16 juillet 2020

Alstom-Bombardier : faire accepter la fusion

Un temps mise en pause pendant la crise sanitaire, la fusion entre Alstom et Bombardier semble aborder le dernier virage. Pour la rendre acceptable vis-à-vis de la position très dominante des deux entreprises sur le marché européen, les deux entreprises envisagent de céder certains sites de productions et produits.

Ainsi, du côté d'Alstom, serait proposée la cession de la plateforme Coradia Polyvalent, celle dont est issu le Régiolis (et sa version Intercités Coradia Liner), ainsi que le site de production français de Reichshoffen. Un choix relativement logique, car on savait depuis plusieurs années que l'ancienne usine De Dietrich (dont est aussi sorti l'X73500) était en situation précaire... mais qui, stratégiquement, pose question pusique Alstom planche sur la version à hydrogène pour la SNCF et certaines Régions. Céder la plateforme et l'usine, quelles conséquences pour ce produit-phare ?

De son côté, Bombardier lâcherait le Talent3, et son site de production de Hennigsdorf.  Manifestement, le groupement chercherait à réduire le nombre de produits dans la gamme régionale conventionnelle.

Du côté des rames à 2 niveaux, on ne sait pas encore la teneur des arbitrages, entre la gamme Twindexx, qui comprend des voitures tractées et des automotrices (dont les Twindexx Vario destinées aux CFF, mais aussi les ET445 allemandes) et l'Omneo (connu en France avec le Régio2N). Il faut néanmoins se rappeler, concernant l’apparent doublon de produits à 2 niveaux, que le moindre gabarit français amène à une architecture très différente des rames pour les pays germaniques, la Suisse et le Benelux. Il n’y a donc pas de concurrence des produits qui s'adressent à des marchés différents.

En outre, Bombardier laisserait à Hitachi Rail les commandes de la gamme à grande vitesse Zefiro (ETR400 en Italie). Bombardier délaisserait aussi ses activités de signalisation

Certains choix sont étonnants à première vue car Bombardier a par exemple beaucoup travaillé sur le Talent3 pour développer le train électrique avec batteries. Alstom mise beaucoup sur le Coradia Polyalent sur le marché français avec le développement d'une version avec pile à combustible à hydrogène.

Cependant, Alstom possède 3 bases techniques à un niveau pour les services régionaux et intervilles, avec  le Coradia Lint (sur laquelle est dérivée le train à hydrogène en Allemagne), le Coradia Continental et le Coradia Stream (développé pour l'instant pour l'Italie et les nouveaux Intercity hollandais). Ils seront aussi à suivre. Nul doute que les produits spécifiques, tels que le RERng, ne seront pas concernés par la rationalisation d'autant que Alstom et Bombardier étaient déjà partis en groupement. Mais qu'en sera-t-il par exemple pour le MIng du RER B pour lequel jusqu'à présent, il semblerait que les deux entreprises partent séparées, mais dont les deux sites concurrents sont conservés ?

Il est probable que l’accumulation de plates-formes à 1 niveau et la nécessité de céder certains sites a pesé dans les choix, car Reischoffen n’en pas en jeu pour la production des TGV ou des rames pour l’Ile de France, et le Talent 3 combiné aux deux plates-formes d’Alstom Allemagne aurait créé une situation de monopole dans la zone Allemagne/Autriche.

Alstom devait conserver en France le site de Belfort pour les motrices de TGV et des aspects politiques, Aytré pour les rames TGV et les tramways, et Petite-Forêt pour les gammes Métro et Ile de France très rémunératrices, avec de grosses commandes en cours. Fermer le site Bombardier de Blanc-Misseron dans une zone économique sensible et avec un carnet de commandes bien rempli n’aurait pas non plus été compris.

Dans le domaine de la grande vitesse, il faudra aussi statuer sur les orientations car Alstom dispose en théorie de plusieurs gammes. Le produit Duplex est très ciblé sur le marché français et certains projets internationaux, comme au Maroc. L'Avelia Liberty a été initialement plutôt calibré pour la commande des Etats-Unis, même si certains développements se retrouveraient sur le TGV2020 qui se retrouve dans cette gamme. L'AGV figure toujours dans les références du site d'Alstom mais n'a connu aucun succès commercial au-delà des 25 rames Italo. Alstom produit également des rames aptes à 250 km/h avec sa gamme Pendolino produite à Savigliano sur les bases des ex-productions de FIAT. La cession du Zefiro à Hitachi parait donc logique.

Du côté des locomotives, Alstom n'a réalisé des Prima 2 que pour quelques marchés à l'export, et n’a donc plus de locomotive de ligne homologuée dans les pays d’Europe occidentale (la H4 pour les CFF est une machine de manœuvre et de travaux). Bombardier a collectionné jusqu'à des temps récents les succès avec la gamme Traxx, même si, depuis au moins 3 ans, Siemens a remporté de nombreux marchés avec la gamme Vectron.

En rachetant Bombardier, Alstom se repositionne ainsi à bon compte sur le marché des locomotives de ligne, avec des produits connus, et vendus dans l’Europe entière. Le site de Kassel trouve un repreneur connaisseur de ce marché, avec sans doute des capacités de financements de développement qui ont fait défaut à la Traxx du fait de la situation générale du groupe Bombardier.

Qui plus est, après avoir été précurseur du bimode avec la version Last Mile de la Traxx, Bombardier n’a pas pu suivre Siemens et Stadler dans des versions grandes bimode et plus puissantes, qui semblent rencontrer aujourd’hui un succès certain.

Quelle sera la réaction de la Commission Européenne face à ces propositions ? Réponse dans les prochaines semaines.


29 août 2016

Alstom : marché historique aux Etats-Unis

C'est l'information qui a animé le week-end (du moins ce qui ne concerne ni les retours de vacances, ni les amabilités politiciennes pré-électorales) : Alstom fournira et maintiendra durant 15 ans une flotte de 28 trains Avelia à AMTRAK, l'opérateur ferroviaire américain, pour le corridor ferroviaire entre Boston, New York et Washington, sur lequel circule déjà une première génération de trains rapides baptisée Acela. Le montant du marché avoisine les 2 MM$.

©Alstom/Meconopsis

Avelia Liberty, le train pendulaire à grande vitesse d'Alstom, vendu aux Etats Unis (document Alstom)

Le train vendu est une rame articulée comprenant une seule locomotive et 9 voitures, munies de la technologie pendulaire Tiltronic capable de circuler à 300 km/h. Dans un premier temps, les trains circuleront au mieux à 257 km/h, vitesse maximale autorisée sur la ligne existante. Les nouvelles rames sont plus capacitaires grâce à la réduction de la longueur occupée par la motorisation et une amélioration de la conception des voitures.

Fait à souligner, le gouvernement américain a accepté l'adoption de normes européennes de sécurité pour la construction de ce nouveau matériel, se fiant sur l'expérience acquise depuis plus de 30 ans : les normes américaines, fondées sur le transport de marchandises au moyen de trains hyperlourds, s'avéraient inadaptées pour atteindre les objectifs.

L'officialisation du marché a été faite par le Vice Président des Etats Unis, Joe Biden, qui s'est livré à un plaidoyer pour le développement du transport ferroviaire de voyageurs dans un pays où celui-ci est réduit à un rôle anecdotique. Jusqu'à présent, aucun des projets de lignes nouvelles pour des trains à grande vitesse lancé puis abandonné au cours des 30 dernières années n'a pu aboutir jusqu'à l'apparition d'Acela en 2000. Cette relation est un succès, en dépit de temps de parcours assez moyens (3h30 entre Boston et New York et New York - Washington en 2h30). La politique de tarifs compétitifs par rapport à l'avion et surtout l'accentuation des mesures de sécurité à l'embarquement ont favorisé l'usage du train qui fait aujourd'hui quasiment jeu égal avec l'avion.

L'administration américaine espère pouvoir présenter d'autres projets de liaisons ferroviaires rapides dans les principaux corridors urbanisés du pays. C'est même devenu un enjeu électoral, à trois mois de l'élection présidentielle.

En revanche, en France, on a entendu durant le week-end des craintes sur l'emploi chez Alstom, en arguant d'une production de ces trains dans les usines américaines d'Alstom. Il était pourtant évident que la construction sur place de ces trains allait être un atout décisif pour des arguments rigoureusement identiques à ceux déployés sur le marché français...

Posté par ortferroviaire à 10:32 - - Commentaires [16] - Permalien [#]
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