Dégraisser le millefeuille administratif ?
C’est un des sujets politiques de ce début d’année 2014 : pour engager le processus de réduction de la dépense publique à hauteur de 50 MM€ comme l’a annoncé le chef de l’Etat au cours de sa récente conférence de presse, le redécoupage administratif du territoire fait partie des possibles… du moins dans son principe car depuis cette annonce, nombre d’élus locaux de tous bords et de ministres se sont exprimés de façon au mieux réservée voire franchement hostile à une simplification du millefeuille administratif français.
Pourtant, entre les 36800 communes (le quart de l’ensemble de l’Union Européenne), les 95 départements de métropole, les 22 régions et la nébuleuse des intercommunalités en tous genres, la rationalité n’est pas forcément de mise. En comparaison, les 80 millions d’allemands sont répartis en 8000 communes et 15 landers.
La partition des compétences sur les transports
Ce découpage territorial et cette superposition de strates conduit à un morcellement de la gestion des services publics. En matière de transports, les communes et intercommunalités s’occupent des réseaux urbains (bus, tramway, métro). Les départements chapeautent les lignes interurbaines routières et les services scolaires. Les régions sont quant à elles en charge des transports ferroviaires et des lignes routières interdépartementales.
Beauvais - 22 juillet 2012 - Plus de 15 ans d'implication des Régions dans le transport ferroviaire régional : le matériel roulant est aussi le support de la visibilité des Régions au travers des spécificités de décoration, ici pour une rame Picardie. © transportrail
Cette répartition apparaît en soi cohérente mais présente des limites dans l’exercice quotidien de la responsabilité d’autorité organisatrice. La coordination des dessertes, que ce soit dans les agglomérations et singulièrement dans les franges périurbaines ou en zone rurale, est handicapée par ce fonctionnement à acteurs multiples. Pire, la concurrence existe entre les différents services : on a vu certaines agglomérations priver d’accès à la zone centrale les lignes départementales (Montpellier et Lyon en guise d’exemple), et des départements lancer des tarifications à 1 ou 2 € sans mesurer l’impact sur l’économie du transport ferroviaire.
En matière ferroviaire plus précisément, le découpage en 22 régions conduit à multiplier les accords entre autorités organisatrices pour gérer les liaisons à cheval sur deux territoires, qui ne tiennent que tant que les acteurs politiques convergent sur l’intérêt de ces liaisons.
Alors que pourrait apporter une révision de la carte administrative française ?
Pour transportrail, la priorité est à la rationalisation du rôle d’autorité organisatrice. Une synergie semble devoir s’imposer entre le transport ferroviaire et le transport routier de voyageurs afin d’éviter la concurrence intermodale et aboutir à des schémas régionaux de transports permettant de faire de l’autocar à la fois un complément au maillage ferroviaire – là où le train a disparu – et un moyen d’accroître la fréquentation des trains par une politique de coordination efficace des offres, notamment par un rabattement vers les gares régionales. L’autocar doit être utilisé d’abord comme l’outil d’accès au réseau ferroviaire constituant la structure élémentaire de la desserte des territoires, et ensuite comme moyen de compléter ce maillage lorsque les solutions ferroviaires n’existent pas ou n’offrent pas une performance suffisante pour inciter au report modal.
Autre apport potentiel de la réforme territoriale, une simplification de l’organisation des transports dans les grandes agglomérations avec une coordination limitée à 2 acteurs : l’intercommunalité – qui doit devenir l’unité administrative de base du territoire – pour les transports urbains et la région pour l’organisation des dessertes ferroviaires, y compris en agglomération, afin de maintenir le principe d’interlocuteur unique vis-à-vis de l’exploitant (aujourd’hui la SNCF) et du gestionnaire de l’infrastructure (RFF). La multiplication d’autorités organisatrices sur le réseau ferroviaire n’apparaît pas souhaitable au regard de la complexité de l’exploitation.
Enfin, le regroupement de certaines régions procurerait de multiples opportunités dans le domaine ferroviaire. Comme l’a indiqué le gouvernement, les collectivités fusionnant bénéficieraient d’une prime dans leur dotation de décentralisation. Ces regroupements entraîneraient ipso facto la mutation du caractère de certaines relations ferroviaires passant du statut interrégional au statut intrarégional.
Quelques exemples
Parmi les lignes les plus concernées par cette réforme territoriale, les transversales : mal lôties de longue date, souvent moribondes et délaissées par la SNCF qui les considère au mieux comme des fardeaux et plus vraisemblablement comme des boulets dont il faudrait se défaire au plus vite.
Nantes - Bordeaux est aujourd'hui partagée entre 3 Régions et demain pourrrait ne l'être qu'entre un Grand Centre / Val de Loire et une Aquitaine élargie jusqu'au Poitou. Les liaisons entre les 3 villes - Nantes, La Rochelle, Bordeaux - en intégrant le giron des dessertes "intrarégionales" pourraient être gagnantes et on peut espérer une coordination des deux "super-Régions" pour intensifier l'offre de bout en bout.
Bordeaux - Lyon : si le temps des 3 allers-retours via Limoges de 1974 en RTG est bel et bien révolu, la liaison endormie (euthananasiée ? assassinée ?) est à cheval sur 4 Régions. Le redécoupage pourrait entraîner une division par 2 dans les schémas les plus radicaux, entre Rhône-Alpes / Auvergne et une Aquitaine intégrant le Limousin, ou la réduction a minima à 3 Régions, si le Limousin était maintenu ou fusionné avec l'Auvergne, auquel cas l'itinéraire serait central pour l'aménagement du territoire.
Clermont Ferrand – Limoges : aujourd’hui, cette relation ne revêt qu’un intérêt limité puisqu’elle relie d’abord deux capitales régionales aux franges de leur territoire, autour d’Ussel : il s’agit en réalité plus de la mise bout à bout de liaisons Clermont – Ussel et Ussel – Limoges que d’une vraie liaison entre agglomérations de 250 000 à 300 000 habitants. Dès lors, elles revêtent un caractère moins structurant et la récente fermeture de la section centrale de cette liaison, coupant Ussel de Clermont Ferrand, ne suscite ni une opposition ni une mobilisation de premier plan des deux régions. La fusion de l’Auvergne et du Limousin ferait au contraire des liaisons Clermont – Limoges et Clermont – Brive des éléments fondamentaux d’une politique d’aménagement et de développement économique d’un territoire « massif central ». La fermeture de la section Eygurandes – Ussel apparaîtrait alors inacceptable (si elle ne l’est pas déjà…).
Caen – Rouen : les deux Normandie peuvent s’inscrire dans la même approche même si la dynamique des territoires est peu comparable à celle de l’Auvergne et du Limousin, ne serait-ce que par une relative proximité de Paris et d’un tissu économique et industriel plus fourni autour de Rouen, Le Havre, Caen et Cherbourg. Avec 6 allers-retours aujourd'hui, avec un temps de parcours oscillant entre 1h35 et 1h51, l'offre s'avère insuffamment visible et donc compétitive avec la route qui ne fait guère mieux. Dans une Normandie unifiée, Caen - Rouen justifierait a minima une desserte à l'heure alternant les liaisons de cabotage et les liaisons intervilles desservant Elbeuf, Bernay, Lisieux et Mézidon.
Orléans – Nantes : le réseau de villes ligériennes – Orléans, Blois, Tours, Saumur, Angers, Nantes, Saint Nazaire – est partagé entre deux Régions, de part et d’autres de Tours, et la coopération interrégionale se limite aux 3 allers-retours Interloire. La question de la fusion des Régions Centre et Pays de la Loire a été évoquée : elle entraînerait la constitution d’un vaste territoire unissant les côtes vendéennes, le Berry, l’Indre ou encore la Sarthe, autant de contrées aux liens relativement limités. Qui plus est, le sort de la Région Poitou-Charentes n’est pas évident.
D'autres questions ne manqueront assurément pas de revenir sur la table quand la cartographie des Régions aura été dessinée : on pourrait penser à la liaison Nantes - Poitiers, aux dessertes depuis Nantes vers la Bretagne...
Aussi, si dans certains cas, des fusions de Régions peuvent s’avérer pertinentes (on pensera à Bourgogne et Franche Comté), la combinaison de la réforme territoriale et de la nouvelle loi de décentralisation devrait aussi avoir pour objet de renforcer les coopérations interrégionales.
Mais on peut aussi s’interroger sur le sort des lignes d’équilibre du territoire puisque le regroupement de certaines régions pourrait rendre ce statut quasiment caduc, surtout lorsque ces liaisons ne relient que deux régions, comme celles du bassin parisien vers la Normandie, le Berry, la Touraine ou la Picardie. Sur ces axes, les TER sont déjà très présents et la coordination des moyens pourrait être un levier d’amélioration d’organisation et de l’efficacité de la desserte ferroviaire en la confiant à une seule autorité organisatrice.
La réforme territoriale combinée à une nouvelle étape de la décentralisation ne seraient-elles pas les moyens de transférer nombre de ces relations aux « grandes régions » constituées et en ne conservant dans le giron national que de grands axes comme Paris – Toulouse, Paris – Clermont Ferrand et Bordeaux – Nice ?
Elle suppose un effort de transparence de l’Etat pour que la modification du périmètre de compétence ne se fasse pas si l’affectation des moyens actuellement employés pour les TET pour l’exploitation comme pour l’investissement sur le renouvellement du matériel roulant : les marchés Régiolis et Régio2N pourraient ainsi être mis à profit et assurer un optimum économique pour le remplacement des Corail et la recherche d’une amélioration des dessertes. La transparence devra aussi venir de la SNCF, pour obtenir un diagnostic précis des comptes par axe et ainsi constituer le socle d’une restructuration des relations. L’axe Paris – Amiens semble pilote en la matière puisque la Région Picardie et l’Etat se sont mis d’accord en ce sens.
Le redécoupage du territoire semble devoir pouvoir procurer de nouvelles opportunités en faveur d’une nouvelle politique du transport ferroviaire. Les intérêts particuliers – à commencer par ceux des élus puisque qui dit redécoupage et fusion dit moins de sièges à pourvoir – sauront-ils s’effacer devant l’intérêt général ?