : le signal-prix est un facteur central mais non exclusif. L’augmentation de la valeur de la tonne de carbone devra se répercuter dans l’usage des modes de transport en fonction de leur efficacité énergétique. La voiture et l’avion devront donc coûter plus cher, mais il faudra veiller à ce que cette inflation prenne en compte la diversité des situations, par rapport au revenu des ménages (les transports pèsent d’autant plus lourd que le revenu est faible) et leur localisation (et donc in fine leur intensité d’usage contraint du transport individuel selon le niveau d’offres de transports en commun disponible).

Les estimations de valorisation de la tonne de CO² varient de 250 à 750 € pour les scénarios misant le moins sur la contrainte financière... mais peuvent dépasser 12 000 € s'il ne fallait compter que sur le signal-prix.

Les transports en commun, élément essentiel de la stratégie

Si la contrainte sur le déplacement individuel motorisé devra forcément être « maximale », elle ne sera acceptable qu’à condition de proposer des offres de transport alternatives crédibles : les transports collectifs urbains et interurbains sont évidemment au cœur d’un scénario compatible avec l’atteinte de la neutralité carbone, mais il faudra investir de façon extrêmement massive : BHNS, tramways, métros, modernisation et développement du réseau ferroviaire (pas seulement à grande vitesse), autocars là où le train ne va pas, le tout dans un système multimodal organisé efficient, incluant les transports individuels en rabattement, qu’il s’agisse de la voiture (en développant le covoiturage en zone dense et l’autopartage en zone rurale) ou du vélo.

Accompagner une rupture radicale dans l’aménagement du territoire

Il n’est pas possible d’agir efficacement sur les modes de transport sans requestionner le modèle spatial français. Le développement soutenable des transports en commun, urbains comme interurbains, suppose une certaine densité de population et d’activités sur les axes desservis. Cela emporte donc des choix radicaux en matière d’urbanisme, pour stopper le modèle extensif qu’on connaît depuis l’après-guerre, en développant une notion de densité durable, écologiquement soutenable et sociologiquement acceptable, à l’interface entre les aspirations à des logements de qualité, spacieux, économiquement accessibles et une organisation compatible avec une desserte de qualité par des réseaux de transports collectifs.

La question se pose aussi hors des grands centres urbains, où la dépendance à la voiture est la plus forte. Il faudra d’abord s’appuyer sur les petites villes de 10 000 à 50 000 habitants pour mieux structurer le territoire et diversifier l’offre de logements, de services, d’activités pour resserrer un maillage que la métropolisation a distendu, avec pour effet d’augmenter et l’allonger les trajets. En dessous de 10 000 habitants, les espaces ruraux devront aussi accomplir leur transformation en misant sur des évolutions dans le cadre d’une continuité de bâti et une valorisation de l’existant, pour éviter l’éparpillement des populations, facteur d’augmentation des distances parcourues, de plus en plus en voiture du fait du vieillissement de la population.

C'est donc bien par une action combinant la décarbonation du transport individuel et la création d'un faisceau de conditions permettant d'en réduire l'usage au juste besoin (intermodalité, coordination étroite entre transports collectifs et aménagement du territoire), le tout en tenant compte de la diversité des situations sociales et géographiques, qu'on pourra ainsi envisager d'approcher sinon d'atteindre l'objectif de neutralité carbone dans le domaine des déplacements. Et on sait désormais à quel type de réponse on se heurtera si les gouvernements n'agissent que sur un seul critère (au hasard le prix de l'usage de la voiture)... Qui plus est, certains scénarios étudiés par France Stratégie sont explosifs, assumant une marginalisation accrue de certains territoires ruraux. Cela signifie que l'action territoriale est nécessaire mais aura ses limites... et que d'autres facteurs devront évoluer encore plus fortement, comme par exemple le report modal.

Et le fret

Ce rapport aborde également le transport de marchandises, avec là encore un enjeu de report modal dans une organisation logistique plus vertueuse, dans laquelle le transport routier tient lui aussi une place centrale, mais avec des dimensions particulières. La décarbonation du transport des marchandises va lui aussi au-delà des propositions classiques sur la motorisation des camions, qui conservent un rôle central, mais dans une chaîne logistique multimodale, et un report accru vers le transport ferroviaire. Il touche des sujets d’actualité, notamment une relance industrielle pour réduire les distances entre la production et les consommateurs, mais aussi pour reprendre la main sur des secteurs stratégiques, mis en exergue avec la survenance de cette crise sanitaire.

Faire payer les livraisons

L’explosion du commerce en ligne a pour conséquence directe un mouvement similaire sur les livraisons. Or derrière le commerce en ligne, il y a beaucoup de mouvements, des kilomètres parcourus et donc des émissions de CO². Commercialement, la livraison gratuite est une politique destinée à capter la chalandise, qui revient à « socialiser » les coûts induits, notamment environnementaux. La livraison à domicile est un service qui a un prix, et un coût écologique. Le rôle accru de la valeur du carbone dans l'économie aura donc pour incidence d'amener à une taxation des livraisons au regard de leur impact écologique, pour inciter le consommateur à un peu plus de réflexion. Il ne s'agit donc pas de bannir, mais de questionner et responsabiliser : se faire livrer une pizza par un scooter alors que la pizzeria est à 500 m de chez soi, est-ce responsable ? 

La SNCF emboîte le pas

On peut retenir notamment que, du fait d'incertitudes multiples sur les motifs de déplacements, leur nombre, les distances parcourues, l'efficacité des ruptures technologiques, et les évolutions d'aménagement du territoire, le report modal semble une valeur sûre et que, par précaution, plus l'usage des transports en commun  urbains et interurbains, routiers et ferroviaires, sera important, plus le trafic de marchandises passera par la voie ferrée, plus la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements sera importante.

Au lendemain de l'avis de l'ART flinguant le projet de contrat Etat - SNCF Réseau, cette analyse apparaît comme une bouffée d'air salutaire pour le ferroviaire. Le président du groupe SNCF, M. Jean-Pierre Farandou, publie pour sa part, sur le site de la Fondation Jean Jaurès, un appel au doublement du transport ferroviaire (en nombre de voyageurs et tonnes de marchandises) à horizon 2030. Il permettrait de réaliser entre un quart et un tiers de l'objectif de réduction des émissions du secteur des transports à cette échéance, en cohérence avec la cible de neutralité carbone en 2050. Mais nous sommes déjà en 2022, ce qui veut dire qu'il va falloir redoubler d'efforts pour renouveler, moderniser, développer le réseau ferroviaire et l'intensité de son usage. La tribune de M. Farandou est savamment formulée car elle met en avant l'action de l'Etat sans jamais souligner les incohérences : juste préconise-t-il de porter le niveau d'investissement de la Nation dans le domaine ferroviaire au niveau de l'Allemagne, soit entre 8 et 9 MM€ par an. C'est-à-dire une trajectoire radicalement opposée à celle du projet de contrat.

9 février 2022

L'ART étrille le projet de contrat Etat - SNCF Réseau

C'est pour la beauté du geste car il est tout de même fort peu probable que cet avis ait la moindre influence sur le contenu de ce contrat. L'Autorité de Régulation des Transports semble elle-même convaincue et donne déjà rendez-vous en 2024 à la prochaine révision de ce contrat.

Mais quand même, à 6 semaines du premier tour de l'élection présidentielle, dans une campagne où le sujet est totalement sous les radars de l'actualité, la parution aujourd'hui de l'avis sur le projet de contrat Etat - SNCF Réseau 2021-2030 ne manque pas de sel. Celui sur le budget 2022 de SNCF Réseau, publié la semaine dernière, constituait en quelque sorte une mise en bouche. Alors comptons les banderilles :

  • si l'assainissement de la situation financière de SNCF Réseau est nécessaire, le contrat rendu caduc par la réforme ferroviaire de 2018 n'avait pas répondu aux objectifs fixés par le législateur au moment de son élaboration ;
  • la vision financière proposée par le projet de contrat ne fait pas une stratégie durable pour SNCF Réseau ;
  • il n'y a aucune vision-cible de la consistance et de la performance du réseau ;
  • la dotation de renouvellement et le budget de modernisation sont si insuffisants - l'ART évoquant une paupérisation du réseau - qu'ils sont non seulement en totale contradiction avec les ambitions affichées par l'Etat de doublement de la part modale du fret ferroviaire et du nombre de voyageurs transportés, mais aussi de nature à dégrader sa consistance, sa performance, donc ses recettes... bref, une spirale dans la plus pure orthodoxie du malthusianisme ;
  • le financement de l'infrastructure procède toujours d'abord d'une ponction de plus en plus élevée sur ses utilisateurs via les péages (dont l'augmentation est de longue date jugée insoutenable par l'ART), à laquelle s'ajoutent des transferts de bénéfices entre SNCF Voyageurs et SNCF Réseau (plus de 900 M€ par an dès 2024, soit plus du tiers du budget de renouvellement). Est-il normal - et sain - que le financement du renouvellement de l'infrastructure incombe à un de ses utilisateurs ? ;
  • paradoxalement, le contrat prévoit une hausse très soutenue des trafics (on n'est pas à une contradiction près) ;
  • le projet de contrat fixe des objectifs de productivité en valeur, sans référence au niveau de réalisations industrielles, et sans mécanismes incitatifs : le niveau de la performance financière est donc mal défini... et donc impossible à suivre ;
  • les recommandations formulées par l'ART en 2019 pour l'élaboration du nouveau contrat n'ont pas été - ou très peu - prises en compte par l'Etat.

Sous-titré « développer l’usage du train », le projet de l'Etat est considéré comme un « contrat d’assainissement financier […] mais derrière cela, il n’y a aucune ambition industrielle ». Auditionné par le Sénat, le président de l’ART dénonce « un contrat de performance qui est finalement le contraire d’une performance ». Les grandes ambitions déclamées par l’Etat ne sont donc qu’un nuage de fumée : qui en doutait encore ? Notez que de longue date, à transportrail, nous refusons de parler de « contrat de performance », en utilisant la terminologie « contrat Etat - SNCF Réseau ».

M. Roman peut se permettre un jugement aussi radical puisqu’il arrive en fin de mandat : « Derrière les grandes ambitions affichées, les moyens ne sont pas assurés », évoquant « des situations industriellement pesantes pour l’avenir du réseau ferroviaire ».

Bien évidemment, avec une dotation de 2,8 MM€ pour le renouvellement (et à peu près autant pour l’entretien), on est très loin des besoins minimum pour assurer la pérennité du réseau structurant, ce qui fait mécaniquement courir le risque d’une dégradation de sa performance, en particulier sur les lignes UIC 5 et 6 (environ 6500 km). Quant aux lignes de desserte fine du territoire, si le projet de contrat prévoit une trajectoire d’investissement de 600 M€ par an, elle est inférieure aux besoins (qui peuvent culminer à plus d’un milliard par an), et le financement relève principalement du premier client de ces lignes - les Régions – et non du propriétaire (l’Etat).

Autant dire qu’essayer de parler de modernisation dans ce contexte est totalement illusoire.

Pour conclure de façon très synthétique : rouvrir Epinal – Saint Dié, relancer quelques trains de nuit, le train des primeurs et promettre quelques lignes nouvelles en ouverture d’une grande séquence électorale nationale ne fait pas une politique ferroviaire digne de ce nom dans un contexte d’urgence à l’efficacité en vue de la neutralité carbone à horizon 2050. En cela, la « nouvelle » politique dont on nous parlait en 2017 ressemble vraiment à l’ancienne… mais en pire !

POST-SCRIPTUM

On sent un peu l'embarras du ministre des Transports dans la presse suite à cet avis : « On est au milieu du chemin », affirmant être en phase avec le président du groupe SNCF sur l'objectif de doublement des trafics d'ici 2030. Pour autant, il ne semble pas être en mesure d'infléchir la tendance à la baisse des investissements de ce contrat. De son côté, le président de SNCF Réseau, auditionné au Sénat, a considéré que le contrat ne permettait pas le doublement des trafics. Mais pour autant, qui osera voter contre lors du prochain Conseil d'Administration de SNCF Réseau (hormis les représentants syndicaux évidemment), au risque de matérialiser une crise entre l'Etat et ses entreprises publiques ? Manifestement, M. Lallemand semble satisfait mais les efforts de productivité qu'il annonce reposent sur des modernisations qui sont exclues du contrat. Il écarte également toute révision à la baisse des péages, qui représentent 86% du chiffre d'affaires de SNCF Réseau, et estime que les opérateurs peuvent encore soutenir la hausse demandée, de 50% sur 10 ans. Ce n'est pas du tout l'avis de l'ART...

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29 novembre 2021

L'UTP présente un manifeste pour les transports

« Donnons enfin la priorité aux transports publics et ferroviaires ». Tout est dit dans le titre de ce manifeste présenté le 10 novembre dernier par l'Union des Transports Publics et dont l'objectif est de sensibiliser les prétendants à l'Elysée à ce sujet qui semble bien loin des préoccupations actuelles des candidats déclarés ou supposés.

Les 20 mesures préconisées sont résumées dans ce document, auquel nous ne pouvons que souscrire.

30 octobre 2021

GPSO : Bordeaux veut bloquer le projet

Le devenir du projet de lignes à grande vitesse de Bordeaux vers Toulouse et Dax est en train de remettre en évidence d'importants clivages politiques. Déjà, le propos de M. Gilles Savary le 16 octobre dernier dans Sud-Ouest, évoquant un « anachronisme financier, écologique et social » avait envoyé une première salve. Il a été rejoint dans des termes voisins par M. Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, provoquant une réaction quelque peu courroucée de M. Alain Anziani, président de la Métropole bordelaise.

M. Savary compare le trafic longue distance en France avec une seule ligne de RER francilienne. Cela montre qu'on peut prendre 2 chiffres et leur faire dire ce qu'on veut. Il faut avoir de l'audace pour considérer comme un anachronisme écologique le fait de réaliser les investissements destinés à accélérer le train et réduire significativement l'usage de l'avion sur les liaisons Paris - Toulouse et Bordeaux - Marseille. M. Savary n'était-il pourtant pas voici quelques années un soutien majeur à la LGV Tours - Bordeaux ?

Qui plus est, les aménagements connexes à la ligne nouvelle (de Bordeaux à Saint Médard d'Eyrans et de Castelnau d'Estrétefonds à Toulouse) sont destinés à augmenter la capacité du réseau pour favoriser le développement du RER de Bordeaux et du RER de Toulouse. Or les opposants les plus farouches à la LGV Bordeaux - Toulouse en viennent aussi à vouloir bloquer ces aménagements considérés comme un cheval de Troie de la ligne nouvelle.

M. Hurmic, après avoir considéré qu'au-delà de 2 heures de trajet, le train perdait de sa pertinence (ce que la réalité du marché infirme radicalement), met en avant des alternatives avec des trains circulant à 250 km/h sur la ligne existante aménagée. Vieux débat qui refait surface mais dont les applications sont ici très contrastées et pour partie largement contestables. La ligne existante entre Bordeaux et Toulouse dans la vallée de la Garonne est aujourd'hui circulable à des vitesses comprises entre 130 et 160 km/h selon les sections. Pour relever la vitesse à 250 km/h, il faudrait reprendre son tracé sur une grande partie du linéaire car le profil en courbe actuel est totalement incompatible avec la pratiques de telles vitesses, même en supposant un matériel pendulaire. Ces reprises aboutiraient donc de fait à des sections nouvelles hors du tracé existant.

M. Hurmic annonce un écart de 22 minutes entre le temps de trajet Bordeaux - Toulouse via la LGV ou via la ligne existante. Voici près de 10 ans que RFF - SNCF Réseau aujourd'hui - avait contesté point par point cette assertion. Sur la branche de Dax, l'écart annoncé est de 6 minutes. Il est vrai que la ligne nouvelle augmente la distance parcourue, mais la pratique des 250 km/h sur la ligne des Landes supposerait aussi d'importants travaux dont la faisabilité n'est pas nécessairement avérée, surtout sur la première partie du parcours entre Bordeaux et Biganos-Facture, où il faudra bien se résoudre à gérer la différence de vitesse entre les liaisons rapides et les dessertes omnibus vers Arcachon et Mont de Marsan, amenant inéluctablement à la création de voies nouvelles y compris en zone urbaine dense.

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Pompignan - 3 juin 2019 - Fin de parcours en vue pour la rame Duplex 854 approchant de Toulouse, sur le traditionnel site bien connu des amateurs longeant le canal latéral à la Garonne. La marge d'amélioration de la ligne classique sont bien plus faibles que certains le croient pour réduire le temps de parcours entre Bordeaux et Toulouse : des esprits manifestement mal conseillés... et probablement empreints d'un certain dogmatisme. © Ch. Vanheck

En outre, le matériel existant déjà pour les liaisons rapides  Paris - Toulouse, l'intérêt de rames spécifiques est nul : c'est un peu différent pour la transversale Bordeaux - Marseille pour la succession des Corail. L'hypothèse de rames à 250 km/h est cependant tombée à l'eau avec la définition d'un matériel limité à 200 km/h pour Paris - Toulouse et Paris - Clermont-Ferrand (les Confort 200 en cours de production par CAF). De ce fait, utiliser des TGV, qui pourraient circuler sur la LGV Méditerranée entre Manduel et Marseille (pour desservir Avignon et Aix en Provence) devient un choix technique assez pertinent du fait de l'intégration de ces agglomérations sur l'axe.

En conclusion, la ligne nouvelle Bordeaux - Toulouse est certes un projet de grande ampleur avec un coût élevé, mais c'est le ticket d'entrée pour réduire le rôle de l'avion sur les liaisons intérieures et, par ricochet, développer le trafic sur la ligne classique, notamment pour mettre en oeuvre des RER dans les deux métropoles, mais aussi favoriser le développement du trafic de marchandises. La branche de Dax est objectivement un peu plus problématique car l'amélioration de la ligne classique n'est pas totalement impensable : elle est difficile, surtout entre Bordeaux et Biganos-Facture, et elle peut générer des effets secondaires sur les autres usages (liaisons régionales, fret). Mais la branche de Dax peut prétendre à une contribution par les budgets communautaires européens, ce qui est un peu moins vrai pour la ligne Bordeaux - Toulouse.

Elle est en outre la raison pour laquelle le tracé de GPSO prévoit ce crochet par Captieux... encore qu'on ne puisse pas garantir qu'il soit possible de trouver un tracé pour une seule ligne Bordeaux - Toulouse plus près de la Garonne pour réduire le kilométrage à créer. De toute façon, le premier risque à bloquer le projet est de le retarder, pour un gain très hypothétique car un report d'une décennie - au moins ! - entraînerait mécaniquement un renchérissement du coût de l'opération.

Les propos du maire de Bordeaux ont provoqué une réplique très directe de la présidente de la Région Occitanie : Mme. Carole Delga déplore l'égoïsme de M. Hurmic et lui rappelle au passage que sa Région avait apporté 300 M€ pour financer la LGV Tours - Bordeaux, qui bénéficie à tout le sud-ouest... mais quand même d'abord à Bordeaux. Elle a été immédiatement soutenue par le président de la Région Nouvelle Aquitaine, M. Alain Rousset, mais aussi par le maire de Toulouse, M. Jean-Luc Moudenc.

Le conseil de la Métropole de Bordeaux le 28 novembre prochain promet d'être animé, et plus largement, le grand sud-ouest semble devenir le théâtre d'une résurrection d'Intervilles : on attend le « Top à la vachette ! » (landaise évidemment) de Guy Lux...

Post-scriptum : entre 2015 et 2020, le réseau routier a gagné 19 000 kilomètres supplémentaires de ruban noir... Moralité, pendant que certains créent la polémique pour un peu plus de 200 km de LGV, l'industrie du transport routier et des énergies fossiles se frotte les mains.

23 septembre 2021

Doubler le fret d'ici 10 ans ?

Il n’y a pas de raisons de ne pas gratifier aussi le fret ferroviaire d’annonces pré-électorales. Il y a en effet matière à prudence car ce n’est pas la première fois – ni la dernière ! – qu’un gouvernement annonce que cette fois-ci sera la bonne avec un plan de développement du transport de marchandises par la voie ferrée.

La stratégie nationale officiellement dévoilée

« Doubler la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 » nous fait rajeunir de plus de 20 ans, quand Jean-Claude Gayssot annonçait déjà cet objectif à horizon décennal. A l’époque, le trafic atteignait 50 milliards de tonnes-kilomètres. Il est tombé à 32 milliards depuis… et ce n’est pas le fait de la libéralisation du transport de marchandises : au contraire, cette libéralisation a permis de limiter la chute, même si certains ont longtemps fait semblant de croire qu’au contraire la libéralisation avait prouvé son inutilité puisqu’elle n’avait pas arrêté celle-ci !

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Essey et Maizerais - 20 mai 2020 - Cet UM de BB27000 circule sur la ligne de Metz à Lérouville avec un train de produits sidérurgiques, un de ceux qui reste encore en France, surtout dans le nord-est. L'effondrement de l'extraction minière et la crise des aciéries françaises a eu pour conséquence un baisse radicale des tonnages de marchandises transportés par le rail. © N. Hoffmann

La France se singularise au milieu de ses voisins européens par cette chute sans fin, il suffit de traverser le Rhin et de voir passer les trains à Freiburg pour se dire qu'un autre monde est non seulement possible mais qu'il existe, sans être dans des pays d'économie dirigée...

La stratégie présentée au cours de la Semaine de l’Innovation, du Transport et de la Logistique comprend pas moins de 72 mesures autour de 3 axes, rien que ça.

Toujours en chiffres, l’Etat vise une part de marché du rail de 18% en 2030 contre 9% en 2018 et un trafic de 65 milliards de tonnes-kilomètres contre 32 en 2019. Visant bien au-delà, l’Etat affiche également un objectif de 25% en 2050.

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Perrigny sur Armençon - 16 juillet 2016 - ECR (désormais DB Cargo même en France) se hisse aujourd'hui à la deuxième place derrière le groupe SNCF dans le fret ferroviaire français, si on fait exception des activités de Getlink centrées sur la liaison transmanche. La 186-343 file en direction de l'Espagne sur l'axe PLM. © N. Hoffmann

Au-delà des intentions

Les orientations de l’Etat reprennent largement les propositions du groupement 4F : si la plupart des sujets techniques, commerciaux, industriels et économiques sont bien abordés, qu’en sera-t-il de la mise en œuvre ?

L’amélioration de la circulation de l’information entre les opérateurs et SNCF Réseau, une meilleure traçabilité des trains en temps réel, des innovations sur la motorisation – le document n’oublie pas l’incontournable hydrogène – et l’autonomisation de certains mouvements (notamment sur les triages et autres installations de service) sont effectivement des sujets importants pour crédibiliser l’usage du train. Le groupement 4F a sans aucun doute eu un rôle essentiel dans l’identification exhaustive des nombreux obstacles que le fret ferroviaire doit aujourd’hui surmonter en France.

Mais si une partie de la démarche repose sur les opérateurs, la puissance publique reste en principe le principal contributeur de cette ambition, pour deux raisons : financière (il faudra massivement investir pour adapter le réseau ferroviaire à l’évolution des besoins du fret, y compris investir dans des méthodes d’entretien moins délétères qu’aujourd’hui) et de pilotage bien plus « orienté fret » qu’aujourd’hui de son bras armé SNCF Réseau, où il est de notoriété publique en interne qu’y perdurent encore des « dinosaures » pour lesquels un bon train de fret est un camion sur la route, puisque tout train qui circule coûte plus qu’il ne rapporte…

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Essey et Maizerais - 21 févrir 2021 - Lineas renforce sa présence dans le nord-est de la France, avec des locomotives louées auprès d'Akiem, antichambre des surplus de machines de Fret SNCF commandées à la fin des années 1990. Ces citernes de gaz sont emmenées par 2 BB75000, déviées de leur parcours par la ligne 4 suite à un éboulement. © N. Hoffmann

Pour l’instant, l’Etat confirme jusqu’en 2024 des subventions aux opérateurs apparues l’an dernier dans le plan de relance. Elles représentent une dépense de 170 M€ par an :

  • la prise en charge de 50 % des péages dus par les opérateurs de fret à SNCF Réseau ;
  • 70 M€ pour le secteur du wagon isolé ;
  • 47 M€ pour l’exploitation des services de transport combiné ;
  • 15 M€ pour les autoroutes ferroviaires.

210 M€ seront alloués à SNCF Réseau pour compenser les évolutions de coût des travaux de maintenance destinés à améliorer la disponibilité de l’infrastructure, et 120 M€ iront aux opérations de réduction des « points noirs bruit ».

Où est passé le contrat Etat - SNCF Réseau ?

Au reste, l’Etat a annoncé que le futur contrat Etat – SNCF Réseau (attendu depuis déjà deux ans, et qui ne devrait pas arriver avant 2022…) stabilisera le budget de renouvellement à 3 MM€ par an jusqu’en 2029. Lors du colloque de l’Association Française du Rail, le 14 septembre dernier, le président de l’Autorité de Régulation des Transports n’a pas caché que ce montant serait nettement insuffisant. Une actualisation de l’audit technique et financier du réseau est prévue dans les mois à venir (après le nouveau contrat…) : il confirmera sans nul doute la position de M. Roman, dont il faut saluer les positions réalistes quoique fort peu consensuelles (c'est l'avantage d'être en fin de mandat).

Aujourd’hui, la logique du « renouvellement à l’identique » ne permet pas de faire face correctement aux besoins du transport ferroviaire (de voyageurs comme de marchandises) alors que nombreux sujets sont identifiés de longue date entre autres :

  • le développement d’itinéraires compatibles avec le gabarit P400 pour le transport des semi-remorques sur wagons européens T3000,
  • celui d’itinéraires alternatifs permettant d’alléger l’impact insupportable des travaux sur la circulation du fret, diminuant le conflit entre travaux et circulations,
  • l'augmentation de capacité et de performance dans les grands noeuds,
  • le déploiement d’ERTMS (la Commission Européenne attend toujours les engagements concrets de la France, en bonne voie pour devenir le mouton noir des réseaux européens en la matière),
  • le renforcement de l’alimentation électrique sur plusieurs axes majeurs du réseau, pour faire face au développement des trafics et à la généralisation d’engins moteurs plus performants.

L'Etat compte mobiliser encore un peu plus les ressources des collectivités locales, au premier rang desquelles les Régions, hors des domaines de compétence transférés par la loi, et naturellement sans ressource associée.

Il faudra en outre statuer sur le financement des lignes capillaires, au rôle important en France (plus de 20% des tonnages ont pour origine ou destination un site accessible par l’une d’elles), et par ricochet, sur la pérennisation des lignes de desserte fine du territoire qui portent cette proportion à 30%. Il ne faudrait pas oublier trop vite que les récentes opérations sur des lignes capillaires fret ont été pour l’essentiel une opération-survie sur une décennie, pas une véritable régénération garantissant un demi-siècle d’exploitation sans nouveaux investissements pour répondre aux besoins contemporains : charge à l'essieu, circulation au moins à 50 km/h pour ne pas allonger les délais de desserte et les temps d'occupation de cantons longs, nouvelles modalités d'exploitation des Voies Uniques à Trafic Restreint…

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Olley - 6 mars 2021 - Circulant sur la ligne de Verdun à Conflans-Jarny, ce train de chaux emmené par la CC4002 d'Europorte a d'abord emprunté une ligne capillaire fret (UIC 7 à 9 sans voyageurs) avant d'utiliser cette ligne de desserte fine du territoire (UIC 7 à 9 avec voyageurs) qui lui donnera accès au réseau structurant au cours de son parcours de Dugny à Dilligen. © N. Hoffmann

Un effet d'annonce de plus

Autant dire que la relance du fret aura besoin d’autres engagements… et pas à un horizon aussi peu responsabilisant que 2050. Dans ce document, manquent des engagements de court terme sur des actions précises avec des montants d’investissement et des dates crédibles de réalisation. De plus, les décisions d’organisation à impact rapide, sur les choix déséquilibrés de SNCF Réseau entre maintenance et sillons fret par exemple, doivent être pris maintenant, pas dans 5 ans : si l’on prétend voir doubler la part de marché du fret ferroviaire sous 10 ans, et même plutôt 9, le début de la croissance doit intervenir dès 2022, pas dans 5 ans ou davantage avec les premiers fruits de travaux engagés aujourd’hui…

Si la prolongation des subventions aux opérateurs est une bonne nouvelle, c'est une goutte d'eau dans l'océan des besoins, et on ne sent pas émerger d'inflexion par rapport à une approche financière un peu trop orthodoxe, ni par rapport au rôle que peut tenir le chemin de fer dans une économie moderne à décarboner.

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Courthézon - 8 août 2013 - Venant de quitter le site d'Avignon Champfleury pour rejoindre celui Sucy-Bonneuil, la BB27117 VFLI entame la remontée de l'axe PLM avec une longue rame de caisses mobiles. L'essor du transport combiné est un des leviers principaux de développement du fret ferroviaire en France. © R. Lapeyre

La période est à l'autosatisfaction du gouvernement dans le domaine ferroviaire, mais la verve des discours ne suffira pas à masquer le retard de la France dans le domaine ferroviaire, malgré l'euphorie du moment autour des 40 ans du TGV. La politique de l'effet d'annonce - très commode car ne coûtant rien et n'engageant que celui qui l'écoute ! - est incompatible avec le système ferroviaire, dont la gestion s'apparente plus à la sylviculture qu'à plantations annuelles dans un bac à fleurs posé sur un rebord de fenêtre.

23 août 2021

Transalpine : des marchés décisifs

Plus de 30 ans après les premières discussions, le projet Lyon – Turin n’en finit pas de compter les kilomètres de linéaire de dossiers et surtout de prises de position, souvent très contrastées entre partisans et adversaires.

L’attribution de marchés, côté français, portant sur la réalisation de 80% des 57,5 km du tunnel de base montre que le projet est bel et bien entré dans une phase irréversible. Côté italien, les notifications seront rendues au début de l’automne.

Actuellement, 18% des ouvrages ont été percés, soit environ 30 km de galeries : il s’agit d’abord des descenderies destinées à tester la nature des sols à creuser, puis à y amener les matériaux et enfin à évacuer les voyageurs en cas d’incident majeur, mais aussi de 9 km du tube sud côté français, servant de test.

TELT a désigné 3 consortiums : Eiffage remporte un lot de 22 km côté Modane, Vinci une section de 23 km au centre du tracé, incluant des sections en méthode traditionnelle au lieu du recours au tunnelier, tandis qu’Implenia se chargera d’une section de 3 km à l’ouest de l’ouvrage. Au pic des chantiers, 5 tunneliers seront en action côté français.

Autant dire que le projet est maintenant bel et bien en passe de devenir une réalité.

Le nouveau dossier de transportrail s’intéresse non seulement à la Transalpine, c’est-à-dire le tunnel de base de 58 km sous les Alpes entre la France et l’Italie mais aussi à 2 éléments indissociables sur le plan fonctionnel : les nouveaux accès depuis l’agglomération lyonnaise et le contournement ferroviaire de cette dernière.

23 juin 2021

Railcoop voit - très - grand

Décidément, la lecture de la page des notifications sur le site de l'Autorité de Régulation des Transports devient une étape incontournable.

Railcoop a formulé vendredi dernier plusieurs intentions pour des dessertes supplémentaires ou adaptant les précédentes déclarations sur Lyon - Bordeaux, Toulouse - Rennes et Lyon - Thionville. Notons d'ailleurs que la coopérative confirme son intention de lancer le 26 juin 2022 son offre Lyon - Bordeaux.

6 nouvelles intentions, 2 projets amendés

Elles concernent à chaque fois 2 allers-retours quotidiens sur les relations suivantes :

  • Le Croisic - Bâle, via Nantes, Tours, Nevers, Dijon et Mulhouse, comprenant 24 arrêts intermédiaires avec un temps de parcours de 11h13 ;
  • Massy-Palaiseau - Brest par un parcours des plus rocambolesques : Versailles, Evreux, Caen, Saint Lô, Dol de Bretagne, Dinan et Saint Brieuc, en 8h31 et 19 arrêts ;
  • Thionville - Grenoble / Saint Etienne, couplés jusqu'à Dijon : la tranche stéphanoise, évidemment par Lyon, mais la tranche grenobloise transiterait par Louhans, Bourg en Bresse, Culoz et Chambéry, avec un temps de parcours de 8h08 vers Grenoble (14 arrêts) et de 6h46 vers Saint Etienne (11 arrêts) ;
  • Strasbourg - Clermont-Ferrand, classiquement envisagé via Mulhouse, Dijon et Nevers, en 7h56 avec 13 arrêts ;
  • Annecy - Marseille, via Chambéry, Grenoble, Veynes, Sisteron et Aix en Provence en 7h28 et 9 arrêts ;
  • Brest - Bordeaux, via Quimper, Nantes et La Rochelle, en 9h04 et 13 arrêts  ;
  • Toulouse - Caen / Saint Brieuc, évolution du Toulouse - Rennes, avec adjonction d'une tranche pour Caen et coupe-accroche au Mans, avec des temps de parcours respectivement de 9h48 vers Caen (13 arrêts intermédiaires) et 10h12 (12 arrêts intermédiaires) ;
  • Lille - Nantes, évidemment tracé via Douai, Amiens et Rouen comme le projet de l'Etat pour les TET, mais qui, ensuite, passerait par la transversale Caen - Rennes, avec un trajet en 9h16 et 16 arrêts.

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Open-access et cabotage peuvent-ils faire bon ménage ?

Une première analyse de ces projets de desserte identifie dès à présent pas mal de sujets qui pourraient devenir délicats.

Commençons par la politique d'arrêts. Les notifications transmises à l'ART portent sur des dessertes avec de nombreux arrêts, qui posent la question du positionnement des demandes : s'arrêter plus souvent, c'est manifestement rechercher à maximiser la population desservie, mais c'est aussi réduire l'attractivité sur des trajets plus longs. A tel point qu'on peut se demander s'il n'y aura pas, de la part de certaines autorités organisatrices, des demandes de test de sensibilité sur le bilan économique des dessertes conventionnées. En revanche, pourquoi ne pas desservir Moulins (mais Saint Germain des Fossés) sur la liaison Strasbourg - Clermont-Ferrand ?

On a aussi remarqué des choix d'arrêts hétérogènes sur des troncs communs : Montmélian, Gières, Montchanin, Serquigny, Mézidon et Savenay ne sont concernées que par une partie des circulations étudiées par la coopérative.

Venons-en aux contraintes capacitaires. Plusieurs lignes transitent par des sections à faible débit, en cantonnement téléphonique (Dol - Lamballe sur Lille - Nantes et Massy - Brest, Vif - Aspres sur Annecy - Marseille), dont la capacité limitée est presque intégralement consommée par les dessertes régionales existantes. D'autres doivent composer avec du block manuel (Landerneau - Quimper et La Rochelle - Saintes sur Brest - Bordeaux, Jarrie - Vif puis Serres - Aix en Provence sur Annecy - Marseille), ce qui est déjà le cas de Lyon - Bordeaux (entre Gannat et Guéret puis de Nexon à Périgueux), générant des contraintes de construction de la grille et de composition avec les circulations existantes, qui plus est sur les sections à une seule voie.

On peut aussi souligner que l'insertion de sillons directs entre Aix en Provence et Marseille sur la liaison sera à surveiller, compte tenu des objectifs de desserte périurbaine au quart d'heure sur cette section.

Sur des lignes mieux équipées, on peut aussi noter le penchant de Railcoop pour la section Savenay - Nantes déjà assez contrainte, et concernée par les études sur un RER nantais : elle serait empruntée par les relations Brest - Bordeaux, Lille - Nantes et Le Croisic - Bâle, soit 6 allers-retours. Ce n'est pas anodin. Ce sera peut-être moins tendu sur la section Mézidon - Caen, elle aussi concernée par 6 allers-retours. Le penchant pour l'ouest se confirme si on s'intéresse à la section Folligny - Dol, qui ne voit actuellement passer que 2 à 3 allers-retours et qui figure dans les notifications avec 4 allers-retours.

L'incursion en Ile de France s'annonce intéressante avec la gestion d'un terminus à Massy-Palaiseau sur les voies de la Grande Ceinture, utilisée par le fret, le RER C et la future navette transitoire Versailles - Massy-Palaiseau, en attendant l'achèvement du tram-train T12. Sueurs froides en perspective...

Enfin, ces grandes diagonales amènent structurellement à devoir trouver le dénominateur commun entre de multiples contraintes dans les grands noeuds du réseau, ce qui pourrait conduire à des temps de parcours encore un peu plus longs pour arriver à composer avec les circulations préexistantes. C'est ce qui s'est passé sur Lyon - Bordeaux avec une inflation du temps de parcours de 45 minutes entre la notification de Railcoop et la proposition de SNCF Réseau. Un Lille - Nantes devra composer avec les contraintes assez fortes sur Lille - Douai, puis dans les noeuds de Rouen, Rennes et Nantes...

L'un des enjeux sera évidemment de savoir si ces dessertes intègrent la trame horaire systématique - auquel cas ce pourrait être au détriment de l'activation de sillons pour le transport régional ou les TET - ou dans une construction hors trame, mais en composant avec la capacité résiduelle sans réelle garantie de performance.

Les intentions transversales sont confirmées et on ne peut nier que certaines sections présentent un certain intérêt car elles pourraient combler des absences : c'est par exemple le cas des liaisons Clermont-Ferrand - Dijon et Nantes - Dijon (toutes deux envisagées par la VFCEA). On peut objectivement saluer l'intention de relancer une desserte Caen - Rennes, concernée par 4 allers-retours. D'une certaine manière, c'est aussi le cas pour la liaison Annecy - Marseille, qui fleure bon l'Alpazur d'antan, et qu'il est intéressant de voir apparaître alors qu'avait été réalisé à grands frais un raccordement entre le sillon alpin et la LGV pour des relations Alpes - Méditerranée (qui n'ont pas dépassé le stade de l'anecdotique aller-retour hebdomadaire).

Cependant, ces projets viennent cette fois-ci téléscoper les projets projets de l'Etat pour les Trains d'Equilibre du Territoire avec les demandes transitant par l'axe Nantes - Bordeaux, et la diagonale Lille - Nantes, même si les perspectives de l'Etat et de Railcoop divergent sur cette dernière à partir de Mézidon.

Il y a en revanche une différence assez nette : les notifications de Railcoop apparaissent très orientées sur des parcours de cabotage compte tenu du nombre élevé d'arrêts, avec une vitesse moyenne inférieure à celle des trajets en voiture. D'où le risque de requête, notamment de certaines Régions... surtout si les propositions à Railcoop amenaient à des modifications d'horaires substantielles sur les TER et/ou TET...

Mais sur le fond, la même question demeure : peut-on arriver à équilibrer charges et recettes sans subvention (principe de base du service librement organisé) avec des dessertes de cabotage et des tarifs globalement calqués sur ceux du covoiturage ? C'est pourtant la condition d'existence de cette entreprise...

X72500 pour tous

Toutes ces relations seraient assurées avec 2 X72500 tricaisses : compte tenu de la longueur des trajets, il sera souvent difficile d'intégrer un aller-retour dans la même journée, donc chaque rame ne ferait qu'un aller par jour. Bref, beaucoup d'actifs pour une productivité journalière contrastée selon qu'on raisonne en kilomètres parcourus ou en nombre de services par rame et par jour. Toutes les circulations étant prévues en UM2, il faudrait que Railcoop récupère la totalité des 42 rames tricaisses produites, ce qui suppose qu'elles soient libérables... et utilisables. Les annonces sur une rénovation par ACC traitent la carrosserie et les aménagements intérieurs, mais quid de la chaîne de traction et des fameux groupes auxiliaires qui font la célébrité de cette série ?

Dans le rapport d'activités de la coopérative, on apprend un peu plus sur l'abandon de location de matériel neuf : l'acquisition par un loueur aurait due être gagée par une puissance publique auprès de la structure portant l'investissement. Ni l'Etat, ni les Régions n'ont souhaité s'engager dans cette voie. D'où le repli sur des automoteurs existants, à la réputation technique peu flatteuse et au niveau sonore élevé à bord...

On peut être aussi circonspect sur la capacité réelle à assurer certaines de ces dessertes au long cours, par rapport à l'autonomie en carburant de ces automoteurs et la localisation des stations-service sur le réseau. Le foisonnement de liaisons notifiées crée un éparpillement dont il va être difficile de trouver le dénominateur commun pour assurer la maintenance. Il semblerait que la coopérative solliciterait les technicentres de la SNCF...

En outre, ces nouvelles relations seraient pour large partie assurées en traction thermique sur des lignes électrifiées. On a connu mieux question responsabilité environnementale. D'ailleurs, pour la liaison Le Croisic - Bâle, il faudra demander l'avis aux suisses pour la circulation d'un matériel (au mieux) aux normes anti-pollution Euro2...

Il faudra aussi recruter des effectifs : une centaine d'emplois sont annoncés par la cooopérative pour lancer la liaison Lyon - Bordeaux et la desserte fret entre Figeac et Saint Jory. C'est déjà beaucoup... alors combien pour l'ensemble de ce nouveau périmètre ?

Il va en falloir des sociétaires...

A court terme, ces propositions sont élaborées de façon assez stratégique car elles touchent toutes les Régions métropolitaines, y compris l'Ile de France. Railcoop peut donc s'appuyer sur ces intentions nouvelles pour continuer son tour de France, et obtenir l'adhésion de collectivités locales... mais à ce stade sans garantie de concrétisation de la desserte. Manifestement, pour la coopérative, il faut rapidement recueillir plus de capital ne serait-ce que pour payer les salariés et recruter de nouveaux collaborateurs en vue des premières exploitations... Ce qui pose là aussi question, tant sur la méthode que sur le fond. Quels moyens seront réellement réunis ? Peut-on réellement imaginer la rénovation de la quarantaine d'automoteurs d'ici 18 mois, puisque ces nouveaux services sont annoncés à l'horaire 2023 ? Quelle contractualisation avec quelle entreprise pour l'entretien du matériel ? Combien de salariés auront été recrutés, en particulier les conducteurs ?

Il n'en demeure pas moins une franche ambiguïté du positionnement : service ferroviaire librement organisé, donc sans subvention publique, ciblant de plus en plus un marché de cabotage de courte et moyenne distance pouvant entrer en concurrence avec les activités conventionnées, mais sollicitant quand même les collectivités locales pour constituer son capital.

Comme nous le disions dans notre dossier, le risque d'un déficit structurel lié au marché visé reste important et les sociétaires devront l'éponger et, en cas d'échec, nombreux seront les observateurs qui profiteront de l'occasion pour l'interpréter comme une absence d'intérêt du train sur les liaisons transversales.

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