Lyon - Turin : sortir de l'ambiguïté ?
La manifestation du 17 juin dernier en Savoie contre la liaison Lyon - Turin révèle une opposition grandissante aux projets de nouvelles infrastructures, quelle que soit leur nature et leurs finalités. On ne peut cependant pas tirer de généralité car, en matière de transports, il est difficile de trouver des convergences - autre que le refus par principe de nouveaux équipements - par exemple entre la contestation du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, de l'autoroute A69 dans le Tarn ou de la liaison transalpine.
Le tunnel de base est cours de construction, ce qui rend caduque toute hypothèse d'abandon pur et simple du projet. En revanche, plusieurs points doivent être mis en exergue, car en l'état actuel, il est légitimement permis de douter de l'efficacité à terme du chantier en cours. Améliorer - significativement ! - la circulation des trains sur 57 km sous les Alpes procède d'une vision bien trop étriquée : pour des trains de marchandises effectuant plusieurs centaines voire milliers de kilomètres, le bénéfice de ce seul projet peut être qualifié non pas de marginal mais de limité.
Accéder au tunnel de base : la culture française de la non-décision
Côté français, l'Etat s'empressait jusqu'à présent de ne prendre aucune décision quant aux itinéraires d'accès à la Maurienne. Le rapport du deuxième Conseil d'Orientations des Infrastructures a accentué la confusion en priorisant l'utilisation de la ligne existante depuis Dijon via Bourg-en-Bresse, Ambérieu, Culoz et Chambéry, en alternative à la combinaison des lignes nouvelles depuis l'agglomération et son contournement par l'est, lui aussi fortement contesté localement. Néanmoins :
- la capacité disponible pour le fret sur l'itinéraire classique est principalement déterminé par les conditions de traversée de la section Culoz - Aix-les-Bains - Chambéry - Montmélian, sur laquelle s'agglomèrent les trafics voyageurs du sillon alpin, des liaisons régionales radiales en lien avec Lyon, et la desserte de proximité entre les agglomérations savoyardes : en 2022, on comptait en moyenne une centaine de circulations entre Aix-les-Bains et Chambéry (dont une vingtaine de trains de fret) et près de 130 entre Chambéry et Montmélian. Si en théorie, il reste encore un peu de capacité, il faudra assurément moderniser l'infrastructure pour assurer la cohabitation entre un trafic fret plus important et des circulations voyageurs dont le potentiel de développement reste éléve : ERTMS, banalisation et renforcement de l'alimentation électrique seront assurément au menu, mais il ne faudra pas oublier d'intégrer la dénivellation des bifurcations de Saint-Pierre-d'Albigny, Montmélian, Chambéry, Aix-les-Bains, Culoz et Ambérieu, ce qui risque d'être un facteur de coût particulièrement élevé et souvent en milieu urbain ;
- comme déjà évoqué dans un précédent article de transportrail, il ne faudra pas négliger d'autres points faibles, notamment sur la ligne de la Bresse entre Dijon et Bourg-en-Bresse ;
- le transit vers Lyon est contraint par la capacité des infrastructures, que ce soit par l'inéluctable montée en puissance du RER lyonnais ou les limites de la voie unique entre Saint-André-le-Gaz et Chambéry ;
- il semble difficilement admissible de développer le trafic fret via Lyon, d'où la nécessité d'une infrastructure contournant la métropole, par l'est pour être utilisable par les deux itinéraires depuis Dijon (via Mâcon ou via Louhans pour rejoindre Bourg-en-Bresse et Ambérieu) : c'est le sens de la phase Nord du Contournement Ferroviaire de l'Agglomération Lyonnaise, dont la ligne nouvelle entre Grenay et Chambéry constitue un prolongement quasi-naturel ;
- que ce soit sur le CFAL ou la ligne nouvelle Grenay - Chambéry, il faudra statuer sur son éventuel usage par des trains régionaux (aptes à 200 km/h ?), ce qui semble aujourd'hui un angle mort des réflexions sur ces projets.
Entre Artemare et Bréon - 19 août 2020 - La BB36354 quitte la Savoie pour entrer dans la cluse de l'Albarine entre Culoz et Ambérieu. Cette section accueille actuellement le trafic fret en lien avec l'Italie, mais aussi les dessertes régionales depuis Lyon vers Genève, Annecy et Chambéry, dont le nombre est actuellement encore insuffisant. © S. Meillasson
Chindrieux - 2 octobre 2019 - Longeant le lac du Bourget, cette BB7200 emmenant en véhicule une BB26000 approche d'Aix-les-Bains. C'est dans ce secteur que la capacité de l'infrastructure est la plus sollicitée, tant pour développer le fret que les différentes dessertes voyageurs. Sans ligne nouvelle, cet itinéraire devra supporter la totalité du trafic du tunnel de base en cours de réalisation. © D. Gubler
Saint-Michel-de-Maurienne - 10 juillet 2017 - Tête d'affiche de la ligne de la Maurienne, l'autoroute ferroviaire affiche depuis plusieurs années de très bons taux de remplissage, mais il s'agit plutôt d'un produit d'appel, à forte visibilité. L'essor des trains complets et du transport combiné sera un marqueur fort du développement du fret ferroviaire sur l'axe franco-italien. © R. Douté
Pendant la politique politicienne, le temps passe...
Ces derniers jours, la pétition signée par 42 élus de la Métropole de Lyon, en désaccord avec les prises de position de son président, opposé aux lignes nouvelles Lyon - Turin, a semble-t-il servi de trempli au gouvernement pour tenter une ouverture sur le financement. Rappelons préalablement que l'Union Européenne prendra en charge 50 % du coût des accès français au tunnel de base. Reste donc à financer l'autre moité. Le ministre des Transports a proposé une participation de l'Etat à hauteur de la moitié de cette moitié, en indiquant un montant de 3 MM€ (confirmant donc un coût total de l'ordre de 12 MM€). Refus de la Région, qui indique pouvoir mobiliser 1 MM€ du budget régional. Une posture qui ne manque pas de surprendre puisque, en parallèle, la Région a décidé de ne plus financer les investissements sur le réseau ferroviaire existant...
Dernier élément, et non des moindres : la Déclaration d'Utilité Publique des accès ferroviaires au tunnel de base tombe en 2028. Et pour l'instant, il semble bien peu probable que des travaux puissent démarrer d'ici là puisqu'il n'y a par exemple pas d'étude de tracé...