Montreux - Oberland Bernois : les clés du succès
C’est une des vitrines du réseau ferroviaire suisse, par son fameux Golden Pass Panoramic, même si ce n’est pas la plus spectaculaire des lignes de montagne du pays. Reliant les cantons de Vaud, Fribourg et Berne, le MOB traverse des territoires majoritairement ruraux, mais tout en nuance : pas de sommets vertigineux ni de grands glaciers pour les amateurs de sensations fortes. Avec ses paysages contrastés, des bords du Léman au massif alpin, de la ville à la campagne et de contrées reculées en villes luxueuses, entre élevage, fromagerie et gestion forestière, l'homme laisse, à de rares exceptions, une empreinte discrète dans ce paysage de préalpes. De Montreux à Zweisimmen, le Montreux Oberland Bernois est une image d’Epinal de la Suisse à lui seul. C’est aussi un modèle économique atypique, expliquant pour large partie le succès de la compagnie et de sa ligne phare.
Les trains panoramiques du Golden Pass constituent la vitrine du Montreux - Oberland Bernois : un chemin de fer privé atypique dans l'offre de transport ferroviaire suisse. (photothèque Golden Pass)
Economie des loisirs sans oublier le service public
Le MOB puise ses origines dans l’absence de desserte du pays d’Enhaut par le réseau ferroviaire principal. Plutôt que de se limiter à une seule vocation d’irrigation d’un territoire peu densément peuplé et à l’économie encore très rurale, le MOB a d’emblée conçu sa stratégie d’entreprise autour de l’activité touristique alpine, en faisant du chemin de fer l’outil d’accès aux domaines skiables, aux hôtels, restaurants et remontées mécaniques et de liaisons entre ces équipements. Le MOB a ainsi été précurseur d’un modèle économique qui fait le succès des Oteminensu, les compagnies ferroviaires privées de la banlieue de Tokyo, possédant de vastes centres commerciaux, complexes hôteliers et autres parc de loisirs, tous reliés par les lignes suburbaines de la capitale japonaise.
Sur ce graphique, les 7 premières décennies de trafic marchandises et voyageurs du MOB. On note une extême inconstance du transport de marchandises sur la ligne, connaissant deux pics d'utilisation pendant les deux guerres. La croissance du trafic voyageurs a étonnamment explosé à partir de 1940.
S’appuyant sur une forte présence bancaire lors de la première levée de fonds, le MOB eut aussi recours aux capitaux industriels, notamment pour les installations électriques, puis aux crédits des cantons, qui ont financé 95% des travaux de génie civil de la Montbovon – Zweisimmen. Il faut aussi signaler que l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich et l’Ecole d’Ingénieurs de l’Université de Lausanne ont constitué un vivier de spécialistes de la construction ferroviaire pour la conception et la direction de la ligne.
Le site Golden Pass, la marque commerciale du MOB, résume la mission de l'entreprise en quatre points :
- offrir une infrastructure de transport fiable et confortable aux habitants et visiteurs de notre région ;
- promouvoir et préserver les beautés et attractions autour de nos lignes en proposant une mobilité douce, respectueuse de l'environnement ;
- proposer aux touristes, comme aux locaux, une offre large et diversifiée de loisirs en toute saison;
- faire rayonner la tradition d'excellence du tourisme suisse dans le monde entier.
Les Combes - 27 novembre 1994 - Des trains, de la neige et des montagnes : le train au service du tourisme et de la mise en valeur du patrimoine naturel.© A. Knoerr
MOB : la technique au service du tourisme
Longue de 63 km, la ligne à voie métrique quitte donc Montreux, à 395 m d’altitude, pour rejoindre Zweisimmen, à 941 m. Son point culminant est à 1275 m. Rien de bien spectaculaire. En revanche, on compte 18 tunnels (longueur cumulée 5024 m) et 62 ponts et viaducs sur cet itinéraire : une « jolie moyenne » tout de même.
Les 12 km de Montreux à Jor, avec des courbes de 80 m de rayon et des rampes de 73 ‰ étaient un obstacle pour la traction vapeur. Aussi, la ligne fut d’emblée étudiée en traction électrique, avec une tension de 900 V, une première sur une ligne à voie métrique suisse.
Le choix de la voie métrique, de l’absence de crémaillère et de la traction électrique aboutissait cependant à faire du MOB un isolat vis-à-vis des autres compagnies, principalement le Jura-Suisse (intégré en 1912 dans les CFF), les Chemins de fer de la Gruyère (aujourd’hui intégrés aux Transports Publics Fribourgeois) et l’ensemble Erlenbach –Zweisimmen (EZB) et Spiez – Erlenbach (SEB) intégré au BLS.
Mise en service le 18 décembre 1901 entre Montreux et Les Avants, la ligne du MOB fut construite en un peu plus d’une décennie, faisant étape à Montbovon le 1er octobre 1903, à Château d’Oex le 19 août 1904, à Gstaad le 20 décembre suivant et atteignant Zweisimmen le 6 juillet 1905. L’antenne de Lenk im Simmental fut réalisée par la suite, et inaugurée le 8 juin 1912.
Pour répondre aux attentes de la clientèle touristique, le MOB mit en œuvre très rapidement des services particuliers pour attirer cette clientèle, à commencer par l’introduction de la 1ère classe dès 1907. Le MOB misa ensuite sur l’évolution de la technique ferroviaire au travers du matériel roulant pour accélérer les trains et améliorer l’agrément de voyage d’une clientèle assez prestigieuse à destination des stations de ski de Gstaad, Saanen et Château-d’Oex.
Dès 1906, les premiers wagons-restaurants furent intégrés aux compositions de la ligne. En 1931, le MOB créa le premier Golden Mountain Pullmann Express avec 4 voitures salon construites en coopération avec la CIWLT et portant ses couleurs bleu et crème à filet d’or, avec évidemment un service de restauration à bord.
Cependant, le service fut abandonné dès 1933 du fait de la conjoncture économique et les voitures furent acquises par le Chemin de fer Rhétique six ans plus tard. Elles y sont d’ailleurs toujours autorisées pour des trains de luxe.
L’acquisition de ces voitures avait été accompagnée de l’arrivée des deux premières locomotives de la compagnie, de type CC qui purent être utilisées sur les autres trains et en particulier sur les services de marchandises.
Une modernisation ininterrompue
Parallèlement, le MOB profitait des progrès techniques pour augmenter la vitesse, passant de 30 à 55 km/h durant les trois premières décennies. A partir de 1946, le MOB reçut des crédits fédéraux pour moderniser l’infrastructure et renouveler le matériel roulant avec notamment des automotrices légères. La vitesse maximale put être relevée à 75 km/h avec l’arrivée de nouvelles automotrices BDe 4/4 série 3000. De nouveaux financements en 1957 permirent de continuer le processus d’amélioration de la ligne, en particulier l’installation du block automatique entre Montreux et Montbovon et le renforcement de l’alimentation électrique. Parallèlement, arrivaient les 4 automotrices ABDe 4000 articulées et 15 voitures à bogies.
Vers Gruben - 2005 - Une 4000 et deux voitures assurent un train régional, sans voiture panoramique, entre vastes prairies, forêts de conifères et premiers sommets alpins. © Au fil des rails
Le troisième plan de financement, en 1974, fut partagé entre des crédits fédéraux et des fonds propres du MOB pour achever l’automatisation de la signalisation, le renforcement électrique, l’automatisation des passages à niveau et la rénovation des gares. Il entraîna la fermeture de l’antenne de Lenk, en 1975, rouverte après une modernisation complète en 1979.
Chernex - 8 octobre 1978 - Composition type de l'après-guerre, avec deux automotrices BDe 4/4 série 3000 tractant quatre remorques bigarrées.© A. Knoerr
Depuis 2008, de nouveaux crédits sont accordés au MOB pour assurer le renouvellement de la voie mais aussi rénover les gares, y compris leur mise en accessibilité. La gare de Gstaad a été complètement transformée et rationalisée en supprimant des voies de débord devenues sans usage.
1976 : l'apparition des voitures panoramiques (et climatisées !)
Ces nouvelles voitures, destinées à attirer la clientèle touristiques, furent placées de part et d’autre de deux automotrices BDe 4/4 série 3000. Depuis, le MOB n’a cessé d’améliorer, sous diverses appellations, le service touristique en voitures panoramiques accessibles dans les deux classes par l’acquisition de voitures au confort exceptionnel. Cependant, seuls les voyageurs de première classe peuvent accéder aux voitures d’extrémité à la vue imprenable.
Viaduc de Flendruz - Avril 1984 - Panoramique première version avec trois remorques tractées par deux automotrices de la série 3000 redécorées pour l'occasion. © A. Knoerr
Une coopération avec le BLS a été en outre mise en œuvre pour acheminer les voyageurs de Zweisimmen à Interlaken par ce réseau à voie normale, avant d’atteindre Lucerne par la ligne, à voie métrique, du Brünig.
Zweisimmen - 15 avril 2016 - Aperçu des travaux de transformation de la gare en vue de la future exploitation interconnectée avec le réseau du BLS à voie normale grâce au nouveau matériel à écartement variable, avec à droite une Ge 4/4 en tête d'un train pour Montreux. © transportail
Allières - 6 mai 1993 - Panoramique version crystal. Le conducteur dispose d'un pupitre surélevé dans les voitures d'extrémité pour libérer la vue aux touristes. © A. Knoerr
Mais la clientèle touristique génère d'importantes recettes qui permettent au MOB de maintenir la desserte à vocation de service public : en 2015, le MOB a réalisé un bénéfice de 1,2 M CHF en produisant 1,251 millions de km-trains et en transportant 2,95 millions de voyageurs. Le MOB enregistre 2400 voyageurs par jour sur la section Montreux - Les Avants, 1415 jusqu'à Saanen et 1706 au-delà vers Zweisimmen.
Montreux - 15 avril 2016 - Les GTW Stadler première version, type Be 2/6, assurent les services suburbains entre Montreux et Les Avants. © transportail
La ponctualité à 4 minutres est de 98,6%, le nombre de réclamations annuelles plafonne à 13... mais le MOB déplore 0,73% de correspondances non assurées, principalement à Montreux, alors que la limite est fixée à 0,4%.
Le matériel roulant
Avant l'engagement du matériel à écartement variable et la transformation du parc existant, le MOB utilisait pour la ligne de Zweisimmen un parc composé de :
- 4 automotrices ABDe 8/8 série 4000 livrées en 1968, d'une capacité de 90 places dont 22 en 1ère classe ;
- 4 automotrices Be 4/4 série 5000 livrées en 1976-1979 et transformées en 2004-2009 par suppression des postes de conduite pour être intégrées entre deux remorques pilotes panoramiques ;
- 4 automotrices GTW Be 2/6 série 7000, engagées sur les navettes Montreux - Les Avants ;
- 6 locomotives GDe 4/4 livrées en 1983 ;
- 4 locomotives Ge 4/4 livrées en 1995 ;
- une trentaine de voitures hors les 2 voitures CIWL et les 3 voitures Golden Pass Classic ;
- un parc de service comprenant 6 automotrices d'origines diverses, dont 3 ex-MOB.
Les 4000 ont été remplacées en 2016-2017 par 8 nouvelles automotrices baptisées Alpina : 4 Be 4/4 série 9200 et 4 ABe 4/4 série 9300.
Le GoldenPass Express se joue des écartements
Le service annuel 2023 a vu la mise en service des nouvelles rames GoldenPass Express capables d’assurer la liaison Montreux – Interlaken sans correspondance à Zweisimmen.
Ce projet a été envisagé à plusieurs reprises et a été réinitié au début des années 2010. Il a été plusieurs fois remanié compte tenu d'une exploitation à flux tendu de l'ensemble des automotrices et des locomotives de la compagnie, notamment du fait des objectifs assignés en matière de consistance du service.
La desserte comprend 4 allers-retours en 3h15. Le service est assuré avec 4 rames (dont une en réserve) avec 23 voitures dont 5 à accès surbaissés et 8 voitures d’extrémité panoramiques. Ces voitures ont été construites par Stadler et reposent sur des bogies conçus par Alstom. Le coût total de l'opération atteint 76 MCHF.
La composition de base est constituée de 5 voitures (184 places) sur la section du MOB. Une voiture supplémentaire est nécessaire sur la section du BLS pour assurer l’interface avec la Re 465 du fait des différences d’attelages et de tampons entre voie normale et voie métrique.
En gare de Zweisimmen, en 8 minutes, les nouvelles installations procèdent au changement automatique d’écartement des essieux et au rehaussement des caisses puisque les quais sont à 350 mm de hauteur sur le MOB et à 550 mm sur le BLS. Pendant ce temps, les amateurs peuvent assister au ballet des locomotives du MOB (Ge 4/4 série 8000) et du BLS (Re 465). Il n'est pas totalement intuitif : il aurait été logique pour le simplifier de positionner la locomotive MOB côté Montreux et la locomotive BLS côté Interlaken, mais les conditions de traction en rampe sur le MOB ont eu raison de ce schéma, d'où la double manoeuvre des engins moteurs.
Le dispositif de changement d'écartement en gare de Zweisimmen. Le changement de train était très rapide, mais le confort de la liaison directe est évidemment un atout pour capter une clientèle touristique encore plus importante. (cliché MOB)