Auvergne – Rhône-Alpes : quelle stratégie ferroviaire ?
Depuis quelques mois, la posture de la Région Auvergne – Rhône-Alpes tranche par rapport à celle de ses homologues. En substance : « plus question de se substituer à l’Etat pour financer le renouvellement du réseau ferroviaire », et en particulier sur les lignes de desserte fine du territoire. Il est vrai que depuis 18 ans, l’Etat pratique un transfert déguisé de responsabilité sans doter les Régions des leviers permettant d’avoir les ressources nécessaires.
Après les échanges parfois secs entre M. Aguilera (vice-président aux Transports) et la préfète de Région, le grand entretien dans la presse régionale avec M. Wauquiez ressemblait à un changement de stratégie : ce n’est plus une opposition franche. Place au « oui mais… ». Ainsi, le président de la Région annonce un plan d’investissements à hauteur de 5,7 milliards € sur les transports ferroviaires d’ici 2035 et fixe un objectif de croissance du trafic de 20 % par rapport à 2019, soit 300 000 voyageurs par jour contre 220 000. 5,7 milliards, c’est beaucoup. +20 %, c’est finalement assez peu !
Sur ce budget, 3 milliards seront consacrés au matériel roulant : il serait question d’une commande massive de 130 Régio2N, afin d’augmenter la capacité d’emport des trains existants et augmenter les fréquences, même en heure de pointe, pour atteindre un cadencement au quart d’heure sur les dessertes périurbaines friandes de ce type de rames. Mais cela fait quand même beaucoup et on peut supposer que ce volume prévoit aussi le remplacement des rames de voitures Corail associées à des BB22200. Il faut alors espérer que la Région aura la présence d’esprit de retenir une version avec un meilleur confort, en s’adossant par exemple aux aménagements de la version Normandie ou de celles que fournira Transdev dans le contrat d’exploitation de la ligne Marseille – Nice.
Saint-Etienne Châteaucreux - 6 septembre 2019 - Les Régio2N avec leurs aménagements intérieurs actuels sont prises entre deux approches : maximiser la capacité assise au prix d'un confort de type urbain, ou proposer un confort correct quitte à avoir des voyageurs debout. Cependant, même en version de base à 4 places de front, les sièges de ces rames ne sont pas très appréciés. © transportrail
Lyon Part-Dieu - 4 juin 2021 - Les Régio2N sont notamment engagées sur les relations Ambérieu - Saint-Etienne, le plus souvent en UM2. Une chose est en revanche certaine : les aménagements intérieurs actuels sont strictement incompatibles avec le niveau de service attendu dans les trains régionaux intervilles autour de Lyon et sur le sillon alpin, où officient encore pas mal de voitures Corail (comme celle visible en arrière-plan). Et puis si on pouvait avoir une jolie livrée... même avec ce bleu rappelant un personnage de bande dessiné et de dessin animé du belge Peyo... © transportrail
On rappellera aussi à la Région qu’une aptitude à 200 km/h ne serait pas inutile pour être compatible avec la future – même si à ce stade encore hypothétique – ligne nouvelle entre l’agglomération lyonnaise et Chambéry, afin d’accélérer encore un peu plus les relations entre Lyon et la Savoie.
Une commande d’Omneo Premium (idéalement en version 135 m pour proposer entre 430 et 470 places selon les configurations) pourrait aussi, rappelons-le, être l’occasion de redistribuer le parc récent, notamment repositionner les TER2Nng sur les liaisons de cabotage car elles n’offrent pas un confort suffisant sur des services intervilles (comme entre Annecy et Valence).
Concernant les infrastructures, le désaccord Etat – Région semble donc moins porter sur le principe (car même si l’argument est juridiquement étayé, les autres Régions n’ont pas embrayé) que sur le contenu et les montants. L’Etat propose 620 M€ dont 182 M€ pour les RER de Lyon et Grenoble, 249 M€ pour les autres sujets ferroviaires (hors grands projets Paris – Clermont-Ferrand, CFAL et Lyon – Turin), 169 M€ pour le volet routier, 10 M€ pour les transports urbains et autant pour les véloroutes. La Région, elle, propose 1 milliard € sur le volet ferroviaire et 500 M€ sur les autres postes. La convergence s’annonce quand même difficile...
Chartes - Courtalain : rénover d'abord, moderniser ensuite ?
A compter du 21 août prochain, la ligne Chartres - Courtalain sera fermée pour travaux jusqu'en avril 2024 pour procéder principalement à la rénovation de 38 km de voie, programme incluant le traitement de quelques ouvrages et des équipements des passages à niveau. Le coût de l'opération avoisine 50 M€, financés par la Région d'abord (60 %) puis l'Etat (31,5 %) et SNCF Réseau (8,5 %). Outre la desserte de petites communes beauceronnes, la ligne supporte un trafic céréalier assez important du fait de la présence de 5 silos sur le parcours, et revêt un caractère stratégique pour le réseau à grande vitesse puisqu'elle donne accès à la base de maintenance de la LGV Atlantique située à Courtalain.
Brou - 2 juin 2023 - Dans cette gare, il y aura un peu de travaux pour rénover les voies qui commencent à être envahies par la végétation. En ligne, la situation est moins critique du fait de chantiers relativement récent qui ont permis de traiter certaines sections dans l'attente d'une opération de plus grande envergure. © transportrail
En revanche, ces travaux ne prévoient pas d'augmenter sa capacité, toujours capée par la réglementation des lignes gérées en cantonnement téléphonique. L'installation d'un block automatique numérique devrait se satisfaire du principe « un seul canton entre gares de croisement » et d'une signalisation limitée à des signaux en entrée et en sortie de gare. La ligne pourrait alors être télécommandée, ce qui améliorerait sa fiabilité mais aussi sa disponibilité (surtout si c'est à Chartres qu'était géré le trafic).
Angoulême - Beillant enfin modernisée
Il aura fallu être patient, entre le manque d'effectif du gestionnaire d'infrastructures et les réorientations de budgets pour essayer d'éviter des arrêts d'exploitation de lignes à bout de souffle.
Le 29 juin dernier, les trains sont revenus sur la transversale charentaise entre Angoulême et Beillant après une dernière tranche d'investissement de près de 42 M€, financés pour un tiers par l'Etat, un tiers par la Région, 18 % par SNCF Réseau et le solde par les collectivités locales. L'opération comprenait principalement deux volets :
- le relèvement de la vitesse à 120 voire 140 km/h sur 4 zones totalisant 24 km pour un gain de temps de l'ordre de 3 minutes ;
- la modernisation de la signalisation passant du block manuel au block automatique à permissivité restreinte, avec télécommande.
Ce second volet est également de nature à faire gagner un peu de temps lors des points de croisement, le contrôle de la complétude des trains étant désormais automatisé.
La desserte à l'été 2023 comprend 11 allers-retours Angoulême - Saintes dont 6 pour Royan et 2 pour La Rochelle. Le temps de parcours est d'une heure entre Angoulême et Saintes avec 3 arrêts intermédiaires, seul le premier train du matin desservant Beillant en plus de Châteauneuf, Jarnac et Cognac. Le week-end, la desserte est plus faible avec seulement 7 allers-retours dont un pour La Rochelle et 6 pour Royan.
Angeac - 10 août 2019 - La desserte de cette transversale charentaise est assurée par des AGC série 81500 et 82500 qui bénéficient désormais d'une ligne en meilleure état et à l'exploitation modernisée. Ne manque plus qu'une desserte plus fournie dans une vallée de la Charente où gros bourgs et petites villes alternent à distances rapprochées jusqu'à l'océan. © P-L. Espinasse
Désormais, le poste d'aiguillage de Beillant télécommande ceux de Cognac, Jarnac, Châteauneuf-sur-Charente, Sireuil et Saint-Michel-sur-Charente, avec transmission par fibre optique. En revanche, contrairement à La Roche-sur-Yon - La Rochelle en 2021, Angoulême - Beillant a été modernisée de façon conventionnelle : le dossier était déjà très ancien et n'avait cessé d'être différé pour les raisons préalablement évoquées. Reprendre le programme en technologie entièrement numérique aurait une fois de plus différer sa concrétisation. Ce sera donc probablement la dernière opération de modernisation de signalisation sous cette forme. Cependant, en principe, les voyageurs bénéficieront d'une circulation plus fluide grâce à la commande centralisée de la ligne, avec une meilleure réactivité en cas de difficultés d'exploitation, soit pour gérer les reports de croisement en cas de retard, soit en cas de manque de personnel, puisque seule la gare de Beillant doit être tenue pour assurer la gestion du trafic sur la ligne.
Cette ligne de desserte fine du territoire est, depuis 2017, l'itinéraire de référence pour rejoindre le littoral charentais depuis les dessertes longue distance à grande vitesse, par correspondance à Angoulême. Il n'y est plus question d'électrification pour y faire circuler d'hypothétiques TGV Paris - Royan. En revanche, il faudra rapidement statuer sur la solution pour décarboner les services régionaux. La Région Nouvelle Aquitaine semble très intéressée par la conversion - sur le site de Saintes - de ses AGC bimodes pour les doter de batteries, mais pourra-t-on disposer dans un délai compatible des nouvelles sections électrifiées pour leur recharge en gare et/ou en ligne ?
Marseille - Briançon en 3 heures ?
Les discussions sur le prochain Contrat de Plan Etat-Région semblent parties à toute vitesse en PACA et, rien qu'à l'énoncé du titre de ce billet, devrait vous venir en tête la question d'une éventuelle sortie de piste des protagonistes. Les premières maquettes tablent sur un investissement dans le transport ferroviaire de près de 340 M€ avec une répartition à parité entre l'Etat et la Région, qui pourra être modulée selon les actions.
Figurerait en bonne place, outre les investissements liés aux aménagements à Marseille et sur l'axe Marseille - Nice, un objectif de liaison Marseille - Briançon en 3 heures. Demande de quelques élus locaux dont le maire de Briançon, appuyée par le ministre des Transports et le président de la Région.
De quoi immédiatement se plonger dans les archives horaires. Le meilleur temps sur cette relation est de 3h57 et a été obtenu à l'été 1998 après l'opération de modernisation qui avait notamment aligné les vitesses maximales sur les aptitudes du parcours, et l'engagement d'automoteurs performants. Actuellement, le meilleur train effectue le trajet en 4h27 en desservant 17 arrêts intermédiaires, soit 2 de plus qu'en 1998. Donc au-delà du retour aux performances nominales de l'infrastructure, comment gagner autant de temps ?
- Supprimer un maximum d'arrêts intermédiaires ne suffirait pas et n'aurait que des effets pervers : réduction de la population desservie et augmentation du temps de parcours pour les autres trains devant stationner pour libérer le passage du bolide dans les gares de croisement.
- On peut écarter également l'hypothèse d'une ligne nouvelle, car il faudrait un linéaire important pour envisager un tel gain de temps en roulant à la vitesse maximale des trains régionaux (160 km/h), et viendrait en combinaison de la suppression de la quasi-totalité des arrêts intermédiaires.
- Enfin, le recours à du matériel pendulaire supposerait un accord avec la Région Auvergne - Rhône-Alpes pour constituer un parc à l'échelle de l'étoile de Veynes et non des quelques trains de la relation Marseille - Briançon. Qui plus est, le sujet est encore tabou, même si le président de la SNCF a fait récemment d'étonnantes confessions.
Veynes - 14 août 2012 - Quittant Veynes pour Gap, ce B81500 quadricaisse assure une liaison à destination de Briançon. Les déplacements dans la haute vallée de la Durance supposent une organisation qui ne soit pas nécessairement centrée sur les liaisons longue distance vers Marseille. © transportrail
Montdauphin - 20 septembre 2022 - Gagner quasiment une heure sur un parcours qui comprend une section montagneuse et sinueuse : il va peut-être falloir revenir à des considérations un peu plus concrètes. © E. Fouvreaux
Il faut évidemment gagner du temps sur la relation Marseille - Briançon et commencer par éviter d'en perdre. Cependant, il ne faudrait pas oublier une autre dimension : la fréquence. On ne compte actuellement que 4 allers-retours Marseille - Briançon, complétés par un aller-retour pour Gap et un autre pour Sisteron.
Se limiter à une lecture limitée à la liaison de bout en bout ne prendrait en compte qu'une partie du besoin. Il faut donc analyser également les dessertes :
- de la haute vallée de la Durance entre Briançon et Gap, où on compte actuellement 7 trains régionaux par jour et 9 autocars. L'instauration d'une desserte plus lisible, plus régulière (toutes les heures) dans ce secteur, devrait assez aisément trouver sa clientèle compte tenu du trafic routier et d'un parcours assez difficile. Ces trains viendraient compléter les liaisons vers Marseille et Valence ;
- de la moyenne vallée de cette même rivière, surtout le secteur de Sisteron et Manosque, dont le potentiel est insuffisamment considéré : outre la liaison vers Marseille, il serait souhaitable d'envisager une liaison vers Avignon en rouvrant aux voyageurs la section Pertuis - Cavaillon afin de rejoindre la gare TGV d'Avignon. Une desserte renforcée de la basse vallée de la Durance serait ainsi restaurée ;
- entre Aix-en-Provence et Marseille, l'offre est plus fournie (34 allers-retours dont 26 omnibus parmi lesquels 3 sont prolongés à Pertuis) mais ne soutient pas la comparaison avec les lignes 50 d'autocars (par autoroute) et 51 (par RN8), proposant des départs toutes les 5 à 15 minutes en pointe et au maximum toutes les 30 minutes en journée.
Profitez-en pour consulter notre dossier mis à jour.
Charleville-Mézières – Givet... et peut-être Dinant ?
On la repère assez facilement sur la carte de France, dans la pointe des Ardennes irriguée par la vallée de la Meuse, souvent sinueuse, parfois relativement escarpée.
La ligne de Charleville-Mézières à Givet est l'objet du nouveau dossier de transportrail. Sa situation est assez atypique dans la longue liste des lignes dites de desserte fine du territoire. Elle a fait l'objet d'un renouvellement par tronçon étalé sur 7 ans, qui a permis de traiter les sections les plus critiques, mais sans toutes les éliminer encore. Elle a bénéficié d'un renforcement de la desserte, qui s'approche d'un cadencement à peu près régulier du service, évitant aux habitants de la vallée de la Meuse de dépendre de trains rares et concentrés uniquement sur les horaires domicile - travail / études. S'il reste encore quelques creux de desserte, c'est probablement la conséquence des capacités budgétaires régionales, les dépenses de fonctionnement étant strictement encadrées par l'Etat.
La vallée de la Meuse est enfin l'objet de discussions et d'études depuis de nombreuses années envisageant la réouverture de la section franco-belge Givet - Dinant, mais sans avoir encore abouti sur un projet partagé des deux côtés d'une frontière de plus en plus virtuelle pour le quotidien de la population. Y aura-t-il enfin une issue positive ?
Deville - 2 mars 2023 - La petite gare de Deville n'est plus utilisée. Ses extensions de part et d'autre du corps central du bâtiment historique sont assez peu courantes. Les AGC règnent sur la ligne et composent avec des sections en état encore varié dans l'attente du renouvellement complet de cette ligne restée à double voie du fait d'une signalisation automatique encore relativement récente. © transportrail
Givet - 2 mars 2023 - Et au fond... c'est la Belgique ! Les installations du fond de gare ne sont plus guère utilisées que par quelques trains de service pour les travaux d'entretien et de renouvellement, qui ne l'ont pas encore concerné. Verra-t-on un jour des trains de voyageurs à nouveau passer la frontière ? © transportrail
Contrats de Plan 2023-2027 : l'heure des choix
Les discussions vont pouvoir débuter
Enfin ! Alors que les précédents contrats, initialement prévus sur la période 2015-2020, avaient été prorogés jusqu'en 2022, on attendait de semaines en semaines les mandats de négociation transmis aux préfets pour engager la négociation des nouveaux Contrats de Plan Etat-Région, qui couvriront donc la période 2023-2027. Etant donné que leur signature ne devrait pas intervenir avant l'automne, on peut d'ores et déjà prévoir qu'ils glisseront sur l'année 2028... et peut-être même 2029.
L'Etat annonce une augmentation de 50 % de leur dotation avec 8,6 MM€. Cependant, il faut distinguer l'enveloppe théorique et la réalité des investissements. Il est rare que la totalité des projets soit engagée et concrétisée. Généralement, un contrat réussi aboutit à un taux d'exécution autour de 70 %, mais dans certains domaines, il n'est pas forcément évident d'atteindre 50 %. Reconnaissons que dans certaines Régions, ces outils se transforment en catalogue de bonnes intentions mais sans avoir suffisamment de matière pour les concrétiser.
Donc, en théorie, le volet ferroviaire sera doté de 2,5 MM€ de crédits de l'Etat. En tête d'affiche, les RER des grandes agglomérations, officiellement dénommés Services Express Régionaux & Métropolitains, pour lesquels une enveloppe de 800 M€ est prévue. Deuxième action bien identifiée, le fret : si l'Etat a déjà prévu par ailleurs une enveloppe de 500 M€, il pourrait consacrer jusqu'à 400 M€ supplémentaires en cofinancement avec les collectivités. L'autre moitié de cette dotation devrait être consacré principalement au renouvellement des infrastructures des lignes de desserte fine du territoire, à certaines opérations de modernisation, à la mise en accessibilité des gares régionales...
Auvergne - Rhône-Alpes : revirement ou avertissement ?
C'est dans ce contexte que la Région Auvergne - Rhône-Alpes engage un bras de fer avec l'Etat : elle a décidé de mettre à zéro l'ensemble des crédits destinés aux infrastructures ferroviaires, arguant que ces investissements doivent être pris en charge par le propriétaire du réseau et non par ses utilisateurs. Au-delà de la posture politique sinon politicienne, la Région explique qu'elle doit consacrer d'importants moyens sur le matériel roulant : rénovation mi-vie des AGC, des TER2Nng, des X73500, remplacement des voitures Corail... devant mobiliser environ 1,5 MM€ d'ici 2030. Dans les principes, la charge du réseau incombe en effet à son propriétaire (ce n'est pas le locataire d'un appartement qui paie le ballon d'eau chaude qui vient de rendre l'âme). Les CPER sont utilisés depuis 2005, après l'audit EPFL, exportant une part sans cesse croissante des investissements sur les Régions, qui n'ont pas la compétence administrative ni les budgets afférents. Initialement, le volet ferroviaire des CPER ne portait que sur des opérations de développement. Depuis 2005, il comprend un volet de plus en plus prépondérant sur la maintenance patrimoniale.
La position de la Région ressemble un peu à un coup de pied de l'âne, car les conclusions sont déjà connues : en mettant à l'arrêt nombre d'opérations et de projets, les lignes concernées risquent de subir la spirale classique de la dégradation des performances jusqu'à l'arrêt de l'exploitation. Le jeu est risqué, non seulement pour les territoires et les utilisateurs de ces lignes, mais aussi pour la Région puisque sur le plan politique, l'Etat se défaussera sur celle qui aura rompu l'accord - fut-il tacite et quelque peu imposé - préexistant.
Si radicale soit-elle, la position exprimée par MM. Wauquiez et Aguilera (le vice-président aux Transports) illustre les zones grises de la décentralisation et le rapport ambigu entre l'Etat et les Régions, sur un sujet qui représente le quart des dépenses régionales. Elle ne fait cependant pas tâche d'huile. Les autres Régions sont cependant assez déçues de la consistance des moyens annoncés, en décalage avec les annonces, pourtant encore récentes, du plan Avenir Ferroviaire et de ses 100 MM€ d'ici 2040.
On peut cependant conclure en posant deux questions :
- au-delà des discours, quel est le niveau réel d'investissements que les Régions pourront vraiment mobiliser d'ici la fin de la décennie ?
- en matière ferroviaire, aligner des chiffres dans un tableau de programmation est une chose, mais qu'en est-il de la capacité à produire les études et les travaux, que ce soit à SNCF Réseau (puisqu'il est quand même beaucoup question d'infrastructures) ou dans les ingénieries extérieures ?
Nous reviendrons sur ces contrats au fur et à mesure de l'officialisation de leur contenu. Rendez-vous probablement à partir du mois d'octobre...
Bourges – Montluçon : une voie d’avenir ?
Une ligne en situation fragile
Remontant en partie le Cher, la ligne Bourges – Montluçon frôle le centre géométrique de la France que se disputent plusieurs communes, mais traverse surtout une région assez peu peuplée en reliant deux villes qui n’entretiennent guère de relations entre elles : tout au plus, Bourges est un point de passage entre Montluçon et Paris. Près de la moitié des utilisateurs de cette ligne l’empruntent pour rejoindre Paris.
Vallon-en-Sully - 26 mars 2018 - Deux X73500 desservent Vallon au TER 861111 Saint-Amand-Montrond - Montluçon ne circulant que le mercredi pour des besoins essentiellement de transport scolaire. La différence d'armement de la voie est assez nettement visible sur ce cliché. © Rail Composition
Montluçon - 26 mars 2018 - Derniers feux pour les BB67300... et pour la liaison directe Montluçon - Paris, supprimée sans pour autant chercher à améliorer la qualité et la quantité des correspondances. © Rail Composition
La desserte ferroviaire est très maigre, avec au premier semestre 2023 :
- 2 Vierzon – Montluçon ;
- 2 Bourges – Montluçon ;
- 2 Bourges – Saint-Amand-Montrond ;
- 2 Montluçon – Saint-Amand-Montrond.
La liaison directe Paris – Montluçon a disparu suite à la régionalisation de la desserte Paris – Bourges. Elle est assurée par correspondance soit à Bourges soit, plus rapide, à Vierzon.
La ligne va être perturbée pendant 15 mois, du 26 juin 2023 au 30 septembre 2024 pour renouvellement, en 5 étapes dont 2 avec interception totale du trafic. Le chantier s’est organisé pour répondre aux besoins des clients fret, qu’il s’agisse des céréaliers ou d’un fabricant de wagons.
Il y a fort à faire sur cette ligne en mauvais état, où la circulation des trains est fortement ralentie et la capacité obérée par la fermeture temporaire de certaines gares de croisement en raison de voies d’évitement interdites à la circulation. Actuellement, la perte de temps s’élève à 23 minutes par rapport aux performances nominales de cette ligne autorisant le plus souvent 110 à 120 km/h.
Le coût du chantier s’élève à 85 M€, financé par l’Etat, les Région Auvergne – Rhône-Alpes et Centre – Val-de-Loire. Les travaux 2023 sont pris en charge via les Contrats de Plan Etat-Région mais ceux de 2024 seront à la charge de SNCF Réseau puisque cette ligne fait partie des 14 lignes de desserte fine du territoire d’intérêt national retenues à l’issue des négociations pilotées par l’incontournable préfet François Philizot.
La voie d'abord, la signalisation ensuite ?
Cependant, les travaux ne portent essentiellement que sur les domaines voie, ouvrages, plateforme et installations de sécurité (comme le fonctionnement des passages à niveau). En outre, il faudra probablement revenir d’ici 10 ans sur la section Bourges – Saint-Amand-Montrond pour pérenniser les installations.
En dépit de son grand âge, le block manuel devra jouer les prolongations avant d’être remplacé par une signalisation automatique, et logiquement télécommandée. Il y a d’ailleurs d’intéressantes synergies à examiner puisque des études sont en cours pour remplacer le block manuel entre Montluçon et Gannat. A commencer par une commande centralisée mutualisée à Montluçon, qui pourra ultérieurement gérer Montluçon – Saint-Sulpice-Laurière.
Sauvée par le lithium ?
Si Bourges – Montluçon est aujourd’hui au bord de la léthargie, elle pourrait être dans les prochaines années sous les feux de la rampe : le projet d’extraction de lithium dans l’Allier, dans une carrière existante en exploitation pour d’autres ressources (kaolin notamment), devrait lui procurer un rôle stratégique. La société Imerys projette l’aménagement d’installations ferroviaires pour convoyer le lithium vers un centre de raffinage qui serait potentiellement établi à Montluçon, avant acheminement vers des usines de production de batteries, dont probablement celle annoncée ces derniers jours à Dunkerque. Le site devrait générer environ 6 allers-retours par jour, principalement sur Montluçon – Gannat, mais Bourges – Montluçon devrait supporter au moins 2 allers-retours par jour. De quoi probablement confirmer le reclassement de cette ligne dans le réseau structurant puisque le tonnage supporté par la ligne reste encore et toujours le critère majeur de la segmentation stratégique du réseau.
Quant à la desserte voyageurs, il faudra probablement que les Régions se mettent autour d’une même table pour concevoir un plan de transport coordonné dont on pourrait a minima jeter quelques bases :
- Liaison Montluçon – Paris prioritairement par correspondance à Vierzon sur l’axe POLT afin de proposer les meilleurs temps de parcours (moins de 4 heures). Dans un premier temps, 4 allers-retours pourraient être instaurés, en revenant autour de 3h30, ce qui est possible même en changeant de train à Vierzon ;
- Desserte de cabotage Bourges – Montluçon toutes les 2 heures complétée en début et fin de service de liaisons partielles limitées à Saint-Amand-Montrond pour couvrir les besoins scolaires et domicile-travail.
Saint-Florent-sur-Cher - 12 mars 2010 - Filant vers Bourges, cet X73500 solitaire approche de la section à double voie amorce du triangle du Pont-Vert. L'arrivée d'un nouveau et conséquent trafic de fret devrait donc donner des couleurs au trafic de cette ligne actuellement sur la corde raide. © transportrail
Paris - Granville : dossier mis à jour
La radiale du sud de la Normandie contraste avec la dynamique de trafic des deux autres axes vers Cherbourg et Le Havre. La population y est effectivement moins dense et les agglomérations de taille beaucoup plus modeste. La radiale Paris - Granville est une des rares lignes de cette région ayant survécu aux vagues de démantèlement du réseau ferroviaire.
Elle a cependant été modernisée voici près de 25 ans, avec à la clé de notables gains de temps de parcours. Sans surprise, les X72500 n'ont pas brillé par leurs qualités de fiabilité. Les Régiolis arrivés en 2014 ont réussi à redresser la barre.
Chaville Rive Gauche - 13 janvier 2023 - Il est peut-être encore un peut tôt dans l'année pour envisager des activités aquatiques à Granville, mais 2 B84500 sont engagés sur cette relation vers le sud de la Normandie parti depuis une dizaine de minutes de Paris. © transportrail
A leur arrivée, transportrail avait publié un reportage à bord de ces trains, qui a été mis à jour puisque depuis, la desserte a été régionalisée et la voie en partie renouvelée entre Dreux et Surdon. Désormais, les principaux besoins sur cet axe portent sur la poursuite du programme afin de préserver les performances, mais aussi sur la desserte demeurant trop faible pour être véritablement attractive.
Dernier point : Paris - Granville est un peu sortie de l'ombre en expérimentant un carburant alternatif au gasoil, réduisant d'environ 60 % les émissions de gaz à effet de serre.
Train et transition écologique : quelles marges de manoeuvre ?
D'abord le constat : alors que 3 pays européens ont fait le devant de l'actualité l'été dernier en instaurant des offres à tarif réduit sous conditions plus ou moins strictes et plus ou moins pérennes, la France a fait en 2022 le choix de subventionner l'usage de la voiture avec des mesures de réduction du prix à la pompe des carburants.
Les mesures en faveur des transports collectifs, à leurs différentes échelles et tous modes confondus, se font encore et toujours attendre : il y a tant à faire. Cependant, il ne faire plus mystère de la faible appétence des différents gouvernements depuis 2017 et du chef de l'Etat pour ce sujet. On peut aussi remonter à la période 2012-2017, sans pour autant dédouaner les gouvernements antérieurs, qui ont eux aussi leur part de responsabilité. Il ne faut pas oublier que dans ses fonctions au Secrétaire Général adjoint puis de ministre de l'Economie, M. Macron a pu tirer bien des ficelles durant le quinquennat de M. Hollande... et dont le seul fait d'armes en matière de transports est la libéralisation du marché des autocars longue distance pour créer une concurrent au train.
Sur le plan ferroviaire, le besoin d'investissement sur les infrastructures ne fait aucun débat sur le fond : renouvellement, augmentation de capacité, modernisation, électrification (tiens, ça ferait un programme RAME...). Augmenter les moyens de SNCF Réseau et accepter une modération des redevances d'usage du réseau impliquerait de rompre avec l'objectif de couverture du coût complet par les seules activités commerciales. Qui plus est, ces investissements n'auraient d'effets réels au mieux qu'à la fin de la décennie... si la filière ferroviaire trouve les ressources humaines capables de les concevoir et les réalise. A cela s'ajoute la cure d'amaigrissement des effectifs de SNCF Réseau pour rentrer dans les clous de l'équilibre financier à marche forcée en 2024.
Sur l'offre, l'accroissement du nombre de dessertes supposerait que l'Etat change radicalement de position sur le modèle économique des liaisons longue distance, principalement fondé sur le principe du service librement organisé. On ne sent pas du tout l'Etat - que ce soit aux Finances ou aux Transports - consentir à s'impliquer sur les offres à grande vitesse, même en se contentant de son rôle d'actionnaire unique de l'opérateur (presque) unique. Quant aux Trains d'Equilibre du Territoire, il faudrait recourir à des investissements (en matériel roulant) pour aller au-delà de l'existant, reportant à un horizon d'environ 5 ans l'effet de mesures prises à court terme. Le transport régional n'est pas de son ressort direct mais les Régions voient leurs marges de manoeuvre budgétaires sans cesse rabotées et leurs capacités d'investissement sont obérées par la prise en charge croissante de missions qui ne sont pas en principe les leurs (le renouvellement des lignes de desserte fine du territoire).
Au-delà du strict domaine ferroviaire, la fiscalité pourrait être un levier, mais Bercy s'y oppose : transportrail l'avait rappelé dans un précédent billet.
Pour compliquer encore un peu plus l'équation, le passage à l'électricité semble désormais poser plus de questions qu'elle n'apporterait de réponses : en matière automobile, se contenter de changer le moteur sans repenser l'usage de la voiture conduira à l'impasse, les difficultés les plus visibles étant d'abord celles de la production des batteries, puis de leur rechargement, à domicile, sur des parkings publics, privés, ou dans des stations sur les routes et autoroutes. Il faudra aussi... de l'électricité, ce qui ramène aux questions de pilotage de la production en France : entre les conséquences du conflit ukrainien et les errements stratégiques français depuis 1997 (qui ont donné à une passe d'armes inédite entre le président d'EDF, le gouvernement et la Commission de Régulation des Energies à la fin de l'été dernier), il est évident que l'ambition ne sera réaliste qu'à condition d'être cohérente avec la réalité d'une situation énergétique contraintes de tous bords. Le risque réside dans ce grand écart entre une situation internationale, qui impose des actions de court terme, et des enjeux sociétaux par définition inscrits dans le long terme. Accessoirement, changer la motorisation des véhicules sans repenser l'usage, c'est entretenir - voire accentuer - la congestion sur nombre d'axes routiers et dans les grandes agglomérations.
Le rapport du COI récemment remis ne suffira pas à colmater les failles de l'(in-)action gouvernementale, qui considère que dire, c'est avoir fait. Comme mentionné dans la version écrite de tout discours officiel, « Seul le prononcé fait foi », mais on ajoutera «... et tient lieu d'action accomplie ». Et lors d'une récente visite au marché d'intérêt national de Rungis, le chef de l'Etat a annoncé une nouvelle mesure destiné à réduire le coût des carburants, à laquelle le principal groupe pétrolier français a répondu par un plafonnement des prix tout au long de l'année.
En face, il ne faut pas être dupe sur la réalité des intentions de l'Etat à relancer le secteur ferroviaire. Alors que le Plan de Relance italien table sur plus de 180 MM€ sur 15 ans, la France ne consacrerait officiellement que 100 M€ sur 20 ans... dont un quart seulement de contribution directe de l'Etat, qu'il faudra confirmer. Les modalités de financement du réseau ferroviaire restent un sujet aussi essentiel que contourné. Au-delà de ces 25 MM€, c'est à votre bon coeur... et il n'y a plus grand-monde pour croire à la sincérité des discours de Mme. Borne ou de M. Beaune.
Sans aucun doute, les vapeurs d'essence sont bien nocives...
Nevers - Chagny en travaux dès juillet
Ce sera un des grands chantiers de renouvellement de l'année 2023, à partir du 10 juillet. La ligne Nevers - Chagny sera fermée pour procéder à d'importants travaux portant sur 127 km de voie, plusieurs ouvrages d'art dont le pont-rail d'Etang-sur-Arroux et la mise en accessibilité des gares de Decize et Montchanin. Une interception d'une aussi longue durée sur une telle longueur est peu courante en France, puisque le réseau est avare en itinéraires alternatifs. La Région a donné son accord, espérant éviter les tracas des restitutions tardives de la voie, qui affectent alors fortement le service.
La section Nevers - Le Banlay sera donc interceptée durant l'été. Les circulations reprendront ensuite le 22 décembre entre Nevers et Montchanin, puis le 16 février 2024 entre Montchanin et Chagny. L'investissement atteint 137 M€ dont 75 M€ à la charge de SNCF Réseau, notamment pour Montchanin - Chagny intégrée au réseau structurant. Pour Nevers - Montchanin, considérée de desserte fine du territoire, le financement relève du CPER à hauteur de 62 M€.
Ce chantier fait suite aux opérations engagées en 2020, d'abord pour tenir - à peu près - la ligne et éviter la prolifération des ralentissements, puis engager les premières opérations pérennes sur des ouvrages d'art entre Montchanin et Chagny.
Decize - 30 juillet 2012 - Les ralentissements sur Nevers - Chagny ont progressivement fleuri. Cet AGC à destination de Dijon débute une zone limitée à 60 km/h alors que la vitesse de la ligne oscille entre 110 et 130 km/h. © transportrail
Parallèlement, les études d'implantation des mâts pour le déploiement du GSM-R se poursuivent : l'équipement de Nevers - Chagny sera très intéressante pour les opérateurs de fret puisqu'il ne sera alors plus obligatoire d'avoir deux conducteurs à bord des locomotives. Ce n'est évidemment pas suffisant pour provoquer un afflux de circulations de marchandises sur la ligne mais contribuera à réduire les charges d'exploitation pour les entreprises.
Au-delà, dès 2024, le financement des investissements de renouvellement incombera intégralement à SNCF Réseau suite à l'accord Etat - Région, Nevers - Chagny faisant partie des 14 lignes françaises formant en quelque sorte l'élite des lignes de desserte fine du territoire. Cependant, il reste à l'Etat à financer suffisamment SNCF Réseau pour assumer pleinement cette charge. Ce n'est pas encore gagné et cela devrait modifier la façon de poursuivre les travaux, quitte à les étaler encore un peu plus dans la durée. Ils sont aujourd'hui envisagés entre 2026 et 2029.
En revanche, l'électrification n'est toujours pas à l'ordre du jour. L'Etat comme SNCF Réseau ne cachent pas vraiment une certaine réserve - quand ce n'est pas une franche réticence - alors qu'il s'agit d'un maillon essentiel pour améliorer l'attractivité de cet itinéraire - faisant partie du grand contournement de l'Ile-de-France, pour le fret, notamment sur le corridor européen Espagne - Allemagne et entre l'Atlantique et la Méditerranée. L'hydrogène est toujours dans de nombreuses têtes...
Quant à la connexion avec la ligne à grande vitesse, elle semble quasiment perdue de vue, probablement du fait de scénarios initiaux qui étaient très ambitieux, avec modification du tracé entre Montchanin et Saint-Julien-sur-Dheune pour une desserte passante. Et si on réexaminait les possibilités d'utilisation de la voie de raccordement empruntée par les trains de travaux de maintenance de la LGV, avec une voie de terminus située côté quai 2 (direction Paris) au plus près du bâtiment-voyageurs ?