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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Strasbourg - Lyon : une transversale façon puzzle

De l'art de marier des radiales par quelques barreaux de jonction

La relation Strasbourg – Lyon commence par emprunter les 108 km de la ligne de la plaine d’Alsace, qui joue un rôle transversal au plan national mais surtout un rôle d’épine dorsale régionale, sur un itinéraire ancien mis en service à double voie entre 1841 et 1846 par la compagnie de Strasbourg à Bâle, qui fusionna avec l’Est en 1857. Un siècle plus tard, le parcours était électrifié en 25 kV. La ligne a été dotée entre 2007 et 2009 de 2 sections à 3 voies de part et d’autre de la gare d’Erstein sur 16,6 km pour fluidifier le trafic, notamment du fait du développement du trafic régional omnibus sur cet itinéraire dont la vitesse a été relevée à 200 km/h au début des années 1990, pour devenir ainsi le premier TER200 de France, et de loin le plus dense aujourd’hui avec une fréquence à la demi-heure toute la journée. Avec cette aptitude, le BAL, les IPCS et même ERTMS (niveau 1) en cours d’installation au titre du corridor Anvers – Bâle, il s’agit du maillon classique le mieux équipé et le plus performant de l’axe.

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Rouffach - Juillet 1993 - La transversale Strasbourg - Lyon est assez indissociable de l'image des turbotrains RTG qui l'ont parcouru pendant 22 ans, jusqu'à l'électrification du maillon résiduel entre Franois et Saint Amour. © D. Simon

Ensuite, de Mulhouse à Belfort, la transversale utilise sur 48 km une section de la radiale Paris – Mulhouse, la « ligne 4 » de l’Est, ouverte entre 1856 et 1858. Apte à 140/160 km/h, la caténaire y 25 kV a été installée en 1970 au titre du maillage Dijon - Mulhouse.

Notons au passage que la circulation à droite a été imposée à partir de 1871 sur les sections passant sous administration allemande. Néanmoins, si la gare-frontière était à Montreux-Vieux, c'est à la sortie de Mulhouse, à Zillisheim, qu'a été installé le saut-de-mouton pour limiter les reprises de configuration de gares d'importance. Autre anecdote, c'est suite à la défaite française face à la Prusse que la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques a reporté ses ateliers de Mulhouse à Belfort...

A Belfort, la relation rebrousse (sauf à ne pas desservir la ville par un raccordement direct utilisable par les trains sans arrêt) pour utiliser sur 103 km l’itinéraire Paris – Belfort du PLM, via la vallée du Doubs. Le PLM n'avait pas manifesté un enthousiasme débordant à la demande de l'Etat de prolonger l'antenne Dijon - Besançon dans la vallée du Doubs. Ouverte en 1858, cette ligne a été doublée entre 1876 et 1879, conséquence des acheminements militaires désastreux pendant la guerre franco-prussienne. L’itinéraire est plus sinueux, avec de nombreux tunnels, d’où une vitesse bien plus faible comprise entre 90 et 135 km/h.  Il a également été équipé en 25 kV en 1970.

C’est alors que commencent véritablement les chemins de traverse, mis en service entre 1862 et 1864, d’emblée à double voie. La section de 27 km Franois – Arc et Senans y rejoint la radiale franco-suisse Dijon – Vallorbe, ouverte en 1856, électrifiée dès 1958 et qui conserva ici sa double voie. Ce court tronc commun en alignement de 7 km est circulable à 150 km/h… avant de ralentir pour prendre la bifurcation de Mouchard et emprunter ce maillon de 83 km qu’on appelle « ligne du Revermont », tracé au pied des plateaux jurassiens, traversant notamment des vignobles réputés. La section nord, jusqu'à Lons le Saunier, est plus sinueuse que la section sud qui traverse le nord de la plaine bressane.

La transversale rejoint alors la ligne de la Bresse, un axe de premier plan pour le fret à destination de l’Italie ou en itinéraire alternatif à Dijon - Lyon. Elle a été électrifiée en 1500 V en 1969 pour désaturer dès Dijon les flux fret vers Ambérieu et la Savoie qui empruntaient depuis 1955 la ligne PLM jusqu’à Mâcon avant de bifurquer sur la ligne de la « petite Bresse » vers Bourg.

Néanmoins, c’est bien « la Bresse qui se jette dans le Revermont » puisque la transversale est désignée ligne de Mouchard à Bourg en Bresse… et on peut remettre en cause ce qualificatif, puisque ses points kilométriques ont Paris pour origine (PK 392.292 à Mouchard et PK 505.486 à Bourg). Histoire et géographie du réseau sont parfois en opposition de phase (même si, ici, on est sous courant continu…).

A Bourg en Bresse, deux solutions sont théoriquement possibles mais le tracé le plus court par la ligne des Dombes, non électrifié (mais régulièrement utilisée par les rames tractées thermiques et RTG en détournement ou soulagement pour travaux avant l’électrification du Revermont)  et très pentu aux abords de Lyon, n’est pas l’itinéraire de référence pour le Fret : peut-être par souci gastronomique du PLM (le poulet de Bresse et le vin jaune se mariant bien), la transversale transite par Ambérieu, par les 31 km finaux de la « petite Bresse » venant de Mâcon depuis 1856, électrifiée en 1955. Le trajet se termine sur la ligne Lyon – Genève, ouverte en 1856 et électrifiée dès 1953 (c’est le plus ancien maillon électrique sur Strasbourg – Lyon), au milieu de nombreux trains périurbains (un maillon du RER lyonnais), régionaux, et fret. Cette dernière section de 51 km est, avec Strasbourg – Mulhouse, la plus chargée, et s’avère assez fragile par une alimentation électrique devenue insuffisante et une consommation de capacité importante par la forte hétérogénéité des circulations… le tout sans aucun équipement pour la circulation à contre-sens en cas d’incident ou de travaux. On enregistre ainsi en moyenne 145 trains / jour, 2 sens cumulés entre Strasbourg et Sélestat et 130 entre Lyon et Ambérieu.

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Evolution du temps de parcours : une relation plutôt choyée

Jusqu'en 1900, le trajet de Strabourg à Lyon nécessitait de multiples correspondances, sans compter le passage de la frontière franco-allemande. La première liaison était proposée par la Compagnie Internationale des Wagons-Lits sur le parcours Amsterdam / Berlin - Strasbourg - Lyon - Nice. A partir de 1918, l'Alsace à nouveau française dispose de 3 liaisons vers Lyon, prolongées vers Vintimille, Hendaye et Toulouse avec des trains mixtes en places assises et couchées compte tenu de la durée du trajet.

En 1946, la SNCF introduit un premier aller-retour accéléré par autorail Bugatti ex-PLM en 7h20. C'est quand même 2 heures de moins que les trains tractés, qui doivent composer avec les relais-traction et les rebroussements. Les premières RGP2 arrivent sur l'axe en 1954, tandis qu'une seconde relation est proposée, entre Lyon et Mulhouse. Entre les performances de ce matériel et la remise en état du réseau, le temps de parcours oscille autour de 6h10. Avec les RGP1 introduites à partir de 1965, pouvant atteindre 140 km/h, le meilleur chrono descend à 5h15 : plus de 2 heures gagnées en moins de 20 ans.

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Lyon Perrache - Vers 1970  - Les élégantes rames RGP (ici une RGP2) ont amorcé dès le milieu des années 1950 l'essor d'une liaison qui était jusqu'alors dominée par des trains mi-jour mi-nuit sur de longs parcours entre l'Alsace, la Méditerranée et l'Atlantique. (cliché X)

En parallèle, l’électrification de l’axe Paris – Lyon et le profil en long moyen pour les trains de fret entraîna en 1957 la mise à voie unique de la section Franois – Saint Amour, considérant le gain de capacité procuré par la modernisation de l’axe PLM et les perspectives de concentration du fret de transit via Dijon. Cette section ne sera d’ailleurs électrifiée que 30 ans plus tard…

La révolution de l’arrivée des turbotrains RTG en 1973 a été précédée d’une série d’améliorations de l’infrastructure pour accroître les performances de la relation Strasbourg – Lyon, en particulier entre Franois et Saint Amour. Ainsi, le Block Manuel Sud-Est a été remplacé par du BAPR, dont c’était une des premières applications, dès 1971 entre Franois et Arc et Senans. Des relèvements de vitesse de 105 à 140 km/h avaient été réalisés pour tirer profit de la légèreté et des aptitudes des RTG à circuler plus vite dans les courbes et sur voies d’armement moyen.

Le temps de parcours avait ainsi pu être abaissé en 1974 à 5h05 avec 8 arrêts, tracés à 1 minute seulement (sauf à Mulhouse pour le rebroussement… en 3 minutes, un temps qui ferait rêver aujourd’hui !). Outre ce gain de temps significatif, la desserte comprenait désormais 5 allers-retours de jour. En 1982, l’un d’eux, devant le succès de fréquentation, dut être converti en rame tractée (CC72000 + Corail), et fut prolongé à Nice : ainsi naissait le Rouget de Lisle au temps de parcours de 12 heures dont 5h20 à 5h40 sur le parcours Strasbourg – Lyon. En revanche, même en UM2, les RTG se révélaient de capacité insuffisante pour absorber le trafic des permissionnaires le week-end, aboutissant à des dédoublements de train et des détournements via Dijon compte tenu du débit limité de la ligne du Revermont.

Dans les années 1980, le chrono fut encore amélioré et l’apogée des RTG, après généralisation des turbines Turmo XII, et relèvements de vitesse complémentaires, abaissa le temps de parcours à seulement 4h50 avec 7 arrêts.

Electrification et modernisation

La transversale Strasbourg – Lyon présentait alors la particularité de circuler en traction thermique de bout en bout alors que 77% du parcours s’effectuait sur des lignes électrifiées, L’électrification de Franois – Arc et Senans d’une part et Mouchard – Saint Amour d’autre part a finalement été décidée en 1989, financée à l’époque à 60% par l’Etat et la SNCF avec le concours à 40% de la Région Franche-Comté et des collectivités locales.

L’opération a été couplée à une modernisation de l’infrastructure destinée à améliorer l’exploitation de la voie unique :

  • électrification en 25 kV avec des sous-stations à Byans (section Franois – Arc et Senans) et Passenans (section Mouchard – Saint Amour)
  • remplacement du Block Manuel Sud-Est Mouchard – Saint Amour par du BAPR avec télécommande des gares de croisement depuis Saint Amour ;
  • rectification de tracé sur l’emprise existante pour optimiser les vitesses ;
  • élimination des traverses métalliques subsistant au nord de Lons le Saunier ;
  • évitements accessibles à 60 km/h, portés à 750 m (pour le fret), avec rééquilibrage de leur implantation par des créations à Domblans et Orbagna et la suppression de ceux de Passenans, Beaufort et Cousance ;
  • bifurcation de Franois accessible à 100 km/h au lieu de 90 km/h ;
  • gestion des bifurcations de Franois et Arc et Senans en BAL au lieu de BAPR ;
  • reprise du plan de voies de Lons Le Saunier, avec usage de la voie 1 comme terminus des trains venant de Besançon ;
  • rénovation de 22 ouvrages d’art.

En revanche, la section Franois – Arc et Senans électrifiée est restée à double voie, pour éviter les coûts de reprise de la signalisation, qui auraient probablement consommé les gains procurés par le retrait de la seconde voie sur ce parcours assez court servant de croisement dynamique.

Le bénéfice de l’électrification fut assez limité sur les relations Strasbourg – Lyon, troquant leurs RTG pour des rames Corail réversibles avec BB25200. L’évolution des normes de tracé des trains avec une marge de régularité plus conséquente et des arrêts à 2 voire 3 minutes, entraîna le maintien d’un meilleur chrono autour de 4h55, mais avec la possibilité d’une capacité améliorée lors des pointes : En revanche, pour le Rouget de Lisle, tracé en BB26000, et originellement détendu par rapport aux RTG, le gain atteignait quand même 20 minutes, mais sur un unique aller-retour.

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Lons le Saunier - mai 1996 - Les BB25200 réversibles ont été mobilisées pour couvrir les besoins en matériel électrique sur Strasbourg - Lyon à partir de la rentrée 1995. A l'époque, elles pouvaient avoir en charge des rames atteignant 12 voitures : le service militaire générait d'importants flux en fin de semaine... © transportrail

Les trains régionaux abandonnaient les X2800 et X4630 pour des Z2, en particulier les Besançon – Lons le Saunier : la situation était différente sur les trains Lyon – Lons le Saunier – Besançon, selon qu’ils étaient tracés via Ambérieu ou via la ligne des Dombes, option nécessitant alors l’usage de rames thermiques. D’ailleurs, malgré 2 arrêts supplémentaires, le Besançon – Lyon du matin affichait le meilleur chronomètre en 1996 sur l’étape Lons le Saunier – Lyon en 1h22, grâce à une composition bien motorisée avec 2 X2800 !

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Lons le Saunier - juin 1996 - Les X2800 ont continué leurs prestations après l'électrification de Franois - Saint Amour, notamment sur un aller-retour Lyon - Besançon assurant les échanges de matériel pour la ligne des horlogers. © transportrail

Enfin, la SNCF avait mis en avant la possibilité d’utiliser la ligne du Revermont pour dévier une partie du trafic fret transitant par Perrigny et l’axe PLM, mais l’occurrence réelle fut des plus limitées, dans un contexte de baisse continue du trafic à partir de 2000. Elle avait été initialement imaginée pour des trains de messagerie, mais au prix d’une réduction de tonnage ou l’usage de BB 25500 en UM, compte-tenu du profil en long du pied du Jura (rampes de 15 / 1000 entre  Mouchard et St  Amour).

La desserte en 1996 comprenait toujours 5 allers-retours de jour en base, complétés par des renforts de fin de semaine assez déséquilibrés, du fait notamment du trafic alors significatif des permissionnaires : on comptait ainsi 3 allers Strasbourg – Lyon en renfort le vendredi, contre 2 retours Lyon – Strasbourg dont l’un circulait le dimanche et l’autre le lundi. En outre, il y avait au quotidien un aller-retour de nuit.

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Messia - 21 avril 2009 - Peu après Lons le Saunier, une belle rame de 10 voitures Corail file en direction de Lyon derrière la BB26014, l'une des rares à avoir revêtu la livrée Multiservices, qui se mariait bien avec les voitures rénovées. © T. Girardot

Un sixième aller-retour accéléré à 3 arrêts (Besançon, Mulhouse, Strasbourg) fut instauré dans les années 1990, tracé en 4h37 avec une BB26000. En 2001, il fut transformé en Eurocity, composé de voitures Intercity de la DB, et prolongé de Strasbourg à Francfort. L'année suivante, il fut réorienté en Allemagne vers Stuttgart, et finit par disparaître en décembre 2005.

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Crépieux - Avril 2003 - Venant de quitter Lyon, la BB26150 emmène la rame allemande vers Strasbourg et l'Allemagne. Il s'agissait de la meilleure relation, avec 3 arrêts seulement, et un service bar, fait devenu unique sur les lignes classiques en France. © transportrail

Enfin, en décembre 2004, un aller-retour fut converti au TGV pour restaurer la liaison directe vers la Méditerranée : le Rouget de Lisle avait été en effet supprimé en 2001 à la création de la LGV Méditerranée.

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Près d'Arbois - 12 septembre 2010 - Une rame Sud-Est Rénov1 assure la relation Strasbourg - Marseille via le Revermont : un successeur partiel du Rouget de Lisle Strasbourg - Nice qui avait suscité bien des critiques. (cliché X)

Suite du dossier : Strasbourg - Lyon à grande vitesse

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