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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Trains de nuit français : un démantèlement orchestré

S'il y a moins de voyageurs, c'est surtout parc qu'il y a moins de trains !

Commençons par rétablir une vérité : si le trafic des trains de nuit français diminue, c'est d'abord parce que l'offre ne cesse d'être réduite. Moins de trains = moins de voyageurs. Le mouvement a été engagé très tôt, dans les années 1980, mais a été accéléré dans les années 1990 avec l'essor du TGV et, il faut bien le reconnaitre, avec la fin du service militaire. Il faut bien reconnaître que l'ambiance des trains de bidasses n'était pas de tout repos et pouvait susciter la désaffection d'une partie - importante ! - du public voulant voyager au calme !

On comptait par exemple 4 relations nocturnes entre l’Atlantique (Quimper, Nantes, Bordeaux) et le quart sud-est, vers Lyon, Genève, Port-Bou, Nice mais aussi Bourg Saint Maurice. Vingt ans plus tard, ces liaisons sont reléguées au rang des souvenirs.

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Le déclin s’est accentué dans les années 2000 avec en 2008 la fin du Reims – Nice, en 2009 du Flandres Riviera Lille – Nice. A partir de 2011, avec la réorganisation de l’offre vers le sud-ouest, il ne subsistait plus qu’un seul train de Paris pour Toulouse continuant ensuite vers Tarbes, Pau puis remontant sur Dax avant de rejoindre la côte Basque, avec départ extrêmement hâtif, avant 19h depuis Hendaye et Bayonne pour une arrivée en milieu de matinée à Paris. Même chose d’ailleurs pour le Luxembourg / Strasbourg – Port-Bou / Nice qui imposait un départ à 19h de Nice et à 20h14 de Strasbourg.

En 2014, les Trenhotels entre Paris, Barcelone et Madrid, déjà évoqués, ont disparu sur l’autel de la grande vitesse, alors même que le concessionnaire de la ligne nouvelle Perpignan – Figueras faisait faillite, faute d’un trafic conforme aux prévisions (à peine le tiers des 12 circulations journalières annoncées).

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Les Aubrais - 30 mars 2006 - Ce n'est pourtant pas si lointain mais c'est déjà une autre époque : les Talgo tren-hotel reliant Madrid et Barcelone à Paris. En dépit de l'ouverture de la ligne nouvelle Perpignan - Barcelone, c'est bien l'avion qui reste le moyen de transport dominant entre la France et l'Espagne. © transportrail

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Strasbourg Meinau - 30 janvier 2015 - Les chemins de fer russes relient Moscou à Nice et Paris. Les RZD ont même proposé leurs services à la SNCF pour développer certaines liaisons intérieures, par exemple Paris - Nice, pour compléter leur réseau. Mais la location pendant 2 ans de voitures de première classe pour la liaison Paris - Nice fut le seul partenariat réel. © transportrail

Au service annuel 2015, ne subsistaient que les relations suivantes :

  • Paris – Port-Bou / Latour de Carol quotidien ;
  • Paris – Rodez / Hendaye quotidien ;
  • Paris – Toulouse quotidien ;
  • Paris – Nice / Briançon quotidien ;
  • Paris – Bourg Saint Maurice / Saint Gervais en pointe hebdomadaire en été et quotidien en hiver ;
  • Luxembourg / Strasbourg – Dijon – Nice / Port-Bou en fin de semaine (du vendredi au dimanche).

Tous ces trains étaient exploités par la SNCF, dans le cadre de la convention Etat-SNCF sur les Trains d’Equilibre du Territoire.

La phase 2 de la LGV Est a entrainé le basculement en TGV de la desserte Lorraine – Méditerranée par le prolongement à Luxembourg de 2 TGV Rhin-Rhône. Fin du Lorazur ! L’ouverture de la LGV SEA en 2017 a amplifié le mouvement de contraction avec le sacrifice de la liaison Paris - Hendaye. Entre temps, le Paris - Saint Gervais / Bourg Saint Maurice avait également été supprimée, et la liaison Paris – Nice a suivi fin 2017. Pas de potentiel vers la montagne ni vers la mer, c'est bien connu ! Et pour couronner le tout, la SNCF avait loué durant 2 ans des voitures de première classe aux chemins de fer russes pour expérimenter un nouveau confort, qui aurait pu être pérennisé et amplifié avec un peu plus d'ambition...

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Le déclin a été aussi amplifié par l’amplification des travaux d’infrastructure de nuit et leurs aléas de programmation qui ont passablement malmené la commercialisation de ces trains.

Il faut enfin ajouter la relation Paris – Venise, exploitée par Thello à ses risques et périls, non sans mal, car entre une fréquentation affectée par le contexte terroriste en France, les difficultés de production et la versatilité des sillons, sa circulation relève parfois du miracle.

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Paris gare de Lyon - 27 avril 2012 - Association de Transdev (initialement Veolia) et de Trenitalia, Thello a repris les liaisons nocturnes France - Italie, mais seule la liaison vers Venise a été finalement pérennisée. © transportrail

Les trains de nuit : un déficit insupportable ?

Repartons de ce postulat : si, depuis 2011, la fréquentation a baissé d'environ 25%, c'est d'abord parce qu'il y a moins de trains, car le taux d'occupation des trains subsistants reste de bon niveau : il est même plus élevé que celui des Intercités diurnes et des TGV au point d’afficher régulièrement complet. Même la direction SNCF Intercités le reconnaît : 71% pour les Intercités de nuit, 67% pour les TGV, 42% pour les Intercités de jour et 25% pour les TER selon les données de l’ARAFER pour l’année 2016.

Plus grave, on peut se demander si la SNCF n'a pas volontairement alourdi la barque des trains de nuit en leur faisant supporter des charges extérieures. L'ARAFER a demandé à l'opérateur de revoir ses règles de séparation comptable.

Il en ressort tout de même quelques faits pour le moins révélateurs : alors que deux tiers des relations TGV seraient déficitaires, les trains de nuit affichent un taux de couverture de 75%, supérieur à celui des Intercités de jour, qui oscille autour de 65 à 70% selon les relations.

La SNCF fait aussi grief aux trains de nuit de ne rouler que la nuit : nécessitant mécaniquement deux rames pour un aller-retour, les roulements, selon la SNCF, manquent de productivité par rapport aux rames de jour. Pourtant, Briançon est à 879 km de Paris, soit 3 km de plus que Latour de Carol, Nice est à 1088 km, tandis que la rame Paris – Hendaye, via Toulouse et Dax, frôle les 1100 km. Bref, des prestations finalement honorables, avec des moyennes mensuelles de 25 000 à 30 000 km par mois, totalement comparables à celles de nombre de liaisons diurnes.

La SNCF n’est pas la seule à blâmer car la DB a appliqué à peu près le même raisonnement, mais l’opérateur allemand a fini par admettre, après coup, qu’il avait volontairement noirci le bilan pour précipiter la décision de suppression des City Night Line (promptement récupérés par les ÖBB sous la marque Nightjet).

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Berlin Hauptbahnhof  - 25 septembre 2008 - Arrivée dans la capitale allemande du train de nuit City Night Line en provenance de Zurich. Bien que le trajet soit quasiment terminé (le train fait terminus à la Ostbahnhof), l'agent à quai va donner un petit coup sur le pare-brise de la BR101. © transportrail

En France, une expertise indépendante menée en France en 2015 a démontré que la subvention par voyageur-km sur les trains de nuit était inférieure de 20%à celle des Intercités diurnes et de 40% à celle des TER. Pour autant, l’Etat a entériné de nombreuses suppressions de relations proposées par la SNCF.

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Un déficit certes, mais sans commune mesure avec la situation dans laquelle s'est retrouvée Ouibus, l'activité de services routiers longue distance de la SNCF, qui, avant d'être vendue à Blablacar, réussissait le tour de force de générer autant de pertes que de chiffre d'affaires. Mais on n'a jamais réussi à savoir d'où venaient les recapitalisations régulières pour essayer de colmater en vain le désastre...

A propos des services routiers librement organisés, il est tout de même étonnant de constater qu'ils ont tous promu l'essor de dessertes nocturnes - en places assises puisque les cars couchettes de ligne ne sont pas autorisés en France - mais la SNCF expliquait que le train de nuit n'avait aucun avenir. Etonnant...

Quant au lien entre le développement du TGV et l’absence de pertinence du train de nuit, on notera que pour le service 2019, la SNCF réduit significativement la voilure sur une relation comme Paris – Nice, un an après avoir supprimé le train de nuit : c’est la double peine ferroviaire…

Suite du dossier

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