Morez : plus de viaducs que de trains ?
Le site est bien connu des amateurs : la petite ville jurassienne de Morez est desservie par le train au moyen d'une succession d'ouvrages afin de composer avec une élévation rapide du tracé pour rejoindre Morbier en direction du nord. C'est assurément l'une des prouesses des ingénieurs des chemins de fer de l'époque, même s'il faut rappeler que la réalisation de cette ligne s'étala sur 27 ans compte tenu d'un empressement très modéré du PLM à en assumer les charges.
Notre titre est à peine provocateur puisqu'on compte 6 viaducs sur ce parcours - et il faut ajouter 2 tunnels - alors que la desserte comprend au mieux 4 allers-retours par jour en semaine. Autant dire qu'il faut viser juste pour y voir passer des trains.
Morez - 3 septembre 2016 - Le viaduc de l'Evalude, sur la rivière du même nom, est le premier ouvrage significatif quand on quitte la ville de Morez en direction de Morbier. On voit évidemment en arrière-plan le viaduc de Morez surplombant une partie de la ville, sur la branche de Saint-Claude. © transportrail
Morez - 25 juillet 2023 - Le viaduc de Morez vu depuis la colline située à l'ouest de la ville. Le viaduc des Crottes est évidemment à remarquer, mais aussi tout à l'arrière-plan l'ouvrage situé en fond de reculée. © transportrail
Morez - 25 juillet 2023 - Et en prenant encore un peu plus de hauteur, on peut arriver à cadrer une photo avec le viaduc des Crottes (à droite) et celui de Morbier (à gauche). © transportrail
D'où cette interrogation persistante sur le devenir de cette ligne, desservant un territoire plutôt rural, marqué par une forte dépression démographique (Morez, Saint-Claude et Champagnole ayant perdu un quart de leur population au cours des dernières décennies) et qui plus est handicapée par l'arrêt du trafic sur la section Saint-Claude - Oyonnax qui offrait pourtant un accès à un bassin d'emplois plus dynamique et, par extension vers Lyon.
A ce stade, des investissements ont été consentis par la Région pour la maintenir en exploitation, mais dans une posture qui semble symbolique au regard de la faiblesse de la desserte et de sa lisibilité toute relative.
Il va bien falloir s'atteler à la question de fond de l'usage de cette ligne, les considérations hostiles au maintien de cette ligne prendront progressivement corps. Il serait donc souhaitable que sa notoriété ne se limite pas à la hardiesse de son tracé et porte aussi sur l'utilité pour la population !
Aussi, transportrail a actualisé son dossier consacré à la ligne des Hirondelles pour essayer d'esquisser un scénario en ce sens.
Grandes lignes : nos dossiers mis à jour
Actualisations de printemps à transportrail : pour commencer, notre série consacrée aux grandes lignes classiques et à une prospective de développement de ceux qu'on appelle aujourd'hui Trains d'Equilibre du Territoire. Après des années de déclin, une nouvelle période a commencé. Le renouvellement du matériel roulant a débuté avec l'arrivée fin 2017 des Coradia Liner puis le lancement du remplacement des voitures Corail et des BB26000 avec les Confort 200. La desserte de la transversale sud a été recomposée et améliorée avec succès (de fréquentation, la régularité, c'est autre chose). Nantes - Bordeaux a retrouvé un quatrième aller-retour (mais l'état de l'infrastructure au sud de Saintes reste un souci majeur), Nantes - Lyon son troisième avec une desserte quotidienne de Nantes qui contribue aux bons résultats de fréquentation. Les dessertes de Paris vers Toulouse et Clermont-Ferrand seront remaniées avec les nouvelles rames et les premiers programmes d'investissement en cours sur l'infrastructure.
Saint-Michel sur Orge - 29 juin 2018 - 14 voitures pour cet Intercités de l'axe Paris - Toulouse. Plus que quadragénaires, les voitures Corail vont bientôt être remplacées par de nouvelles automotrices qui signifieront aux BB26000 leur retraite. Le débat sur la consistance de la desserte n'est peut-être pas encore totalement clos. Quant aux installations électriques entre Paris et Vierzon, c'est un des dossiers du moment, pour arriver à concilier travaux et circulations. © transportrail
Cependant, plusieurs chantiers restent à engager. Il y a assurément une demande non satisfaite, pour compléter la desserte des lignes existantes, créer de nouvelles relations, peut-être même jusqu'à doubler certaines radiales à grande vitesse qui laissent de côté certains territoires. SNCF Voyageurs expérimente des services classiques hors convention avec l'Etat mais ces prestations sont précaires car leur économie repose sur un matériel largement amorti : après tout, le label TET n'a pas nécessairement vocation à se cantonner à des liaisons déficitaires ! Il y aurait probablement un avantage pour le public à clarifier l'offre, y compris par un échange avec les Régions pour renforcer la cohérence d'ensemble des services. D'autres opérateurs veulent s'engager sur le segment des liaisons classiques interrégionales mais les annonces restent sans effet à ce jour.
Enfin, la fin de la période de transition en matière de libéralisation amène à questionner à court terme non seulement l'évolution du service, mais aussi la gestion du matériel roulant : signe d'une amorce de virage, les Confort 200 ne porteront pas une livrée définie par l'opérateur mais par l'autorité organisatrice.
Notre mise à jour concerne d'abord les liaisons diurnes. Comme vous le constaterez, il existe une passerelle - on serait tenté de dire que c'est un viaduc ! - entre ces relations classiques et les relations province-province à grande vitesse, d'où l'engagement en parallèle d'une révision de notre dossier à ce sujet et complété d'une nouvelle réflexion sur la gestion des dessertes sur LGV pour des raisons assez similaires.
Nous reviendrons prochainement sur les trains de nuit et nos reportages à bord de ces trains.
Notre fil conducteur ? L'investissement dans une politique de dessertes ferroviaires plus riches et mieux coordonnées est un levier important d'une transition des déplacements vers des solutions non seulement décarbonées mais aussi au coeur d'une politique de développement plus équilibré d'un territoire - et d'un réseau - qui ne se limite pas qu'à Paris et une dizaine de métropoles.
Des tribunes... et après ?
Depuis le début de l'année, on ne compte plus les tribunes signées dans différents journaux par des élus, le plus souvent régionaux, individuelles ou collectives, appelant à une nouvelle politique des transports - le ferroviaire en chef de file - en lien avec l'aménagement du territoire, l'activité économique et industrielle y compris en dehors des grandes métropoles, la réduction de la dépendance à la voiture. Rien que dans les colonnes du Monde, on en compte quasiment une par mois. La dernière en date est signée de 15 présidents de Régions, y compris la Corse et les territoires outre-mer.
Dans les trains, il est stipulé que tout usage abusif du signal d'alarme sera sévèrement puni. Manifestement, de nombreuses mains tirent la poignée... mais le train de la régression ne s'arrête pas. Sauf à être totalement sourd, il est impossible de ne pas entendre le message. La communication gouvernementale poursuit, d'une façon un peu plus classique (comprendre sans mises en scènes sur Tiktok), sur la même lancée de l'auto-satisfaction et de l'auto-persuasion. Si sur le plan statistique, l'investissement actuel de renouvellement est le plus élevé depuis 20 ans il n'en demeure pas moins qu'il est au mieux stagnant et surtout notoirement insuffisant. Après les 100 milliards d'euros sur 15 ans souhaités par le président du groupe SNCF, plusieurs élus régionaux soutiennent un investissement de même niveau... mais sur 10 ans. On passera sur quelques envolées (non la France n'a pas le réseau le plus dense d'Europe : il se situe tout juste dans la moyenne, que ce soit par unité de surface ou par habitant) et sur le train à hydrogène) : le propos est globalement juste.
Le clivage entre les élus de terrain, les élus nationaux et les membres du gouvernement apparaît de plus en plus profond. Le financement du réseau ferroviaire est un problème de société majeur et il y a désormais un risque élevé d'être entrer dans une phase très difficilement réversible de régression : avec l'actuel contrat Etat - SNCF Réseau, la performance du réseau structurant ne pourra pas être garantie et le maillage du territoire ira nécessairement en se dégradant. Moins de lignes et celles qui resteront seront circulées à vitesse réduite. Un scénario que décrivait déjà l'audit de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne en 2005.
Il est vrai que la voiture électrique à 100 € par mois résoudra tous les problèmes...
Grande vitesse : encore plus vite ?
C'était une question récurrente dans la presse grand public, et qui émaille les discussions finalement depuis les origines du chemin de fer : faut-il aller encore plus vite ? La présentation la semaine dernière de la première rame TGV-M a marqué une rupture puisqu'elle n'ira pas plus vite que les actuelles rames. Ses bénéfices sont ailleurs, sur l'investissement, la capacité, la modularité et l'empreinte énergétique et environnementale.
Des matériels aux ambitions de plus en plus marquées
Depuis les années 1990, en France, circuler à 300 km/h est devenu une performance banale. Les années 2000 ont encore relevé le plafond à 320 km/h et certains faisaient déjà des 360 km/h le prochain cap à atteindre. Très conquérant sur le marché européen, Trenitalia communique sur les 400 km/h accessibles avec les Frecciarossa 1000, alias ETR400. Talgo n’est pas en reste avec des rames prévues pour 330 km/h et la nouvelle génération Avril voudrait atteindre sinon dépasser les 350 km/h. Mais pour l’instant, il n’en est rien : même en Espagne où les lignes à grande vitesse réalisées depuis les années 2000 sont tracées pour 350 km/h, la vitesse de croisière est généralement de 300 km/h et les possibilités au-delà ne sont mises à profit que pour rattraper un retard et ne pas devoir indemniser les voyageurs. Alstom avait développé l'AGV dans la perspective de pratiquer les 350 km/h.
Innotrans est évidemment le lieu pour observer l'évolution des tendances de l'industrie ferroviaire : voici les deux derniers exemples de matériel à grande vitesse exposés, mettant en avant une conception pour des performances plus élevées que celles des rames connues à ce jour. En 2008, Alstom exposait le démonstrateur de l'AGV et en 2014, le groupement Bombardier - Hitachi était venu avec un Zefiro italien. © transportrail
Le mirage des descendants de l'Aérotrain
Le débat sur la vitesse s'exprime aussi au travers de l'attrait toujours marqué des médias pour des concepts tels qu'Hyperloop ou SpaceTrain affichant des vitesses jusqu'à 1300 km/h. Pour le premier, le bail du site de Toulouse-Francazal a été résilié par la Métropole, qui a perdu près de 6 M€. Officiellement, la société Hyperloop TT lorgne sur un autre terrain du côté de Muret pour un tube expérimental de 10 km. Mais les collectivités ont été - enfin ! - refroidies. Compréhension rapide... mais il faut expliquer longtemps. Quant à SpaceTrain, le concept passe des pages technologiques à la chronique judiciaire, d'abord suite à une plainte pour non-versement de salaires et ensuite pour de fausses déclarations de chômage partiel pour bénéficier des aides de l'Etat, alors que certains salariés auraient continué à travailler... tandis que d'autres avaient déjà démissionné.
Et dès lors que Elon Musk lui-même a reconnu que le concept n'avait pour seul but de torpiller le projet de TGV en Californie, il n'est point besoin de s'étendre sur la questioN.
Comme un goût de pragmatisme
Ce plafonnement de la vitesse a plusieurs raisons d'ordre économique et liés pour partie aux choix de conception des lignes à grande vitesse en France, notamment le choix de la voie ballastée, la valeur de l'entraxe des voies et l'aérodynamique du matériel roulant. Ainsi, passer de 300 à 320 km/h entraîne déjà une augmentation des coûts de maintenance de 25 à 30% de l'infrastructure, et une consommation d'énergie plus importante. Nous y revenons par la suite. Autre élément à ne pas négliger, le bruit et les riverains, même si l'acceptabilité des lignes nouvelles n'a jamais été très élevée : tout le monde veut profiter du service, mais à condition qu'il passe loin de chez soi... pour critiquer ensuite une accessibilité difficile.
Du côté des gains, abordons d'abord quelques principes : il ne faut pas oublier que le système ferroviaire est fondé pour large partie sur des coûts fixes par paliers : c’est lorsque l’augmentation de la vitesse permet de faire la même offre avec moins de matériel ou une desserte accrue à iso-parc qu’apparaît le gain réel, sauf – évidemment – à concevoir des dessertes sur le seul critère de la rotation du matériel et à ne pas intégrer la structuration en horaire cadencé (comme Ouigo), mais en négligeant un peu la sensibilité du voyageur. Exemple : il faudrait pouvoir relier Paris à Lyon Perrache en 1h45 maximum au lieu de 2h08 pour gagner une rame dans une desserte cadencée à l'heure, à condition de généraliser de façon fiable des crochets aux terminus en 30 minutes. Qui plus est, le bénéfice d'une vitesse accrue ne vaut que sur de longs parcours sans arrêts : il est par exemple possible de tenir 1h48 sur Paris - Strasbourg sans pour autant dépasser 300 km/h.
Et dans l'absolu, on peut en profiter pour souligner un paradoxe français, qui ne lésine pas sur les investissements à quelques dizaines de millions d’euros par minute gagnée, mais qui ne s’offusque pas de voir une rame coûtant plus de 30 M€ circuler sur plusieurs kilomètres à 30 ou 40 km/h pour accéder aux grandes gares. Le temps gagné, c’est aussi celui qu’on ne perd pas… Avantage global pour le système ferroviaire, agir sur ces zones pour relever la vitesse à au moins 60 km/h ne bénéficierait pas qu'aux liaisons longue distance à grande vitesse, mais à tous les trains. « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ».
Conception de l'infrastructure : une autre limitation de la vitesse
Le classicisme dans la conception des lignes à grande vitesse française, essentiellement sur voie ballastée, tranche avec le recours à la voie sur dalle en béton dans la plupart des autres pays. C'est plus cher à la construction, mais plus économique en maintenance courante. La question ne se pose que pour le renouvellement, plus complexe. La voie sur dalle autorise, à rayon de courbe constant, des dévers accrus donc des vitesses légèrement supérieures, mais aussi une réduction de l’entraxe entre les voies, donc des emprises moins gourmandes en foncier. Une aérodynamique plus poussée du matériel, comme au Japon, permet des vitesses accrues.
Sur JR East, les rames du Shinkansen larges de 3,40 m (contre 2,89 m en France) peuvent circuler à 320 km/h avec un entraxe de 4,20 m comme celui de la LGV Sud-Est qui admet entre 270 et 300 km/h. En outre, les rames japonaises sont généralement encore plus légères : exemple avec la série E7 apte à 320 km/h, composée de 10 voitures dont 8 motorisées, développant 10 MW avec une masse de 453 tonnes réparties sur 40 essieux, soit 11,3 tonnes à l’essieu (à vide) et une puissance massique de 22 kW / t. Les rames Duplex Océane disposent d’une puissance massique légèrement supérieure (9280 kW pour 399 tonnes soit 23,3 kW / t), avec une motorisation concentrée sur les 8 essieux des 2 motrices, et une charge à l’essieu de 15,3 tonnes (à vide). Un écart non négligeable quant à la sollicitation de la voie, surtout sur plateforme ballastée. Le coût de maintenance supplémentaire entre 300 et 320 km/h a été évalué entre 20 et 30%.
L'aérodynamique joue aussi sur l'insertion des infrastructures et limite le recours aux murs anti-bruit, qui obèrent l'agrément de voyage en privant les voyageurs de la contemplation de certains paysages. Ceci dit, il y aussi le syndrome de la trumite, qui consiste à avoir des places assises borgnes, entre deux fenêtres...
La nouvelle génération de TGV français, développé par Alstom et SNCF Voyageurs, améliore son aérodynamique mais d’abord dans un souci de réduction de la consommation d’énergie : il n'est plus question d'une vitesse accrue, même si le profil en courbe, le dévers et l'entraxe des lignes réalisées depuis les années 1990 est compatible avec une vitesse théorique de 350 km/h, car l'ensemble des requis ne sont pas réunis.
Un peu de géographie pour finir
Enfin, rouler plus vite suppose de s'arrêter le moins souvent possible pour que le bénéfice soit réel, ce qui remettrait sur la table des discussions le lien entre la grande vitesse ferroviaire et le maillage du territoire. L'intérêt de pratiquer une vitesse plus élevée n'aurait de sens sur le plan commercial que pour de très longues distances entre deux gares, donc essentiellement sur des trajets au départ de Paris vers des destinations très éloignées. Le plus long parcours sans arrêt sur LGV reste Paris - Marseille, mais seule la partie au sud de Valence TGV dispose d'une vitesse de tracé de 350 km/h. Sur Paris - Bordeaux, trajet plus court, c'est après Tours que l'infrastructure est en théorie calibrée pour aller au-delà de 320 km/h. Reprendre l'entraxe des voies et rectifier certaines courbes est une option bien peu crédible au regard de l'investissement à consentir et du bénéfice réel.
Aussi, même dans une optique européenne, le bénéfice resterait modeste : sur un Paris - Barcelone, il faudrait, pour vraiment obtenir un gain de temps significatif, non seulement réduire le nombre d'arrêts desservis (par exemple Valence TGV), convertir CNM en LGV (le tracé le permet) au détriment du fret et avec l'épineuse question du choix entre les gares de Nîmes Pont du Gard et de Montpellier Sud de France et enfin réaliser LNMP en ligne à grande vitesse de bout en bout ce qui n'est pas le schéma retenu. Bref, beaucoup de conditions qui, à ce jour, rendent peu crédibles les perspectives de trains à plus de 320 km/h en France.
Spécial présidentielle 2022 : le constat
C'est parti : les candidats à l'élection présidentielle ont donc été officialisés par le Conseil Constitutionnel.
Sans surprise, les questions relatives aux transports, à l'aménagement du territoire et à la réduction des gaz à effet de serre ne sont pas vraiment en première ligne. Jusqu'à présent, le débat a été radicalement orienté par certains candidats sur le lien entre migrations, religions et sécurité. La dramatique actualité ukrainienne bouscule, sinon neutralise, la campagne. Et pourtant, comment ne pas rappeler que, si nous avions engagé une stratégie énergétique moins dépendante aux énergies fossiles, nous serions un peu moins dépendants du gaz russe (même si la France est probablement le pays européen dans la situation la moins inconfortable) ? Le sujet est presque aussi vieux que la présence de M. Poutine sur le fauteuil du Kremlin...
La guerre dans l'antichambre de l'Europe (au sens communautaire) est une préoccupation réelle : c'est indéniable. Il faudra quand même réussir à essayer d'évoquer d'autres sujets. L'actualité, surtout quand elle est d'une violence inédite, rend amnésique.
Pourtant, la pandémie a révélé les faiblesses de notre système de santé. Mais finalement, hôpitaux, écoles, police, justice et transports ont un point commun : une situation de fragilité, principalement le fait d'une approche dans laquelle la composante financière écrasait la dimension qualitative autour de l'efficacité du service rendu à la collectivité. En ce sens, l'état du réseau ferroviaire est finalement très cohérent avec la situation de nos hôpitaux ou de nos établissements scolaires. Bercy voit ce que cela coûte... moins ce que cela peut rapporter.
Situation assez comparable dans le secteur énergétique, avec le projet de relance de la filière nucléaire par M. Macron. Depuis le tournant de 1997 avec l'abandon par le gouvernement Jospin du projet de surgénérateur de Creys-Malville (Super-Phénix), la France n'a-t-elle pas un peu trop baissé la garde ? Les difficultés autour du projet EPR à Flamanville révèlent aussi d'une certaine façon la perte partielle d'un savoir-faire industriel stratégique (ne serait-ce que pour gérer la fin de vie des équipements existants si on décidait de s'en passer) qui va prendre du temps à être réamorcé. Encore une illustration d'un mécanisme voisin du problème des grands services publics.
Oui, l'ordre mondial est bouleversé comme jamais depuis la deuxième guerre mondiale. Le défi de cette campagne électorale serait d'être capable d'aborder sérieusement le court terme autour de la guerre en Ukraine et un autre péril, avec lequel on semble devoir s'accommoder ou se résigner, lié aux émissions de gaz à effet de serre. Les candidats en seront-ils capables ?
Pourtant, il y a de quoi être inquiet. La réduction de 55% de nos émissions par rapport au niveau de 1990 ne sera pas atteinte en 2030 contrairement aux engagements français. La neutralité carbone en 2050 devient de moins en moins probable. L'actualité prouve une fois de plus que notre dépendance aux énergies fossiles importées peut nous mettre en grave difficulté. Et pourtant, les solutions sont en grande partie connues : la maîtrise de la consommation d'énergie ne reposera pas uniquement sur les développements technologiques mais aussi sur une plus grande frugalité au quotidien. Les transports représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre mais la réduction des émissions dans ce secteur impose une démarche croisée avec l'aménagement du territoire, la stratégie industrielle et l'évolution des comportements individuels. On ne compte plus les milliers de page rédigées sur ce sujet depuis 30 ans, tant pour démontrer l'efficacité que pour inciter à aller encore plus loin.
Au cours de ce quinquennat, les transports n'ont existé qu'au travers de quelques messages chocs et souvent contradictoires dont on peine à trouver la cohérence et l'efficacité des orientations. Il est malheureusement probable qu'on restera sur notre faim à l'issue de la séquence électorale de ce printemps... et probablement à l'issue de la prochaine mandature.
POST-SCRIPTUM : voir le sondage des candidats réalisé par la FNAUT.
40 ans du TGV : la maturité à grande vitesse
Le 22 septembre 1981, le Président de la République inaugurait la grande vitesse ferroviaire française avec la première section de la LGV Paris – Lyon et les rames TGV Sud-Est. C’était probablement l’événement ferroviaire le plus marquant de l’histoire de la technique ferroviaire en France depuis l’après-guerre. Il ne s’agissait pas de créer un nouveau train, mais bien de créer un couple entre une infrastructure et un matériel roulant, mais sans pour autant aboutir à un isolat, comme ne l’était le projet de l’aérotrain, ou comme l’est le Shinkansen japonais (à l’écartement standard des rails contrairement au réseau historique). Cette capacité à diffuser les effets de la grande vitesse au-delà des infrastructures nouvelles allait faire sa force et sa réussite.
Lyon Perrache - 27 septembre 1981 - Premier jour de circulation commerciale. La rame 13 se met à quai avant de remonter à Paris, en 2h40 et à 260 km/h. Outre la vitesse, c'est bien l'allure totalement nouvelle de ce train qui suscita la curiosité... et contribua au succès commercial du TGV. © D. Simon
L’autre atout de la grande vitesse ferroviaire française résidait dans l’addition d’une série de progrès dans la traction, l’alimentation électrique, la signalisation, sur un ensemble voie-plateforme très – et peut-être trop ? – classique. Bref, vraiment du « train à grande vitesse », tirant le meilleur profit de l’expertise ferroviaire accumulée depuis les années 1950.
L’allure du TGV, ce train pas comme les autres, allait aussi faire sa notoriété, avec cette livrée orange, symbole de la puissance d’un train « dans son temps ».
La réussite technique est évidemment indiscutable, au même niveau qu’un autre projet lancé un peu plus tôt : la fusée Ariane. Si la grande vitesse a été ensuite développée en Europe (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni) et bien évidemment au Japon, la Chine est aujourd’hui loin devant avec plus de 38 000 km de lignes aptes à la grande vitesse. La Corée du Sud et le Maroc restent à ce jour les seuls cas d’exportation hors du continent européen du TGV français.
Aujourd’hui, le « toujours plus vite » a cédé la place à d’autres attentes économiques et énergétiques. Déjà, la rame Duplex avait réussi le tour de force d’augmenter la capacité d’emport tout en restant dans la limite des 17 tonnes à l’essieu. Désormais, il faut aller encore plus loin dans l’optimisation : c’est un des enjeux de la nouvelle génération de rames, qui arrivera à partir de 2024, plus capacitaire, plus modulaire et surtout plus économe en énergie.
Villeneuve Saint Georges - 18 septembre 2021 - Un anniversaire coïncidant avec les traditionnelles Journées du Patrimoine : les 3 bêtes de concours sont côte à côte : la rame 16 (380 km/h le 26 février 1981), la rame 325 (482,4 km/h le 5 décembre 1989 et 515,3 km/h le 18 mai 1990) et la rame 4402, titulaire toujours pas détrônée avec 574,8 km/h le 3 avril 2007. (cliché SNCF)
Au cours des Journées du Patrimoine, les manifestations pour les 40 ans du TGV (au demeurant plutôt modestes), ont permis au grand public de découvrir la maquette grandeur nature du nouveau nez, plus profilé, de la nouvelle génération de rames. © transportrail
Les premières esquisses de sièges. A gauche, la seconde classe semble marquer un recul vers une prestation assez proche des actuels Ouigo. A droite, la première classe se veut un peu plus cossue, mais avec une apparence moindre (notamment la tablette et les accoudoirs) que les actuelles rames Océane. Mais ce ne sont que des prototypes. © transportrail
La grande vitesse ferroviaire en France, c’est aussi quand même un paradoxe : au prix de la minute gagnée, la situation de nombreuses gares tête de ligne, à Paris (sauf à la gare du Nord) mais aussi les nœuds ferroviaires des grandes métropoles ont été insuffisamment adaptés à l’évolution des performances du matériel roulant : tant de gares sont encore limitées à 30 ou 40 km/h sur plusieurs centaines de mètres, voire plusieurs kilomètres, du fait de plans de voie obsolètes ou – pire – renouvelés à l’identique.
Il y a aussi une question territoriale, qui a émaillé ces 40 années : si la technique du TGV lui permet de desservir des villes au-delà des infrastructures nouvelles, le principe « avion sur rails » n’a pas profité aux territoires qui ne sont que traversés par ces lignes. Symbole : des gares nouvelles situées parfois à portée de main d’infrastructures existantes en activité, mais sans connexion (Le Creusot, Mâcon, Vendôme, Haute Picardie, Louvigny).
Et naturellement, ce débat entre les moyens alloués au développement du réseau à grande vitesse et ceux destinés au réseau préexistant : la consistance du maillage en a été affecté, la performance aussi, et comme les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, la dynamique économique de la grande vitesse ferroviaire en France suppose indiscutablement des correspondances de qualité y compris hors des grands pôles urbains.
A l’heure où l’Etat semble prendre le contrepied de sa propre position de juillet 2017 en multipliant les annonces sur de nouveaux grands projets, il serait utile de tirer les leçons du passé car au fil du temps, l’insuffisance de financement du réseau ferroviaire remonte des lignes de desserte fine du territoire vers des lignes de moins en moins anodines...
Railcoop voit - très - grand
Décidément, la lecture de la page des notifications sur le site de l'Autorité de Régulation des Transports devient une étape incontournable.
Railcoop a formulé vendredi dernier plusieurs intentions pour des dessertes supplémentaires ou adaptant les précédentes déclarations sur Lyon - Bordeaux, Toulouse - Rennes et Lyon - Thionville. Notons d'ailleurs que la coopérative confirme son intention de lancer le 26 juin 2022 son offre Lyon - Bordeaux.
6 nouvelles intentions, 2 projets amendés
Elles concernent à chaque fois 2 allers-retours quotidiens sur les relations suivantes :
- Le Croisic - Bâle, via Nantes, Tours, Nevers, Dijon et Mulhouse, comprenant 24 arrêts intermédiaires avec un temps de parcours de 11h13 ;
- Massy-Palaiseau - Brest par un parcours des plus rocambolesques : Versailles, Evreux, Caen, Saint Lô, Dol de Bretagne, Dinan et Saint Brieuc, en 8h31 et 19 arrêts ;
- Thionville - Grenoble / Saint Etienne, couplés jusqu'à Dijon : la tranche stéphanoise, évidemment par Lyon, mais la tranche grenobloise transiterait par Louhans, Bourg en Bresse, Culoz et Chambéry, avec un temps de parcours de 8h08 vers Grenoble (14 arrêts) et de 6h46 vers Saint Etienne (11 arrêts) ;
- Strasbourg - Clermont-Ferrand, classiquement envisagé via Mulhouse, Dijon et Nevers, en 7h56 avec 13 arrêts ;
- Annecy - Marseille, via Chambéry, Grenoble, Veynes, Sisteron et Aix en Provence en 7h28 et 9 arrêts ;
- Brest - Bordeaux, via Quimper, Nantes et La Rochelle, en 9h04 et 13 arrêts ;
- Toulouse - Caen / Saint Brieuc, évolution du Toulouse - Rennes, avec adjonction d'une tranche pour Caen et coupe-accroche au Mans, avec des temps de parcours respectivement de 9h48 vers Caen (13 arrêts intermédiaires) et 10h12 (12 arrêts intermédiaires) ;
- Lille - Nantes, évidemment tracé via Douai, Amiens et Rouen comme le projet de l'Etat pour les TET, mais qui, ensuite, passerait par la transversale Caen - Rennes, avec un trajet en 9h16 et 16 arrêts.
Open-access et cabotage peuvent-ils faire bon ménage ?
Une première analyse de ces projets de desserte identifie dès à présent pas mal de sujets qui pourraient devenir délicats.
Commençons par la politique d'arrêts. Les notifications transmises à l'ART portent sur des dessertes avec de nombreux arrêts, qui posent la question du positionnement des demandes : s'arrêter plus souvent, c'est manifestement rechercher à maximiser la population desservie, mais c'est aussi réduire l'attractivité sur des trajets plus longs. A tel point qu'on peut se demander s'il n'y aura pas, de la part de certaines autorités organisatrices, des demandes de test de sensibilité sur le bilan économique des dessertes conventionnées. En revanche, pourquoi ne pas desservir Moulins (mais Saint Germain des Fossés) sur la liaison Strasbourg - Clermont-Ferrand ?
On a aussi remarqué des choix d'arrêts hétérogènes sur des troncs communs : Montmélian, Gières, Montchanin, Serquigny, Mézidon et Savenay ne sont concernées que par une partie des circulations étudiées par la coopérative.
Venons-en aux contraintes capacitaires. Plusieurs lignes transitent par des sections à faible débit, en cantonnement téléphonique (Dol - Lamballe sur Lille - Nantes et Massy - Brest, Vif - Aspres sur Annecy - Marseille), dont la capacité limitée est presque intégralement consommée par les dessertes régionales existantes. D'autres doivent composer avec du block manuel (Landerneau - Quimper et La Rochelle - Saintes sur Brest - Bordeaux, Jarrie - Vif puis Serres - Aix en Provence sur Annecy - Marseille), ce qui est déjà le cas de Lyon - Bordeaux (entre Gannat et Guéret puis de Nexon à Périgueux), générant des contraintes de construction de la grille et de composition avec les circulations existantes, qui plus est sur les sections à une seule voie.
On peut aussi souligner que l'insertion de sillons directs entre Aix en Provence et Marseille sur la liaison sera à surveiller, compte tenu des objectifs de desserte périurbaine au quart d'heure sur cette section.
Sur des lignes mieux équipées, on peut aussi noter le penchant de Railcoop pour la section Savenay - Nantes déjà assez contrainte, et concernée par les études sur un RER nantais : elle serait empruntée par les relations Brest - Bordeaux, Lille - Nantes et Le Croisic - Bâle, soit 6 allers-retours. Ce n'est pas anodin. Ce sera peut-être moins tendu sur la section Mézidon - Caen, elle aussi concernée par 6 allers-retours. Le penchant pour l'ouest se confirme si on s'intéresse à la section Folligny - Dol, qui ne voit actuellement passer que 2 à 3 allers-retours et qui figure dans les notifications avec 4 allers-retours.
L'incursion en Ile de France s'annonce intéressante avec la gestion d'un terminus à Massy-Palaiseau sur les voies de la Grande Ceinture, utilisée par le fret, le RER C et la future navette transitoire Versailles - Massy-Palaiseau, en attendant l'achèvement du tram-train T12. Sueurs froides en perspective...
Enfin, ces grandes diagonales amènent structurellement à devoir trouver le dénominateur commun entre de multiples contraintes dans les grands noeuds du réseau, ce qui pourrait conduire à des temps de parcours encore un peu plus longs pour arriver à composer avec les circulations préexistantes. C'est ce qui s'est passé sur Lyon - Bordeaux avec une inflation du temps de parcours de 45 minutes entre la notification de Railcoop et la proposition de SNCF Réseau. Un Lille - Nantes devra composer avec les contraintes assez fortes sur Lille - Douai, puis dans les noeuds de Rouen, Rennes et Nantes...
L'un des enjeux sera évidemment de savoir si ces dessertes intègrent la trame horaire systématique - auquel cas ce pourrait être au détriment de l'activation de sillons pour le transport régional ou les TET - ou dans une construction hors trame, mais en composant avec la capacité résiduelle sans réelle garantie de performance.
Les intentions transversales sont confirmées et on ne peut nier que certaines sections présentent un certain intérêt car elles pourraient combler des absences : c'est par exemple le cas des liaisons Clermont-Ferrand - Dijon et Nantes - Dijon (toutes deux envisagées par la VFCEA). On peut objectivement saluer l'intention de relancer une desserte Caen - Rennes, concernée par 4 allers-retours. D'une certaine manière, c'est aussi le cas pour la liaison Annecy - Marseille, qui fleure bon l'Alpazur d'antan, et qu'il est intéressant de voir apparaître alors qu'avait été réalisé à grands frais un raccordement entre le sillon alpin et la LGV pour des relations Alpes - Méditerranée (qui n'ont pas dépassé le stade de l'anecdotique aller-retour hebdomadaire).
Cependant, ces projets viennent cette fois-ci téléscoper les projets projets de l'Etat pour les Trains d'Equilibre du Territoire avec les demandes transitant par l'axe Nantes - Bordeaux, et la diagonale Lille - Nantes, même si les perspectives de l'Etat et de Railcoop divergent sur cette dernière à partir de Mézidon.
Il y a en revanche une différence assez nette : les notifications de Railcoop apparaissent très orientées sur des parcours de cabotage compte tenu du nombre élevé d'arrêts, avec une vitesse moyenne inférieure à celle des trajets en voiture. D'où le risque de requête, notamment de certaines Régions... surtout si les propositions à Railcoop amenaient à des modifications d'horaires substantielles sur les TER et/ou TET...
Mais sur le fond, la même question demeure : peut-on arriver à équilibrer charges et recettes sans subvention (principe de base du service librement organisé) avec des dessertes de cabotage et des tarifs globalement calqués sur ceux du covoiturage ? C'est pourtant la condition d'existence de cette entreprise...
X72500 pour tous
Toutes ces relations seraient assurées avec 2 X72500 tricaisses : compte tenu de la longueur des trajets, il sera souvent difficile d'intégrer un aller-retour dans la même journée, donc chaque rame ne ferait qu'un aller par jour. Bref, beaucoup d'actifs pour une productivité journalière contrastée selon qu'on raisonne en kilomètres parcourus ou en nombre de services par rame et par jour. Toutes les circulations étant prévues en UM2, il faudrait que Railcoop récupère la totalité des 42 rames tricaisses produites, ce qui suppose qu'elles soient libérables... et utilisables. Les annonces sur une rénovation par ACC traitent la carrosserie et les aménagements intérieurs, mais quid de la chaîne de traction et des fameux groupes auxiliaires qui font la célébrité de cette série ?
Dans le rapport d'activités de la coopérative, on apprend un peu plus sur l'abandon de location de matériel neuf : l'acquisition par un loueur aurait due être gagée par une puissance publique auprès de la structure portant l'investissement. Ni l'Etat, ni les Régions n'ont souhaité s'engager dans cette voie. D'où le repli sur des automoteurs existants, à la réputation technique peu flatteuse et au niveau sonore élevé à bord...
On peut être aussi circonspect sur la capacité réelle à assurer certaines de ces dessertes au long cours, par rapport à l'autonomie en carburant de ces automoteurs et la localisation des stations-service sur le réseau. Le foisonnement de liaisons notifiées crée un éparpillement dont il va être difficile de trouver le dénominateur commun pour assurer la maintenance. Il semblerait que la coopérative solliciterait les technicentres de la SNCF...
En outre, ces nouvelles relations seraient pour large partie assurées en traction thermique sur des lignes électrifiées. On a connu mieux question responsabilité environnementale. D'ailleurs, pour la liaison Le Croisic - Bâle, il faudra demander l'avis aux suisses pour la circulation d'un matériel (au mieux) aux normes anti-pollution Euro2...
Il faudra aussi recruter des effectifs : une centaine d'emplois sont annoncés par la cooopérative pour lancer la liaison Lyon - Bordeaux et la desserte fret entre Figeac et Saint Jory. C'est déjà beaucoup... alors combien pour l'ensemble de ce nouveau périmètre ?
Il va en falloir des sociétaires...
A court terme, ces propositions sont élaborées de façon assez stratégique car elles touchent toutes les Régions métropolitaines, y compris l'Ile de France. Railcoop peut donc s'appuyer sur ces intentions nouvelles pour continuer son tour de France, et obtenir l'adhésion de collectivités locales... mais à ce stade sans garantie de concrétisation de la desserte. Manifestement, pour la coopérative, il faut rapidement recueillir plus de capital ne serait-ce que pour payer les salariés et recruter de nouveaux collaborateurs en vue des premières exploitations... Ce qui pose là aussi question, tant sur la méthode que sur le fond. Quels moyens seront réellement réunis ? Peut-on réellement imaginer la rénovation de la quarantaine d'automoteurs d'ici 18 mois, puisque ces nouveaux services sont annoncés à l'horaire 2023 ? Quelle contractualisation avec quelle entreprise pour l'entretien du matériel ? Combien de salariés auront été recrutés, en particulier les conducteurs ?
Il n'en demeure pas moins une franche ambiguïté du positionnement : service ferroviaire librement organisé, donc sans subvention publique, ciblant de plus en plus un marché de cabotage de courte et moyenne distance pouvant entrer en concurrence avec les activités conventionnées, mais sollicitant quand même les collectivités locales pour constituer son capital.
Comme nous le disions dans notre dossier, le risque d'un déficit structurel lié au marché visé reste important et les sociétaires devront l'éponger et, en cas d'échec, nombreux seront les observateurs qui profiteront de l'occasion pour l'interpréter comme une absence d'intérêt du train sur les liaisons transversales.
Organiser le report de l'avion sur le train
C'est le sujet de l'étude réalisée par le Réseau Action Climat, confiée à Egis Rail. Elle a porté sur les 23 liaisons aériennes intérieures dont le trajet en train dure moins de 4 heures, aux 14 liaisons pour lesquels le trajet en train dure 4 à 5 heures maus aussi à la liaison Paris - Nice, au-delà de 5 heures mais aujourd'hui la plus émettrice de gaz à effet de serre.
Il est évident que le seuil actuel de la Loi Climat et Résilience est trop bas : à 2h30, une poignée de liaisons sont concernées et le train est en situation largement dominante grâce au TGV. Le dossier de transportrail sur le rôle du train et de l'avion proposait un seuil à 3h30 fondée sur la réalité commerciale : le train est encore plus que majoritaire avec ce temps de parcours, intégrant par exemple les liaisons depuis Paris vers Montpellier et Marseille, mais aussi depuis Lyon vers Lille et Strasbourg.
Certains chiffres de cette étude sont intéressants et donnent matière à relativiser le rôle de certains aéroports : si on dénombre 8812 voyageurs aériens par jour sur la liaison Paris - Toulouse, ils ne sont que 160 à Lorient, 135 à Brive et 30 à Limoges. Certaines transversales connaissent un usage anecdotique : moins de 20 voyageurs au départ de Bordeaux vers Rennes, Strasbourg et Montpellier.
La conclusion de l'étude confirme la capacité opérationnelle du mode ferroviaire à absorber le report du trafic actuellement par voie aérienne, généralement à infrastructures constantes, moyennant quelques circulations supplémentaires et l'augmentation de capacité des trains. Du point de vue de transportrail, ce propos doit être précisé et nuancé :
- sur certaines liaisons, le basculement vers le train nécessitera des investissements pour compléter le réseau à grande vitesse : sur Paris - Toulouse par exemple, même si la LGV SEA a fait progresser l'usage du train, la réalisation de la ligne nouvelle Bordeaux - Toulouse sera quand même l'étincelle qui devrait provoquer un effet similaire à celui de la LGV Méditerranée (qui vient d'avoir 20 ans) sur les liaisons vers Marseille, Nîmes et Montpellier ;
- augmenter la capacité des trains, notamment avec les rames Duplex et la nouvelle génération de TGV est évidemment un facteur intéressant, mais il ne faut pas négliger le rôle de la fréquence dans la commodité d'usage et l'attractivité du train : le voyageur est généralement peu intéressé par le nombre de sièges dans la rame, mais s'avère sensible - outre au prix - à la régularité de l'offre dans la journée. Or de ce point de vue, la quasi-généralisation des Duplex et l'essor de Ouigo, principalement en remplacement de liaisons Intersecteurs, ont eu des effets contrariants sur la fréquence et la rémanence de l'offre tout au long de la journée.
Bordeaux Saint Jean - 3 juillet 2020 - La mise en service de la LGV Sud Europe Atlantique et une offre conséquente ont nettement modifié l'équilibre entre le train et l'avion au départ de Bordeaux... mais surtout vers Paris pour le moment. Les liaisons vers les autres métropoles attendent une amélioration de la consistance des dessertes. © transportrail
Saint Malo - 13 septembre 2020 - La diffusion de la grande vitesse par le réseau classique pose aussi la question de certains aéroports d'intérêt local. La plupat des sites régionaux ne survivent qu'à coups de subventions pour un trafic réel des plus limités. La Bretagne devra par exemple faire des choix, puisque la LGV Bretagne Pays de la Loire a mis par exemple la pointe du Finistère à moins de 3h30... et Saint Malo à un peu plus de 2 heures. © transportrail
Marseille Saint Charles - 15 février 2014 - Depuis 20 ans, le TGV affiche une part de marché de 80% sur la liaison Marseille - Paris. La cité phocéenne bénéficie aussi d'un bon éventail de liaisons vers les métropoles (Lyon évidemment, mais aussi Nantes, Rennes, Strasbourg, Lille) qui méritent d'être (re-)développées. La transversale sud semble devenir une priorité nationale... © transportrail
Il apparaît aussi dans cette étude, une fois de plus, que le train de nuit peut être une solution parfaitement complémentaire aux TGV pour amplifier cette stratégie de report modal, et qu'il sera nécessaire de renforcer la coordination des offres. Elle passera tout particulièrement par le renforcement des liaisons Intersecteurs qui desservent Roissy, mais aussi par une réflexion plus large, ce qui conforterait le projet de transformation de la gare de Pont de Rungis pour la desserte de l'aéroport d'Orly, mais aussi pour la desserte d'autres aéroports. Ce sera le cas à Nice avec la nouvelle gare longue distance de Saint Augustin, complétant Nice Ville. Mais on pourrait aussi élargir la réflexion à d'autres aéroports chez nos voisins, dont la chalandise va bien au-delà des frontières nationales. Si l'accès à Genève-Cointrin depuis la France n'est pas aisé, on pensera en revanche à Francfort et Zurich. Mais évidemment, il faudra aussi une cohérence des services entre le train et l'avion. En Allemagne, la coopération semble franchir un palier supplémentaire.
Et si on le faisait aussi en France ? Un peu d'ordre et de méthode, une dose de cohérence en guise d'ingrédients avec l'indispensable coordination entre les besoins de déplacement, le service et l'infrastructure... et un effet de ciseau par un raisonnement multimodal entre la consistance de l'offre ferroviaire (nombre et panel de destinations, temps de parcours, qualité de service, régularité) et le rôle du transport aérien. Sur le papier, rien de bien compliqué... si ce n'est une constance de l'action publique... et un subtil équilibre entre volontarisme et pragmatisme.
Elections régionales : et les lignes suspendues
Nous avons commencé par lister les lignes pour lesquelles certains candidats aux élections régionales font figurer des réouvertures de lignes privées de desserte parfois de très longue date.
Second volet : les lignes suspendues, pour cause de mauvais état ne permettant plus les circulations dans des conditions de sécurité acceptables et avec des temps de parcours désorganisant trop fortement la production du service, problèmes souvent combinés à un financement qui n'est pas encore au rendez-vous. Sans surprise, ce sont toutes des lignes de desserte fine du territoire.
- Lille - Comines, pour laquelle un projet urbain est envisagé... et souhaitable ;
- Ascq - Orchies (idem) ;
- Abbeville - Le Tréport ;
- Arches - Saint Dié (la reprise de l'exploitation est prévue en décembre prochain) ;
- Pont Saint Vincent - Vittel ;
- Saint Hilaire au Temple - Verdun ;
- Avallon - Autun ;
- Oyonnax - Saint Claude ;
- Volvic - Le Mont-Dore ;
- Laqueuille - Ussel ;
- Volvic - Lapeyrouse ;
- Montluçon - Ussel ;
- Clelles-Mens - Aspres sur Buech ;
- Rodez - Séverac le Château ;
- Alès - Bessèges ;
- Montréjeau - Luchon ;
- Limoux - Quillan ;
- Saillat - Angoulême ;
- Saint Yrieix la Perche - Objat ;
- Morlaix - Roscoff.
Elections régionales : la foire aux réouvertures
Dans la campagne des élections régionales, les transports, qui restent une compétence majeure des Régions et leur premier poste budgétaire, ont occupé une place assez secondaire. Les esprits sont manifestement un peu ailleurs, soit dans la crise sanitaire, soit dans la répétition des élections présidentielle et législatives de l'année prochaine.
Souvent, le chapitre consacré aux transports des différentes listes candidates se contente de lancer quelques sujets en vogue du moment :
- en tête d'affiche, la sainte trinité ferroviaire avec le train léger - voire très léger - autonome à hydrogène ;
- puis la grauité des transports ;
- des réouvertures de ligne.
L'association TDIE a adressé aux candidats un questionnaire : les réponses sont partielles, car tous n'ont pas répondu, puisque manifestement, certains considèrent cette séquence démocratique comme un tour de chauffe pour l'année prochaine...
Intéressons-nous à ce dernier sujet, qui est récurrent dans les campagnes électorales mais dont les concrétisations sont particulièrement rares : transportrail vous propose une première liste, non exhaustive, que nous complèterons volontiers avec vos contributions. Mettons de côté les lignes suspendues en attente de financement des travaux de renouvellement : la frontière est certes mince, mais on peut simplement fixer un seuil, très arbitraire : les lignes sans circulations voyageurs depuis au moins 20 ans et qui ont été évoquées durant cette campagne électorale. Il ne s'agit pas de lister les lignes qu'il faudrait rouvrir, mais bien celles dont il a été question dans cette campagne. Certaines sont des figurantes récurrentes, mais la concrétisation reste toujours des plus hypothétiques :
- Caen - Flers ;
- Saint Pierre du Vauvray - Louviers (liaison Rouen - Louviers) ;
- Chartres - Dreux ;
- Voves - Orléans (liaison Chartres - Orléans) ;
- Orléans - Châteauneuf sur Loire ;
- Loches - Châteauroux (liaison Tours - Châteauroux) ;
- Brignais - Givors ;
- Evian - Saint Gingolph ;
- Saint Mariens - Blaye ;
- Mignaloux - Chauvigny (liaison Poitiers - Chauvigny) ;
- Saint Brieuc - Auray ;
- Saint Christophe des Bois - Les Herbiers (liaison Cholet - Les Herbiers) ;
- Paimboeuf - Saint Hilaire de Chaléons (liaison Paimboeuf - Nantes) ;
- Coulommiers - La Ferté Gaucher ;
- Colmar - Breisach (liaison franco-allemande Colmar - Freiburg) ;
- Haguenau - Rastatt (liaison franco-allemande).