Un terminal multimodal pour Rungis en 2026
Au printemps 2026 en principe, le marché d'intérêt national de Rungis disposera d'un terminal de transport combiné destiné à recevoir 4 à 5 trains par nuit sur un terrain de 13 hectares. Il pourra accueillir non seulement des caisses mobiles, mais aussi manoeuvrer des remorques et gérer des wagons classiques. Les liaisons envisagées proviendraient de Perpignan, d'une origine provençale à définir dans le delta du Rhône, de Sète, de Dunkerque mais aussi de Rotterdam et Anvers. L'opérateur sera désigné au premier trimestre 2023. Le coût de ce projet est estimé à 25 M€.
L'actuel train des primeurs, avec ses wagons réfrigérés, devrait circuler jusqu'à la fin de l'année 2025 selon les termes du contrat actuel avec Fret SNCF. S'il était reconduit, il pourrait donc être accueilli dans les nouvelles installations franciliennes. Cependant, le matériel a été rénové pour une durée limitée et le développement du trafic de transport combiné et d'autoroutes ferroviaires vers ce nouvel équipement pourrait être l'occasion de faire évoluer la relation, en changeant le type de convoi mais aussi son origine : il est régulièrement question d'une relation depuis l'Espagne, pouvant profiter d'une infrastructure largement disponible à travers les Pyrénées et à écartement standard qui progresse au-delà de Barcelone.
Cette solution faciliterait l'usage des wagons dans le sens nord-sud en diversifiant les possibilités d'équilibrage du trafic sur une relation dont l'intérêt théorique ne fait guère de doute, surtout avec la tension croissante dans le transport routier par la pénurie de conducteurs de camions.
Fret : le transport combiné reprend des couleurs
A l'Assemblée Générale de l'Union Internationale pour le transport combiné rail-route, on souligne des résultats de trafic en 2021 historiquement hauts, passant la barre des 100 millions de tonnes-kilomètres transportées, en hausse de 11% par rapport à 2020. Plus de 10 millions de caisses mobiles ont été acheminées. La demande est soutenue, tant par une pression liée à la production industrielle, malgré les incertitudes liées à la guerre en Ukraine, que par l'évolution du prix des carburants, alors qu'il faut aussi reconnaître que l'énergie dans le transport ferroviaire coûte également plus cher.
En France, VIIA a indiqué une croissance de son chiffre d'affaires de 30% en 2021, en transportant 145 000 unités de transport intermodal. La filiale du groupe SNCF souhaite renforcer son offre et proposer des services mixtes d'autoroute ferroviaire et de transport combiné :
- relance de la liaison Bettembourg - Barcelone avec 5 allers-retours par semaine dès le 12 juin en utilisant la ligne nouvelle Perpignan - Figueras (y verra-t-on les Euro6000 Captrain France ?) ;
- renforcement de la relation Bettembourg - Le Boulou à 4 allers-retours par jour en semaine, tandis que l'offre Calais - Le Boulou passe de 8 à 10 services ;
- création de la liaison Calais - Sète à raison de 2 puis 3 rotations hebdomadaires ;
- l'aller-retour entre Calais et Mâcon deviendra quotidien du lundi au vendredi ;
- la liaison Calais - Orbassano pourrait être rétablie l'année prochaine.
Par ailleurs, VIIA confirme la création d'un nouveau terminal sur le port de Sète dès 2023 pouvant accueillir 11 rotations supplémentaires et ainsi développer les activités vers les différents pays de l'arc méditerranéen, jusqu'à la Turquie.
Enfin, l'opérateur s'intéresse de près aux réflexions sur la création de nouvelles installations multimodales en Ile de France, que ce soit à proximité du marché d'intérêt national de Rungis que dans l'enceinte du port de Gennevilliers. Pour ce dernier, il faut tout de même pointer une faiblesse non négligeable : l'accessibilité ferroviaire suppose quand même de transiter par des axes encombrés et d'exploitation complexe, soit via Ermont-Eaubonne et le RER C, ou via La Plaine, mais avant vraisemblablement un transit préalable via Le Bourget et un rebroussement aux portes de Paris cisaillant ensuite les voies du RER D. Ce ne sera quand même pas simple...
Il n'en reste pas moins que le nouveau tour de vis imposé par l'Etat sur le renouvellement des infrastructures ferroviaires aura pour effet - un parmi tant d'autres - de réduire les périodes d'ouverture des lignes à la circulation, en particulier de nuit, mais aussi probablement de jour (pour diminuer encore le coût des chantiers). Autant dire que les opérateurs de fret n'ont pas fini de reprocher le manque de disponibilité du réseau pour développer le trafic...
Fret : des confirmations de crédits
La mise en oeuvre des moyens alloués au fret ferroviaire par le plan de relance du gouvernement ont été l'autre sujet abordé lors du déplacement dans les Pyrénées Orientales du Premier ministre et du président de SNCF Réseau la semaine dernière, outre la remise en service du train des primeurs. Ainsi, 37 M€ vont permettre le financement de la régénération de certaines voies de service, dans un programme global de 110 M€, ce qui reste peu compte tenu des besoins et de l'état du patrimoine (la liste des voies interdites d'usage commençant à devenir un peu trop longue par rapport aux activités des opérateurs sur certains sites, y compris plusieurs triages). La création d'un service digitalisé d'automatisation de la commande des sillons de dernière minute (puisque le fret est encore souvent astreint à ce régime) est annoncé avec 7 M€ de crédits. Le contenu devra être précisé.
Enfin, MM. Castex et Lallemand ont signé des conventions de financement d'études portant l'une sur les besoins de modernisation de l'axe Dijon - Ambérieu, un des maillons d'accès à l'itinéraire transalpin, qui souffre notamment d'une alimentation électrique insuffisante, et l'autre sur les modalités de création d'un raccordement entre le terminal fret du Boulou et la ligne nouvelle Perpignan - Figueras, qui ne font aujourd'hui que se croiser.
A cette occasion, le groupe SNCF a aussi annoncé le lancement d'un nouveau projet d'autoroute ferroviaire avec VIIA entre Le Boulou et le port de Gennevilliers à raison de 3 allers-retours par semaine pour commencer et 6 en régime de croisière.
Doubler le fret d'ici 10 ans ?
Il n’y a pas de raisons de ne pas gratifier aussi le fret ferroviaire d’annonces pré-électorales. Il y a en effet matière à prudence car ce n’est pas la première fois – ni la dernière ! – qu’un gouvernement annonce que cette fois-ci sera la bonne avec un plan de développement du transport de marchandises par la voie ferrée.
La stratégie nationale officiellement dévoilée
« Doubler la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 » nous fait rajeunir de plus de 20 ans, quand Jean-Claude Gayssot annonçait déjà cet objectif à horizon décennal. A l’époque, le trafic atteignait 50 milliards de tonnes-kilomètres. Il est tombé à 32 milliards depuis… et ce n’est pas le fait de la libéralisation du transport de marchandises : au contraire, cette libéralisation a permis de limiter la chute, même si certains ont longtemps fait semblant de croire qu’au contraire la libéralisation avait prouvé son inutilité puisqu’elle n’avait pas arrêté celle-ci !
Essey et Maizerais - 20 mai 2020 - Cet UM de BB27000 circule sur la ligne de Metz à Lérouville avec un train de produits sidérurgiques, un de ceux qui reste encore en France, surtout dans le nord-est. L'effondrement de l'extraction minière et la crise des aciéries françaises a eu pour conséquence un baisse radicale des tonnages de marchandises transportés par le rail. © N. Hoffmann
La France se singularise au milieu de ses voisins européens par cette chute sans fin, il suffit de traverser le Rhin et de voir passer les trains à Freiburg pour se dire qu'un autre monde est non seulement possible mais qu'il existe, sans être dans des pays d'économie dirigée...
La stratégie présentée au cours de la Semaine de l’Innovation, du Transport et de la Logistique comprend pas moins de 72 mesures autour de 3 axes, rien que ça.
Toujours en chiffres, l’Etat vise une part de marché du rail de 18% en 2030 contre 9% en 2018 et un trafic de 65 milliards de tonnes-kilomètres contre 32 en 2019. Visant bien au-delà, l’Etat affiche également un objectif de 25% en 2050.
Perrigny sur Armençon - 16 juillet 2016 - ECR (désormais DB Cargo même en France) se hisse aujourd'hui à la deuxième place derrière le groupe SNCF dans le fret ferroviaire français, si on fait exception des activités de Getlink centrées sur la liaison transmanche. La 186-343 file en direction de l'Espagne sur l'axe PLM. © N. Hoffmann
Au-delà des intentions
Les orientations de l’Etat reprennent largement les propositions du groupement 4F : si la plupart des sujets techniques, commerciaux, industriels et économiques sont bien abordés, qu’en sera-t-il de la mise en œuvre ?
L’amélioration de la circulation de l’information entre les opérateurs et SNCF Réseau, une meilleure traçabilité des trains en temps réel, des innovations sur la motorisation – le document n’oublie pas l’incontournable hydrogène – et l’autonomisation de certains mouvements (notamment sur les triages et autres installations de service) sont effectivement des sujets importants pour crédibiliser l’usage du train. Le groupement 4F a sans aucun doute eu un rôle essentiel dans l’identification exhaustive des nombreux obstacles que le fret ferroviaire doit aujourd’hui surmonter en France.
Mais si une partie de la démarche repose sur les opérateurs, la puissance publique reste en principe le principal contributeur de cette ambition, pour deux raisons : financière (il faudra massivement investir pour adapter le réseau ferroviaire à l’évolution des besoins du fret, y compris investir dans des méthodes d’entretien moins délétères qu’aujourd’hui) et de pilotage bien plus « orienté fret » qu’aujourd’hui de son bras armé SNCF Réseau, où il est de notoriété publique en interne qu’y perdurent encore des « dinosaures » pour lesquels un bon train de fret est un camion sur la route, puisque tout train qui circule coûte plus qu’il ne rapporte…
Essey et Maizerais - 21 févrir 2021 - Lineas renforce sa présence dans le nord-est de la France, avec des locomotives louées auprès d'Akiem, antichambre des surplus de machines de Fret SNCF commandées à la fin des années 1990. Ces citernes de gaz sont emmenées par 2 BB75000, déviées de leur parcours par la ligne 4 suite à un éboulement. © N. Hoffmann
Pour l’instant, l’Etat confirme jusqu’en 2024 des subventions aux opérateurs apparues l’an dernier dans le plan de relance. Elles représentent une dépense de 170 M€ par an :
- la prise en charge de 50 % des péages dus par les opérateurs de fret à SNCF Réseau ;
- 70 M€ pour le secteur du wagon isolé ;
- 47 M€ pour l’exploitation des services de transport combiné ;
- 15 M€ pour les autoroutes ferroviaires.
210 M€ seront alloués à SNCF Réseau pour compenser les évolutions de coût des travaux de maintenance destinés à améliorer la disponibilité de l’infrastructure, et 120 M€ iront aux opérations de réduction des « points noirs bruit ».
Où est passé le contrat Etat - SNCF Réseau ?
Au reste, l’Etat a annoncé que le futur contrat Etat – SNCF Réseau (attendu depuis déjà deux ans, et qui ne devrait pas arriver avant 2022…) stabilisera le budget de renouvellement à 3 MM€ par an jusqu’en 2029. Lors du colloque de l’Association Française du Rail, le 14 septembre dernier, le président de l’Autorité de Régulation des Transports n’a pas caché que ce montant serait nettement insuffisant. Une actualisation de l’audit technique et financier du réseau est prévue dans les mois à venir (après le nouveau contrat…) : il confirmera sans nul doute la position de M. Roman, dont il faut saluer les positions réalistes quoique fort peu consensuelles (c'est l'avantage d'être en fin de mandat).
Aujourd’hui, la logique du « renouvellement à l’identique » ne permet pas de faire face correctement aux besoins du transport ferroviaire (de voyageurs comme de marchandises) alors que nombreux sujets sont identifiés de longue date entre autres :
- le développement d’itinéraires compatibles avec le gabarit P400 pour le transport des semi-remorques sur wagons européens T3000,
- celui d’itinéraires alternatifs permettant d’alléger l’impact insupportable des travaux sur la circulation du fret, diminuant le conflit entre travaux et circulations,
- l'augmentation de capacité et de performance dans les grands noeuds,
- le déploiement d’ERTMS (la Commission Européenne attend toujours les engagements concrets de la France, en bonne voie pour devenir le mouton noir des réseaux européens en la matière),
- le renforcement de l’alimentation électrique sur plusieurs axes majeurs du réseau, pour faire face au développement des trafics et à la généralisation d’engins moteurs plus performants.
L'Etat compte mobiliser encore un peu plus les ressources des collectivités locales, au premier rang desquelles les Régions, hors des domaines de compétence transférés par la loi, et naturellement sans ressource associée.
Il faudra en outre statuer sur le financement des lignes capillaires, au rôle important en France (plus de 20% des tonnages ont pour origine ou destination un site accessible par l’une d’elles), et par ricochet, sur la pérennisation des lignes de desserte fine du territoire qui portent cette proportion à 30%. Il ne faudrait pas oublier trop vite que les récentes opérations sur des lignes capillaires fret ont été pour l’essentiel une opération-survie sur une décennie, pas une véritable régénération garantissant un demi-siècle d’exploitation sans nouveaux investissements pour répondre aux besoins contemporains : charge à l'essieu, circulation au moins à 50 km/h pour ne pas allonger les délais de desserte et les temps d'occupation de cantons longs, nouvelles modalités d'exploitation des Voies Uniques à Trafic Restreint…
Olley - 6 mars 2021 - Circulant sur la ligne de Verdun à Conflans-Jarny, ce train de chaux emmené par la CC4002 d'Europorte a d'abord emprunté une ligne capillaire fret (UIC 7 à 9 sans voyageurs) avant d'utiliser cette ligne de desserte fine du territoire (UIC 7 à 9 avec voyageurs) qui lui donnera accès au réseau structurant au cours de son parcours de Dugny à Dilligen. © N. Hoffmann
Un effet d'annonce de plus
Autant dire que la relance du fret aura besoin d’autres engagements… et pas à un horizon aussi peu responsabilisant que 2050. Dans ce document, manquent des engagements de court terme sur des actions précises avec des montants d’investissement et des dates crédibles de réalisation. De plus, les décisions d’organisation à impact rapide, sur les choix déséquilibrés de SNCF Réseau entre maintenance et sillons fret par exemple, doivent être pris maintenant, pas dans 5 ans : si l’on prétend voir doubler la part de marché du fret ferroviaire sous 10 ans, et même plutôt 9, le début de la croissance doit intervenir dès 2022, pas dans 5 ans ou davantage avec les premiers fruits de travaux engagés aujourd’hui…
Si la prolongation des subventions aux opérateurs est une bonne nouvelle, c'est une goutte d'eau dans l'océan des besoins, et on ne sent pas émerger d'inflexion par rapport à une approche financière un peu trop orthodoxe, ni par rapport au rôle que peut tenir le chemin de fer dans une économie moderne à décarboner.
Courthézon - 8 août 2013 - Venant de quitter le site d'Avignon Champfleury pour rejoindre celui Sucy-Bonneuil, la BB27117 VFLI entame la remontée de l'axe PLM avec une longue rame de caisses mobiles. L'essor du transport combiné est un des leviers principaux de développement du fret ferroviaire en France. © R. Lapeyre
La période est à l'autosatisfaction du gouvernement dans le domaine ferroviaire, mais la verve des discours ne suffira pas à masquer le retard de la France dans le domaine ferroviaire, malgré l'euphorie du moment autour des 40 ans du TGV. La politique de l'effet d'annonce - très commode car ne coûtant rien et n'engageant que celui qui l'écoute ! - est incompatible avec le système ferroviaire, dont la gestion s'apparente plus à la sylviculture qu'à plantations annuelles dans un bac à fleurs posé sur un rebord de fenêtre.
Fret ferroviaire français : nos dossiers complétés
Puisqu'il faut s'occuper, voici donc le moment de réviser notre série consacrée au fret ferroviaire, sujet qui a profité d'un coup de projecteur intéressant pendant le premier confinement. On ne sait pas ce qu'il en sera pour le deuxième (nous ne disons pas second, par prudence...) mais l'émergence d'une nouvelle dynamique associant la majorité des parties prenantes dans le projet Fret Ferroviaire Français du Futur (alias 4F) donne matière à actualiser et compléter nos articles, d'autant que l'Etat semble confirmer l'octroi sur les 2 ans à venir d'une enveloppe de 1 MM€ pour de premières actions profitant au fret ferroviaire dans le plan de relance, incluant la ristourne accordée jusque fin 2021 sur les péages.
Outre le menu en haut de page, vous retrouverez nos articles par les liens suivants
Fret : l'Etat annonce moins de péages
En visite sur le site de transport combiné de Bonneuil sur Marne, le Premier Ministre, accompagné de plusieurs ministres, a annoncé une mesure choc pour essayer de relancer le fret ferroviaire. Répondant à l'un des sujets développés par le groupement Fret Ferroviaire Français du Futur, il a ainsi révélé que l'Etat neutraliserait les péages pour l'ensemble des trains de marchandises en France jusqu'au 31 décembre 2020 et une réduction de 50% sur toute l'année 2021. Une aide de 126 M€ sur cette période, qui évidemment n'est pas pour déplaire aux chargeurs.
Toujours au chapitre des têtes d'affiche, M. Castex a évoqué de nouvelles autoroutes ferroviaires dans les prochains mois comme Cherbourg - Mouguerre, Calais - Sète, et Perpignan - Rungis. L'élu des Pyrénées Orientales en a profité pour annoncer le retour du train des primeurs, mais sans préciser selon quelles modalités. Le transport combiné devrait aussi bénéficier d'un nouvel élan.
Au-delà de ces annonces, deux questions principales subsistent :
- la ristourne, conséquente, des péages jusque fin 2021 suppose donc que l'Etat compense le manque de recettes généré pour SNCF Réseau ;
- supprimer ou réduire fortement le niveau de ces péages ne change malheureusement pas grand chose au principal problème du fret ferroviaire en France : le nombre et la qualité des sillons.
Le premier point devra trouver une issue directe dans le nouveau contrat entre l'Etat et SNCF Réseau, remplaçant l'actuel contrat de (non-)performance datant de 2017. Le second point est un peu plus complexe car il vient se heurter au maillage insuffisant du réseau, au manque d'itinéraires alternatifs, à l'équipement insuffisant des axes principaux (où l'IPCS est rare et la banalisation miraculeuse), mais aussi à la logique financière appliquée à l'excès qui se répercute sur la façon de faire des travaux avec des fenêtres longues, prenant de plus en plus souvent les 2 voies, et pas toujours correctement alignées sur les principaux corridors.
Bref, entre l'intention - louable - et la mise en oeuvre, le chemin - de fer, évidemment - est encore parsemé de verrous à débloquer !
4F présente son plan pour développer le fret ferroviaire
4F, c'est Fret Ferroviaire Français du Futur. Les opérateurs ont engagé cette démarche dans l'objectif de formuler des propositions et exposer les meures qu'ils étaient en capacité d'engager pour doubler la part de marché du fret ferroviaire en 2030.
Fain les Montbard - 21 juillet 2017 - L'axe PLM entre Paris et Dijon a perdu de sa superbe et le fret en journée s'y est fait assez rare. La BB26221 tracte un convoi de transport combiné en direction de Dijon.. rompant avec une certaine lassitude du photographe entre deux trains... © E. Fouvreaux
On notera non sans malice qu'à la fin des années 1990, l'Etat avait déjà cette ambition de doublement - on parlait à l'époque du tonnage transporté - mais si le facteur 2 a bien été appliqué, ce n'est pas à la hausse mais à la baisse qu'il s'est produit !
Tous dans le même train ?
Néanmoins, la singularité de 4F est d'abord de réunir tous les acteurs français : on y trouve les principales entreprises de transport ferrovaire (Fret SNCF, DB Euro Cargo Rail, VFLI, Europorte, Lineas, RegioRail, Millet Rail), les opérateurs du transport combiné (Novatrans, Naviland Cargo, T3M, Froidcombi), VIIA (opérateur d'autoroutes ferroviaires), le comissionnaire Forwardis, l'association Objectif OFP, l'AFRA, le GNTC, l'Association Française des Détenteurs de Wagons, la Fédération des Industries Ferroviaires, l'Union des Transports Publics et Ferroviaires, le Syndicat des Entreprises de Travaux de Voies Ferrées de France, l'Association française des Gestionnaires d'Infrastructures Ferroviaires Indépendants et le Comité pour la Translapine. SNCF Réseau coopère aux travaux de 4F.
Les Bouchouleurs - 11 octobre 2019 - Le fret, ce ne sont pas que des trains au long cours traversant le pays. Cette G1206 vient du port de La Rochelle et se dirige vers Bordeaux en complémentarité avec la voie maritime (et non ce petit canal bucolique au premier plan !). © F. Brisou
4F met donc en avant la capacité de la filière industrielle à concrétiser ce doublement du fret ferroviaire mais pointe également les attentes formulées à l'égard de l'Etat et de SNCF Réseau.
En préliminaire, 4F rappelle que les coûts externes des transports en Europe s'élèvent à 1000 MM€ par an, affectés à 49% à la santé, 28% à l'environnement et 23% à la qualité de vie. Entre 20 et 30% de ces coûts externes sont attribués au transport de marchandises, et donc d'abord au transport routier dont les externalités sont 3 à 4 fois supérieures au train.
Hausbergen - 10 juin 2010 - Encore du combiné, clairement européen avec ici la rocade Nord-Est dans le noeud strasbourgeois et ces BB1300 belges qui remontent en direction du plat pays. © J.J. Socrate
4F souligne qu'en France, l'investissement ferroviaire d'abord porté sur le développement a eu pour conséquence de générer une double peine pour le fret : un réseau classique moins performant et un rattrapage du retard qui se traduit par de fortes contraintes de capacité et une médiocre qualité des sillons. En s'appuyant sur les quelques orientations sur le transport ferroviaire de la Convention citoyenne pour le Climat sur le rééquilibrage rail / route / fluvial, 4F appelle à un changement de cap rapide et radical pour que la France rattrape progressivement l'écart avec ses voisins européens. Rail Freight Forward, la coalition des acteurs européens pour le fret, propose un objectif de 30% de marchandises transportées par la voie ferrée en 2030.
L'analyse développée met aussi en avant l'impact de l'atonie du fret sur la dynamique industrielle du secteur ferroviaire et son effet d'entraînement sur d'autres secteurs, et les mesures parfois tranchées de certains Etats pour réorienter les flux vers le rail : ce sont évidemment les taxes augmentées en Autriche en fonction du tonnage et des émissions, avec en face un développement des autoroutes ferroviaires, mais aussi l'incitation par la baisse des péages en Allemagne et aux Pays-Bas, compensée par l'Etat auprès des gestionnaires d'infrastructure, au nom de la politique de report modal et de la réduction des coûts externes.
Donzère - 4 mai 2013 - L'autoroute ferroviaire alterne entre la rive gauche et la rive droite du Rhône au sud de Lyon. La voici en rive gauche, traversant la gare de Donzère (voilà qui change des traditionnels clichés au bord du Rhône...) C'est aussi une brique de la réponse de 4F pour renforcer la compétitivité du fret ferrovaire, mais ce n'est pas la seule solution. © transportrail
10 objectifs et 30 actions
Les 10 objectifs de 4F sont :
- améliorer l'attractivité des solutions ferroviaires par de nouveaux services numériques aux clients d'information et de suivi des prestations ;
- développer de nouvelles stratégies commerciales plus fiables et plus flexibles, mais aussi plus éco-responsables ;
- baisser les coûts de production par des gains de productivité (par exemple éviter les retours à vide) et dans certains cas un soutien financier de l'Etat ;
- moderniser les moyens de production et accélérer la décarbonation de la traction ;
- engager des programmes de recherche pour développer de nouvelles solutions intermodales à meilleur coût et moderniser le train de fret (couplage automatique et digital) ;
- le renouvellement du réseau ferroviaire et des augmentations de capacité des lignes, en veillant à l'équilibre entre l'intensification nécessaire des travaux et la préservation des conditions de circulation ;
- l'adaptation de l'infrastructure aux nouveaux standards logistiques, notamment le gabarit P400 des conteneurs maritimes, mais aussi l'allongement des trains : adopter en Europe un standard minimal de 750 m, développer le réseau français à 850 m sur les grands axes, étudier les convois à 1500 voire 1700 m sur les axes stratégiques (vieille antienne difficlement concrétisable)... et adapter les installations de traction électrique ;
- la modernisation des terminaux ferroviaires et peut-être un élargissement des compétences régionales (avec évidemment des ressources adaptées) ;
- une planification des travaux et une gestion de la capacité ferroviaire non plus par tronçon mais par grand corridor
L'alliance 4F appelle donc l'Etat à revoir significativement à la hausse les moyens alloués à SNCF Réseau pour renouveler et moderniser le réseau ferroviaire, d'autant que l'effet d'entraînement sur l'ensemble de la filière industrielle française est important, en prenant pour comparaison la LGV SEA : 1 emploi direct représente 1,96 € de production et 1 emploi indirect + 0,44 emplois induit localement.
Ces 10 objectifs déclinés en 30 actions ont été chiffrées financièrement en indiquant lesquelles étaient du ressort des opérateurs, des gestionnaires d'infrastructure et de l'Etat.
Les opérateurs du fret organisent leur lobbying
Les acteurs du fret ferroviaire français organisent leur lobbying et mettent - au moins temporairement et en façade - en sourdine leur compétition et parfois leurs critiques pour intensifier le lobbying auprès du gouvernement français et de l'Union Européenne en faveur du transport de marchandises par voie ferrée. Le groupement 4F, en quelque sorte la déclinaison de Rail Freight Forward à l'échelle européenne, a été constitué en mars dernier : il regroupe la SNCF et l'AFRA, l'Association Française du Rail constituée des différents opérateurs privés de fret (y compris VFLI, filiale du groupe SNCF)
4F s'appuie sur le souhait de l'Europe de porter la part de marché du rail à 30% dans le domaine des marchandises, contre 18% aujourd'hui (9% même en France) et réclame notamment un rééquilibrage de la concurrence avec la route, une amélioration des conditions d'utilisation du réseau avec un peu plus de flexibilité (tous les marchés ne se planifiant pas 2 ans à l'avance) et surtout une performance accrue, et bien entendu des progrès dans la relation entre les gestionnaires d'infrastructures, les opérateurs et les clients finaux avec en fil d'Ariane la digitalisation des outils.
Les acteurs du transport combiné essaient de profiter du regain d'intérêt envers le fret, qui a été sous le feu des caméras pendant la période de confinement. Durant ces 3 derniers mois, environ 65% des circulations ont pu être effectuées par rapport au programme initial, révisé à la baisse par la chute de la demande de certains clients. Le maillage des installations multimodales est encore perfectible mais les opérateurs essaient de tirer leur épingle du jeu par la flexibilité de cette solution et évidemment la trajectoire des objectifs environnementaux du transport de marchandises. Evidemment, le positionnement de l'Etat est attendu sur le devenir du soutien au transport ferroviaire de marchandises, tant par un programme d'investissement sur les infrastructures qu'un soutien aux acteurs avec la pérennisation de l'aide au coup de pince.
Uchizy - 19 juillet 2019 - Le fret cherche à sortir de l'ombre. Le transport combiné espère un nouveau souffle. Les opérateurs semblent vouloir d'abord miser sur ce qui les réunit (le développement du mode ferroviaire). Ici, la BB26217 de la SNCF descend un train majoritairement composé de citernes adaptée au transport multimodal sur l'axe PLM. © E. Fouvreaux
L'un des freins du transport combiné, outre la traditionnelle question récurrente de la qualité et de la quantité de sillons, c'est l'appréhension des transporteurs face à la perte de la maîtrise de la logistique du point A au point B. Elle diminuera avec l'augmentation du maillage territorial en installations multimodales, la réactivation d'installations existantes non utilisées, l'amélioration de la qualité de service et de la consistance des offres ferroviaires. Ainsi par exemple, à Miramas une extension du chantier combiné va être mise en service en 2022, représentant un investissement de 23 M€, pour quasiment doubler sa capacité et viser les 100 000 caisses traitées par an.
Si le transport combiné semble vouloir tirer son épingle du jeu, nul doute que les opérateurs des autoroutes ferroviaires voudront aussi profiter de ce contexte : les services sont plus complémentaires que concurrents, car ils ne ciblent pas totalement les mêmes besoins et le maillage des installations d'embarquement des camions sur les trains restent encore limitées. L'autoroute ferroviaire peut être un bon moyen d'amener progressivement les transporteurs routiers vers une solution ferroviaire, notamment sur les longs parcours et pour franchir des obstacles naturels. Outre l'intensification des services existants, il faudra probablement accélérer le processus de création de nouveaux services sur l'axe Atlantique, ce qui fait aujourd'hui défaut.
Barisey la Côte - 20 avril 2016 - Cet UM de BB27000 remonte un long train bien rempli de l'autoroute ferroviaire entre Le Boulou et Bettembourg composé de wagons Modalohr. Outre certaines difficultés techniques liés au gabarit admissible sur certaines lignes, la focalisation sur la seule solution développée par Lohr semble freiner l'essor de cette offre qui répond à certains besoins logistiques. © R. Chodkowski
Le fret ne se résume pas à ces deux options : les marchés plus traditionnels sont également très demandeurs d'améliorations. C'est en particulier le cas de cette moitié du tonnage actuellement transporté par voie ferrée qui a pour origine et/ou destination une ligne de ces lignes de desserte fine, qu'elles accueillent ou non des circulations voyageurs : la remise en état de ces lignes est indispensable pour ces activités locales qui tissent une maille industrielle locale. On pense aux eaux minérales, aux céréales, à certaines activités sidérurgiques ou chimiques...
Le lobbying doit mener plusieurs fronts en parallèle : des investissements sur le réseau ferroviare pour le moderniser, un soutien fort à la filère (au titre du moindre impact environnemental), des sillons plus nombreux (ce qui est au moins temporairement contradictoire avec de nouveaux travaux), de meilleur qualité et plus commodes à réserver, une tarification soutenable, une concurrence plus équitable vis-à-vis de la route, une coordination à plusieurs Etats car le fret franchit souvent les frontières... La tâche est assez considérable !
Varennes lès Mâcon - 24 mai 2020 - Elle est pour l'instant unique mais elle ne passe pas inaperçue : l'Eurodual 6001 de VFLI est la première machine bimode de grande puissance circulant en France, tractant ici un train d'eaux minérales entre Vittel et Arles. Un client habituel du rail qui a souvent besoin d'une petite ligne non électrifiée pour assurer ses acheminements. C'est ici le cas entre Vittel et Merrey. (cliché X)
Verdun sur le Doubs - 7 novembre 2017 - Les feuilles mortes ne tiennent évidemment pas la voie mais on cherche le ballast, d'où la vitesse des plus réduites de ce train, illustrant le rôle de ces lignes presque oubliées (pas de ceux qui en ont besoin !) de la politique ferroviaire. © B. Grandclément
L'axe Karlsruhe - Bâle encore intercepté !
Après l'incident de Rastatt, mettant assez nettement en cause la conception du chantier du tunnel destiné au doublement de la ligne de la vallée du Rhin dans ce ce secteur, un nouvel événement, plus grave encore, est intervenu sur cet axe majeur au plan européen. Un train de l'autoroute ferroviaire Freiburg - Novara a percuté le tablier d'un pont dont la démolition était en cours et devait s'achever ce week-end. Un choc violent, le train étant déjà lancé à bonne allure et la pièce de béton pesant 140 tonnes. Le bilan est de 3 morts dont le conducteur du train (opéré par le BLS) et 2 conducteurs de poids lourds qui étaient dans la voiture qui leur est destiné derrière la machine.
Le trafic est interrompu et va probablement être dévié par la Scharzwaldbahn, même si ce détour impose un parcours de 80 km en voie unique au-delà de Singen pour rejoindre Bâle. Via Schaffhouse, il est possible de rejoindre Zurich par des lignes à double voie mais sans accès aux traditionnels itinéraires permettant justement de contourner ce noeud.
Une autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Mouguerre en 2021
Brittany Ferries souhaite lancer en avril 2021 un service d'autoroute ferroviaire entre le port de Cherbourg et le terminal de Mouguerre près de Bayonne, à raison d'un aller-retour par jour, qui transporterait 20 000 remorques par an. L'objectif est de diversifier les liaisons depuis le Royaume-Uni et l'Irlande vers l'Espagne et le Portugal, en bénéficiant d'une liaison plus rapide que par un parcours intégralement par la mer. Il s'agit aussi de proposer un itinéraire alternatif au Tunnel sous la Manche qui risque d'être moins performant du fait des contrôles douaniers, conséquence du Brexit.
Le coût du projet est de 37 M€ dont 7 M€ pour l'adaptation des installations ferroviaires du port de Cherbourg et 30 M€ pour l'acquisition de wagons chez Lohr Industries.
Le train devrait quitter Cherbourg à 18h46 pour arriver à Mouguerre à 9h25 avant de repartir à 16h29 pour revenir à Cherbourg à 9h14. Il transitera par Caen, Mézidon, Argentan, Le Mans, Saint Pierre des Corps puis Poitiers, Bordeaux et Dax. La transversale Caen - Tours va donc être mise à profit, d'autant que l'itinéraire ne pose pas de problème majeur de dégagement du gabarit. Au sud de Tours, ce nouveau service renforce un peu plus encore l'intérêt des travaux de mise au gabarit des tunnels entre Poitiers et Bordeaux, prévus au titre de l'autoroute ferroviaire Atlantique toujours en projet.
En outre, on ne manquera pas de remarquer que cette relation pourrait être un terrain propice à l'usage de locomotives bimodes puisque la section entre Mézidon et Tours n'est pas électrifiée (hormis la traversée du Mans), même avec le rebroussement à Saint Pierre des Corps.
Cette liaison va ainsi redonner vie à l'embranchement portuaire de Cherbourg, officiellement toujours ouvert mais dont le trafic semble avoir disparu de longue date.
Cherbourg - 27 juillet 2015 - L'embranchement du port, à hauteur du PN n°3, vu d'abord en direction du port et ensuite en direction de la gare. On note que la voie est en excellent état... avec un ballastage récent. Les trains de l'autoroute ferroviaire passeront par cette voie entre le port et l'axe Paris - Cherbourg. © transportrail