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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Ouigo : un succès commercial... mais des zones d'ombre

Un indéniable succès pour le grand public

Ouigo s’est rapidement imposé dans le paysage ferroviaire français avec ses trains adoptant des couleurs nettement plus voyantes et une intense campagne de communication. Lancée le 2 avril 2013, la nouvelle marque de la SNCF adopte les principes commerciaux du low-cost aérien :

  • une rotation maximale d’un parc de matériel roulant dédié et en petit nombre ;
  • une capacité maximale d’emport avec un aménagement « haute densité » à 634 places avec un confort de type régional ;
  • un circuit de vente limité à Internet, ;
  • un prix plancher très attractif mais des options payantes pour les bagages, la prise 220 V ou le Wifi.

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interieur-TGV-Ouigo2

L'aménagement intérieur des rames Ouigo présente 2 configurations : en salle basse, une distribution en 3+1, sans accoudoirs intermédiaires. En salle haute, la distribution est classique en 2+2 avec accoudoirs. Le niveau de confort est donc loin d'être homogène même si toutes les places disposent du même siège type TER. (clichés X)

Au cours de la première année, 2,5 millions de voyageurs ont emprunté Ouigo sur l’axe sud-est. En 5 ans, le cap des 7 millions de voyageurs était franchi, à la fois par le développement géographique du service et l’intensification de l’offre sur les relations. La stratégie de SNCF Voyages était de porter Ouigo à 25% du trafic voyageurs TGV, soit 25 millions de passagers dès 2020. Les premières relations sont devenues bénéficiaires en 2015.

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Les Angles - 10 décembre 2013 - Ouigo, ça se voit et ça tranche radicalement de la livrée sobre - sinon austère - des autres TGV. Autre signe particulier : une prédilection originelle pour l'axe Ile de France - Méditerranée. © R. Lapeyre

Ouigo est à la fois un véritable produit commercial et un laboratoire de recherche sur l’exploitation ferroviaire, notamment fondé sur la productivité maximale du matériel roulant.

Le schéma retenu par la SNCF pour son offre low-cost est donc très largement inspiré du transport aérien, avec des offres tarifaires segmentées par l’horaire, une offre en fonction de l'usage intensif du matériel. Ces choix ne sont pas sans conséquences sur l’équilibre global de l’offre voyageurs longue distance.

Ouigo : entre fragmentation et substitution

A son lancement, Ouigo a bien été l’occasion d’augmenter le nombre de circulations sur le réseau ferroviaire, mais cette démarche a été finalement brève puisqu’en moins de 5 ans, le concept a évolué vers un principe de substitution. Ouigo, visant d’abord la desserte des gares périphériques pour minimiser le niveau des péages, s’est alors attaqué aux TGV Intersecteurs desservant notamment les gares franciliennes. Lyon était desservie par la gare de l’aéroport Saint-Exupéry et Lille par celle de Tourcoing. Cependant, il était difficile de généraliser le principe d’usage de gares périphériques, rarement compatibles avec un arrêt de TGV.

Ouigo a donc rapidement amplifié l’effet de segmentation tarifaire par l’horaire, qui pouvait être acceptable dans une phase expérimentale et sur un nombre limité de circulations.

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Lyon Saint-Exupéry - Crédo initial du produit : la desserte des gares périphériques de l'Ile-de-France mais aussi à Lyon et à Lille, en privilégiant l'aéroport Saint Exupéry et Tourcoing. Depuis, le développement de Ouigo résulte du remplacement de TGV classiques, avec la dessertes des gares centrales parisiennes. © A. Van Herwijnen

Dans un second temps, Ouigo s’est attaqué aux liaisons radiales, depuis les gares centrales parisiennes, notamment à l’est, au sud-est et au sud-ouest, assumant une logique de conversion de circulations existantes au produit low-cost. Un exemple avec Nantes – Paris l’après-midi. Départs des TGV InOui à 14h03, 15h01 puis… 17h06, 17h40, 18h06, 18h40 et 19h06. Dans le trou de milieu d’après-midi, le TGV « classique » qui jadis existait est devenu un Ouigo (départ 15h59 pour Paris-Vaugirard) avec donc des conditions d’accès particulières. Résultat au passage, une sur-sollicitation du TGV de 17h06, qui se répercute sur son tarif !

Sur Paris - Toulouse, on compte 6 allers-retours par TGV dont 2 Ouigo positionnés en 2020 à 8h52 et 12h27, ce qui crée un trou d'offre InOui de 6h47 à 14h04 (quel cadencement !)... dont un trou d'environ 3h30 entre les deux Ouigo consécutifs. En sens inverse, les Ouigo quittent Toulouse à 14h12 et 17h50, ce qui fait qu'aucun InOui n'est proposé entre 11h54 et 18h47 (soit presque 7 heures sans service). Les navettes aériennes sont tranquilles... et on peut comprendre les critiques des toulousains sur leur desserte ferroviaire !

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Entre Sélestat et Colmar - 28 septembre 2018 - Une rame Ouigo en unité simple, cela devient rare. Les extensions du réseau Ouigo sont assez progressives et misent d'abord sur les grandes agglomérations. Néanmoins, des villes moyennes bénéficient ponctuellement d'une offre selon les possibilités du roulement de la rame. La rame 780 assure ici un Paris Est - Colmar. © S. Faivre

Cette segmentation des clientèles par l’horaire présente donc le double inconvénient d’imposer des horaires pas toujours très attractifs à la clientèle de Ouigo (y a-t-il beaucoup de familles avec enfants attirées par un Paris – Marseille vers 6h30 ?) et de faire perdre l’attrait de l’effet fréquence, qui avait réussi à devenir un véritable point fort du TGV. Dans le cas de Paris – Marseille, Ouigo se paie le luxe de dépasser le premier InOui parti plus tôt de la capitale (6h07) mais pénalisé par un sillon fusionné avec une relation Perpignan… au point d’arriver bien après Ouigo…

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Viaduc de Ventebren - 22 avril 2018 - Pour rentabiliser des sillons jugés trop onéreux, Ouigo maximise les circulations de ses rames en UM2. Filant sur la LGV Méditerranée, cette composition franchit l'un des ouvrages remarquables de la ligne, l'un des plus longs viaducs ferroviaires français. (cliché X)

Les passerelles entre InOui et Ouigo sont impossibles, sauf à acquérir un nouveau billet en dernière minute… à condition qu’il en reste. Pour le voyageur Ouigo, le bilan est neutre, voire positif, car il bénéficie au fil du temps de nouveaux choix d’horaires et semble accepter les contingences d’accès au service. Pour le voyageur InOui, il constate simplement l’érosion des fréquences et de moindres possibilités de report. Changer de billet pour prendre un train encadrant est une possibilité qui se réduit au fur et à mesure que les offres sont converties en Ouigo.

Il faut aussi souligner qu'en cannibalisant une bonne partie des liaisons province-province, Ouigo affaiblit la position du train dans la quête d'une meilleure complémentarité avec l'avion. Le débat sur la réduction des courts courriers en trafic intérieur pose la question des pré- et post-acheminements sur les vos longs courriers : non seulement Ouigo a rendu plus confuse la consistance de la desserte, mais les conditions d'accès sont très différentes et le confort très frustre. Pas sûr que Ouigo soit une solution acceptable pour une correspondance sur un grand parcours intercontinental !

Dans un contexte de contraction de l'offre TGV, la segmentation du service en 2 produits distincts n'est pas sans risque sur la lisibilité et l'attractivité du service. Dans un système fermé, peu de risques mais selon l'expression populaire, « ça durera moins longtemps que les contributions ».

Ouigo et l’intensification de la productivité du matériel roulant

L’activité de SNCF Voyages est dotée de rames TGV Duplex composées de motrices Dayse, et de segments voyageurs de première génération (ex-série 200) dont l’aménagement intérieur est complètement revu pour augmenter la capacité et réduire au maximum les coûts. Le bar est supprimé et la configuration monoclasse propose 634 sièges contre 558 dans la version Océane. Le siège est celui déjà présent dans les TER depuis la fin des années 1990, sur les TER2N, TER2Nng et X73500.

Ouigo dispose de 38 rames (760 à 798) roulant en moyenne 13 heures par jour contre 7h30 pour le parc classique. C’est cet objectif qui guide l’organisation du plan de transport, mais, première zone d’ombre au produit, l’intensification de l’usage resserre les pas de maintenance et peut commencer à poser quelques questions de la tenue dans le temps des rames. Dans l’aviation, les flottes sont renouvelées au maximum tous les 10 ans, pour limiter les coûts de maintenance et disposer d’appareils fiables et modernes. Les rames Ouigo n’ont pas été conçues pour un tel usage et on commence à enregistrer des signes de vieillissement prématuré des motrices, y compris sur les blocs moteurs.

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Dans le val clunisien - 23 mars 2013 - Les Ouigo abattent des kilomètres (jusqu'à 80 000 par mois) et cela se ressent sur la propreté extérieure des rames, surtout sur les locomotives... mais aussi sur l'accélération de l'usure du matériel. (cliché X)

Sillons Ouigo : quelques passe-droits ?

Dans le petit cercle ferroviaire français, il commence à être de notoriété publique que Ouigo peut parfois avoir tendance à jouer à « pousse-toi de là que je m’y mette ». Le dogme de la productivité maximale du parc aboutit à des situations tendues lorsqu’il faut arbitrer entre des demandes de sillons incompatibles… y compris au sein des activités TGV.

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Moulins-en-Tonerrois - 16 juillet 2016 - Les liaisons Intersecteurs ont été en partie convertie en Ouigo. Cible privilégiée : la clientèle familiale à destination du parc Disneyland de Marne la Vallée. © N. Hoffmann

Première situation : l’occupation des voies en gare. Pour optimiser ses rotations, Ouigo effectue toutes ses opérations en restant à quai. Théoriquement, SNCF Réseau serait en droit d’appliquer le Document de Référence du Réseau, avec facturation de l’occupation dès la 21ème minute passée à quai. Le Bordeaux – Tourcoing occupe pendant plus de 2 heures une voie longue à Bordeaux Saint-Jean le dimanche en pointe de soirée, dans une gare qu’on dit de capacité tendue.

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Nantes - 24 janvier 2018 - Le développement de Ouigo sur l'arc Atlantique a attendu la mise en service des LGV Bretagne Pays de la Loire et Sud Europe Atlantique, afin de proposer la rotation du matériel la plus intensive. © transportrail

Evidemment, ces « surstationnements » impactent les autres activités, ce qui peut conduire à des conflits de sillons, un décadencement des dessertes (surtout les TER) et une dégradation de la robustesse pourtant clamée dans tous les discours du groupe SNCF.

En ligne, Ouigo toujours à la recherche d’une productivité maximale de son parc, pioche non seulement dans les sillons TGV existants, mais cherche à les adapter à la performance du roulement. Entre Bordeaux et Toulouse, les Ouigo doublonnent avec les Intercités Bordeaux – Marseille circulant quelques minutes derrière, leur captant une partie de la clientèle. Pas très fair-play vis-à-vis d’une activité subventionnée par l’Etat qui est aussi l’actionnaire unique du groupe SNCF…

Ouigo, réponse suffisante face à l’arrivée de nouveaux opérateurs ?

A ses origines, le TGV n’était pas dénué d’une certaine forme d’élitisme, mais les choix politiques ont réorienté le projet vers un train le plus accessible possible au plus grand nombre d'habitants et de territoires. Rappelons qu’en 1981, le voyageur Paris – Lyon s’acquittait du même tarif que par la ligne classique, le prix de la grande vitesse étant limité à la différence de kilomètres parcourus par le tracé plus court de la LN1.

Ouigo semble la réponse principale de la SNCF à la critique sur le prix du TGV, mais avec pour effet collatéral le cloisonnement des offres, la perte de souplesse dans l’usage du train et une tendance au renchérissement des offres InOui, compensée par une politique de produits tarifaires par catégories de voyageurs.

SNCF Mobilités tablait sur une part du low-cost à 25% du trafic TGV en 2020. Cette progression rapide revêt un intérêt stratégique pour l’entreprise qui espère ainsi éviter la dispersion du trafic vers d’autres opérateurs qui observent le réseau ferroviaire français depuis plusieurs années. Or en parallèle, l’offre TGV diminue sous les effets d’une rationalisation de l’exploitation, pilotée par le taux de remplissage des trains dans un contexte d’augmentation de la capacité unitaire des trains par la généralisation des rames Duplex. Ouigo n’y suffira peut-être pas, surtout que les nouveaux compétiteurs sauront peut-être combiner sur le même train une plus grande diversité tarifaire.

Prenons l’exemple de l’Italie. L’arrivée d’Italo avec des rames combinant 3 classes tarifaires a rapidement amené Trenitalia à s’aligner sur ce principe. Résultat, une baisse assez sensible des tarifs, une politique de volume amenant à augmenter l’offre (on peut compter jusqu’à 4 trains par heure, 2 par opérateur entre Milan et Florence par exemple), et surtout la préservation de la flexibilité d’usage du train d’un même opérateur.

La SNCF a lancé en 2021 Ouigo en Espagne, avec des rames Duplex série 800 modifiées, recevant les équipements de signalisation adéquats, d'abord sur la liaison Madrid - Barcelone. L'opérateur a remporté le dernier lot mis en appel d'offres par ADIF, comprenant le moins de sillons. Suite au lancement de Trenitalia en France sur Paris - Lyon, il est probable que la SNCF lance un jour ses Ouigo sur le réseau italien, mais la percée sera probablement plus difficile puisque Trenitalia et Italo occupent bien le marché avec des trains offrant systématiquement toutes les gammes de prix.

Ouigo sur le réseau classique : de l'art d'amortir le matériel ancien

Prenez quelques BB22200 et des voitures Corail plus que quadragénaires, lancez une opération de communication et poser un pelliculage rose fushia sur l'ensemble : vous obtenez Ouigo Classique. En marge des Trains d'Equilibre du Territoire qu'elle assure pour compte de l'Etat, la SNCF avait lancé sous des appellations variées - Eco Téoz, Intercités 100 % Eco - des relations librement organisées à petits prix depuis Paris vers Strasbourg, Lyon, Toulouse et Bordeaux.

La liaison vers l'Alsace a finalement été abandonnée, la Région Grand Est créant une liaison conventionnée de cabotage. En revanche, vers Lyon, le service de la SNCF vient en parallèle des dessertes régionales. La liaison vers Bordeaux n'existe plus, remplacée par une offre vers Nantes, passant soit par Chartres et Le Mans, soit par Les Aubrais et Saint Pierre des Corps. La SNCF expérimente la desserte de certaines gares de la banlieue parisienne (Juvisy, Versailles, Massy-Palaiseau et Villeneuve Saint Georges) pour aller chercher les voyageurs au plus près.

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Amboise - 27 juillet 2022 - Les Ouigo Classique ne passent pas inaperçus, mais au-delà du pelliculage, la SNCF n'a fait que recycler un matériel qui ne lui coûte plus grand-chose : une logique court-termiste, qui peut rencontrer sa clientèle, mais qui participe encore un peu plus à la fragmentation des services ferroviaires. © A. Leroy

Cependant, ces relations ne tiennent que par l'emploi d'un matériel très largement amorti, sur lequel le minimum a été effectué (pas de rénovation intérieure : ambiance 1995 pour les plus anciennes, 2002 pour les plus récentes). Les meilleures choses ayant une fin, il est difficile d'envisager l'avenir de ces trains au-delà de la fin de vie des Corail.

Un regard sociologique sur Ouigo

Ouigo crée une segmentation sociologique dans l'usage du train, qui jusqu'à présent réunissait dans un même convoi des populations de conditions différentes, par la combinaison des deux classes et d'une politique tarifaire diversifiée. Pour employer un terme moderne, le train était un mode de transport assez inclusif, à quelques exceptions (les TEE ou les 9 rames TGV Sud-Est aménagées exclusivement en 1ère classe). Ouigo s'inscrit dans un processus que les économistes qualifient de démoyennisation des produits proposés, voire même des stratégies des grandes enseignes de magasins.

D'une certaine façon, Ouigo a restauré la 3ème classe supprimée en 1956, mais en segmentant par l'horaire les publics, plus encore que les effets du yield management qui génère souvent les prix les plus faibles sur les trains les moins prisés.

Dans le domaine ferroviaire, la démarche de Ouigo a trouvé écho en Espagne, où la RENFE a créé une offre similaire baptisée AVLO. En revanche, les opérateurs italiens (Trenitalia et Italo) ont fait un choix totalement inverse en diversifiant les tarifs au sein d'un même train. Cette orientation préserve l'effet-fréquence qui est un élément majeur de l'attractivité du train. En quelque sorte, la SNCF a fait le choix de raréfier son offre en la fragmentant, et ce pour l'ensemble des publics. C'est regrettable, même si les résultats financiers sont positifs, mais qu'en serait-il avec - pour simplifier - un rétablissement de 3 classes avec, pour une rame Duplex, 5 salles en classe premium, 5 en classe standard et 4 en classe économique ? La nouvelle génération de TGV pourrait se prêter également à cette diversification. Un jour peut-être ?

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