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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

TET : une stratégie aussi pour le matériel roulant

Certes, dans le transfert des liaisons du Bassin Parisien aux Régions, l’Etat a mis dans la balance le financement de nouvelles rames, essentiellement des Omneo Premium. Certes, les Coradia Liner ont été engagés sur les transversales et Paris – Belfort (avant sa régionalisation). Certes, les Confort 200 sont en production. Mais il y a encore d’autres questions.

Des automotrices plutôt que des TGV de réemploi

Ce renouvellement signe d’abord le passage de la rame tractée à l'automotrice qui se révèle un facteur de gains potentiel non négligeable :

  • les horaires sont aujourd'hui tracés sur la composition la plus pénalisante, soit jusqu'à présent sur 14 voitures Corail avec BB26000 sur les axes Paris - Clermont-Ferrand et Paris - Toulouse : en automotrices, la circulation en UM2 doit - si l'alimentation électrique suit - permettre de s'aligner sur le temps le plus réduit. Sur ces axes, le bénéfice serait de 5 à 6 minutes ;
  • la marge de régularité, sauf sur Paris - Clermont-Ferrand, est de 4,5 minutes aux 100 km. Hors Ile-de-France (voire jusqu’aux Aubrais), généraliser 3 minutes aux 100 km ou adopter le principe des 5 % comme sur les TGV et les Transilien serait un important facteur de gain potentiel : jusqu'à 15 minutes sur Paris - Toulouse !
  • l'amélioration des accès peut favoriser le retour à des arrêts d'une minute, en particulier quand l'accès est de plain-pied (cas avec les Omneo Premium et les Coradia Liner). Sur une liaison Paris - Cherbourg, ramener les arrêts de Bayeux, Lison, Carentan et Valognes à une minute et celui de Caen à 2 minutes génèrerait aussi un gain gratuit de 5 minutes.

Restent à examiner les pratiques de conduite, la « conduite molle » ayant largement cours en France alors qu’elle n’est pas forcément signe d’économie d’énergie tout en sous-utilisant les aptitudes du matériel.

Ce processus aujourd’hui bien engagé a mis fin à l’idée de recycler des rames TGV sur certains TET. La précédente version de ce dossier y avait consacré une page. Pour mémoire, voici les arguments :

  • exclusion par principe des rames Atlantique, inaptes à l'UM2 sur certaines relations du fait de leur grande longueur, et leur réduction à 8 remorques aurait été complexe du fait de leur informatique pur jus fin des années 1980 ;
  • 7 portes sur une rame de 200 m comprenant 380 places environ, soit 54 places / porte : c'est un peu moins bien que sur les voitures Corail, ce qui peut jouer sur le temps de stationnement, même si le fonctionnement de la porte louvoyante-coulissante et la largeur de passage sont évidemment meilleurs que les portes Mielich ;
  • la probable nécessité de reprendre le diagramme pour avoir 2 voitures de 1ère classe, 5 de 2nde classe et la voiture bar ;
  • un comportement électrique à appréhender avec prudence : les rames Sud-Est n'étaient pas très à l'aise sous 25 kV classique (et bannies de Moret - Montargis sous 1500 V) et les rames Réseau plus puissantes s'avèrent un peu plus consommatrices ;
  • une circulation sur réseau classique uniquement aurait nécessité la dépose de tous les équipements inhérents à l'usage des LGV pour économiser leur entretien.

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Arras - 28 août 2017 - Le recyclage de rames TGV Sud-Est aurait pu éventuellement être une idée, mais il aurait fallu la concrétiser avant les réformes, et résoudre les incompatibilités électriques sur l'axe Paris - Clermont-Ferrand à coup d'investissements sur le réseau. © transportrail

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Strasbourg - 1er février 2015 - 200 m de long, un potentiel résiduel encore conséquent, des aménagements intérieurs à renouveler, une chaîne de traction identique à la première génération de Duplex... mais un usage encore intense sur certaines relations, comme ici dans l'est, et de toute façon une efficacité des échanges encore inférieure à celle des voitures Corail.. © transportrail

Bordeaux – Marseille : une question de cohérence

Sur cet axe dont il est décidément beaucoup question dans ces pages, l’Etat semble en plein paradoxe entre, d’une part, le soutien à la réalisation de la LGV Bordeaux – Toulouse et de la ligne nouvelle Montpellier – Perpignan et, d’autre part, la probable commande de Confort 200 pour renouveler le matériel. Or ce matériel plafonne à 200 km/h, performance inutile sur cette transversale où on plafonne à 160 km/h (sauf sur LNMP entre Montpellier et Béziers), et insuffisante pour aspirer à circuler sur les LGV (qui impliquerait un matériel apte au moins à 250 km/h).

Logiquement, la bonne réponse sur cette ligne serait un matériel apte à la grande vitesse… mais l’Etat ne veut pas de « TETGV ». Qui plus est, la formule Duplex dominante en France n’est pas adaptée à une desserte comprenant en moyenne un arrêt tous les 66 km. A défaut de « Confort 250 », le scénario alternatif (voir notre comparatif) serait un matériel à grande vitesse, mais plutôt à motorisation répartie, à un seul niveau et 2 portes par voitures, comme le Velaro D (ICE 4) ou le Zefiro (ETR400), pouvant être constitués en rames longues pour au moins égaler la capacité de 10 voitures Corail.

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Bordeaux Saint-Jean - 3 juillet 2020 - Avec 558 places, les Euroduplex Oceane ne sont pas assez capacitaires par rapport aux rames de 10 voitures Corail, et des UM2 finiraient par coûter cher la place assise. La transversale sud incarne le déficit de stratégie nationale sur les Grandes Lignes et les cloisonnements techniques excessifs. © transportrail

Cependant, afin d’éviter de constituer un isolat, il serait intéressant d’examiner l’intérêt d’un tel matériel sur d’autres liaisons… renvoyant à l’examen des relations province-province à grande vitesse, et en particulier ici celles entre la vallée du Rhône et l’arc méditerranéen, pouvant constituer un terrain d’exploitation cohérente avec un tel matériel.

Aubrac : le point de non-retour ?

Jusqu'à présent, la relation Clermont-Ferrand - Béziers n'a pas été évoquée dans ces pages... et pour cause ! Avant toute chose, il faudrait statuer sur le devenir de la ligne des Causses où la consistance du trafic est inversement proportionnelle au coût de rénovation de l'infrastructure. L'unique aller-retour, assuré en AGC Occitanie, est en péril puisque les Régions ne veulent ni ne peuvent assumer la charge d'un tel investissement. L'Etat ne sera probablement vigilant qu'au devenir du fret au nord de la ligne pour l'aciérie de Saint-Chély d'Apcher.

Il est donc permis d'envisager un avenir à cette ligne par voie routière face à l'incertitude de plus en plus forte planant sur cette ligne : l'arrêt des circulations voyageurs interviendrait fin 2023...

Nouvelles lignes et risque de petits parcs fragmentés

C’est bien le risque : sauf à entériner la création de TET radiaux parallèles aux principales relations à grande vitesse, il serait difficile de créer des ensembles cohérents de liaisons dont l’exploitation et la maintenance pourront être organisées rationnellement. Assurément, cette dimension technique pèsera lourd dans le développement d’un réseau classique, qui plus est avec la perspective de lots d’exploitation mis en appel d’offres.

Par exemple, la liaison Lille – Dijon emporterait le choix d’un matériel bimode pour les autres relations au départ de Lille vers Le Havre et Strasbourg afi de constituer un parc unique d'au moins 15 rames. La liaison Lyon – Metz semble à ce stade potentiellement isolée, donc hypothétique, sauf à constituer un ensemble complémentaire avec des Paris – Lyon voire des Lyon – Nice. Le Confort 200 serait assez légitime sur cet lot « centré » sur Lyon. Même chose sur Clermont-Ferrand – Nantes (avec au passage la valorisation des sections aptes à 200 km/h), en synergie avec les rames de Paris – Clermont-Ferrand. Idem à horizon d’électrification de Nevers – Chagny : Nantes – Dijon pourrait être compatible avec un tel matériel, tout comme Clermont-Ferrand – Dijon dans le souci d’éviter de multiples séries. Mais à quelle échéance raisonne-t-on ? Le contrat avec CAF sera-t-il toujours ouvert. C’est une autre incertitude…

De ce fait, l’engagement de Confort 200 sur Bordeaux – Marseille, qui semble l’option privilégiée par l’Etat en 2023, serait acceptable si – et seulement si – elle était accompagnée de la création de nouvelles lignes ou le renforcement de la desserte sur des lignes existantes, recyclant ces rames après la mise en service de la LGV Bordeaux – Toulouse.

La gestion des rames

Au-delà de définir quel type de matériel roulant engager, il faut s’interroger sur sa gestion… d’autant qu’elle pourrait influer sur les orientations de développement des relations.

Pour l’instant, les rames TET appartiennent à l’exploitant. Première brèche : la personne adjudicataire du marché Confort 200 n’est pas SNCF Voyageurs mais l’Etat. Celui-ci devrait créer une structure de location du matériel, qui serait mis à disposition des exploitants. Elle devrait aussi concerner les Coradia Liner, confortant une logique de DSP.

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Bordeaux Saint-Jean - 14 septembre 2021 - Les B85000 des TET sont basés à Nantes et rayonnent donc vers Bordeaux et Lyon. Ils devraient logiquement faire partie de la structure de gestion du parc TET puisque l'Etat a relancé un appel d'offres en ajoutant une relation - à notre sens peu pertinente - vers Lille. © transportrail

Mais dans l’absolu, il ne faudrait pas écarter des marchés d’exploitation de plus longue durée dans lesquels les opérateurs pourraient avoir la charge de la fourniture et le matériel roulant soit en gérant directement l'acquisition, soit en recourant à des sociétés de louage existante. Tout dépend de la forme juridique d’attribution de l’exploitation des services.

Par extension, il serait logique de faire porter à cette structure le nouveau matériel des trains de nuit (moyen aussi d’amortir ses coûts administratifs fixes).

Revient ensuite, tel le sparadrap du Capitaine Haddock, le cas de Bordeaux – Marseille. La frilosité de l’Etat à passer au matériel à grande vitesse peut se comprendre : de fil en aiguille, via les liaisons province-province, ce serait légitimer la demande de plusieurs opérateurs potentiels d’intégrer dans la société nationale de louage du matériel roulant une bonne partie du parc à grande vitesse qui appartient à l’opérateur !

Conclusion provisoire à cette longue série d’analyses : à bien des égards, les choix sur le matériel roulant peuvent s’avérer déterminants dans le développement de liaisons classiques en contrat de service public. Changer de braquet, pour des raisons de maillage du territoire et de développement d’alternatives aux déplacements en voiture par un service public national de transport, imposerait une profonde remise en cause de la politique minimaliste actuellement menée. Les portes d’entrée sont multiples mais la constitution d’un ensemble cohérent imposera d’aborder frontalement le positionnement de nombre de lignes, aujourd’hui librement organisées ou tributaires de quelques accords de coordination entre Régions. Vaste programme.

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