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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

France - Allemagne : gouvernance, libéralisation, ponctualité

Gouvernance et financement du réseau

La Cour des Comptes d’Allemagne a fait les gros titres au début de l’année 2023 en considérant que le groupe DB était un « boulet pour le système ferroviaire » et préconisait une séparation dure entre l’opérateur et le gestionnaire d’infrastructures, en s’appuyant notamment sur le schéma français en vigueur de 1997 à 2014 avec RFF. Sachant que la France a fondé la réforme de 2014 sur l’efficacité du modèle allemand, cela ne manque pas de piquant !

Le réseau ferroviaire allemand est – beaucoup - mieux doté financièrement que le réseau français, mais les budgets sont insuffisants. Les raisons sont difficilement comparables. L’âge moyen de l’infrastructure allemande est autour de 17 ans, contre 24 en France, mais comme l’usage des lignes est sans commune mesure, on peut effectivement considérer que le réseau allemand est encore trop vieux par rapport au trafic qu’il supporte. Le pays a dû faire face pendant environ 25 ans aux investissements post-réunification, avec un effort particulier sur la partie ex-DR du réseau, au détriment des installations à l’ouest, le tout dans un contexte de financiarisation excessive de la DB.

De ce fait, l’augmentation des crédits répond à une logique assez différente : en France, le retard est structurel depuis 1983 en dépit d’une faible intensité d’usage, alors qu’en Allemagne, la « crise » est d’abord liée à un trafic de plus en plus important dans tous les domaines : transport régional, liaisons longue distance… et fret. La conséquence d’un positionnement au cœur d’une Europe densément peuplée et industrialisée entre la mer du Nord et la Méditerranée (bref, la « banane bleue »)…

Cette crise constitue aussi l’une des origines d’une irrégularité record sur les grandes lignes déjà évoquée en début de ce dossier.

En revanche, le ministère allemand des finances semble un peu moins allergique que son homologue français à une programmation pluriannuelle (et sur plus de deux ans…) des investissements ferroviaires. Quelle que soit l’évolution de la structure du gestionnaire d’infrastructure, cela devrait aider.

Le modèle économique français repose principalement sur les utilisateurs du réseau, via les péages, créant une forme de paupérisation structurelle : le train rare parce cher, d’où la quête de maximisation de la capacité des trains (Ouigo, TGV-M) et les « optimisations » d’offre qui se traduisent par une diminution d’environ 15 % du nombre de circulations sur la période 2008-2018. La seule participation de l’Etat réside dans la prise en charge de la Redevance d’Accès pour les services régionaux (hors Ile-de-France), correspondant en quelque sorte aux coûts fixes imputables à ces activités, selon un calcul pas des plus limpides.

Côté allemand, l’Etat fédéral assume une part des coûts fixes du réseau et son renouvellement. Par conséquent, le niveau des péages est nettement inférieur en Allemagne : l’écart est manifeste sur les trains de voyageurs alors que ceux imputés au fret sont assez comparables. En 2017, le péage voyageur français variait entre 13 et 16 € (activités conventionnées / librement organisées) contre 5 à 6 € en Allemagne. Bref, la France fait supporter l’essentiel des coûts du système ferroviaire à ses utilisateurs, encourageant le principe du train rare, plutôt très capacitaire (TGV Duplex), ce qui, en période de forte demande, accélère la croissance des prix demandés aux voyageurs…

La concurrence… sur le trafic régional

Difficile pour un opérateur de se démarquer sur le marché des IC et ICE en Allemagne compte tenu du niveau d’offre déjà élevé : Locomore, qu’on pourrait comparer à Railcoop, n’a pas tenu plus de 6 mois sur la liaison Berlin – Stuttgart. Flixtrain résiste mieux, mais sur un nombre de liaisons malgré tout limitées et positionnées sur le créneau des trains low-cost. Quant aux trains de nuit, les ÖBB ont repris avec succès les ex-City Night Line renommés Nightjet. D’autres relations ont été lancées par des opérateurs privés, mais suffisamment rares pour qu’ils entament le pré carré de la DB sur les longs parcours.

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Dresde Hauptbahnhof - 19 septembre 2022 - La desserte longue distance en Allemagne reste très majoritairement assurée par la DB : percer ce marché est difficile car, outre les investissements très élevés en matériel roulant, la consistance du service est déjà assez élevée. Il est plus difficile de se positionner quand il existe déjà au moins un train par heure. © transportrail

De toute façon, la pénétration du marché est difficile car l’offre de la DB est déjà solide et nécessiterait des moyens financiers très élevés pour rendre les prestations visibles. Voir le cas italien avec NTV / Italo… sur un pays à la géographie beaucoup plus simple.

En revanche, les Länders ont depuis 1994 la possibilité d’attribuer leurs services ferroviaires à d’autres opérateurs que la DB. Si leur part de marché oscille entre 35 et 40 %, le chiffre d’affaires de la DB sur ce secteur du marché a fortement augmenté du fait d’une demande accrue.

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Köln Hauptbahnhof - 13 septembre 2013 - La libéralisation du marché allemand concerne - pour les trains de voyageurs - surtout les services régionaux. La desserte de la moyenne vallée du Rhin a été parmi les premiers marchés perdus par la DB, alors remporté par EuRailCo, nouvel opérateur, utilisant des automotrices Siemens Desiro. © transportrail

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Köln Hauptbahnhof - 14 août 2020 - Avec des Talent 2, l'anglais National Express a développé ses activités en Allemagne. Les changements d'opérateurs n'ont pas d'effet sur la tarification pour les voyageurs, puisqu'elle est définie par le Land, et que tout opérateur doit pouvoir vendre des billets pour n'importe quelle destination. © transportrail

Les Länders ont cependant dû faire face aux difficultés de plusieurs opérateurs, liées à une concurrence sur les coûts excessives, rendant l’exécution des marchés économiquement impossible. De surcroît, la chute du trafic pendant la crise sanitaire de 2020-2022 a logiquement affecté ces contrats tandis l’intensification des travaux de renouvellement et de modernisation se répercute évidemment sur l’économie des dessertes. Un enseignement pour les Régions françaises ? Des coûts mieux maîtrisés, oui… mais pas à n’importe quel prix !

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Béziers - 17 mai 2023 - Si les trains régionaux français arborent de plus en plus souvent une livrée aux couleurs de leur financeurs, SNCF Voyageurs conserve pour l'instant un net ascendant, semblant traduire une évolution de fond pour répondre aux attentes des collectivités et de la population. La Région Occitanie ferme pour l'instant la porte en ayant signé in extremis une convention en gré à gré fin 2023 pour une durée de 10 ans. © transportrail

La ponctualité

Ce sujet alimente quotidiennement quelques lignes dans la presse quotidienne, et des millions de commentaires sur les différents réseaux sociaux. Néanmoins, en France, on peut quand même considérer que la plupart des trains Grandes Lignes circulent à l’heure… ou généralement avec un retard limité. Il est vrai que Bordeaux – Marseille et Paris – Clermont-Ferrand sont des axes à la fiabilité aléatoire, en partie en raison de problèmes sur le matériel roulant. En Allemagne, c’est une autre affaire : il est souvent plus simple de compter le nombre de trains longue distance (IC, ICE) annoncés sans retard sur un tableau d’affichage. Outre le nombre, il y a l’intensité : rarement 5 ou 10 minutes, mais une profusion d’annonces supérieures à 30 minutes voire une heure… ou plus.

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Mannheim Hauptbahnhof - 23 septembre 2022 - 11 trains annoncés en retard sur cet écran sur une amplitude de 1h27. Les dessertes IC-ICE sont majoritairement concernées. Le trafic régional commence à subir les effets du Deutschland Ticket, par l'excès d'affluence à certaines heures. © transportrail

Les causes sont cependant assez différentes : en Allemagne, le réseau ferroviaire connaît une crise d’abord liée à la saturation des infrastructures (nombre de grands axes sont à plus de 250 voire 300 circulations par jour) et une occupation des trains qui peut dépasser 100%. A ceci s’ajoutent désormais des inquiétudes sur l’infrastructure, qui n’arrive pas toujours à suivre, et où des problèmes de qualité de matériaux sont repérés, notamment sur les traverses : plusieurs centaines de milliers, récemment posées, seraient à retirer au plus vite, car un défaut dans la fabrication du béton a été défini comme cause principale d’un déraillement mortel en Bavière cet été.

Autre point faible : des IC et ICE avec des parcours de grande longueur et des trajets de 8 à 12 heures, traversant une dizaine de grands nœuds de correspondances. C’est un des enjeux majeurs du Deutschlandtakt en projet : arriver à proposer des liaisons attractives… et exploitables de façon fiable, quitte à casser des liaisons directes. Berlin – Munich via Francfort ou Hambourg – Interlaken sont deux exemples de liaisons au – trop ? – long cours.

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Interlaken Ost - 3 avril 2017 - Cet ICE1 va débuter une mission au long cours jusqu'à Berlin via Berne, Bâle, Karlsruhe, Francfort et Cologne. Un trajet d'environ 12h30, alignant des sections à fort trafic en Allemagne et en Suisse, et de nombreux points devenus fragiles pour cette raison. Bilan, afin d'éviter des creux de desserte, les CFF doivent prévoit des rames de réserve en cas de marche nettement désheurée. © transportrail

En France, les retards sur les TGV et TET sont de nature assez différente : l’obsolescence des installations peut fréquemment jouer, surtout sur le réseau classique, mais il y a aussi l’effet d’une gestion quand même moins rigoureuse, qui avait été sévèrement critiquée dans un audit paru en 2017, malgré des progrès notables, notamment sur la ponctualité au départ. Les facteurs exogènes sont également à prendre en compte : collisions aux passages à niveau, chutes d’arbres en cas de fort coup de vent… En revanche, la congestion du réseau est objectivement difficile à mettre en avant. Tout au plus, les rigidités de l’exploitation et de l’équipement du réseau français peuvent amplifier des retards préexistants.

Il faut aussi noter que le trafic régional en Allemagne arrive à s’extraire de ces perturbations, car les correspondances n’attendent que très rarement : étant donné le cadencement généralement à l’heure ou aux 30 minutes, les voyageurs sont invités à se reporter sur les trains suivants. Néanmoins, avec la croissance de la fréquentation, les « crochets courts » au terminus, pouvant descendre jusqu’à 5 minutes, deviennent de plus en plus difficiles à tenir.

En France, les services régionaux étant moins fréquents, cette mesure est difficilement applicable. Bilan, un retard de TGV ou de TET aura forcément des effets en cascade sur le transport régional.

Suite du dossier : tarification et information

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