RER de Strasbourg, un an après
Un an après la montée en puissance de la desserte ferroviaire périurbaine de Strasbourg, alias Réseau Express Métropolitain Européen selon l'appellation locale, le bilan n'est pas aisé à établir. On pourrait se contenter de dire que c'est un échec : bien des médias ne se privent pas de l'affirmer de façon péremptoire et définitive. Ce serait peut-être un peu trop facile. Pour autant, il ne faut pas ignorer les faiblesses. Alors, entre les deux ?
Commençons par les points négatifs : assurément, les annonces n'ont pas été totalement suivies d'effet. La Région prévoyait 1000 circulations supplémentaires par semaine dont 800 dès le mois de décembre 2022. Il fallut rapidement battre en retraite et plafonner à 650. Que les trains roulent, c'est une chose, mais encore faut-il qu'ils soient à l'heure. L'Alsace partageait jusqu'à présent avec la Bretagne la palme de la ponctualité ferroviaire, mais la cigogne est tombée de son nid car les retards sont plus nombreux, quand il ne s'agit tout simplement pas de suppressions. Ajoutez aussi le risque de compositions non conformes (une seule rame au lieu de deux) et des récriminations sur l'évolution de la politique d'arrêt sur certaines lignes qui a pu, à la marge à l'échelle du périmètre (beaucoup moins pour les voyageurs concernés), altérer le maillage du territoire.
Au chapitre des points positifs, il faut quand même reconnaître que 650 trains par semaine, soit environ 90 par jour (un peu plus en réalité car l'offre a été surtout renforcée du lundi au vendredi plus que le week-end), c'est un palier déjà significatif. En outre, la fréquentation a quand même augmenté de 20 % sur les lignes de l'étoile de Strasbourg, confirmant - s'il le fallait - la pertinence de la démarche.
A la lumière de quelques voyages en Alsace dans le courant de l'automne, transportrail apporte sa pierre à l'édifice analytique de la situation.
Gare de Strasbourg : des points contraignants
Malgré 3 passages souterrains, il faut bien admettre qu'à certaines heures, ceux-ci peuvent être congestionnés, avec un effet amplificateur provoqué par les modalités de contrôle avant embarquement sur InOui et Ouigo, qui peuvent obliger les voyageurs à suroccuper ces espaces, le temps de trouver le bon accès, puisqu'il arrive souvent que le contrôle ne s'effectue que par un seul d'entre eux.
Côté nord de la gare, les 3 voies en impasse, utilisées principalement par les trains venant des lignes de Wissembourg, Niederbronn et Lauterbourg sont une chance, car elles sont de fait dédiées à ces missions, mais elles présentent un point faible. Outre le fait d'être excentrées, les quais desservant les voies 31, 32 et 33 sont étroits. Comme les temps de battement au terminus sont courts, l'échange de voyageurs n'est pas des plus fluides.
Strasbourg - 24 novembre 2023 - Le quai desservant les voies 32 et 33 n'est vraiment pas large. L'afflux de voyageurs à la montée et à la descente, avec bagages voire vélos, est encore plus difficile à gérer dans de telles conditions, surtout avec des stationnements de courte durée en gare. © transportrail
Dissocier l'information des voyageurs
Les trains du REME sont considérés comme des TER comme les autres et affichés dans distinction particulière et figurent au milieu des liaisons régionales intervilles et des liaisons nationales. Assurément, la dissociation des modalités d'affichage en gare de Strasbourg (c'est la principale concernée) des trains du REME sur des écrans distincts fluidifierait l'information par une lecture plus rapide.
Matériel roulant : le grand écart
L'exploitation fait appel à différents types de matériels d'âge, de performance et de qualité variés. Les RRR tractées/poussées par des BB22200 sont encore mobilisées, sur la relation Saverne - Strasbourg - Sélestat. Rien à dire côté puissance massique, mais la fiabilité n'est plus au niveau attendu. Les AGC sont engagés principalement sur la branche de Molsheim. Avec une seule porte par face, la gestion des flux de voyageurs est évidemment plus contrainte qu'avec les Régiolis, configurés à 7 portes en version 4 caisses et 10 portes en version 6 caisses.
Strasbourg - 5 novembre 2023 - En attendant la livraison des derniers Régiolis transfrontaliers, les RRR associées aux BB22200 plus de la première fraîcheur sont toujours mobilisées sur l'axe principal du RER strasbourgeois. © transportrail
Strasbourg - 5 novembre 2023 - Les Régiolis à 6 caisses sont plutôt bien adaptés aux nécessités de la desserte périurbaine, avec une capacité importante et des portes nombreuses accélérant les échanges de voyageurs. © transportrail
L'enjeu de la maintenance et de la disponibilité du parc renvoie d'abord à l'augmentation de l'amplitude d'utilisation du matériel, qui est beaucoup moins disponible en journée : la gestion s'effectue donc principalement la nuit et le week-end, selon des principes finalement proches de ceux du transport urbain. Or ce domaine fait lui aussi face à des difficultés de recrutement, ce qui se ressent sur la capacité de production des ateliers et donc le nombre de rames disponibles.
L'intensification de l'usage ne permet plus d'accepter un matériel à la motorisation partiellement indisponible, ce qui peut aussi affecter la disponibilité du parc.
Des crochets courts au terminus
En principe c'est bien, mais cela suppose une fiabilité maximale de chacune des composantes de la la production du service. Cependant, si les voyageurs ont du mal à arriver sur le quai, si l'affichage n'est pas parfaitement minuté et si le matériel ne peut assurer des échanges rapides, alors les retards se cumulent au fil du roulement. Observation faite un dimanche soir avec son lot d'étudiants : avec une seule minute de retard à l'arrivée, le crochet en 7 minutes n'a pas tenu. En outre, il ne semble pas certain que soit appliqué le principe du glissement de conducteurs pour que celui qui arrive ne soit pas celui qui repart immédiatement. Dans ces conditions, même le temps du changement de cabine devient important à maîtriser.
En gare, autres que Strasbourg
C'est peut-être l'élément sur lequel il est le plus facile d'agir à relativement brève échéance : l'amélioration du confort dans les gares et l'affirmation d'une identité particulière au service, par le mobilier. Dans de nombreuses gares, les quais sont encore dans un état moyen si ce n'est médiocre, l'accueil des voyageurs est assez précaire, avec peu d'espaces d'attente abrités. Sans aller bien loin, celle de Hoenheim, dans l'agglomération strasbourgeoise, donne lieu à un contraste assez flagrant avec le pôle d'échanges urbain. Et encore, les quais sont goudronnés...
Haguenau - 25 novembre 2023 - La nouvelle gare est déjà d'un style résolument moderne et complète harmonieusement la passerelle qui, jusqu'à présent, contrastrait étangement. L'ensemble est désormais cohérent et plutôt réussi. © transportrail
Hoenheim - 12 mai 2022 - Equipement minimaliste pour cette gare : quelques bancs, des abris en tôle, un écran d'information par quai. C'est pour le moins frugal, mais on est en droit d'attendre un peu mieux dans cette gare en correspondance avec le terminus de la ligne B du tramway. © transportrail
Une infrastructure modérément adaptée
La configuration de l'étoile de Strasbourg est diversement adaptée aux enjeux périurbains. Les trains circulent majoritairement en mixité avec les autres dessertes voyageurs. Au nord, il faut rappeler que la LGV se raccorde à Vendenheim aux voies venant de Haguenau. L'accès aux quais s'effectue sur des voies autorisées au mieux à 30 km/h, seules 2 étant autorisées à 60. C'est une contrainte, pour les temps de parcours, donc les temps de terminus.
La spécialisation des voies ne peut donc pas être fonctionnelle (dédier des voies aux seuls trains périurbains) : elle est géographique et cette organisation semble déjà plutôt effective, même si tous les trains de Haguenau, Wissembourg et Niederbronn ne peuvent être reçus sur le trio 31-32-33. C'est évidemment plus facile pour la partie ouest du réseau vers Molsheim puisque, hormis le fret d'Obernai, la ligne n'accueille que du trafic régional.
L'usage prédominant de la traction thermique est aussi un handicap car si les performances des matériels sont correctes, la traction électrique renforcerait encore la fiabilité de l'exploitation et améliorerait les performances. Déployer la caténaire jusqu'à Molsheim et Haguenau semble faire partie du ticket d'entrée, quelle que soit la solution retenue pour aller au-delà : batteries, biocarburant, biogaz ou hydrogène sous une forme à déterminer.
Prochaine étape ?
L'objectif des 1000 trains n'est officiellement pas abandonné mais il n'a pas d'échéances et tout porte à croire qu'il faudra encore être patient. La priorité va forcément aller à la fiabilisation de la desserte existante de sorte à ce que tous les trains prévus circulent effectivement et de préférence à l'heure. Néanmoins, engager l'amélioration de l'aménagement des gares est une mesure assurément utile et de coût relativement modeste, de sorte à engager progressivement l'affirmation de la différence entre les trains du REME et ceux du réseau de villes de la Région.