Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Des trains à 250 km/h en France ?

La France s’est faite la championne de la très grande vitesse ferroviaire en Europe. Quoique dépassée en kilométrage de lignes aptes à plus de 250 km/h par l’Espagne (3487 km en 2020), la France (avec 2735 km à la même date)  reste le berceau de la pratique quotidienne de telles performances. Mais en développant le réseau de lignes à grande vitesse, d'abord à 260, puis 270, 300 et maintenant 320 km/h, elle a peut-être négligé l’intérêt de vitesses intermédiaires entre les 160 km/h des trains classiques et les 320 km/h du TGV. Cependant, certains projets explorent à nouveau ce champ tandis que le renouvellement des Trains d'Equilibre du Territoire aurait pu constituer un terrain supplémentaire à cette réflexion, un peu rapidement refermée comme on va le voir dans ce dossier.

201 – 249 km/h : une « zone grise » en France ?

D’abord, un sujet d’ordre technico-administratif. La grande vitesse commence « officiellement » à 250 km/h, tandis que la vitesse classique plafonne à 200 km/h. Il existe donc un entre-deux entre 201 et 249 km/h, qui est reconnu en Europe, mais qui constitue une faille dans le système ferroviaire français. Par exception, les TGV peuvent circuler à 220 km/h sur des infrastructures et des systèmes de signalisation définis pour 200 km/h, en raison de leurs bonnes capacités de freinage et de leur charge à l’essieu limitée à 17 tonnes. Mais entre 220 et 249 km/h, c’est un peu « terra incognita » et la SNCF a jusqu’à présent répondu qu’au-delà de 220 km/h, la réponse s’appelait TGV donc au moins 300 km/h.

Pourtant, en Europe, les applications ne manquent pas : en atteste ce rapide florilège imagé.

070916_S120briones

Briones - 7 septembre 2016 - Reliant Barcelone à Bilbao, cette automotrice S120 construite par CAF est conçue pour assurer des liaisons type Intercity, circulant à la fois sur le réseau à écartement ibérique et sur les lignes nouvelles à écartement européen, où elles peuvent atteindre 250 km/h © J.I. Esnarriaga San Jose.

160116_S130golpear-de-la-tercia_pires

Golpear de la Tercia - 16 janvier 2016 - Autre application des vitesses intermédiaires en Espagne, les S130 sont surnommées « Patito » (petit canard) en raison de leur museau court. Ces rames sont constituées d'un segment Talgo à pendulation passive et écartement variable et de motrices Bombardier. Elles sont également aptes à 250 km/h.© F. Pires

200516_frecciargento_steinen_van-drongelen

Steinen - 20 juin 2016 - Matériel italien en Suisse : un ETR610 Fracciargento de Treinitalia assure une liaison de l'axe Zurich - Milan par l'axe du Gotard. Ces rames sont équipées de la pendulation active, développée à la fin des années 1960 pour accélérer les liaisons Grandes Lignes en Italie, pionnière dans le domaine des vitesses supérieure à 200 km/h en Europe. © W. Van Drongelen

250921_412-052ebersbach_hoffmann

Ebersbach - 25 septembre 2021 - Les ICE4 (série 412) ont été initialement conçus pour 249 km/h mais ont été finalement autorisés à 265 km/h. La rame 054 circule ici sur la ligne classique Stuttgart - Ulm sur une relation au long cours (et donc très irrégulière) Munich - Berlin via Stuttgart. Depuis le cliché, ces circulations ont été reportées sur la ligne nouvelle mise en service en décembre 2022. © N. Hoffmann

Des projets à « vitesse intermédiaire »

Au-delà du réseau à grande vitesse existant et des extensions de 2017 (BPL et SEA), le champ de pertinence de lignes nouvelles parcourues à au moins 300 km/h se referme un peu : GPSO pourrait être le dernier projet de ligne à grande vitesse. Sur l'arc languedocien, la solution retenue sur le projet LNMP ne fait pas consensus, en particulier la section Béziers - Perpignan dédiée à la grande vitesse à 320 km/h entre des sections mixtes

Deux projets se distinguent par la proposition d’infrastructures nouvelles mais destinées à être parcourues à des vitesses inférieures à 300 km/h. Il s’agit de la Liaison Nouvelle Paris – Normandie et de la Liaison Nouvelle Provence Côte d’Azur.

Pour la première, le renoncement à la très grande vitesse relève d’un simple constat : les distances sont trop courtes pour que la circulation à plus de 250 km/h apporte un gain de temps perceptible. Pour la seconde, si les distances sont supérieures au projet normand, le souci d’un maillage relativement étroit du territoire implique des arrêts plus rapprochés, ce qui limite l’intérêt d’une circulation au-delà de 250 km/h, si tant est qu’elle soit possible.

Cependant, pour la Normandie, le renouvellement du matériel roulant par des Omneo Premium plafonnant à 200 km/h a mis un sérieux coup de frein à cette hypothèse, d'autant que le projet se cantonne pour l'instant à une infrastructure nouvelle à 200 km/h pour sortir de la région parisienne et à la traversée de l'agglomération rouennaise, au mieux à la même vitesse sachant que tous les trains desserviront Rouen. Une section Mantes - Evreux serait probablement trop courte pour qu'existe un écart suffisamment perceptible entre la ligne nouvelle et la ligne classique (même si celle-ci est circulable au mieux à 140 km/h) du fait de la reprise de vitesse après le passage de Mantes.

Néanmoins, la section Mantes - Evreux et son extension vers l'agglomération rouennaise apparaissent de moins en moins probables après la parution du premier rapport du Conseil d'Orientations des Infrastructures. L'intérêt d'une vitesse de 249 km/h ne serait réel - mais limité - que dans l'hypothèse de réalisation de la section Mantes - Evreux étendue à Bernay d'une part, et de la création de la branche rejoignant l'agglomération rouennaise.

Autre difficulté sur le cas normand : trouver un matériel apte à 249 km/h suffisamment capacitaire (860 places pour les Omneo Premium) dans les longueurs de gares contraintes sans pour autant être un dérivé du TGV Duplex !

En revanche, en PACA, les caractéristiques esquissés pour les sections nouvelles étudiées sur Marseille - Nice donnent potentiellement plus d’intérêt à un matériel apte à 249 km/h. Pour les liaisons nationales, en vertu du théorème « qui peut le plus peu le moins », aucun impact puisqu’elles sont et seront essentiellement assurées par des rames circulant déjà sur des LGV existantes. Pour les liaisons régionales, la Région a attribué à Transdev le contrat portant sur l'exploitation de la relation Marseille - Nice cadencée à l'heure, incluant la fourniture du nouveau matériel roulant : l'Omneo Premium apte à 200 km/h a été retenu, ce qui devrait logiquement lui permettre de rouler sur de futures sections nouvelles.

Vitesse intermédiaire sur LGV ?

Au-delà, la haute vitesse est-elle compatible avec les LGV existantes ou dont la réalisation est probable ? On écartera d’emblée de la réflexion les troncs communs des LN1, LN2, LN3, LN6, les plus chargés, pour lesquels une hétérogénéité de vitesse des sillons se traduirait soit par une baisse de performance soit par une perte de capacité. Même chose pour LN5 entre Valence et Avignon. En revanche, les extrémités des LGV sont en général moins intensément circulées et peuvent donner matière à réflexion.

Revient régulièrement dans les différents dossiers de transportrail le cas de la liaison Bordeaux - Marseille, puisque dans les réflexions sur le remplacement des voitures Corail et des BB26000, l'hypothèse d'un matériel à 249 km/h avait été proposé, de sorte à pouvoir circuler sans conflits avec des trains à 320 km/h sur les lignes à grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse puis de Nîmes à Marseille. Il aurait pu circuler à 220 km/h sur les sections aptes à 200 km/h sur POLT et Paris - Clermont-Ferrand procurant environ 3 minutes de gain supplémentaires. Le gain sur le Bourbonnais serait potentiellement plus important si des relèvements de vitesse à 200/220 km/h étaient réalisés entre Montargis et Nevers après l'achèvement des zones entre Nevers et Saint-Germain-des-Fossés.

0406_26072lafertestaubin

La Ferté-Saint-Aubin - Avril 2006 - Pour succéder aux rames Corail avec BB26000, un matériel apte à 249 km/h aurait permis de circuler à 220 k/h sur les zones concçues pour 200 km/h. Une possibilité non retenue pour le futur matériel pour POLT et Paris-Clermont. Dommage... © transportrail

Autres possibilités sur des LGV existantes : dans le nord avec les sections de la LN3 au-delà de Lille, tant vers Londres que Bruxelles, et dans l’est avec l’emprunt de la LN6 de Baudrecourt à Vendenheim pour des relations type Eurocity entre Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg, Bâle et Zurich par exemple (avec des EC250 Giruno des CFF ?)

La LGV Bretagne - Pays-de-Loire constitue depuis 2017 un cas particulier puisqu’elle est ponctuellement empruntée par des trains régionaux à 200 km/h assurés en Z21700 (des Z21500 équipées TVM) pour des relations Nantes – Angers – Laval.

310714_21529limeray3

Limeray - 31 juillet 2014 - Premier matériel automoteur hors TGV apte à 200 km/h, la Z21500 reste la seule près de 15 ans après sa mise en service en 2003. L'année 2017 verra la mise en service de Régio2N eux aussi aptes à 200 km/h. Le futur matériel pour Paris - Clermont-Ferrand et Paris - Toulouse sera lui aussi limité à 200 km/h. De fait, la France limite pour l'instant les vitesses au-delà de 200 km/h dans le seul giron de la très grande vitesse. Pourtant, les ZTER ont été conçues sur une base apte à 250 km/h ! © transportrail

Dans le même secteur, le projet LNOBPL, et plus particulièrement le maillon Rennes – Nantes, repose sur la pratique des 249 km/h pour placer les deux métropoles à moins d’une heure. Cette ligne nouvelle pourrait être utilisée à la fois par des trains régionaux « circulaires » Nantes – Angers – Laval – Rennes – Nantes, mais aussi pour les Rennes – Quimper. Vers Brest, LNOBPL envisage des sections nouvelles mais leur réalisation semble passablement hypothétique avant quelques décennies au regard du bilan socio-économique et de la nécessité de desservir le réseau de villes sur les axes nord et sud, donc avec des arrêts relativement fréquents minorant le bénéfice de la vitesse accrue.

Sur GPSO, on pourrait aussi s’interroger sur des liaisons complémentaires Bordeaux – Toulouse desservant les deux nouvelles gares d’Agen et de Montauban-Bressols. Même chose dans l’hypothèse de réalisation de la branche vers Dax, d’autant que la Région y envisage des « gares régionales » intermédiaires, quoique malgré tout assez incertaines. En outre, la réalisation éventuelle des deux branches de GPSO pose la question de liaisons Toulouse – Bayonne par le triangle les raccordant. GPSO ne pourrait-il pas être exploité de façon comparable aux lignes nouvelles espagnoles avec une dégressivité de la vitesse en fonction de la distance parcourue ? Vitesse maximale pour les trains « longue distance » type Paris – Toulouse et 249 km/h pour les liaisons régionales type Bordeaux – Toulouse ou Bordeaux – Hendaye, à l’instar du fonctionnement AVE / Avant proposé par la RENFE.

Sur l’arc méditerranéen, le projet LNMP pourrait aussi supporter une vitesse intermédiaire, notamment pour le développement de liaisons entre le Languedoc et la Catalogne, sachant que les arrêts de Figueras et Gerone couperaient la mise en vitesse des trains.

Conclusion : horizon bouché... mais qu'en pense la concurrence ?

Le renouvellement des TET constitue probablement une occasion manquée pour les vitesses entre 200 et 250 km/h. L'Etat a maintenu le cap intialement défini et les nouvelles rames Confort 200 seront des automotrices plafonnant à 200 km/h. L’acquisition d’un matériel apte à 200 km/h pour les liaisons Paris – Normandie est logique, fondée sur le besoin rapide de matériel neuf et de grande capacité, ce que ne permettait pas une démarche à V249. L’horizon semble durablement fermé car lié à des hypothèses aujourd’hui à faible probabilité.

Pour les autres axes, le scénario V249 dépend notamment de la capacité des autorités organisatrices à financer non seulement l’acquisition de tels matériels, significativement plus chers que des rames classiques à 160 ou 200 km/h, mais aussi à assumer leur exploitation : si le gain de vitesse améliore la rotation des moyens humains et matériels, les péages et l’écart entre une grille de tarifs voyageurs financièrement nécessaire et une grille acceptable du politique et des clients fragilise l’hypothèse du développement de vitesses intermédiaires.

Viabiliser un scénario de matériel roulant apte à 249 km/h supposerait d’identifier un marché d’environ 50 à 60 rames pour le rendre économiquement supportables et industriellement « motivant » pour les constructeurs, car si nombreux sont ceux qui ont dans leur gamme un produit compatible avec cette vitesse, peu en ont un répondant aux normes ferroviaires françaises…

Même les opérateurs alternatifs ne s'y intéressent pas : Trenitalia et la RENFE engagent des matériels aptes à au moins 300 km/h, et les nouvelles entreprises misent aussi sur ce seuil : c'est déjà le cas de Le Train sur l'axe Atlantique, avec des rames Talgo Avril.

Publicité
Publicité
Publicité