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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires
5 octobre 2019

Etat – Régions : le ferroviaire, incarnation du clivage

Congrès des Régions : l’Etat entre esquive et recentralisation non assumée

Troisième congrès des Régions pour Edouard Philippe en tant que Premier Ministre, et une fois de plus, on ne peut pas dire qu’il s’y est fait des amis. Après la démission de Philippe Richert en 2017 et l’union des Régions, des Départements et des Communes en 2018, que pouvait-il se passer cette année dans les allées du congrès de Régions de France à Bordeaux ?

Au final, peu de choses. La position de Matignon est la suivante : pas de nouvelle étape de décentralisation mais une nouvelle pratique de la décentralisation. L’effet oratoire ne passe pas face à des élus locaux qui constatent d’années en années un mouvement de recentralisation du pays. On notera encore une fois que les critiques les plus fortes viennent surtout de la famille politique de M. Philippe. Ce que reprochent les Régions, emmenant dans leur sillage les autres collectivités, c’est l’évolution des relations avec l’Etat sans cesse vers plus de verticalité. « Nous ne sommes pas les opérateurs de l’Etat » a répondu Hervé Morin, président de la Région Normandie et de l’association des Régions de France. La collectivité locale n’est pas une subdivision de l’Etat dans son principe, mais l’est devenue de fait par la dépendance sans cesse accrue, sinon totale, de celles –ci aux dotations de décentralisation par la réduction de leur autonomie fiscale.

Un parfait exemple : le financement du réseau ferroviaire

Pour les axes structurants, le Contrat de (non-) Performance affiche une dotation de l’Etat envers SNCF Réseau, mais s’appuie manifestement de plus en plus sur des emprunts de SNCF Réseau, profitant des faibles taux d’intérêt (mais pour combien de temps ?). Qui plus est, cette dotation est largement insuffisante pour couvrir ces lignes qui ne représentent pourtant que les deux tiers du réseau et ne lui permet pas d’envisager sereinement les indispensables modernisations qui lui procureront de nouvelles performances : c’est notamment le cas de la signalisation, incarnée par l’équipement en ERTMS niveau 2 à l’échéance de renouvellement des équipements existants.

Pour les lignes de desserte fine du territoire, l’Etat se défausse complètement sur les Régions, qui, dans la loi, ne sont pas la compétence ni les ressources appropriées. C’est au propriétaire de financer – en principe en intégralité – le renouvellement de son patrimoine. Aujourd’hui SNCF Réseau porte ce titre. Mais son actionnaire unique, l’Etat, ne le dote pas en conséquence. Au 1er janvier 2020, conséquence de la réforme ferroviaire de 2018 et de la reprise de 35 des 50 MM€ de dette, la propriété de l’infrastructure va retourner directement à l’Etat, comme avant 1997.

Or en parallèle, non seulement la participation de SNCF Réseau s’étiole sans cesse mais l’Etat est incapable d’honorer les engagements pris dans les CPER, outils dévoyés de leur mission initiale (le développement) pour financer d’abord le renouvellement.

De ce point de vue, les Régions attendaient que l’Etat sorte enfin du bois et présente les conclusions de la mission confiée au préfet François Philizot, mais manifestement, le Premier Ministre applique la maxime du Cardinal de Retz : « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ». Dans l’attente, les Régions ont toujours le couteau un peu trop près de la gorge : compte tenu de l’état de nombreuses lignes, il y a urgence à financer des travaux, qu’elles se retrouvent seules à porter. On appelle cela « prendre ses responsabilités »…

Cette situation relève d'abord les dysfonctionnements de l'Etat. Le ministère des Finances décide tout, les ministères techniques appliquent et Matignon doit assurer la communication pour préserver un semblant de cohérence. Normalement, les grandes orientations devraient être définies à Matignon, mises en oeuvre par les ministères techniques avec les Finances en charge du calage des ressources nécessaires et des ajustements d'ensemble, toujours soumis à arbitrage du Premier Ministre. Dans ces conditions, impossible de mener une politique cohérente qui voit au-delà de l'annuité budgétaire.

Elle résulte ensuite d’un choix d’affectation des ressources plutôt que d’un seul manque de moyens. L’Etat est bien moins regardant à la dépense sur les réseaux routiers, bien moins scrupuleux sur l’évaluation des projets : si 15 km de renouvellement de voie sur une ligne estampillée UIC 7 à 9 doit faire l’objet d’une évaluation socio-économique (outil inadapté à de la maintenance patrimoniale soit dit au passage), l’exige-t-il pour le renouvellement des infrastructures routières ?

Quelques exemples ? La mise à 2 x 2 voies de la RN88 entre Rodez et Séverac le Château (échangeur A75) et de la RN141 entre Angoulême et Limoges sont financées sans le moindre sourcillement alors que la réactivation des voies ferrées parallèles reste en attente d’arbitrages, avec une vision très défavorable de l’Etat. Et que dire des 175 M€ prévus sur la RD1075, soit près du double des moyens nécessaires à la pérennisation de la ligne Grenoble – Veynes ?

Les gouvernements passent. « Nouveau » ou « ancien » monde politique, la devise est la même : « pour le rail, on réfléchit ; pour la route, on élargit ! ». On serait tenté de la faire évoluer : « pour la route, on élargit : pour le rail, on réfléchit… et on ferme ! ».

Une politique de réchauffement climatique ?

Le « virage vert » du gouvernement ne fait guère illusion sur ses motivations, d’abord électoralistes. Sur le fond, les chiffres sont têtus : non seulement la France n’est pas dans la trajectoire de l’accord de Paris mais en plus, elle va rigoureusement à l’envers puisque les émissions de CO² sont toujours à la hausse malgré la COP21.

Un changement de cap radical est donc urgent, dans tous les domaines de l’action publique. Concernant le chemin de fer, maillon qui devrait être central dans la transition énergétique des transports, la posture de principe devrait être la suivante : si l’Etat est propriétaire du réseau ferroviaire, alors il doit être le financeur – très – majoritaire de sa gestion patrimoniale, même sur les lignes de desserte fine, d'autant que le système ferroviaire est, dans sa globalité, facteur d'économies d'émissions. 

A l’inverse, si les Régions devaient continuer à en supporter les investissements, alors il serait logique de leur transférer la propriété des lignes concernées… ce qui suppose évidemment que l’Etat dote les Régions en conséquence, ou leur octroie les moyens légaux d’obtenir les ressources budgétaires suffisantes. Sinon, c’est simplement se dédouaner derrière les collectivités locales en cas de fermetures de lignes… Quel courage !

Il faudra aussi prendre en compte le fait que les péages perçus par SNCF Réseau ne couvrent pas les dépenses d’entretien réalisées sur ces lignes… et intégrer ce point dans la dotation versée par l’Etat.

Ces deux hypothèses amènent donc inéluctablement à une réorientation de la fiscalité à l’aune des effets environnementaux. Ecotaxe, taxe carbone, réduction des avantages fiscaux et des subventions au transport aérien ou à l’achat de voitures, fussent-elles électriques, ne pourront plus être écartées. La fiscalité française et les arbitrages dans le budget de l'Etat devront être repensés à l'aune des effets environnementaux : il y aurait certainement déjà matière à redonner des capacités d’investissement en réduisant plus drastiquement encore les investissements de développement sur le réseau routier (en préservant l'entretien, qui est indispensable). Difficile d’imaginer sereinement l’avenir de certaines liaisons ferroviaires régionales quand en face, l’Etat et les élus locaux dans de nombreux cas (nous n’en avons cité quel quelques-uns) soutiennent des opérations de mise à 2 x 2 voies du réseau routier.

N’y aurait-il pas moyen aussi à considérer le ferroviaire comme le principal moyen de réduction de la dépendance aux énergies fossiles, et à l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 que s’est défini la France ? Ne faut-il pas aller plus loin et imaginer, à l’échelle européenne, que ces investissements puissent être mis hors du périmètre de calcul du fameux ratio des 3% « maastrichtien » ?

A défaut d’une telle rupture, derrière les discours, les choix budgétaires de la France en matière de transports en général, et de la situtation du ferroviaire en particulier,  continueront à court terme de contribuer au refroidissement des relations avec les collectivités locales… et, à une échéance à peine plus longue, à accélérer le réchauffement climatique ! C'est exactement l'inverse de ce qu'il faudrait faire...

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Commentaires
B
Arnaud 68, je reste prudent à propos de la ligne 4 . Certes, Paris - Troyes est en-cours d' électrification, et je pense que l' initiative de Linéas (article récent sur le site) va démontrer aux autres opérateurs privés (voire même Fret SNCF ?) l' intérêt de l' itinéraire Amiens - Tergnier - Laon - Reims - Culmont (et ses prolongations vers Mulhouse et Dijon) . Mais, vous savez, "chat échaudé craint l' eau froide" : je reste méfiant pour la partie Franc-Comtoise de la ligne, surtout avec quelqu' un comme Neugnot au commande des transports à Dijon. <br /> <br /> <br /> <br /> Heureusement qu' il y a la région Grand-Est mobilisée pour cette ligne.
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R
JM Jancovici dit que les "décideurs" politiques ne prennent pas de décisions en fonction d'arguments rationnels (c'est impossible, ils n'ont pas la culture ou pas le temps pour le faire - et moi j'ajoute qu'en effet on n'apprend pas ça à l'école nationale des ânes), mais pour diminuer les emmerdements (de toute nature) à court terme pour leurs propres personnes. <br /> <br /> En gros, ce qui compte, c'est le pouvoir de nuisance, y compris médiatique. Mais du fait que les médias vivent comme la classe politique dans le même monde non limité physiquement, je pense que nous sommes bloqués sérieusement. Il faudrait peut-être faire adorer le train à Greta, ou alors faire du porte à porte...
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D
Espérons à minima qu'une proposition très forte et très concrète pour la priorité effective au rail se fera jour parmi les 150 participants tirés au sort de la de la Convention citoyenne pour le climat .Le contraire serait totalement désespérant. A suivre..!!
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R
Difficile d'être optimiste quand les régions les plus volontaristes ne font qu'éviter la fermeture de lignes, l'idée de *croissance* du rail (hors TGV) est tellement lointaine, dans la tête de nos élus comme dans celle de beaucoup (trop) de français. J'ai du mal à entrevoir quel choc pourrait bien faire passer le message à un pourcentage plus grand d'électeurs…<br /> <br /> <br /> <br /> Alors pour l'instant, je vais me contenter de la survie de quelques rares petites lignes (par ex: Tours-Chinon qui me tient à cœur même si elle m'est impraticable), de la réouverture de Perpignan-Villefranche, et même de l'arrivée de FlixTrain (train de nuit !) et Thello/Trenitalia pour secouer un peu la fourmilière…<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne sinistrose à tous :-)
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R
Ne nous leurrons pas. Les belles déclarations de nos élus, en tout cas d’une grande majorité d’entre eux et quelle que soit leur couleur politique, qu’ils soient nationaux ou régionaux, ne servent qu’à récupérer des voix pour les prochaines élections. Ce qui compte avant tout c’est sa réélection, car quand on est élu, on dispose d’un pouvoir certain, même si ce pouvoir est de plus en plus contesté … il faut donc amadouer l’électeur, lui faire croire que l’on se soucie de ses difficultés, que l’on va répondre à ces craintes, ses appréhensions, et que, finalement, on est d’accord avec lui. Mais bien souvent, c’est la loi du plus fort, du plus riche, du plus malin, voire du plus menteur (plus c’est gros plus ça passe) qui l’emporte.<br /> <br /> Que pèse le chemin de fer face à la route ? Pas grand-chose. La preuve avec toutes les décisions qui sont prises et qui sont mises en œuvre depuis des décennies. Vous en citez quelques exemples flagrants avec des investissements routiers conséquents, parce qu’il y aurait un marché, là où, sur le même itinéraire, le train a disparu ou en voie de disparaitre, parce qu’il n’y aurait pas de clients.<br /> <br /> Les défenseurs du train ont beau s’époumoner, les associations de protection de l’environnement ont beau dénoncer les contradictions entre les déclarations de bonnes intentions et les actions mises en œuvre, les scientifiques et spécialistes du transport et de l’environnement ont beau, chiffres à l’appui, démontrer les avantages du train et des transports collectifs face à la voiture, rien ne change. J’entendais, il y a quelques jours, un scientifique dont je n’ai pas retenu le nom, qui en réponse à un journaliste le questionnant sur ce qu’il convenait de faire en urgence pour faire face au dérèglement climatique, précisait qu’il faudrait réduire de moitié le trafic routier !!!<br /> <br /> C’est bien de dénoncer les incendies de forêt en Amazonie ou de contester les dérives de la politique environnementale d’un pays allié qui se désengage de l’accord de Paris, mais ce serait nettement mieux, et plus crédible, si nous ne faisions pas, sous une autre forme et sur d’autres thèmes, des choix au final assez proches. <br /> <br /> L’Etat si fier d’avoir obtenu l’adhésion de toute la planète, ou presque, à la COP 21, serait bien inspiré de s’appliquer à lui-même les mesures visant à atteindre les objectifs fixés. <br /> <br /> Comme dit le proverbe « on voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien », ou comme le disait Clémenceau « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ».<br /> <br /> <br /> <br /> Si l’Etat, ne cesse de déclarer que le dérèglement climatique est un risque majeur pour la planète, il manque cruellement de courage pour y faire face.
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R
On pourrait modifier la devise : "pour la route, on élargit : pour le rail, on rétrécit !".
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A
Bonne analyse du délabrement organisé de trop nombreuses lignes dites secondaires! Les liaisons routières sont renforcées souvent sans mise en place de péage pour les transports internationaux qui se voient ainsi offrir des trajets aux seuls frais des contribuables Français. Cela toujours avec plus de mazout et autres pollutions générées par des convois de plus en plus nombreux et dont plus d'un quart sont en infractions (vitesses, poids, heures de conduite....). Dans certains cas la sécurité est avancée (RCEA par exemple) mais plutôt que de réguler et d'imposer le fer-routage tous les acteurs, de l'état aux collectivités locales, ont préféré des grands travaux bénéficiant surtout aux camions de moins en moins locaux. Et comme déjà dit les murs anti-bruits fleurissent de même que les revêtements ayant le même but...améliorations qui sont refusées trop souvent pour le ferroviaire en cas de réfection des voies car...trop chères!
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J
Que dire.... le projet de mise à 2 fois 2 voies de la rn 19 entre Langres et Vesoul notamment à débuté en partie avec la déviation de Port sur Saône. RN 19 qui voit un nombre très important de camions transportant voitures et piece détaché peugeot alors qu il y 2 décennie ce flux était transporté par la ligne 4...
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J
"N’y aurait-il pas moyen aussi à considérer le ferroviaire comme le principal moyen de réduction de la dépendance aux énergies fossiles"<br /> <br /> Je ne crois pas que ce soit le cas... mais de toute façon, vu la médiocrité actuelle de notre politique énergétique qui refuse de regarder la réalité en face, bernée par les soi-disant écolos incultes et aveugles, il n'y a guère de raisons d'être optimiste sur cette réduction.
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I
Sévère mais juste.<br /> <br /> <br /> <br /> Le rail fer de lance de la transition énergétique du transport est une ambition légitime... qui semble effrayer SNCF Réseau !
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