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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Roissy–Picardie : petite ligne nouvelle pour besoins locaux

Un « petit » grand projet

C’est un petit projet considéré comme un grand : il ne nécessite que 6,5 km d’infrastructures nouvelles. La création d’un raccordement entre la ligne classique Paris – Lille et la gare de l’aéroport de Roissy sur l’interconnexion des lignes à grande vitesse est une opération dont l’approche a évolué, passant d’une vision très centrée sur les liaisons nationales à une approche centrée sur le bassin de vie et d’emplois autour du premier aéroport français.

Aux origines de ce projet, il y a surtout le choix de tracé de la LN3 qui n’a pas voulu départager Amiens et Saint Quentin en adoptant un tracé central avec la ô combien célèbre gare Haute Picardie, sise sur la commune d’Ablaincourt-Pressoir, à environ 2 km au nord de l’intersection avec la ligne Amiens – Laon / Saint Quentin, à hauteur de la gare de Chaulnes. Résultat, pendant les années 1990, apparut un projet de LGV entre Paris et Calais, pour dissocier les flux de la LN3, passant par Amiens afin de satisfaire l’appétit du maire de la ville, qui, au milieu des années 1990 était entré dans les gouvernements dirigés par MM. Balladur puis Juppé.  

Au début des années 2000, est donc apparue l’idée de raccorder Roissy au réseau classique et singulièrement à l’axe Paris – Lille afin d’assurer un accès ferroviaire direct depuis les principales villes picardes. Elle était inscrite dans le CPER 2000-2006 de la Région Picardie. Le SNIT de 2011 évoquait encore l'idée d'une LGV Paris - Calais par Amiens, remisée depuis aux oubliettes. En revanche, la liaison Roissy - Picardie est restée dans les esprits, même si le dossier a un peu flotté entre la dimension régionale (accéder à la zone d'emplois de Roissy) et la vocation nationale (avec des TGV province-province au départ d'Amiens). Néanmoins, elle a rapidement donné lieu à un nouveau clivage, entre les collectivités d'Ile de France, et notamment le Département du Val d'Oise, et de Picardie, avec en première ligne les élus de l'Oise.

Après quelques années de flottement, notamment du fait des prises de position de la SNCF sur l’intérêt d’envoyer des TGV à Amiens, le protocole du 19 mai 2017 entre la Région Hauts de France et SNCF Mobilités a clarifié les perspectives d’usage. Le Conseil d’Orientation des Infrastructures avait ensuite placé en bonne position le projet et préconisant une enquête publique au cours de l’année 2020. Une nouvelle phase de concertation s’est déroulée entre décembre 2019 et janvier 2020, compte tenu de l’ancienneté de la première avec une quinzaine de réunions sur le territoire, sous l’égide de la Commission Nationale du Débat Public.

roissy-picardie-chronologie

Consistance du projet

Roissy – Picardie repose sur une courte section à double voie, apte à 160 km/h, entre Vémars et Marly la Ville, reliant ainsi l’interconnexion des lignes à grande vitesse et l’axe historique Paris – Lille, accueillant des services nationaux à grande vitesse et des trains régionaux. Ce point avait fait consensus lors du débat public organisé au premier semestre 2010. Cependant, émergeait un débat sur le tracé de Roissy – Picardie, alors qu’en parallèle, en Ile de France, étaient conduites les études d’une antenne au RER D, le barreau de Gonesse, en direction de la gare du RER B du Parc des Expositions.

La concertation préconisait le tracé le plus au nord. La consistance du projet comprenait donc

  • une ligne à double voie de 6,5 km apte à 160 km/h ;
  • des aménagements sur la ligne historique Paris – Lille avec renforcement de l’alimentation électrique, modification de la signalisation et, à Amiens, l’adaptation de l’atelier de maintenance et des voies de remisage du matériel ;
  • la modification de la gare de l’aéroport de Roissy avec un nouveau quai à la place d’une voie existante et la modification du plan de voies pour adapter le site à son nouvel usage en terminus ;
  • l’adaptation de la gare de Survilliers-Fosses avec de nouveaux quais et une passerelle pour assurer la correspondance avec le RER D ;
  • dans un second temps la modification des voies entre Marly la Ville et Survilliers-Fosses ainsi que la création d’une quatrième voie en gare de Chantilly-Gouvieux pour augmenter la capacité de la ligne classique Paris – Lille.

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A ce stade, le coût du projet est évalué à 294 M€ pour la première phase et 62 M€ pour les aménagements ultérieurs en ligne.  Le financement est porté d’abord par l’Etat (51,98%) puis la Région Hauts de France (33,98 %) et les Départements de l’Oise et de la Somme (cumulant 8,23 %).

Certains éléments du dossier restent à finaliser, notamment l’épineuse question de la signalisation, qui ne figure pas dans le dossier de la concertation saison 2019-2020. La ligne Paris – Lille est évidemment équipée classiquement en Block Automatique Lumineux, et l’interconnexion des LGV est dotée de la TVM430 avec information en cabine. Parallèlement, SNCF Réseau étudie le renouvellement des installations de signalisation au cours de la décennie 2020 sur les lignes à grande vitesse Sud-Est, Atlantique et Nord avec conversion à ERTMS niveau 2. Alors, quelle signalisation pour les 6,5 km du projet Roissy-Picardie ?

Le projet de service

La desserte validée par la Région Hauts de France prévoit 17 allers-retours entre Compiègne et Roissy, auxquels s’ajouteront 6 allers-retours Creil – Roissy et 3 Amiens – Roissy pour le trafic régional. Finalement, SNCF Voyageurs a accepté d’assurer 2 allers-retours TGV au départ d’Amiens dont la destination n’est pas encore totalement définie (vers Strasbourg ou Lyon ?). Amiens sera à une heure de Roissy, Compiègne à 45 minutes et Creil à 22 minutes. Le bénéfice pour les voyageurs est assez intéressant, surtout pour les trajets quotidiens. Le bénéfice pour les voyageurs longue distance est variable selon la destination… mais sera forcément faible puisque limité à un nombre de trains des plus réduits !

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Creil - 14 février 2020 - Les liaisons Picardie - Paris ont besoin de matériels à très forte capacité. Les hypothèses de matériel roulant restent encore à stabiliser mais il serait plutôt question d'utiliser des Régiolis sur les relations vers Roissy... mais la gestion du matériel roulant en Hauts de France est de nature à évoluer afin de rationaliser les effectifs suite à la fusion des anciennes Régions Picardie et Nord Pas de Calais. © transportrail

En revanche, on peut d’ores et déjà noter que les 6 allers-retours Creil – Roissy mériteraient d’être prolongés vers Amiens, ou au moins vers Clermont de l’Oise ou Saint Just en Chaussée afin d’améliorer la desserte sur cette branche.

La desserte au-delà de Roissy vers le sud n’est possible qu’avec du matériel à grande vitesse. Du côté de la Région Hauts de France, l’hypothèse de Régiolis adaptés avec la signalisation ad hoc tient la corde.

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Le devenir des dessertes par TGV semble cependant d’ores et déjà à confirmer : 2 allers-retours c’est peu pour être attractif, mais le marché au départ d’Amiens reste à évaluer et il faudra mesurer l’impact de ces dessertes sur le trafic en gare Haute Picardie, ainsi que l’attractivité d’une offre par correspondance à Roissy, qui aurait l’avantage de diversifier bien plus largement les destinations atteignables.

Cette courte infrastructure devrait supporter un trafic tout de même significatif puisqu’il est estimé entre 12 000 et 13 000 voyageurs par jour, dont les deux tiers pour des déplacements quotidiens. Un tiers de ces voyageurs seraient d’anciens utilisateurs de la voiture.  

Un clivage interdépartemental

Si le projet est particulièrement soutenu par le Département de l’Oise, et plus globalement par la Région Hauts de France, le Département francilien du Val d’Oise est très : il est même clairement opposé, considérant qu’il ne lui apporte rien (hormis des nuisances). Il a en revanche soutenu un autre projet ferroviaire, tombé à l’eau : le barreau de Gonesse, via le Triangle de Gonesse où le groupe Auchan devait implanter un complexe commercial et de loisirs – Europacity – qui suscita la fascination de ceux qui y voyaient un moyen de réduire le taux de chômage, la colère de ceux qui y voyaient une nouvelle opération de bétonisation de la banlieue parisienne et la perplexité des observateurs comptant sur leur main gauche le nombre de centres commerciaux à moins de 10 km autour du projet et, sur leur main droite (avec un manque flagrant de doigts) le nombre de boutiques déjà fermées dans ces mêmes galeries de construction parfois récente !

Le Val d’Oise préfèrerait donc le barreau de Gonesse, tout en conservant la ligne 17 du Grand Paris Express, presque strictement parallèle dans ce secteur, avec une branche du RER D. Selon lui, le barreau pourrait intégrer la fonction de desserte Roissy – Picardie par un raccordement vers le nord, mais les modalités d’insertion apparaissent problématiques… d’autant que ledit barreau n’allait pas à Roissy mais à Villepinte !  Bref, un dévoiement complet du projet et le risque d’en faire un échec, qui ne manquerait pas de susciter des commentaires critiques sur le gaspillage d’argent public.

Le barreau de Gonesse ayant été – heureusement - abandonné en raison d’un bilan socio-économique des plus négatifs, le Val d’Oise semble donc concentrer ses efforts pour s’opposer à la liaison Roissy – Picardie pour tenter un retour en grâce du projet qui a ses faveurs. C’est probablement vain puisque l’Etat a donné un coup d’accélérateur en demandant à SNCF Réseau une mise en service au plus tard en 2025. Néanmoins, l’étape de la Déclaration d’Utilité Publique et les autorisations pour les travaux restent encore à ce stade à surveiller car le Département pourrait en profiter pour faire trainer le dossier… malgré l’injonction présidentielle !

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