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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Morlaix - Roscoff : comment sauver une ligne en péril ?

Une ligne du plan Freycinet

La construction de l’axe Paris – Brest a évité le littoral de la Manche très escarpé, privilégiant d’autant plus naturellement un tracé à l’intérieur des terres que les principales villes (notamment Saint Brieuc et Guingamp) ne sont pas côtières.

Ainsi, le plan Freycinet de 1879 avait intégré la construction de plusieurs antennes ferroviaires, dont celle de Morlaix à Roscoff. Avant sa construction, des débats avaient eu lieu sur le type d’infrastructures, certains soutenant la voie métrique pour abaisser les coûts de construction. Les partisans de la voie normale mettaient en avant l’absence de transbordement, notamment pour les productions agricoles du Léon. Cet argument semble avoir pesé dans la décision.

Longue de 25,5 km, la ligne Morlaix - Roscoff s’embranche sur l’axe Paris – Brest à 2600 m à l’ouest de la gare de Morlaix. De profil assez sévère, elle comporte des rampes de 20 / 1000, en faisant une ligne au profil assez difficile dans la région.

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La ligne fret la plus rentable de France jusqu’aux années 1980

Mise en service en 1883, la ligne connut rapidement un succès florissant fondé sur l’expédition des fruits et légumes de la « ceinture dorée », profitant de sols fertiles. Le chemin de fer s’est avéré un moteur important de l’économie maraîchère, qui reste importante encore aujourd’hui… mais qui n’a plus de liens avec le chemin de fer. On ne manquera pas de rappeler que des années 1950 au début des années 1980, au plus fort des récoltes, la ligne expédiait, principalement depuis Saint Pol de Léon, pas moins de 100 wagons de primeurs par jour ! Morlaix – Roscoff décrochait alors le titre de ligne la plus rentable de France pour le transport de marchandises !

Aujourd’hui, les productions maraîchères sont expédiées par la route, générant des encombrements et une usure rapide des chaussées, sans compter une augmentation du risque d’accidents. Les voies rapides créées en Bretagne facilitent les déplacements en voiture, même si dans le cas présent, « seulement » 40% du parcours dispose d’une 2 x 2 voies.

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Roscoff - 13 décembre 1998 - Un X2100 breton et sa livrée verte arrive en gare de Roscoff. Un autorail assez bien adapté pour une exploitation économique : il était même prévu que les conducteurs puissent assurer la vente de titres de transport, grâce à une cabine semi-ouverte. Les rigidités internes en ont décidé autrement... © R. Cornu-Emieux.

Au-delà, les nombreux ronds-points entre Saint Pol de Léon et Roscoff constituent autant d’obstacles à l’écoulement du trafic. Difficile aux heures de pointe de relier Morlaix à Roscoff en moins de 45 minutes dans ces conditions, d’autant que les zones commerciales de Saint Pol et Roscoff attirent une chalandise conséquente, avec embarras à la clé.

Voyageurs : sur la pente fatale

Pour les voyageurs, le chemin de fer est en train de disparaître petit à petit du panel des solutions. Avec 2 allers-retours en basse saison et 3 en période estivale, l’offre est d’autant plus faible que positionnée en heures creuses : c’est l’autocar qui assure les services de pointe. Le premier train de la ligne quitte Morlaix à 10h19 et le dernier revient à 17h08. Un montage pour le moins étonnant et d’autant moins attractif que le train se trouve privé de l’avantage de la circulation en site propre aux périodes de pointe… Dans ces conditions, pas moyen de récupérer le moindre flux domicile – travail / études, et mis à part quelques ferrovipathes bien connus, difficile d'aller chercher des touristes plus conventionnels...

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Roscoff - 26 juillet 2016 - Quand le train fait la grasse matinée : le Premier train au départ de Roscoff pour Morlaix est à 11h16. Plusieurs cyclistes empruntent le train pour parcourir la Bretagne en combinant train et voies vertes. © transportrail

Deuxième handicap, les performances. Jusqu’en 2015, il fallait compter 29 minutes pour relier Morlaix à Roscoff avec une vitesse de ligne de 70 km/h. En 2016, le temps de parcours est de 47 minutes du fait d’un ralentissement généralisé à 40 km/h et 30 km/h lors du franchissement du viaduc sur le Penzé, l’ouvrage phare de la ligne (d’autant que c’est le seul !).

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Henvic - Viaduc sur la Penzé - 26 juillet 2016 - Unique ouvrage de la ligne, le viaduc sur l'estuaire de la Penzé est long de 219 m et haut de 40. Construit en 1883 par les Etablissements Fives de Lille, sa rénovation pèse lourd dans le coût de pérennisation de la ligne. Pour l'instant, le CPER ne prévoit aucun crédit pour cette ligne... © transportrail

Il faudrait 40 M€ pour restaurer la ligne et notamment l’important ouvrage sur la Penzé, au sud de Saint-Pol. Une dépense aujourd’hui injustifiable si on se borne à regarder l'intérêt de la ligne au travers de la fréquentation actuelle des trains. Au fait, quel budget annuel pour l’entretien et la rénovation des routes fortement sollicitées par l’important trafic de poids lourds ?

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Roscoff - 26 juillet 2016 - L'autocar assure le service en heure de pointe et ne laisse au train que les heures creuses. La tentation est grande de faire disparaître le service ferroviaire... © transportrail

On peut - on doit ! - sauver Morlaix - Roscoff !

Pourtant, loin des débats ultra-long-termistes type LNOBPL cherchant à gagner quelques minutes à coups de centaines de millions d’euros, la restauration de la ligne Morlaix – Roscoff donnerait l’occasion de démontrer qu’une conception intelligente de la modernisation de l’infrastructure peut ouvrir de nouveaux horizons.

Si l’autorail a pu relier Morlaix à Roscoff en 27 minutes avec une vitesse plafonnant à 70 km/h, une rénovation de la ligne à 90 km/h permettrait à coût supplémentaire nul de passer sous la barre des 25 minutes et d'atteindre un temps de parcours de 22 à 23 minutes. Ce léger relèvement de vitesse est parfaitement envisageable puisque les rayons de courbe de la ligne, s'ils sont serrés, sont compatibles avec de tels taux. Il y a églement moyen de gagner quelques dizaines de secondes sur l'entrée en gare de Roscoff qui s'effectue à 30 km/h, et qui pourrait s'effectuer au moins à 40 voire 60 km/h.

Dans quel but ? Proposer une exploitation économique à raison d’un train par heure et par sens, avec un seul autorail X73500 et des crochets courts à Morlaix et Roscoff. Avec un temps de parcours de 22 à 23 minutes, 7 à 8 minutes de battement seraient offertes à Morlaix et Roscoff, tout en restant sur le principe de la navette avec un seul train en ligne. Les correspondances vers Brest d’une part, vers Saint Brieuc, Rennes et Paris en seraient facilitées.

Insistons : avec les mêmes moyens qu'actuellement, il serait alors possible de passer de 2 à 16 allers-retours par jour. Bref l'archétype de la desserte économique et attractive pour tous les motifs de déplacements !

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Morlaix - 26 juillet 2016 - Correspondance entre un TGV Paris - Brest, assuré par la rame Atlantique n°333 et le TER pour Roscoff sur la voie 3 à la droite de la photo. Il devra tout de même attendre que l'AGC situé derrière lui libère la voie. On notera la nouvelle passerelle en cours de construction. © transportrail

Quel marché pour la ligne ?

Avec une cadence à l’heure, le destin touristique de Morlaix - Roscoff pourrait être affirmé en complément du trafic pendulaire de scolaires et salariés, grâce aux correspondances vers Brest, Rennes et Paris. Le chemin de fer  pourrait donc se positionner comme un élément de découverte du patrimoine du Léon et de la ville de Roscoff. La ville compte 3800 habitants, dispose d’un potentiel touristique avéré attirant une foule assez importante en été, et constitue le point de départ d’excursions vers l’île de Batz : Roscoff et l'île de Batz cumulent 25 000 visiteurs par an en moyenne. L'Office de Tourisme pourrait être un levier de promotion du train, coordonné avec les bateaux pour l'Irlande, le Royaume-Uni et l'île de Batz.

Regardons aussi les comptages routiers : en 2015, on comptait en basse saison 9 000 véhicules / jour et un pic à 13 000 véhicules / jour en été. Autant dire qu'une cadence horaire n'est pas un délire de ferrovipathe lourdement atteint mais une réponse adaptée aux besoins d'un territoire, de sa population et de son économie. On le sait, c'est la permanence de l'offre sur la journée qui fait la notoriété du service et qui contribue donc à remplir les trains d'heure de pointe.

Pour rejoindre les embarcadères maritimes, une navette par minibus ou navette autonome serait adaptée, et il serait même possible de créer une correspondance quai à quai en gare de Roscoff entre le train et ce service de jonction, en profitant des délaissés ferroviaires.

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Kerlaudy - 26 juillet 2016 - Quand le train circule à 40 km/h, il n'est pas difficile de varier les prises de vue. En haut, on aperçoit un petit bout du viaduc sur la Penzé, principal enjeu de la modernisation de la ligne. © transportrail

Bref, la desserte actuelle est positionnée dans des créneaux plutôt touristiques sans qu’aucun profit ne soit tiré de ce marché pour assurer la pérennité de la ligne et lui permette de répondre aux enjeux du quotidien face à des routes déjà bien encombrées… Morlaix – Roscoff sera-t-elle une des prochaines lignes sacrifiées sur l’autel du théorème « pas de trafic, pas de potentiel, pas de budget, pas d’avenir » ?

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Roscoff - 28 août 2016 - Mobilisation "à fer et à flots" pour la ligne Morlaix - Roscoff : imaginer le moyen de faire vivre la ligne en combinant les nécessités du quotidien et les loisirs. © D. Guirec

Quel exploitant ?

Morlaix - Roscoff pourrait faire partie des lignes de Bretagne pour lesquelles l'exploitation pourrait être confiée à un autre opérateur que la SNCF. Il suffit d'aller un peu plus à l'est, sur Guingamp - Paimpol et Guingamp - Carhaix, pour avoir la démonstration que l'alternative est possible avec une réduction potentiellement importante du niveau de la contribution publique par voyageur transporté.

L'affermage à CFTA-Transdev a pris fin en 2018, suite à la réforme ferroviaire. Le nouveau contrat, également avec CFTA-Transdev, maintient le principe d'un opérateur polyvalent, mais toujours dans le cadre d'un contrat avec les entreprises SNCF. La prochaine étape serait une contractualisation directe par la Région. Cependant, en l'état actuel de la réglementation, le maintien d'un opérateur intégré supposerait l'activation de l'article 172 de la LOM avec la demande de transfert de gestion de la ligne par la Région, auprès de l'Etat.

Une PME ferroviaire semble nettement plus à même de dynamiser le trafic d'une ligne régionale et à nouer des partenariats locaux (autocaristes, liaisons maritimes pour l'ile de Batz, offices de tourisme etc...) afin de mettre du monde dans les trains et alimenter son chiffre d'affaires. Vu du groupe SNCF, Morlaix - Roscoff est un axe totalement marginal. Vu d'une PME ferroviaire bretonne, le point de vue serait forcément différent. Alors, chiche d'essayer ?

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