Allemagne : Keolis et Abellio en repli
A quelques semaines d'intervalle, la presse a mis en lumière la situation difficile de certains opérateurs privés en Allemagne, opérant des dessertes ferroviaires sous contrat de service public pour des Länders. Dans les deux cas, les entreprises mettent en avant la rigidité contractuelle, un problème croissant de déséquilibre des charges et recettes avec une hausse des coûts de production et des problèmes d'infrastructure, notamment en raison de retards dans la réalisation des travaux sur le réseau. La gestion des transitions à la fin des contrats n'est aussi pas évidente car, en Allemagne, un opérateur qui perd un contrat conserve ses salariés, ce qui allonge le délai de mise en place du nouvel opérateur. C'est particulièrement significatif pour les conducteurs : la pénurie croissante crée des tensions parmi l'ensemble des opérateurs (y compris la DB), car les exigences du métier réduit fortement les vocations. A cela s'ajoute donc ce non-transfert des personnels en cas de changement d'opérateur, allongeant ces transitions, par les temps accrus de formation (par exemple : la connaissance des lignes par les conducteurs). Il n'est pas non plus impossible aussi que les propositions retenues lors de l'attribution de ces contrats aient été un peu sous-évaluées...
Keolis Deutschland (Groupe SNCF) a ainsi annoncé la prochaine vente d'Eurobahn, concernant 4 contrats, sachant que la prise d'effet du marché pour le VRR (S-Bahn Ruhr) est différée depuis fin 2019. Les difficultés de la filiale allemande étaient connues de longue date et l'hypothèse du retrait a été retardée manifestement pour des raisons stratégiques. Eurobahn existe depuis 14 ans, emploie 950 salariés et génère pour le groupe plusieurs dizaines de millions d'euros de pertes pour l'entreprise. Le chiffre d'affaires atteignait néanmoins environ 200 M€ en 2019 avec un trafic d'environ 100 000 voyageurs par jour. Les contrats en cours seront honorés et le retrait s'effectuera donc progressivement entre 2025 et 2032.
Espelkamp - 24 août 2021 - Eurobahn assure actuellement la liaison entre Rahden et Bielefeld, ici assurée avec une rame Bombardier Talent de première génération. Le départ de Keolis d'Allemagne était envisagé de longue date, mais pour les autorités organisatrices, il va falloir surveiller que la cession se déroule de façon transparente pour les services et les voyageurs. © R. Kühn
Abellio (Groupe NS) était sous protection financière depuis juillet pour une durée de 3 mois. La réduction de voilure concernera la Basse-Saxe, la Saxe-Anhalt, la Rhénanie du Nord - Westphalie et le Bade-Wurtemberg, qui devront lancer de nouveaux appels d'offres du fait de ces désistements.
Erfurt Hbf - 21 septembre 2018 - Un Talent de 2ème génération sur les voies centrales en impasse de la gare d'Erfurt. La situation d'Abellio pose question dans 4 Länders, ce qui devrait poser des questions sur l'organisation de l'ouverture du marché ferroviaire intérieur allemand. © transportrail
Parallèlement, les autorités organisatrices envisagent d'instaurer un mécanisme contractuel avec DB Netz pour accroître la responsabilisation du gestionnaire d'infrastructure.
On notera qu'en France, plusieurs Régions affichent depuis quelques mois la signature de conventions d'objectifs avec SNCF Réseau incluant des mécanismes de bonus-malus sur la qualité de service. Avec l'ouverture du marché intérieur, il est évident que les opérateurs en contrat pour des durées parfois longues (15 ans et plus) ont en retour besoin d'avoir une visibilité sur la disponibilité de l'infrastructure et son niveau de performance, faute de quoi l'exécution dudit contrat d'exploitation devient difficile, sinon périlleuse et potentiellement source de déficit. Le lien étroit entre la libéralisation du marché et la consistance du contrat entre l'Etat et SNCF Réseau pour la gestion de l'infrastructure vient donc d'être démontré !