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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Organiser les dessertes à grande vitesse ?

Ce n’est pas une spécificité française : les dessertes d’intérêt national, surtout quand elles utilisent des infrastructures et du matériel roulant à grand vitesse. Les opérateurs décident donc librement de la consistance des services. En Espagne, un schéma particulier d’attribution de la capacité des lignes a été organisé pour le compte de l’Etat par ADIF, conditionnant le nombre de circulations sur Madrid – Barcelone aux prestations sur des lignes économiquement moins attractives.

En France, la situation est assez particulière puisqu’on assiste depuis 2008 à une baisse régulière du nombre de circulations sur les lignes à grande vitesse, pouvant atteindre 15 % : autant dire que le terme de saturation est pour le moins galvaudé. En cause, la quasi-généralisation des rames Duplex, une focalisation sur le taux d’occupation des trains mais aussi l’effet de la hausse continue des péages liés à l’utilisation du réseau puisque le principe défini par la France est de faire porter son coût complet par ses seuls utilisateurs. Bref, difficile de parler de saturation au pays du train rare.

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Donzère - 5 août 2009 - En passant de la vénérable rame Sud-Est à la génération Duplex, la liaison Paris - Vallée du Rhône a perdu 25 % de son offre avec 3 allers-retours au lieu de 4. Pourtant, elle ne désemplit pas et le bassin desservi est de plus en plus prisé par les tourstes mais aussi par une population de cadres bilocalisés entre Paris et le nord de la Provence. © transportrail

En outre, l’autre fait nouveau de ces dernières années en France, c’est le développement de Ouigo. Conséquence : une double fragmentation du service puisque pour bénéficier de petits prix, il faut s’adapter aux horaires conçus non pas selon l’intérêt du voyageur mais de la productivité du matériel roulant. Ce cloisonnement fait perdre au train son principal atout : l’effet-fréquence.

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Lille Flandres - 25 août 2021 - Sous couvert de billets à petits prix, Ouigo fragmente les dessertes et sépare les voyageurs  dans des trains différents selon leur budget. En outre, Ouigo n'assure pas de correspondances avec les autres prestations de SNCF Voyageurs. Un schéma calqué sur le transport aérien, qui sollicite fortement le matériel roulant du fait d'une production kilométrique journalière très élevée. Il existe tout de même un risque de vieillissement prématuré du parc à trop tendre les roulements. © transportrail

Quant à la concurrence d’autres opérateurs, elle demeure en 2023 limitée : Trenitalia en place sur Paris – Lyon – Milan, la RENFE entre Barcelone, Lyon et Marseille, et Le Train qui prépare son arrivée dans les années à venir sur le secteur Atlantique, centrée sur Bordeaux.

Le rôle du train dans la réorientation des déplacements de voyageurs vers des modes écologiquement plus vertueux amène à questionner la consistance des offres, tant leur maillage géographique que leur fréquence. Or, dans un schéma de fait libéralisé, sans intervention d’une autorité organisatrice, les marges de manœuvre sont assez limitées.

Laisser faire le marché ?

C’est le scénario au fil de l’eau. Miser sur la libéralisation et l’attractivité du marché français pour voir arriver d’autres opérateurs. Le risque est évidemment la concentration des nouveaux services sur quelques relations porteuses. Il existe mais il ne faut pas le surestimer : la RENFE lorgne sur le trafic France – Espagne hors Paris suite à la fin de la coopération avec SNCF Voyageurs. Quant aux autres candidats ? Le Train se positionne sur des relations entre grandes villes de l’arc Atlantique. Tout le monde ne s’intéresse donc pas à Paris – Lyon. L'autre candidat, Kevin Speed, semble vouloir cibler particulièrement les navetteurs travaillant en région parisienne.

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Reims - 26 mars 2016 - Exemple d'une relation courte composée en grande partie d'abonnés navetteurs du Bassin Parisien, Paris - Reims est assurée à raison de 7 allers-retours en semaine, dont 2 poursuivent vers Charleville-Mézières et Sedan. Le trafic ne semble pas justifier de rames type Duplex. © transportrail

Cette stratégie libérale est potentiellement source de déséquilibres selon les logiques opportunistes des différents prétendants. S’il est vrai qu’en Italie, la libéralisation a provoqué un changement de posture de Trenitalia, la révision à la baisse des péages compensée par une dotation directe de l’Etat a largement favorisé cette inflexion. La géographie du pays et du réseau aide aussi, avec un axe est-ouest et un axe nord-sud alignant la plupart des grandes agglomérations du pays.

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Meroux - 19 septembre 2019 - Une liaison Lyria en direction de Bâle quitte la gare nouvelle belfortaine sur une LGV bien peu circulée. Seule la relation vers Genève a été dotée de rames Duplex avec cadencement aux 2 heures. © transportrail

En France, on peut être réservé sur la probabilité d’un tel mouvement « vertueux » car la commande de 115 TGV nouvelle génération encore plus capacitaires est d’ores et déjà assortie d’une révision à la baisse du nombre de circulations proposées par SNCF Voyageurs. L’opérateur veut encore augmenter la part de Ouigo dans ses activités : 20 % en 2022 et une cible à 25 %. Conséquence, un mitage des prestations et la poursuite de l’affaiblissement des relations province-province, déjà bien engagée. Or celles-ci sont essentielles à bien des égards :

  • sur le plan technique, elles structurent le schéma de desserte nationale puisque Paris n’est pas un nœud de correspondance : l’insertion sur la Grande Ceinture (Massy – Valenton) et la gare de Lyon Part-Dieu battent la mesure ;
  • en Ile-de-France, elles proposent des alternatives parfois plus commodes d’accès aux liaisons nationales pour ceux qui n’habitent pas Paris ou la petite couronne : quand on habite Antony, il est en principe plus simple de prendre son train à Massy ; 
  • elles participent à la complémentarité train - avion en desservant le premier aéroport français et possiblement le deuxième (Ouigo correspond-t-il aux attentes de la clientèle des moyens et longs courriers ?) ;
  • la bonne connexion des grandes métropoles est essentielle à une organisation plus équilibrée du territoire et à la rationalisation des trajets ferroviaires : Lille – Lyon est bien plus commode quand le trajet est direct, évitant d’occuper des places sur des liaisons radiales et d’encombrer le RER dans Paris ;

Evidemment, dans ce schéma calqué sur le transport aérien, c’est au voyageur de se débrouiller pour trouver son train et gérer les impondérables : correspondance manquée, rendez-vous qui se prolonge…

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Toulouse Matabiau - 27 septembre 2021 - Sur les 12 liaisons vers Paris annoncées dans le projet de LGV Sud Europe Atlantique, seules 7 ont été effectivement mises à l'horaire dont 2 en Ouigo, gnéralement dans les horaires prisés de la clientèle d'affaires. La navette aérienne n'est guère inquiétée... Notez aussi la sortie à 30 km/h qui plombe la performance de ces bolides, symbole des contrastes ferroviaires français. © transportrail

Mais à la différence de l’avion, le train doit supporter tous ses coûts et le niveau élevé des péages demeure un frein puissant à ce schéma, même avec les remises dégressives mises en œuvre par exemple pour Trenitalia.

Une transposition du modèle espagnol est-elle possible ?

A l’extrême opposé, on n’imagine pas un instant que l’Etat devienne autorité organisatrice : ce serait une première sur des prestations à grande vitesse. Le projet d’horaire cadencé intégral en Allemagne, le Deutschlandtakt, ne prévoit pas de remettre en cause le schéma actuel, ce qui fait craindre un « DB-takt » à Flixtrain qui essaie de concurrencer l’opérateur historique.

Le schéma espagnol évoqué au début de cette page est intéressant car il concerne un réseau très centralisé et d’un encadrement de la libéralisation destinée à assurer un minimum d’équilibre entre les lignes. Disons le mot : péréquation.

Limite toutefois à la transposition directe (ce serait trop facile), le cas des liaisons province-province, qui différencie assez nettement la France et l’Espagne de la grande vitesse ferroviaire. Néanmoins, la constitution par l’ADIF de 3 lots de sillons mérite d’être observée : plus leur nombre sur la juteuse liaison Madrid – Barcelone est élevé, plus les lauréats doivent proposer de services sur d’autres axes à moindre rentabilité. Traduit au cas français, qui voudrait un maximum de sillons Paris – Lyon devrait s’engager sur des liaisons vers Besançon ou Annecy.

Assez logiquement, la transposition de ce principe en France amène à considérer d’abord les radiales et donc à constituer un lot Sud-Est, un lot Sud-Ouest, un lot Nord et un lot Est, à moins de fusionner ces deux derniers à des fins d’équilibre.

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Verzenay - 18 septembre 2021 - En examinant seulement les liaisons depuis Paris, faut-il dissocier ou fusionner les dessertes vers le nord et l'est compte tenu de leur consistance assez nettement moindre que celles vers le sud-est et le sud-ouest ? © transportrail

Mais pour les liaisons province-province ? L'étude de transportrail essayait de constituer un ensemble de lots élémentaires, pouvant être assemblés, étant entendu que le périmètre semblait trop vaste pour n’en faire qu’un. L’une des options théoriquement possibles serait de coupler radiales et intersecteurs : l’exercice n’est pas forcément simple et quelle que soit l’option retenue, il y aura des interpénétrations.

Ce schéma pourrait quand même avoir un avantage non négligeable : le gestionnaire d’infrastructures, dans sa mission d’attribution de la capacité, définirait alors de fait un nombre minimal de circulations par ligne – par exemple 4 allers-retours par jour, comme notre suggestion pour les TET – tout en encadrant leur nombre maximal par lot sur les liaisons les plus attractives pour éviter une concentration des opérateurs sur quelques axes. Du point de vue de l’intérêt pour le voyageur, et plus largement pour le maillage du territoire, ce ne serait pas forcément plus confus que l’organisation actuelle.

Pour autant, il faudrait peut-être éviter le schéma de la franchise à l’anglaise qui n’a pas forcément fait ses preuves : d’où une probable sectorisation à concevoir selon la géographie du territoire : s’il semble a priori aisé de dissocier au sud-est un ensemble « Bourgogne – Franche-Comté – Rhône-Alpes » et un autre « Arc méditerranéen », l’équivalent côté Atlantique serait moins équilibré si Bordeaux faisait office de point de partage. De ce fait, la capacité maximale de chaque lot sur la section la plus chargée des LGV pourrait être au maximum de 4 à 6 sillons par heure et par sens selon les cas. Pourraient ainsi être imaginés les lots suivants :

  • Sud-Est : « Bourgogne – Franche-Comté – Rhône-Alpes » et « Arc méditerranéen » ;
  • Atlantique : « Bretagne – Nord Atlantique » (jusqu’à La Rochelle) et « Sud Aquitaine » incluant Toulouse ;
  • Est – Nord : un seul lot pour les dessertes intérieures ?

Pour les liaisons province-province, une réflexion entre un lot unique national et un partage entre les lots radiaux, de sorte à compenser d’éventuels déséquilibres, ce qui permettrait éventuellement d’envisager la dissociation des lots Est et Nord en leur redonnant un peu plus de consistance. Le lot unique implique un parc nombreux et éparpillé sur le réseau, mais finalement comme aujourd’hui avec un opérateur unique. L’intégration aux lots « radiaux » limiterait un peu ce phénomène, à la condition d’organiser équitablement le partage, du fait de la prédominance du courant Nord – Sud-Est. Ce serait aussi une incitation à une forme de péréquation au sein de chaque lot.

Dans ce schéma d’attribution capacitaire, les opérateurs seraient libres de proposer les prestations qu’ils souhaitent, mais comment éviter les effets négatifs de la segmentation tarifaire par l’horaire telle que celle de Ouigo sans imposer des contraintes qui se rapprocheraient d’une délégation de service public ?

Et encore une fois, le coût d’utilisation du réseau et les « contraintes » de desserte minimale pourraient freiner les ardeurs de certains candidats à concourir à de tels appels d’offres.

A propos du matériel roulant

Le schéma « à l’espagnole » éviterait à l’Etat le débat sur la création d’une société de louage du matériel. Libre aux candidats de postuler avec le matériel de leur choix dès lors qu’il est compatible avec le réseau.

Il faut quand même souligner – une fois de plus – les limites du schéma de SNCF Voyageurs misant exclusivement sur des rames Duplex de plus en plus capacitaires : outre qu’elles passent de moins en moins souvent (ce qui fait économiser des péages), elles commencent à sérieusement perturber la gestion des flux de voyageurs en gare, surtout en configuration Ouigo. Cela ne s’arrangera pas avec la nouvelle génération de rames. En outre, ces rames s’accommodent mal de dessertes à arrêts fréquents du fait d’un ratio de voyageurs par porte qui est très élevé.

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Saint-Malo - 13 septembre 2020 - Les rames Duplex ne sont guère compatibles avec des dessertes à arrêts fréquents : ce n'est pas le cas sur cette relation, qui comprend au maximum 3 arrêts à Dol, Rennes, Laval ou Le Mans. © transportrail

C’est en particulier le cas des liaisons province-province (encore elles !). S’il fallait imaginer une alternative, l’automotrice à motorisation répartie présente de notables atouts : la commodité d’accès, la gestion des bagages tout au long des voitures, un meilleur ratio de voyageurs par porte (même sur une architecture type AGV) et une capacité très proche de la première génération Duplex (457 places sur les ETR400 italiens, qui pourraient être configurés pour approcher 480 places à comparer des 510 des rames série 200).

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Paris Est - 6 octobre 2022 - Deux types de trains à grande vitesse à motorisation répartie circulent déjà en France : les ICE3neo, alias BR408, sont les aînés. Leurs accès sont commodes, faciltant les montées et descentes. © transportrail

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Paris gare de Lyon - 20 décembre 2021 - Mêmes qualités pour l'autre matériel récemment arrivé : le Zefiro. L'écart de capacité par rapport aux Duplex série 200 est limité et ces architectures ont été pensées pour des dessertes à arrêts plus fréquents qu'en France du fait de la géographie de leurs réseaux d'origine. © transportrail

Dans la constitution des lots, les appels d’offres pourraient-ils spécifier un niveau de performance fonctionnelle qui amènerait à écarter des matériels adaptés aux liaisons point-à-point (ou avec très peu d’arrêts intermédiaires) sur des relations à forte dose de cabotage ? Le critère pourrait être considéré sous l'angle capacitaire pour le gestionnaire d'infrastructure (optimisation des sillons).

N’est-ce pas un point sensible de nature à orienter la réflexion vers un lot unique pour les liaisons intersecteurs, dont la production pourrait être par exemple organisée autour de Lille et de Lyon (avec le technicentre de Gerland) pour la maintenance ?

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