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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Une exploitation rationnelle, moderne et frugale des LDFT

Des lignes mal exploitées voire mal exploitables

Commençons par les apparences : des trains régionaux largement renouvelés, plus performants que leurs prédécesseurs… mais qui vont plus lentement du fait de la dégradation de l’état du réseau, plus rapide que le rythme des renouvellements.

Entrons maintenant dans le vif du sujet : le chemin de fer est une industrie mobilisant des coûts fixes humains et matériels très importants, avec une logique de rendement croissant par paliers techniques, déterminés par le fait de mobiliser une rame de plus et donc du personnel supplémentaire.

Le problème des LDFT tient pour partie à l’équipement particulièrement frustre de certaines lignes toujours gérées en cantonnement téléphonique de gare en gare, principe assorti de fortes contraintes sur le nombre de circulations, ne permettant pas d'atteindre un cadencement minimal aux 2 heures en-dessous duquel la visibilité du service est fortement réduite. C’est un peu moins pire en block manuel, car il est quand même possible d’y faire passer au maximum 40 trains par jour, mais avec des contraintes tout de même non négligeables.

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Loches - 30 juillet 2014 - Lecteur assidu de transportrail, vous avez souvent constaté que la ligne Tours - Loches revenait régulièrement dans nos articles et dossiers pour illustrer le décalage parfois abyssal entre les flux de déplacements et l'offre de transport ferroviaire. Parmi les causes, le régime de voie unique à signalisation simplifiée, très restrictif sur le nombre de circulations pour des raisons plus réglementaires que techniques. © transportrail

La technique n’est pas la seule responsable : durant des années, la SNCF a voulu cantonner le train régional aux seuls flux domicile-travail et domicile-études sur les heures de pointe de semaine. C’est une des raisons pour lesquelles la durée réelle d’utilisation du matériel roulant régional français est globalement 2 fois inférieure à celle du parc de DB Regio, ce qui est la source d’une partie des surcoûts par rapport à des réseaux à la desserte plus intense.

C’est aussi une perte de recettes, pour l’exploitant comme pour le gestionnaire d’infrastructures :

  • pour le premier, il faut quand même rappeler que les trains de pointe sont principalement utilisés par des clientèles certes relativement régulières d’un jour sur l’autre mais surtout détentrices d’abonnements à fort taux de réduction, donc peu de recettes par voyageur-kilomètre. Les trains d’heures creuses seraient un moyen de capter une clientèle plus occasionnelle, moins souvent abonnée, donc avec une recette par voyageur-kilomètre plus élevée. C’est une clientèle plus nombreuse que celle des traditionnels déplacements domicile – travail / études, qui ne représentent plus que le tiers des motifs ;
  • pour le second, des trains en plus, ce sont des péages en plus qui viendront améliorer le taux de couverture des charges, qui sont quand même globalement forfaitaires par paliers selon que la ligne soit gérée en 2x8 ou en 3x8 : tant qu’on reste dans la même amplitude d’ouverture, on peut considérer que l’augmentation des coûts d'entretien de l'infrastructure liée aux circulations supplémentaires est d’effet marginal.

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Bruyères - 26 janvier 2022 - Moderniser la signalisation ou rester en block manuel ? La question peut parfois se poser : dans le cas de la relation Epinal - Saint Dié, les trains ne se croisent qu'à Bruyères. Le coût de la tenue de la gare pour gérer les croisements sur des équipements datant du début des années 1980 laisse entrevoir la possibilité de phaser les investissements et de reporter le volet signalisation à une seconde phase, pour  consacrer d'abord les moyens sur la voie, la plateforme et les ouvrages. © transportrail

D’où une conclusion assez évidente : une exploitation rationnelle des lignes de desserte fine du territoire devrait reposer sur le principe d’une capacité minimale de l’infrastructure d’un sillon par heure et par sens de 6 heures à 21 heures sur l’ensemble de ce périmètre, pouvant évoluer à la hausse selon les besoins définis par le projet de service des autorités organisatrices et des clients fret. Quelques exceptions pourront être faites sur des cas particuliers (on pensera notamment à la ligne des Cévennes et à la ligne des Causses si elle arrive à être sauvée) pour lesquels une capacité inférieure peut être admise.

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Villefort - 25 octobre 2015 - Parmi les lignes qui pourraient faire exception au principe minimal d'un sillon par heure et par sens, la section centrale de la ligne des Cévennes, entre Saint Georges d'Aurac et Alès. Un 4ème aller-retour de Clermont-Ferrand à Nîmes doublé d'une desserte plus fournie depuis La Bastide (avec des trains venant de Mende) devraient aboutir à une desserte toutes les 2 heures. © D. Gubler

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Marvejols - 29 janvier 2016 - La rarissime correspondance à Marvejols pour Mende et La Bastide (à gauche) et 2 Z2 assurant le service sur la ligne des Causses : dans ces deux cas, la question porte sur l'existence même du service ferroviaire compte tenu d'un potentiel modeste, d'une infrastructure nécessitant des moyens considérables pour être pérennisés... et d'une A75 plus performante (et avec la possibilité d'un accès rapide à Montpellier, handicap historique du chemin de fer). © transportrail

De ce principe découle le reste : équipement, exploitation et maintenance de la ligne.

Le salut par la conception horaire

Renouveler par principe les lignes à l’identique n’a donc aucun sens. Il faut donc engager une démarche de conception de leur modernisation fondée sur un horaire cadencé dimensionné au juste besoin. Il déterminera la performance suffisante à atteindre, par rapport au temps de parcours par la route, mais aussi par rapport à l’optimisation de la production. Passer de 1h02 à 52 minutes (comme sur Tours – Loches ou Rennes – Châteaubriant) ferait non seulement gagner 10 minutes aux voyageurs (c’est quand même intéressant), mais aussi une rame à la Région : dans le premier cas, il faudrait 3 rames pour proposer une desserte à l’heure, contre 2 dans le second.

Les LDFT constituent un vaste terrain pour des relèvements de vitesse économiques : les taux actuels datent pour la plupart de l’après-guerre, avec des compositions nettement moins performantes qu’aujourd’hui.

Comparer les vitesses nominales avec ce que permet théoriquement le tracé en courbe (corrigé évidemment le profil en long) peut déterminer une enveloppe de minutes « gagnables » dont il faudra définir l’usage dans la construction horaire finale en y incorporant les contraintes liées à la gestion des croisements (puisque ces lignes sont majoritairement à voie unique) et les attaches horaires des gares terminales.

Seule véritable limite : les passages à niveau. Jusqu’à 100 km/h, il est encore possible de composer avec des intersections dotées d’une simple croix de Saint André. Au-delà, c’est quand même plus risqué. Autre enseignement : une discussion avec les collectivités locales et les propriétaires fonciers s’impose pour réduire autant que possible leur nombre.

Cette conception par l’horaire présente l’avantage de systématiser en principe les heures de passage des trains dans les gares mais aussi les gares où s’effectueront les croisements : l’occasion éventuellement d’en supprimer quelques-uns, non indispensables à la réalisation du service.

C’est aussi le moyen de gérer en principe au mieux les correspondances avec les dessertes sur les grands axes. De sorte à ce que les « petits ruisseaux » puissent alimenter les « grandes rivières » et réciproquement… Evidemment, ce raisonnement s’applique aussi en amont et en aval du train, avec les autocars complétant le maillage territorial et les réseaux urbains, notamment dans les petites villes, qui ont tout intérêt à graviter pour partie autour des horaires des trains.

Renouveler et moderniser ?

Cependant, cette rationalisation est surtout pertinente lorsque sont combinés le renouvellement de l’infrastructure et la modernisation de la signalisation, du fait de son obsolescence (il reste encore du block manuel d’avant 1940 !) ou de son inadéquation au projet de service (débit insuffisant).

Il faut aussi savoir progresser par palier : dans certains cas, il peut être acceptable de conserver une signalisation relativement frustre comme du block manuel dès lors qu’elle est compatible avec le nombre de circulations recherché. C’est notamment opportun lorsque le programme de renouvellement est de large ampleur et qu’il faut opérer des choix de hiérarchisation par rapport aux budgets mobilisables.

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Taillebourg - 24 avril 2017 - Si les compositions de voitures Corail avec BB67400 ont disparu de la relation Nantes - Bordeaux, la section La Rochelle - Saintes reste encore gérée par l'antique block manuel régional de 1903. Les études de modernisation ont été stoppées vers 2015 compte tenu des urgences sur la voie. Sur cette section, il faudra probablement distinguer La Rochelle - Rochefort, où le développement du service périurbain justifie une longueur plus réduite des cantons par rapport à Rochefort - Saintes, n'accueillant que du trafic intervilles. © L. Knop

Il n’est pas forcément nécessaire de procéder à des développements technologiques complexes pour proposer une exploitation moderne et frugale des LDFT :

  • le régime de navette peut s’appliquer à nombre de lignes en antenne, sur tout ou partie du parcours : exemple de Morlaix – Roscoff ou de la section Cambo – Saint Jean Pied de Port ;
  • le block automatique à métazones NExT Regio est intéressant puisque, tout en étant compatible avec une version « régionale » d’ERTMS, il s’appuie sur des équipements développés pour le réseau structurant mais adaptés à des lignes à moindre trafic. Ainsi, ’il s’affranchit de la longueur maximale des cantons de 15 km et autorise une rationalisation assez poussée du schéma de signalisation en fonction du projet de service, sachant que, sur les lignes à voie unique, généralement, le parcours entre deux gares peut ne constituer qu’un seul canton ;
  • les solutions annoncées par géolocalisation satellite doivent encore démontrer leur efficacité, surtout lorsque doivent cohabiter des automoteurs et des trains de fret (contrôle de l’intégrité du convoi), et leur pertinence économique, étant données les modifications importantes à opérer sur le matériel roulant, pas forcément plus économiques que quelques signaux en entrée et sortie de gare ;
  • quant au train autonome, il faut distinguer la fonction de pilotage automatique d’une gare à l’autre sous le contrôle d’un conducteur (comme pour un métro conventionnel) du train sans conducteur, qui pose encore bien des questions d’ordre sécuritaire et de gestion de modes dégradés.

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Eymoutiers - 9 juillet 2021 - La ligne du Palais sur Vienne à Meymac accueille la relation Limoges - Ussel : c'est une des lignes desservant les territoires les moins peuplés de France, où le train doit évidemment être complété de rabattements, en voiture et en autocar. Outre l'état de la voie, de la plateforme et des ouvrages, traité par tronçons selon les budgets mobilisés par la Région, cette ligne a la particularité d'être gérée par un système d'exploitation unique (le SYMEL) en fin de vie : les brigades du coin en sont à faire les brocantes pour récupérer des pièces d'ordinateur des années 1990... © transportrail

La modernisation de la signalisation amène aussi à envisager la centralisation de la commande : pour l’instant, seuls les grands axes sont concernés par le programme « Commande Centralisée du Réseau ». Or les LDFT requièrent encore un personnel d’exploitation nombreux pour gérer les circulations. Potentiellement, les gains de productivité pourraient être parfois importants, comme par exemple sur le vaste secteur du Périgord (étoiles de Périgueux et du Buisson), pouvant justifier un poste à grand rayon d’action couvrant les lignes Périgueux – Limoges, Périgueux – Brive, Périgueux – Coutras, Périgueux – Agen, Libourne – Le Buisson et Siorac – Sarlat, voire même Nexon – Brive, dans l’hypothèse de restauration de l’intégralité du parcours.

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Mauriac - 22 août 2010 - Apte à 160 km/h, la section Coutras - Périgueux fait partie des LDFT atypiques, avec un rôle de premier plan dans la connexion du Limousin à la métropole bordelaise. C'est la seule branche de l'étoile de Périgueux équipée d'un block automatique, à permissivité restreinte : a priori, ce serait donc la dernière à intégrer une éventuelle commande centralisée périgourdine. © Rail Composition

Maintenance : des organisations plus flexibles

L’organisation de la maintenance courante du réseau est un autre domaine sur lequel peuvent être envisagées des évolutions significatives, dès lors qu’elles prennent en considération la diversité des lignes et la nature des besoins auxquels elle doit répondre.

Un entretien régulier n’est pas forcément onéreux et permet à l’infrastructure de rester plus longtemps en bon état. On prendra pour seul exemple l’entretien des fossés, essentiels pour le drainage de la plateforme et donc le maintien d’une bonne géométrie de la voie.

Le renouvellement étant aussi le moyen de réduire l’hétérogénéité des composants du patrimoine, il est intrinsèquement générateur d’une réduction des coûts de maintenance, avec un facteur 4 pour les voies les plus anciennes, et probablement entre 2 et 3 pour des équipements obsolètes mais pas encore « d’un autre temps ».

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Rivarennes - 19 juillet 2022 - La ligne Tours - Chinon revient de loin, mais l'horizon n'est pas totalement dégagé : les travaux sur l'infrastructure permettent de tenir la ligne à court terme, sans plus, consistant pour l'essentiel en des opérations de grand entretien. La commande centralisé à Joué avait envoyé un signal positif, mais la desserte reste encore trop modeste et pas toujours adaptée à l'important potentiel touristique, en particulier le week-end. © transportrail

Le principe d’un sillon par heure et par sens implique l’abolition définitive du « blanc travaux » (renommé « intervalle de surveillance ») dont la justification n’a que rarement été établie. Pour autant, la maintenance courante doit être assurée. Dans certains cas, pour les lignes les plus circulées, il faudrait envisager de reporter ces opérations en nuit, mais avec un coût plus élevé. L’autre solution serait d’opérer des massifications régulières, pendant des périodes de moindre affluence, mais les vacances scolaires peuvent aussi coïncider avec un potentiel de déplacements de loisirs plus important.

Une autre dimension peut être explorée en complément, combinant une dose de maintenance prédictive, avec des équipements de télédétection et l’hypothèse d’une surveillance complémentaire par les trains commerciaux : elle présente cependant l’inconvénient d’être potentiellement assez onéreuse, multipliant les équipements sur l’infrastructure et sur le matériel roulant, donc pas vraiment compatible avec un esprit de frugalité. Ce domaine de l’ombre n’est pas à négliger pour assurer dans le temps la pérennité des performances de l’infrastructure.

Décarboner les lignes de desserte fine du territoire

Environ 85% de ces lignes ne sont pas électrifiées : les trains y fonctionnent donc au gasoil. Le passage à la traction électrique est donc un objectif à moyen terme, ne serait-ce que parce que la SNCF a annoncé vouloir s'affranchir des carburants d'origine fossile d'ici 2035. Autant dire qu'il est urgent de passer à l'acte compte tenu de l'ampleur de la tâche.

Cet objectif impose d'abord une rationalisation dans l'usage des différentes séries de matériel roulant régional. En effet, toutes ne sont pas forcément compatibles avec les différentes solutions. Les X73500 à transmission hydraulique ne peuvent être convertis à la traction électrique, et n'évolueront donc que vers des biocarburants ou du biogaz (mais attention à la perte de puissance avec ce dernier, estimée à environ 15%). Selon Bombardier, les X76500 (AGC thermiques) ne sont pas simples à transformer pour la traction électrique. Mettons de côté les X72500, dont la perspective est de s'en débarrasser. Par conséquent, les séries bimodes d'AGC et de Régiolis constituent le vivier des matériels pouvant devenir totalement électriques. Les solutions avec pile à combustible alimentées à l'hydrogène sont particulièrement mises en avant mais, comme le montre ce dossier de transportrail, cette frénésie mérite d'être recadrée compte tenu des limites techniques et du coût de cette solution. Le remplacement des moteurs thermiques par des batteries semble plus porteur, mais suppose d'électrifier une partie du réseau : transportrail y a consacré également un dossier. Au total, les lignes de desserte fine du territoire pourraient représenter entre 25 et 35% du linéaire du réseau, toutes catégories confondues, qui devrait être prioritairement électrifié.

Ce schéma d'électrifications partielles suppose, évidemment, une cohérence avec le plan de transport, car, pour ne prendre qu'un seul exemple, la localisation des zones de rechargement figera les terminus intermédiaires. D'où, une fois de plus, le besoin d'un dialogue très serré entre l'autorité organisatrice et le gestionnaire d'infrastructure...

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