19 novembre 2021

Financement du réseau : Sénat et Cour des Comptes inquiets

Alors que le nouveau contrat Etat - SNCF Réseau a été présenté au conseil d'administration du gestionnaire d'infrastructures début novembre et qu'il entame son processus de consultation prévu par la loi, le Sénat et la Cour des Comptes tirent conjointement le signal d'alarme, constatant que la situation du réseau ferroviaire reste extrêmement fragile en raison d'un niveau d'investissements insuffisant... et de surcroît calculé hors inflation, ce qui ne fait que réduire l'enveloppe réellement utilisable.

Il faut néanmoins souligner plusieurs points. Si les coûts globaux de SNCF Réseau restent élevés, c'est en partie en raison de ce retard d'investissements. On parle beaucoup de centralisation de la commande du réseau et du déploiement d'ERTMS sur le réseau principal, mais les investissements associés (évalués à 35 MM€) se font toujours attendre du fait d'un contrat trop malthusien. Qui plus est, ce projet ne porte que sur les grands axes, essentiellement gérés en block automatique : les gains de productivité les plus élevés sont sur les lignes où le trafic est géré encore par un block manuel voire du cantonnement téléphonique. Mais cela concerne les lignes de desserte fine du territoire.

Venons-en à elles : revient une nouvelle fois la réflexion sur la consistance du réseau, mais de façon moins brutale que ne l'avait fait le rapport de M. Spinetta en 2018. Les messages sont passés et tant le Sénat que la Cour des Comptes formulent le souhait d'une étude sur la possibilité de développer l'usage de ces lignes. N'oublions pas que s'il y a peu de voyageurs sur nombre d'entre elles, c'est d'abord parce qu'il n'y a pas beaucoup de trains : pour les deux tiers de ces lignes, l'offre ne dépasse pas 5 allers-retours par jour.

A leur sujet encore, Sénat et Cour des Comptes convergent vers les dispositions de l'article 172 de la LOM pour transférer la gestion de certaines lignes de SNCF Réseau aux Régions. Mais celles-ci sont majoritairement prudentes car le mécanisme semble complexe et pose des questions relatives à l'exploitation pour gérer de futures interconnexions entre gestionnaires d'infrastructure. En outre, la loi grave dans le marbre un principe de neutralité financière pour SNCF Réseau. Ce n'est donc pas un levier de désendettement puisque toute économie devra être également versée aux Régions demandeuses.

Autre facteur de productivité : l'organisation des chantiers. Les moyens techniques mis en oeuvre sont fonction des capacités d'investissement : ceux-ci étant limités, les travaux sont effectués selon des processus qui sont d'une efficacité moyenne au regard du linéaire de renouvellement par jour. De plus, faute d'équipement adapté, leur impact est fort sur les circulations, ce qui pénalise les recettes commerciales. Sur ce domaine aussi, des investissements sur l'équipement du mainteneur et sur l'infrastructure (installations de contre-sens, banalisation) pourraient améliorer la performance des travaux et préserver une partie des recettes.

Le niveau des redevances d'utilisation du réseau est aussi pointé par les deux documents : c'est en France qu'elles sont parmi les plus élevées d'Europe, dans l'espoir de couverture du coût complet de l'infrastructure par le trafic. Comme l'intensité d'usage du réseau est moyenne, sinon médiocre, cet objectif est évidemment hors de portée. Le maintien de péages élevés permet à l'Etat de se défausser sur les opérateurs, à commencer par SNCF Voyageurs... à qui on ne cesse de demander de verser des dividendes à SNCF Réseau, là encore pour que l'Etat échappe à ses responsabilités. Et sur un réseau désormais ouvert à la concurrence, ce mécanisme apparaît inéquitable, tandis que le trio péages élevés - capacité limitée - fiabilité moyenne aura tendance à dissuader les candidats à l'aventure en services librement organisés.

Conclusions convergentes des analyses du Sénat et de la Cour des Comptes : les dernières réformes ferroviaires sont de portée insuffisante, la reprise de 35 MM€ de dette était nécessaire mais ne fait pas une politique et aucun dispositif réel ne permet à ce jour d'éviter ni une nouvelle spirale d'endettement ni de nouvelles menaces sur la consistance et la performance du réseau.

Faudra-t-il appliquer des restrictions sévères de vitesse sur le réseau structurant pour faire comprendre l'acuité de la crise ferroviaire ? Mais qui serait capable de porter un tel scénario sans risquer la révocation en Conseil des Ministres ? Surtout à moins de 6 mois des élections nationales...


29 mars 2021

La Cour des Comptes s'inquiète pour la SNCF

C'est quand même assez rare pour être souligné et à transportrail, on a déjà eu l'occasion d'observer une propension au grand écart des Sages de la rue Cambon en matière ferroviaire, avec des analyses à la pertinence assez inégale. Et cette fois-ci, il y a tout lieu de considérer que le chapitre du rapport annuel 2021 intitulé SNCF : mobilisation réussie mais un modèle fragilisé pourrait se situer du bon côté de la barrière.

Outre son titre qui souligne que la SNCF a globalement réussi à tenir le cap dans la crise sanitaire en dépit d'obstacles de tous ordres, la Cour s'inquiète de la situation du groupe ferroviaire dans les prochains mois et prochaines années. En 2020, l'excédent brut avant impôts, taxes et amortissements (Ebitda si vous êtes rompus aux finances), a plongé à -5 MM€.

Le rapport s'inquiète à plusieurs titres, et pas seulement financiers :

  • le spectre d'une SNCF qui continue de s'endetter, alors que l'Etat s'est engagé à reprendre 35 MM€ de dette historique dans la réforme ferroviaire de 2018 ;
  • les 4,05 MM€ de recapitalisation annoncés par l'Etat dans le plan de relance ne concernent que SNCF Réseau, essentiellement pour couvrir des dépenses identifiées mais démunies de ressources, et donc absolument pas pour financer les investissements de modernisation nécessaires du réseau ferroviaire ;
  • les efforts de productivité demandés à SNCF Réseau vont peut-être au-delà de sa capacité réelle de restructuration et ne sont en aucun cas suffisants pour couvrir les besoins de modernisation ;
  • la situation de SNCF Réseau est aussi fragilisée par la diminution des recettes liées aux circulations (-1,11 MM€ en 2020) ;
  • SNCF Voyageurs a pu résister grâce au concours des activités subventionnées, notamment les TER et Transilien, mais la chute du trafic est forte, le rythme du retour est incertain car les évolutions de comportements de la population pourraient laisser des traces : aussi, les autorités organisatrices doivent être soutenues et donc bénéficier de la compensation des coûts induits par la crise sanitaire, car les impacts pourraient être assez durables et on n'en connaît pas encore totalement la vigueur ;
  • la situation des activités commerciales de SNCF Voyageurs, et donc du TGV, devient dans ce contexte particulièrement préoccupante puisque l'exploitant ne pourra pas rétablir un niveau de desserte tel que celui d'avant le 16 mars 2020 si la clientèle ne revient pas (surtout si elle en est empêchée...) : pour la Cour des Comptes, une activité TGV structurellement déficitaire ferait courir le risque d'un effondrement du financement du système ferroviaire français.

On retient donc de ce rapport qu'il pointe assez clairement les responsabilités de l'Etat, ce que la réponse du Premier Ministre ne semble pas apprécier. La critique d'un Contrat de Performance (du moins qualifié comme tel...) conçu dans l'unique objectif de limiter les engagements de l'Etat au financement du réseau ferroviaire tombe au bon moment, même si elle ne doit irriter nombre d'oreilles ministérielles. La relance de l'activité ne pourra faire l'économie de puissants investissements publics et ce principe d'inspiration keynesienne ne semble guère être contredit. Ce serait l'occasion pour l'Etat de rattraper le retard ferroviaire français. Cela tombe bien, la loi Climat et Résilience a débuté son cycle parlementaire. Malheureusement, elle est d'une déprimante pauvreté en la matière. L'Etat n'arrive toujours pas à considérer le chemin de fer comme une industrie et non comme une administration... alors qu'il a imposé le passage en Société Anonyme dans la dernière réforme.

On savait de longue date qu'il y avait urgence sur les infrastructures. Il y a aussi un sujet de fond, plus complexe, sur les dessertes, et pour l'instant, Etat et SNCF Voyageurs semblent jouer leur propre partition mais sans vision d'ensemble, il est vrai plus difficile à établir avec malgré tout l'ouverture du marché intérieur. 

19 septembre 2019

La Cour des Comptes soutient la taxe carbone

« Le conseil des prélèvements obligatoires propose la reprise d'une trajectoire de fiscalité carbone, tant cet outil paraît conditionner l'atteinte des objectifs environnementaux ».  Lors de sa présentation aux parlementaires, Didier Migaud, président de la Cour des Comptes, à laquelle est rattachée ce Conseil, met clairement le gouvernement face à ses responsabilités, « La ques­tion est de savoir si on se donne les moyens de respecter les engagements climatiques que l’on prend ou alors il faut arrêter de prendre des engagements ! ». Bref, la Cour des Comptes préconise dans le rapport baptisé «  La fiscalité environnementale au défi de l’urgence climatique  » un alignement des ambitions et des moyens... Encore qu'il s'agisse de moins en moins d'ambitions abstraites mais d'une nécessité de plus en plus pressante.

La Cour recommande même d'élargir cette fiscalité aux transports routier, maritime et aérien. Le tarif est actuellement de 44,60 € la tonne de CO². Une taxation à 100 € la tonne de CO² ferait baisser de 29% les émissions de CO² à horizon 2030. A 317 €, la baisse serait de 34%. Ce sera insuffisant pour atteindre l'objectif de réduction de 40% à cette date. Il faudra donc agir plus globalement dans le cadre d'une révision de la fiscalité, plus pédagogique autour de cet impératif de préservation environnementale.

Une meilleure transparence sur l'usage des recettes, notamment dans la mise en oeuvre de politiques de développement des alternatives aux transports polluants pour les marchandises comme les voyageurs, pourrait justement être un levier : le verdissement de la fiscalité devrait se traduire par des investissements sur le chemin de fer, les réseaux urbains et l'organisation de l'intermodalité, sous l'égide des Régions, des Métropoles et des intercommunalités.

Autant dire que ce rapport devrait susciter de nombreuses réactions, surtout dans le contexte géo-stratégique de plus en plus tendu au Moyen Orient qui tire vers le haut le prix du pétrole...

Pour l'instant, le gouvernement refuse de rouvrir ce dossier. Les intentions de l'Etat sur l'environnement ont bien du mal à passer aux actes si bien qu'on peut s'interroger d'une part sur leur sincérité et, plus grave, sur la prise en compte de l'urgence humanitaire...

03 juillet 2019

PACA : la Chambre régionale des Comptes déraille

Dans les colonnes de transportrail, nous avons déjà régulièrement pointé les nombreuses faiblesses, voire les réels dangers, des rapports de la Cour des Comptes en matière ferroviaire, sur les TER, les TET, la grande vitesse... et parfois les quelques - rares - analyses pertinentes (les dernières sur le transport régional montraient des signes de progrès). La Chambre régionale des Comptes, sa version décentralisée, vient de publier un rapport sur les trains régionaux en PACA dont le contenu est tout simplement nocif pour le bon usage de l'argent public. C'est quand même un comble.

Mais il y a plus grave : le rapport est accueilli favorablement par la Région. A ne rien y comprendre, car ce rapport fait tout sauf défendre un bon usage de son budget.

Alors que dit ce rapport ? Un propos éculé, vieux comme le chemin de fer, dans la plus pure tradition des analyses financières qui ne vont pas plus loin qu'un tableau Excel, prétendant vouloir assainir les finances publiques sans prendre en compte les spécificités d'une industrie à rendement croissant comme le transport ferroviaire.

En clair : le train coûte trop cher, ils sont vides, les recettes ne couvrent pas les charges d'exploitation, donc il faut supprimer des trains et mettre des autocars à la place. En matière de prospective, c'est plutôt le Moyen-Age...

Focus sur deux lignes.

Nice - Tende d'abord, où est reproché le faible remplissage moyen des trains, autour de 15% et un coût moyen du km-train de près de 39 €. Que propose le rapport ? Garder les trains en heure de pointe et mettre des autocars en journée. Donc maintenir les frais fixes, mais sans les amortir, et pire, en augmentant les charges de capital avec des autocars supplémentaires (dont on doute de la performance compte tenu de la sinuosité du parcours). C'est l'inverse qu'il faut faire ! Utiliser toute la journée les frais fixes importants du train dans un optimum d'usage d'un nombre de rames limitées et assurer au besoin le complément ponctuel par des autocars plutôt que d'avoir une rame de plus qui passera la majorité de sa journée au dépôt. Dans son récent rapport sur les TER, la Cour des Comptes déplorait - à juste titre pour une fois - la faiblesse de l'usage du matériel roulant ! Deux analyses des mêmes instances... mais qui disent tout et son contraire. Niveau crédibilité, on a connu mieux !

On rappellera que la faiblesse de la fréquentation des trains procède d'abord et surtout de leur faible nombre alors que le trafic routier est considérable dans ce secteur... faute de solution ferroviaire compatible avec les besoins du territoire. Sur cette ligne, c'est aussi la conséquence du maintien de faibles performances sur l'infrastucture en raison de blocages sur le financement de la remise en état de la ligne, afin de lever les ralentissements à 40 km/h.

Cette ligne fait partie des itinéraires sur lesquels la Région envisage à court terme le lancement d'un appel d'offres pour l'exploitation de la ligne. Espérons que les candidats auront l'audace de proposer des schémas de desserte amortissant sur la journée le matériel roulant et de renforcement de l'offre à coût marginal tant qu'elle ne nécessite pas de matériel supplémentaire.

Deuxième cas, la Côte Bleue, entre Marseille et Miramas, avec un taux de couverture des charges par les recettes de 7% et une incitation claire à supprimer complètement la desserte ferroviaire et à la remplacer par des autocars. Pour une ligne du périurbain marseillais, qui a vocation à intégrer le périmètre d'un RER à l'échelle d'une métropole suffoquant sous les gaz d'échappement des voitures (mais aussi, disons-le, des bateaux), la Chambre régionale propose la bonne vieille saignée de l'époque pompidollienne. Mais la saignée ferroviaire, comme en médecine, fait plus de victimes que de miracles...

Petit rappel : si on élaguait les lignes les moins rentables, on commencerait probablement par les lignes de RER en Ile de France. Chiche ?

Soyons objectifs et reconnaissons que la Chambre régionale des Comptes pointe à juste titre que les tarifications régionales réduisent de plus en plus les recettes, ce qui n'est peut-être pas le meilleur moyen dans la durée d'améliorer le bilan économique du transport régional. Il vaudrait mieux compléter les dessertes afin de saturer l'usage des moyens de production (matériel et personnel) pour générer de la recette en journée, qui sera un peu moins le fait d'abonnés et un peu plus d'occasionnels au tarif plus élevé, plutôt que de rester dans un système à offre et productivité des moyens faibles avec des tarifs artificiellement bas.

Comme le rappelle le CEREMA dans ses études récentes sur les lignes de desserte fine du territoire : c'est le premier train qui coûte cher, les autres circulations dans la journée de service sont à coût marginal décroissant.

Malheureusement, les exemples sont encore légion : on citera évidemment le cas de Tours - Loches, qui demeure dans un marasme qui ne pourra conduire qu'à légitimer des analyses financières à courte vue et la fermeture de la ligne pour éviter d'investir plusieurs dizaines de millions d'euros pour conserver un service gaspillant des ressources humaines et matériel.

14 février 2019

TET : les incohérences de la Cour des Comptes

Dans son rapport général 2019, la Cour des Comptes épingle la gestion des Trains d’Equilibre du Territoire et la convention entre l’Etat et SNCF Mobilités (voir le chapitre du rapport). En résumé, plutôt que d’inciter l’Etat à mieux exercer sa mission, la Cour des Comptes propose de l’abandonner au profit d’une exploitation aux risques et périls du transporteur et assurément de l’existence de ces offres : compte tenu de la propension de l’opérateur français à élaguer ses services (il suffit de voir ce qui se passe sur les liaisons TGV), nul doute que des relations dont les recettes couvrent en moyenne 70% des charges (163 M€ de déficit en 2017) seraient elles aussi passées à la moulinette…

Parmi les arguments curieux de la Cour des Comptes, assez mal inspirée, citons pêle-mêle la propension de ces trains aux retards et annulations et les subventions aux Régions dans le cadre du transfert de la gestion des lignes du Bassin Parisien. Justifications d’autant moins compréhensibles qu’on cherche le lien entre la qualité du service et le statut des lignes (convention ou open-access).

Notons aussi que le conventionnement des trains n’est pas une spécificité franco-française : certaines liaisons interurbaines exploitées aux Etats Unis par AMTRAK sont elles aussi en partie subventionnées. Si même le plus libéral des pays s’abaisse à ces pratiques…

La Cour des Comptes a été jusque très récemment plutôt favorable au transfert de compétence aux Régions (voir notre dossier). Sauf à vouloir aller à l’affrontement politique avec les Régions (on n’est plus à ça près), cet expédient n’est pas envisageable sans application de mesures d’accompagnement (notamment financières). Comble de l’absurde, la Cour propose dans son dernier rapport de continuer à transférer des lignes : Nantes – Lyon, Nantes – Bordeaux et Toulouse – Bayonne. Mais à quelle Région ? A la rigueur, il aurait été plus judicieux de suggérer un Groupement d’Intérêt Economique entre Régions, mais cela n’a manifestement pas effleuré des « sages » mal inspirés.

La ministre des Transports a rapidement réagi : « On ne peut pas avoir que des approches comptables : il y a aussi des enjeux d’aménagement du territoire ». L’air de dire : « La vérité n’est pas que dans un tableau Excel ».

Ceci dit, l’Etat n’est pas à l’abri de critiques légitimes dans sa façon d’exercer son rôle d’autorité organisatrice sur ces relations, dans son suivi de la production ou par exemple dans le pilotage du renouvellement du matériel roulant sur Paris – Clermont-Ferrand, Paris – Toulouse et Bordeaux – Marseille…

Plutôt que d’inciter l’Etat à mieux assurer sa mission d’autorité organisatrice, à renforcer le contrôle des prestations de l’opérateur et – soyons fous – tirer profit de l’ouverture à la concurrence pour comparer les offres des candidats et améliorer la consistance de la desserte, la Cour semble avoir sombré dans la facilité : comme disait Talleyrand, « tout ce qui est excessif est insignifiant »…

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26 janvier 2018

Mise à jour : les rapports ferroviaires de la Cour des Comptes

Le développement de la grande vitesse ferroviaire, la situation des Intercités et des TER : les trois grandes activités ferroviaires de voyageurs de la SNCF ont fait l'objet d'audits de la Cour des Comptes, souvent intéressants, non exempts de critiques, mais qu'il faut verser à notre analyse. Les articles parus dans les colonnes de transportrail ont été transformés en dossiers en bonne et due forme.

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21 octobre 2017

SNCF : une apologie déplacée et onéreuse de l'autocar

L'autocar, c'est mieux que le train !

"La SNCF a l'ambition que le car TER soit meilleur que ce que le train peut faire".  La "dernière" déclaration de Guillaume Pépy a été prononcée au congrès de la Fédération Nationale du Transport de Voyageurs, regroupant les entreprises de transport routier. Le président de la SNCF y a été distingué pour avoir été "l'inspirateur du renouveau de l'autocar en France".

Deux messages que transportrail ne pouvait laisser passer. "Inspirateur", voila qui met en lumière la capacité d'influence de la SNCF et de son président pour peser sur le cours des orientations politiques.  Mais on s'attachera surtout à la première phrase, car c'est évidemment la plus lourde de sens : faire en autocar mieux que ce que le train peut faire. C'est comme si votre boucher faisait l'apologie de l'alimentation végétarienne...

Incompréhension et inquiétude sur l'avenir du réseau

La réaction de la FNAUT n'a pas tardé, ne cachant ni sa stupeur ni son incompréhension. Elle demande à l'Etat de recadrer la SNCF sur son métier, qu'elle a tendance à oublier : le chemin de fer. Mais il est tellement plus tendance de se qualifier de termes pompeux de la nov'langue tel "agrégateur de mobilités", le dernier en date, ce qui permet de mettre au même niveau l'autocar, la voiture, le train, la trotinette et autres modes de transports non encore intégrés à la palette de la compagnie nationale. On peut même s'étonner de ne pas encore avoir vu la SNCF se lancer dans les See Bubble, ces mini-catamarans électriques qu'on promet bientôt sur tous les cours d'eau (en plus d'avoir des bouchons sur les rues, on les aura bientôt sur les fleuves... on n'ose imaginer les conséquences de l'accidentologie...)

Surtout, ce propos vient confirmer la crainte qu'on peut avoir quant au devenir du réseau ferroviaire. Une nouvelle saignée se prépare, et tout porte à croire qu'elle pourrait être massive. En 1995, il était envisagé de supprimer quelques 6500 km de lignes régionales : nous craignons que la purge ne soit encore plus sévère. Dit autrement, la SNCF tourne la page du train de service public pour se recentrer sur le réseau noyau qu'elle n'a en réalité cessé de promouvoir depuis des décennies. Ce réseau est incarné par ce rapport de 1978, d'un ingénieur des Ponts et Chaussées dont le nom raisonne dans la mémoire d'anciens cheminots : le rapport Pierre Guillaumat, qui préconisait un réseau limité à 5000 km et ne desservant que Paris et 49 villes pour l'ensemble du territoire. Nous y reviendrons prochainement dans un grand dossier consacré à l'économie des dessertes régionales depuis la création de la SNCF.

Ouibus : un gouffre, mais d'où vient l'argent ?

Mais le comble, c'est l'annonce presque simultanée des résultats 2016 de Ouibus. L'année dernière, la filiale d'avenir de la SNCF avait prévu de réduire ses pertes de 40,7 M€ à environ 30 M€ pour l'exercice à venir. Résultat, non seulement l'objectif n'est pas tenu, mais les pertes dérapent de façon vertigineuse pour accoster à 45 M€... exactement le niveau du chiffres d'affaires 2016. En résumé, 1€ de recettes = 1€ de pertes ! Au total, depuis sa création, Ouibus accumule 150 M€ de pertes ! Mais officiellement, à la SNCF, tout va bien et le développement de Ouibus n'est nullement remis en question. Quant à savoir comment la SNCF arrive à éponger ces pertes, l'opacité est totale et même l'Autorité de la Concurrence n'a pas réussi à dénouer le fil de l'intrigue, compte tenu du soupçon de transfert indirect entre des excédents sur des contrats de service public au bénéfice d'une activité en principe aux risques et périls du transporteur.

Pour avoir relancé l'autocar en France, la FNTV remercie la SNCF, qui s'engage résolument dans un processus de report modal du rail vers la route, mais la compagnie s'avère financièrement aussi peu efficace sur la route que sur le rail...

Une coûteuse communication pour faire passer la pilule

... ni très scrupuleuse sur ses dépenses de communication, puisqu'une enquête de France Info a refait les additions, en s'appuyant sur un ancien rapport de la Cour des Comptes. Entre 2007 et 2011, le budget annuel moyen de la communication de la SNCF a atteint 210 M€, soit un peu plus d'un milliard d'euros sur 5 ans. L'équivalent de 900 à 1000 km de renouvellement de voie ou de 100 rames Régio2N : une paille, et selon France Info, le rythme ne s'est pas ralenti depuis ! L'enquête souligne aussi le faible recours aux appels d'offres, en dépit d'alertes internes sur la "fragilité juridique" de reconductions récurrentes de marchés en gré à gré. Elle s'intéresse aussi au budget de lobbying de la SNCF auprès des élus pour s'en attirer les bonnes grâces, quitte à recourir à la Fondation SNCF pour soutenir financièrement des initiatives locales.

On retiendra en conclusion le propos de Gilles Dansart, spécialiste du monde ferroviaire et directeur de la très informée Mobilettre : "Le métier de la SNCF, c'était de faire rouler des trains. C'est devenu une entreprise de services qui privilégie beaucoup l'image. On peut considérer que c'est un projet qui prime sur le projet industriel."

C'est bien là tout le problème !

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17 octobre 2017

TGV : revoici le débat sur le nombre de gares !

Cela faisait longtemps ! Voici que fleurissent à nouveau dans la presse des articles évoquant l'hypothèse d'une contraction des dessertes TGV afin de les limiter au maximum aux lignes à grande vitesse. Rassurez-vous, il n'est pas question de transformer un Paris - Lyon en une relation limitée au trajet Vert de Maisons - Sathonay Rillieux ! Dans la lignée du rapport de la Cour des Comptes, cette réflexion est loin de prendre en compte tous les avantages de ces trajets sur le réseau classique et néglige les inconvénients qui résulteraient d'une contraction du service.

On ne manquera pas de rappeler la boulette de la Cour des Comptes, comparant les 230 gares desservies en France mais aussi chez nos voisins européens (Royaume Uni, Belgique, Pays Bas, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Italie et Espagne) par les différents services TGV (Eurostar et Thalys inclus) avec une seule ligne du réseau à grande vitesse japonais, Tokyo - Nagoya - Osaka qui, sur 515 km dispose de 17 gares !

Il y a certainement un peu de tri à opérer, surtout sur des dessertes qu'on qualifiera de politiques, mais il faut tout de même rappeler certaines évidences :

  • la mise en service de 3 nouvelles sections de LGV (Est Phase 2, SEA et BPL) a nettement réduit la circulation de TGV sur le réseau classique ;
  • sur de grands axes, le trajet par correspondance plutôt qu'une liaison directe ne serait pas neutre le trafic, y compris sur la section assurée en TGV : pas sûr qu'une combinaison TGV Paris - Poitiers + TER Poitiers - La Rochelle ait le même succès commercial qu'un TGV Paris - La Rochelle compte tenu de la grande tradition de qualité des correspondances en France, par une exploitation à la régularité moyenne et des TER en correspondance à l'offre erratique... Ce qui est acceptable en Suisse (noeuds de correspondances systématique, cadence horaire au minimum...) ne l'est pas dans une organisation moins rationnelle du service, qui plus est dans un contexte de forte versatilité du public ;
  • elle peut amener à des questions provocantes : faut-il maintenir la circulation des TGV entre Bordeaux et Toulouse ? faut-il limiter les TGV Paris - Nice à Marseille ?  des liaisons qui n'auront pas de sitôt de ligne à grande vitesse de bout en bout...
  • quand ces circulations s'effectuent en fin de roulement, leur coût est relativement marginal : la rame roule avec des voyageurs plutôt que de dormir sur une voie de remisage ; ce qui est en revanche plus gênant, c'est quand certaines liaisons TGV politiques se traduisent par l'engagement de rames supplémentaires à faible productivité journalière ;
  • il n'est pas avéré que les gares puissent gérer ces correspondances supplémentaires sans investissements supplémentaires d'infrastructures ou dans l'aménagement des gares ;
  • quand bien même l'offre se limiterait aux seules lignes à grande vitesse, que faire de l'excédent de parc de rames TGV ? Difficile d'imaginer que ces rames soient réinvesties dans de l'offre supplémentaire puisque le service est encadré par la capacité du réseau et notamment des gares têtes de ligne en heure de pointe, sans compter qu'on imagine mal la liaison Paris - Lyon cadencée au quart d'heure... même s'il y avait de la place dans les gares !

Alors de cette nouvelle poussée de fièvre, qu'en sortira-t-il ? Suite au prochain épisode...

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18 septembre 2017

Fret : ça ne va pas mieux... au contraire !

Le rapport rendu mi-septembre par la Cour des Comptes tire une nouvelle fois le signal d’alarme à propos du fret et interroge l'efficacité de l'intervention de l'Etat au cours de la décennie écoulée en faveur du transport de marchandises par le rail. La dette de Fret SNCF atteint 4 MM€ et pourrait augmenter de 25% d’ici 2020. La branche du groupe public se retrouve dans un effet de ciseau de moins en moins soutenable : le nombre de wagons pris en charge a été divisé par 4 en 10 ans, passant de 700 000 à 150 000 wagons. La trajectoire de coûts n’est toujours pas maîtrisée : sur la période 2008 – 2014, la hausse moyenne à Fret SNCF atteint 2,8% par an, contre 1,6% dans le secteur ferroviaire.

La recapitalisation en 2005 de la branche Fret SNCF à hauteur de 1,4 MM€, qui faisait suite aux annonces du plan Fret porté par le ministre des transports Jean-Claude Gayssot, n’a eu concrètement aucun effet sur le déclin de l’activité.  Bilan un peu plus de 10 ans plus tard, les effectifs  ont été divisés par 2, le parc de locomotives (dont les 400 engins commandés déjà à l’époque pour « sauver Alstom ») a aussi fondu de moitié, l’essentiel se retrouvant chez Akiem , filiale de location d’engins moteurs.

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Fain les Montbard - 21 juillet 2017 - L'axe Paris - Dijon est une bonne illustration du naufrage du fret ferroviaire français : le nombre de circulations y a plongé de façon continu depuis la fin des années 1990. Ici, un train du combiné emmené par la BB26221 toujours à l'effectif de Fret SNCF. © transportrail

Et puis, évidemment – mais fallait-il le préciser ? – le tonnage transporté continue de chuter…  Tous opérateurs confondus, le trafic reste à un niveau d’étiage particulièrement préoccupant avec 32,2 MM tonnes-km en 2014 contre 40 en 2008. Les « privés » (y compris VFLI) en assurent 39%, ce qui confirme que sans eux, la situation serait encore plus critique, et probablement mortifère.

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Donzère - 4 mai 2013 - Autre axe sur lequel le fret n'a pas vraiment la forme alors que la capacité de l'infrastructure n'est pas nulle... Ce train de caisses mobiles, pas très chargé au demeurant, est confié à la BB37028 acquise par la SNCF et qui se retrouve désormais chez Akiem au service d'autres opérateurs... mais qu'on se rassure, on a sauvé Alstom ! © transportrail

La Cour juge aussi sévèrement les conséquences du cadre social issu du décret-socle, de la convention collective de branche et de l’accord d’entreprise de SNCF Mobilités, maintenant Fret SNCF dans une situation de désavantage concurrentiel par rapport aux autres opérateurs. Cependant, plus qu’une question de coût direct du personnel, c’est d’abord l’organisation tant de l’entreprise que de la production qui peut être mise en question.

La Cour en profite pour souligner que l’accord de branche s’est aussi traduit par un alourdissement de l’organisation y compris chez les opérateurs privés… tout en notant que VFLI (filiale de droit privée) s’en sort nettement mieux que Fret SNCF.

Il n’en reste pas moins que les incantations pour la relance du trafic fret n’y font rien : cela fait joli et bien-pensant dans les discours, mais qui peut encore les croire ?

Il y a évidemment des problèmes d’organisation interne qui rendent Fret SNCF plus cher que ses concurrents. Mais d’autres sujets de fond minent la crédibilité du transport de marchandises par le rail en France quel que soit l’opérateur :

  • la disponibilité des sillons, face à l’accumulation de travaux sur le réseau ;
  • la performance et la régularité : aujourd’hui, la vitesse moyenne d’un conteneur transporté par le rail est de 18 km/h, avec une régularité qui ne dépasse pas souvent les 70% ;
  • les handicaps techniques, qu’on peut résumer sous le couvert d’un déficit d’interopérabilité intra-ferroviaire mais aussi intermodale, avec par exemple l’évolution du gabarit des conteneurs non compatible avec les installations ferroviaires (un sujet d’actualité depuis l’interception du corridor européen à Rastatt) ;
  • le coût et la rigidité du transport ferroviaire par rapport au transport routier dont une partie des charges est payée par la collectivité ;
  • les contradictions d'un Etat incohérent, capable d'incantations pro-rail... mais qui relève de 38 à 44 tonnes le poids total autorisé des camions en France, fait financer un plan de relance autoroutier très favorable aux concessionnaires sur le dos du contribuable et torpille l'écotaxe !

Il semblerait cependant que l’actuelle ministre des transports remette sur la table la mise en œuvre d’une écotaxe qui ne dirait pas son nom, portée par les Régions. Autant dire que les piquets de grève ne sont pas loin…

02 février 2017

Deux rapports étrillent les relations Etat-SNCF

Deux rapports, rien de moins, se sont penchés sur le comportement de l'Etat en tant qu'actionnaire de la SNCF... et les conclusions sont sévères. 

Le rapport de l'Institut Montaigne intitulé "L'impossible Etat actionnaire" attire d'autant plus l'attention qu'il a été rédigé par un ancien membre du Comité Exécutif de la SNCF. Il propose la mutation de la SNCF, actuellement Etablissement Public Industriel et Commercial, en Société Anonyme, en faisant le constat suivant, aboutissant à la requalification de la dette de la SNCF en dette d'Etat :

  • elle doit principalement produire des services d'intérêt général qualifiables en services publics,
  • elle doit composer avec l'intervention du politique,
  • ses ressources proviennent d'abord de la fiscalité et ensuite des clients,
  • globalement l'entité n'est pas rentable au sens financier.

La Cour des Comptes, dans son rapport simplement baptisé "L'Etat actionnaire", remet en cause le statut d'EPIC qui "ne permet pas d'assurer à une entreprise une gouvernance appropriée, particulièrement lorsqu'elle intervient dans un cadre concurrentiel". L'adossement à l'Etat serait perçu comme une garantie de passif illimité déformant la nécessaire transparence et l'équité inhérentes à une concurrence régulée des activités ferroviaires.

La critique la plus sévère porte sur l'ingérence de l'Etat dans les affaires de l'Etablissement Public Industriel et Commercial SNCF, dans l'objectif de préserver la paix sociale plus que de conduire une politique efficace de gestion du réseau ferroviaire, de desserte équitable du territoire et d'outil d'une stratégie industrielle pour la filière ferroviaire.

En ligne de mire, pour commencer, la façon dont l'Etat a shunté Guillaume Pépy dans l'affaire du RH077 lors du dernier mouvement de grève, ou l'art d'esquiver les réalités juridiques dans la commande très controversée de TGV EuroDuplex pour succéder aux Corail sur l'axe Bordeaux - Marseille. Le rapport est cinglant lorsqu'il considère que "l'Etat n'a toujours pas compris que la SNCF était une entreprise à part entière et non une administration". Allusion à peine voilée aux modalités de négociation sur la desserte SEA entre l'Etat et les collectivités locales finançant le projet, sans l'aval de la SNCF...

Ensuite, c'est le comportement de l'Etat à l'encontre de SNCF Réseau qui est pointé, en condamnant la "permanente implication de l'Etat dans les décisions de SNCF Réseau, avec pour corollaire sa faible marge de manoeuvre et de multiples arbitrages ministériels". Le gestionnaire d'infrastructure ne pourrait donc pas réellement jouer son rôle, étouffé par l'Etat et ses injonctions aussi multiples que contradictoires ?

Oui, la Cour des Comptes l'écrit sans son rapport : "l'Etat peut même prendre des positions qui interfèrent, modifient, voire prennent le contrepied du cadrage qu'il a lui-même fixé [...] L’Etat agit fréquemment au détriment des intérêts économiques du groupe SNCF et de son équilibre financier, aggravant ainsi son endettement. Il n’a pas de stratégie à long terme permettant de préparer le groupe public à la concurrence et de mieux répondre aux besoins de ses clients."

Histoire d'enfoncer le clou, elle considère que l'organisation née de la réforme ferroviaire de 2014, avec le fameux "EPIC de tête", SNCF Mobilités et SNCF Réseau, n'est pas viable ni garante d'efficacité. Etrangement, le président du conseil de surveillance du groupe SNCF n'a fait aucune remarque sur ce rapport.

La Cour préconise donc aussi de passer au statut de Société Anonyme, dans un délai compatible avec l'ouverture à la concurrence, c'est à dire d'ici 2020 pour les liaisons nationales. 

Posté par ortferroviaire à 11:11 - - Commentaires [7] - Permalien [#]
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