L'ART étrille le projet de contrat Etat - SNCF Réseau
C'est pour la beauté du geste car il est tout de même fort peu probable que cet avis ait la moindre influence sur le contenu de ce contrat. L'Autorité de Régulation des Transports semble elle-même convaincue et donne déjà rendez-vous en 2024 à la prochaine révision de ce contrat.
Mais quand même, à 6 semaines du premier tour de l'élection présidentielle, dans une campagne où le sujet est totalement sous les radars de l'actualité, la parution aujourd'hui de l'avis sur le projet de contrat Etat - SNCF Réseau 2021-2030 ne manque pas de sel. Celui sur le budget 2022 de SNCF Réseau, publié la semaine dernière, constituait en quelque sorte une mise en bouche. Alors comptons les banderilles :
- si l'assainissement de la situation financière de SNCF Réseau est nécessaire, le contrat rendu caduc par la réforme ferroviaire de 2018 n'avait pas répondu aux objectifs fixés par le législateur au moment de son élaboration ;
- la vision financière proposée par le projet de contrat ne fait pas une stratégie durable pour SNCF Réseau ;
- il n'y a aucune vision-cible de la consistance et de la performance du réseau ;
- la dotation de renouvellement et le budget de modernisation sont si insuffisants - l'ART évoquant une paupérisation du réseau - qu'ils sont non seulement en totale contradiction avec les ambitions affichées par l'Etat de doublement de la part modale du fret ferroviaire et du nombre de voyageurs transportés, mais aussi de nature à dégrader sa consistance, sa performance, donc ses recettes... bref, une spirale dans la plus pure orthodoxie du malthusianisme ;
- le financement de l'infrastructure procède toujours d'abord d'une ponction de plus en plus élevée sur ses utilisateurs via les péages (dont l'augmentation est de longue date jugée insoutenable par l'ART), à laquelle s'ajoutent des transferts de bénéfices entre SNCF Voyageurs et SNCF Réseau (plus de 900 M€ par an dès 2024, soit plus du tiers du budget de renouvellement). Est-il normal - et sain - que le financement du renouvellement de l'infrastructure incombe à un de ses utilisateurs ? ;
- paradoxalement, le contrat prévoit une hausse très soutenue des trafics (on n'est pas à une contradiction près) ;
- le projet de contrat fixe des objectifs de productivité en valeur, sans référence au niveau de réalisations industrielles, et sans mécanismes incitatifs : le niveau de la performance financière est donc mal défini... et donc impossible à suivre ;
- les recommandations formulées par l'ART en 2019 pour l'élaboration du nouveau contrat n'ont pas été - ou très peu - prises en compte par l'Etat.
Sous-titré « développer l’usage du train », le projet de l'Etat est considéré comme un « contrat d’assainissement financier […] mais derrière cela, il n’y a aucune ambition industrielle ». Auditionné par le Sénat, le président de l’ART dénonce « un contrat de performance qui est finalement le contraire d’une performance ». Les grandes ambitions déclamées par l’Etat ne sont donc qu’un nuage de fumée : qui en doutait encore ? Notez que de longue date, à transportrail, nous refusons de parler de « contrat de performance », en utilisant la terminologie « contrat Etat - SNCF Réseau ».
M. Roman peut se permettre un jugement aussi radical puisqu’il arrive en fin de mandat : « Derrière les grandes ambitions affichées, les moyens ne sont pas assurés », évoquant « des situations industriellement pesantes pour l’avenir du réseau ferroviaire ».
Bien évidemment, avec une dotation de 2,8 MM€ pour le renouvellement (et à peu près autant pour l’entretien), on est très loin des besoins minimum pour assurer la pérennité du réseau structurant, ce qui fait mécaniquement courir le risque d’une dégradation de sa performance, en particulier sur les lignes UIC 5 et 6 (environ 6500 km). Quant aux lignes de desserte fine du territoire, si le projet de contrat prévoit une trajectoire d’investissement de 600 M€ par an, elle est inférieure aux besoins (qui peuvent culminer à plus d’un milliard par an), et le financement relève principalement du premier client de ces lignes - les Régions – et non du propriétaire (l’Etat).
Autant dire qu’essayer de parler de modernisation dans ce contexte est totalement illusoire.
Pour conclure de façon très synthétique : rouvrir Epinal – Saint Dié, relancer quelques trains de nuit, le train des primeurs et promettre quelques lignes nouvelles en ouverture d’une grande séquence électorale nationale ne fait pas une politique ferroviaire digne de ce nom dans un contexte d’urgence à l’efficacité en vue de la neutralité carbone à horizon 2050. En cela, la « nouvelle » politique dont on nous parlait en 2017 ressemble vraiment à l’ancienne… mais en pire !
POST-SCRIPTUM
On sent un peu l'embarras du ministre des Transports dans la presse suite à cet avis : « On est au milieu du chemin », affirmant être en phase avec le président du groupe SNCF sur l'objectif de doublement des trafics d'ici 2030. Pour autant, il ne semble pas être en mesure d'infléchir la tendance à la baisse des investissements de ce contrat. De son côté, le président de SNCF Réseau, auditionné au Sénat, a considéré que le contrat ne permettait pas le doublement des trafics. Mais pour autant, qui osera voter contre lors du prochain Conseil d'Administration de SNCF Réseau (hormis les représentants syndicaux évidemment), au risque de matérialiser une crise entre l'Etat et ses entreprises publiques ? Manifestement, M. Lallemand semble satisfait mais les efforts de productivité qu'il annonce reposent sur des modernisations qui sont exclues du contrat. Il écarte également toute révision à la baisse des péages, qui représentent 86% du chiffre d'affaires de SNCF Réseau, et estime que les opérateurs peuvent encore soutenir la hausse demandée, de 50% sur 10 ans. Ce n'est pas du tout l'avis de l'ART...