Des Régions qui grognent
Depuis près de six mois, les élus en charge des transports ferroviaires avaient commencé à accentuer la pression sur la SNCF au regard de la diminution progressive et néanmoins inquiétante de la régularité et une élévation du nombre de suppressions de trains. La situation est devenue particulièrement médiocre dans les grandes régions, évidemment en Ile-de-France mais aussi en Rhône-Alpes et en PACA, où les relations Région - SNCF avaient atteint un niveau de tension jamais connu. Alors, les élus ont convoqué le Président de la SNCF, qui a dû passer quelques oraux devant les assemblées régionales pour faire preuve d'une part de pédagogie pour expliquer la situation, et exposer ses solutions pour y remédier.
En PACA, le plan PrioriT vient d'être signé : 200 mesures, 40 M€ avec pour objectif premier la réduction du taux de suppression de trains de 8 à 3,5 % d'ici décembre prochain. En contrepartie, la Région accepte de réduire le montant de ses pénalités conventionnelles de 19 à 7,7 M€ dont 2,2 réinvestis dans ce plan qui concernera la maintenance du matériel, des installations, l'information des voyageurs, l'amélioration de la programmation des circulations, la lutte contre la fraude et l'insécurité dans certains secteurs du réseau. In fine, la Région se retrouve contrainte de mettre la main à la poche et ainsi augmenter sa contribution pour l'exécution du service que la SNCF s'est engagée à réaliser.
En Pays de la Loire, la Région vient également de saisir la SNCF face à la dégradation du service, et en appelle à l'Etat, qui, en tant qu'actionnaire unique de l'entreprise, a également son mot à dire... ou tout du moins devrait. La ligne Caen - Le Mans - Tours est l'une de celle qui focalise régulièrement l'attention.
En Ile-de-France, les Présidents de la RATP, de la SNCF et de RFF passent à l'oral devant le conseil du STIF environ une fois par an, tant la situation est passablement éloignée des objectifs contractualisés, et rendue d'autant plus mal vécue qu'elle concerne plusieurs millions de voyageurs par jour.
La régularité, il y a les chiffres officiels, qui font part de 10 à 12% d'irrégularité sur les TER et Transilien, et même 20% pour les TGV et Corail... et puis il y a les chiffres officieux, ceux mesurés par les usagers et les associations : 50 à 70% des trains ne sont pas à l'heure, tant sur des RER que des TER, y compris sur des lignes à fort trafic (comme Lyon - Grenoble, particulièrement touchée), et les suppressions de dernière minute ne cessent de se multiplier.
Si on neutralise les effets de la neige et des grèves, les taux ne diminuent que de 1 à 1,5%. Autant dire que ces événements ne se sont qu'ajoutés à une tendance générale.
Pour le TGV, la SNCF reconnaît que la chute est préoccupante, considérant même que le niveau de qualité n'est pas en phase avec les standards de la grande vitesse européenne... avant de pointer l'augmentation du trafic, la saturation et le vieillissement des infrastructures. Les mêmes arguments sont d'ailleurs repris pour les autres activités voyageurs, et on serait tenté de répondre que ces sujets étant connus, la priorité doit être à la réduction drastique des causes internes à la SNCF pour éviter que la dérive des résultats ne s'amplifie.
A côté de cela, 95% des TER Bretagne et Alsace ont circulé à l'heure...
Un climat tendu entre Régions, usagers et SNCF : apparences ou réalité ?
Résultat, la judiciarisation des relations entre les usagers et la SNCF va croissante. Souvent considérés comme délaissés, les usagers s'organisent progressivement, et se rebiffent : refus de présenter leur titre de transport lors des contrôles, refus de payer leur transport... ou dépôt de plainte lorsque les retards provoquent des complications - plus ou moins sévères selon les cas - avec leurs employeurs : certains diront que l'américanisation des moeurs est en marche. D'autres y verront l'expression d'un mécontentement (pour ne pas dire plus) face aux conséquences sur la vie personnelle et professionnelle de ces retards au quotidien : une heure supplémentaire pour la nounou, une réunion loupée, un entretien d'embauche raté, un employeur inflexible qui licencie pour cause de retards récurrents ou qui évite d'embaucher un candidat venant d'un secteur desservi par des lignes réputées très médiocres.
Quid de l'ouverture à la concurrence ? Un bâton plausible ?
A l'opposé de la chaîne, le législateur s'interroge sur la pérennité du monopole d'exploitation des dessertes intérieures dont dispose la SNCF. Le rapport du député Grignon, qu'on n'attend plus aujourd'hui avant le mois d'avril prochain, devrait proposer des modalités d'expérimentation qui pourraient être applicables en 2013 - 2014, période à laquelle plusieurs conventions TER seraient à renouveler. Une expérimentation que la plupart des responsables régionaux n'emballe pas, probablement au moins autant pour des raisons politiques que par une certaine crainte face à une nouvelle situation, une sorte de plongée vers l'inconnue, avec quelques "petites" questions relatives à la propriété du matériel, la gestion des personnels en cas de changement d'exploitant (application de l'article L122-12 du code du travail). Bref, si le rapport ne propose pas un chemin clair, il est évident que les propositions auront du mal à être entendues par des élus qui, déjà aujourd'hui ne sont guère enclins à s'y engager.
Pourtant, il y a de grandes chances que l'expérimentation proposée - et non imposée - s'appuie sur le modèle de la délégation de service public gérant la quasi-totalité des réseaux urbains français. En la matière, certains sont prêts à continuer un lobbying que certains qualifieront d'agressifs - d'autres diront très intéressé - pour faire entendre leur propos, principalement axé sur la diminution des coûts d'exploitation et donc la capacité à dégager, sans investissement supplémentaire des collectivités, de nouvelles marges budgétaires au profit du ferroviaire, par exemple pour assurer la pérennité de petites lignes à la santé aujourd'hui précaire qui - selon les potentiels nouveaux exploitants - seraient condamnées si le mode de fonctionnement actuel était maintenu...
Or le seul moyen de confirmer les dires des partisans de l'ouverture à la concurrence est probablement de mettre un pied dans la porte et d'expérimenter la mise en concurrence pour juger sur pièces. Qui saura - osera - franchir le pas ?
Bref, si la SNCF veut conserver sa position dominante, il lui faudra faire preuve d'imagination et de résultats pour redresser une situation aujourd'hui peu glorieuse : si elle n'est pas la seule responsable - les sous-investissements chroniques de l'Etat ne sont pas étrangers à la situation - de cette dégradation de la qualité de service, elle devra se montrer exemplaire dans sa capacité à résoudre les causes de dysfonctionnements sur lesquelles elle peut avoir la main.