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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Marseille - Nice : entre vitesse et fréquence

Une liaison peu performante, vulnérable et très décriée

La liaison Marseille – Nice par train est souvent considérée comme un parcours du combattant. En 2018, on compte 8 allers-retours de TER avec un temps de parcours de 2h37 à 2h50 et 5 TGV en 2h37 à 2h41. Thello assure un aller-retour Marseille - Milan en complément. Entre des bassins urbains qui dépassent le million d’habitants, c’est tout de même peu. Le temps de parcours en voiture, dixit viamichelin, est de 2h10, ce qui montre l’ampleur de retard du transport ferroviaire sur cet axe, même si les engorgements routiers sont courants. Sur les rails, la qualité de service est de surcroît loin d’être au rendez-vous, sans compter un climat social ferroviaire passablement fragile, contre lequel, disons-le d’emblée, les milliards d’euros ne feront pas grand-chose.

Ajoutez une faiblesse intrinsèque du réseau ferroviaire avec une seule ligne pour un corridor aussi peuplé que la côte méditerranéenne avec 3 grands bassins de population (Marseille, Toulon et la conurbation azuréenne).

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Anthéor - 22 avril 2016 - Le massif de l'Esterel, la voie nichée entre la mer et la montagne, un paysage exceptionnel et la hardiesse des ingénieurs du PLM : Marseille - Nice est aussi parfois une très belle ligne... mais on a le temps de regarder le paysage ! (cliché X)

La spécificité de l’axe Marseille – Nice réside dans l’étroite imbrication entre une vision nationale, axée sur l’amélioration des temps de parcours, et les problématiques régionales et métropolitaines, pour augmenter la capacité de transport des dessertes périurbaines. Sans oublier un ingrédient qui pimente le tout : le poids de l’histoire de la LGV Méditerranée.

Mais il ne faut pas oublier une autre fragilité : Marseille – Nice, c’est aussi et surtout la seule infrastructure ferroviaire qui arrime la Côte d’Azur au reste de la Région PACA et au reste du réseau national. Avec une croissance de la population de 10% et des déplacements d’environ 15% à horizon 2030, il y a donc vraiment urgence à intervenir puisque les projections évaluent à 60% la part de cette croissance qui pourrait être portée par le rail.

La reconfiguration progressive d'un projet de LGV

La réalisation d’une ligne à grande vitesse vers la Côte d’Azur figurait dans le projet initial de la LGV Méditerranée, mais elle fit les frais de l’augmentation importante du coût du projet et d’une opposition assez franche notamment dans la traversée du Var. Il était alors envisagé de réaliser une branche à partir de la gare nouvelle du plateau des Milles, près d’Aix en Provence, pour rejoindre directement le secteur de Fréjus, en évitant ainsi Marseille et Toulon mais aussi une ligne classique Marseille – Nice très sinueuse et aux performances médiocres.

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Nice Ville - 31 octobre 2012 - A plus de 5 heures de Paris, Nice reste une destination pour laquelle le train est à la peine face à l'avion. Mais au-delà d'une approche très centralisatrice, c'est surtout le réseau de villes en PACA qui est à la quête d'un nouveau souffle ferroviaire. © transportrail

L’inauguration de la LGV Méditerranée en juin 2001 remit en lumière ce maillon Marseille – Nice, objet d’un débat public en 2005, au cours duquel le tracé historiquement étudié fut nettement remis en question par les partisans d’une desserte des agglomérations littorales, en particulier Marseille et Toulon. A l’été 2009, l’Etat tranchait en faveur du tracé dit « des métropoles » dans un équilibre politique encore assez précaire, notamment par la persistance de fortes oppositions locales.

En décembre 2012, le projet PACA a été réorienté en étant moins focalisé sur une ligne à grande vitesse, mais en recherchant un projet plus global d’amélioration des performances et de la capacité en PACA. La LGV des Métropoles avait recueilli l'assentiment des élus locaux qui avaient choisi de ne pas choisir entre les différents scénarios de desserte, avec un tracé plaçant en ligne Marseille, Toulon, Cannes et Nice. C'était aussi le plus cher : 12 MM€.

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Anthéor - 30 mars 2016 - Même site que précédemment mais cette fois-ci pour illustrer le trafic régional, avec cette Z26500 financée par la Principauté de Monaco, assurant une liaison Saint Raphaël - Vintimille. © A. Sosio

Evolution sémantique disent les plus critiques, mais tout du moins amorce d’une inflexion en faveur du maillage du territoire. Qui plus est, la question du financement est devenue plus que jamais centrale et a abouti à un sévère élagage du SNIT par la Commission Mobilités 21, conforté en 2018 par le rapport du Conseil d’Orientations des Infrastructures. Il en est ressorti la nécessité de phaser le projet en le concentrant prioritairement sur les deux sections extrêmes à savoir la traversée de Marseille et Cannes – Nice. Ce point a été acté par l’Etat en juillet 2013.

Le projet de Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur n’est plus une ligne à grande vitesse classique mais une ligne rapide à 250 km/h maximum, mêlant sections nouvelles et aménagements des infrastructures existantes. Il comprend schématiquement 5 tronçons :

  • La traversée de Marseille depuis la LGV Méditerranée jusqu’à la vallée de l’Huveaune par un tracé souterrain comprenant une gare nouvelle sous Marseille Saint Charles ;
  • La section Marseille – Aubagne de la ligne existante mise à 4 voies ;
  • Une section nouvelle d’Aubagne à Toulon Est, intégrant les raccordements à la gare existante de Toulon, l'hypothèse d'une gare nouvelle sur l'évitement de Toulon ayant été finalement abandonnée ;
  • La section Toulon Est – Le Muy sur la ligne classique, aménagée pour augmenter la capacité et relever la vitesse à plus de 160 km/h ;
  • Une section nouvelle du Muy à Nice Saint Augustin, où sera créé une gare multimodale, connectée à l’aéroport et au réseau de tramways niçois, et comprenant initialement une gare nouvelle dans le secteur de Sophia-Antipolis.

Le gain de temps atteignable à l’issue de la réalisation complète de la LNPCA atteint 49 minutes sur une liaison Marseille – Nice.

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Marseille Blancarde - 15 février 2014 - Venant d'emprunter le raccordement des Chartreux, ce TGV Paris - Nice a shunté la gare de Marseille Saint Charles. Cependant, cet itinéraire est assez contraignant à 60 km/h et avec deux cisaillements limitant sa capacité d'utilisation. © transportrail

Le secteur marseillais en priorité 1

L’amorce du nouveau tracé se situerait sur l’axe PLM, après l’arrivée de la LGV Méditerranée sur l’axe historique de sorte à accueillir non seulement les TGV en transit (Intersecteurs, Paris – Nice), qui n’auraient plus à rebrousser dans la gare de surface en impasse, mais aussi les liaisons TER Intervilles qui pourraient être diamétralisées pour favoriser les liaisons entre Avignon, Arles et les villes du littoral azuréen. La mise à 4 voies de la section L’Estaque – Saint Charles serait également bénéfique pour la constitution du RER marseillais qui fait tant défaut.

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Phasage retenu à l'issue des dernières étapes de concertation en 2020-2021.

On notera que le tracé souterrain amène à faire des choix d'utilisation : ne desservant pas La Blancarde, le tracé souterrain a donc plutôt vocation à être utilisé par les liaisons nationales (TGV) et intervilles, avec par exemple la possibilité de diamétraliser les TER pour favoriser des liaisons régionales nord-sud type Avignon - Marseille - Toulon par exemple.

Initialement, le schéma de desserte prévoyait 8 trains régionaux par heure, dont 4 omnibus pour le RER marseillais et 4 semi-directs. Il semblerait que seuls 2 semi-directs puissent être réellement inscrits au programme. Le nombre de TGV resterait fixé à 3 par heure.

Au total, 24 km de voies nouvelles dont 11 en tunnel, pour un coût d’un peu plus de 2 MM€. Sur cette section, le gain serait évidemment important pour les circulations passe-Marseille concernées puisqu’une bonne dizaine de minutes seraient économisées par rapport à la situation actuelle.

Comme évoqué dans notre dossier sur le RER marseillais, il semble difficile d’envisager la circulation de trains périurbains dans cet ouvrage ne permettant pas la desserte de Marseille Blancarde. Le bénéfice de la traversée souterraine serait donc porté à l’actif des liaisons nationales mais aussi de TER Intervilles type Avignon – Marseille – Toulon – Cannes – Nice.

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Marseille Saint Charles - 14 février 2014 - La gare souterraine de Marseille pourrait éventuellement donner l'occasion de diamétraliser les TER de part et d'autre de la gare Saint Charles pour développer les liaisons nord-sud en PACA. © transportrail

La mise à 4 voies dans la vallée de l’Huveaune suscite cependant des critiques, plus encore que la mise à 3 voies réalisées voici quelques années, tant sur le principe que les modalités de mise en œuvre. L’alternative souterraine aurait l’inconvénient non nul de renchérir encore un peu plus un projet déjà onéreux. D'où un phasage... et on sait qu'en France, un phasage, ça peut durer longtemps...

Au regard de la criticité de l’exploitation dans la zone marseillaise, cette section a été classée en priorité 1, et vise officiellement un objectif de mise en service à horizon 2030. Pour autant, les études menées en 2016-2017 par SNCF Réseau ont aussi mis en avant la possibilité d’améliorer l’exploitation de l’ensemble du réseau ferroviaire autour de Marseille par une vaste opération de rationalisation du plan de voies de Marseille Saint Charles pour en améliorer la fiabilité et la performance (entrées à 60 km/h contre 30 km/h actuellement).

Dans les Alpes-Maritimes : errements autour du tronçon Cannes - Nice

Le principe d'une section nouvelle entre Cannes et Nice avait initialement assez rapidement émergé pour augmenter la capacité globale du réseau et créer une nouvelle desserte par le biais d'une gare nouvelle de 24 km dont 19 en tunnel, desservant le technopole de Sophia Antipolis. Le tracé initialement étudié prévoyait d'utiliser la ligne Cannes - Grasse depuis La Bocca, avec une amorce de la ligne nouvelle entre Ranguin et Mouans-Sartoux. Il aurait donc fallu en passer par une troisième phase de travaux (après la réouverture et une première augmentation de capacité) pour mettre entièrement à double voie ce tronçon.

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Tracé envisagé jusqu'en 2019 pour la section nouvelle entre Cannes et Nice. L'option empruntant la ligne Cannes - Grasse s'étant finalement avérée trop contraignante pour cette liaison, elle est désormais abandonnée.

A l'issue des études et de la concertation menée jusqu'en 2021, le projet a évolué, abandonnant - heureusement - le principe d'un tronc commun avec la ligne de Grasse. Quant à la gare de Sophia-Antipolis, sur la commune de Bréguières mais à l'écart du tracé du BHNS entre Antibes et le technopole, sans être mise en sommeil, elle est nettement moins soutenue qu'une gare sur l'axe historique à La Bocca, soutenue par les élus locaux mais qui n'est pas encore formellement actée (ni financée).

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Synthèse des aménagements dans les Alpes-Maritimes. On note l'inflexion du tracé dans l'agglomération cannoise, sans pour autant négliger de nouveaux investissements en gare pour la phase 2.

Le raccordement à la ligne historique est prévue à Saint Laurent du Var, avec un nouvel ouvrage sur le fleuve pour rejoindre la gare de Nice Saint Augustin, pôle d’échanges multimodal à proximité de l’aéroport et desservi par le réseau de tramways niçois.

Cette ligne nouvelle est conçue pour accueillir les dessertes nationales, mais aussi des trains régionaux (2 par heure). La ligne existante pourrait accueillir jusqu'à 9 sillons par heure et par sens entre Cannes et Nice Saint Augustin dont 8 TER, grâce au report sur la ligne nouvelle de la majorité des sillons rapides. Bref, de quoi réaliser le RER azuréen si nécessaire. Il serait cependant possible de maintenir 1 train longue distance par heure sur la ligne classique pour assurer la desserte de Cannes et d’Antibes. En revanche, pour les liaisons régionales Marseille - Nice, l'itinéraire ne semble pas encore tranché et semble tenir au devenir de la gare nouvelle de Sophia Antipolis, face à l'alternative d'une gare nouvelle à La Bocca.

Reste que le coût de 4,2 MM€ pour cette section nouvelle, avec un gain de temps évalué à 4 minutes, par le tracé plus court, plus rapide (220 km/h) reporte la réalisation d'infrastructures nouvelles à un horizon plus lointain.

On notera aussi qu’au regard de ce projet, l’achèvement du projet de troisième voie sur la ligne historique entre Cannes et Nice ne semble plus impératif pour augmenter le débit.

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Villefranche sur Mer - 30 octobre 2012 - La Région PACA a investi assez fortement pour augmenter la capacité du parc TER avec des rames à deux niveaux, ici une TER2Nng quadricaisse, qui ont rapidement été saturées, entre croissance du trafic et exploitation pas toujours au top... © transportrail

L'émergence du besoin d'un RER toulonnais

A l'issue des études et concertations menées jusqu'au début de l'année 2021, la traversée du Var et plus particulièrement de l'agglomération toulonnaise a été remise en priorité 1, avec la perspective d'un futur RER entre Saint Cyr sur mer, Carnoules et Hyères, nécessitant l'aménagement des gares terminus et le remaniement de la bifurcation de La Pauline. La gare passerait à 4 voies avec dénivellation saut-de-mouton pour l'antenne de Hyères qui pourrait être mise à double voie.

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Aubagne - Toulon et Le Muy - Cannes : pour l'instant, des études

La section centrale de LNPCA prévoyait initialement une section nouvelle entre Aubagne et l'agglomération toulonnaise, puis l'aménagement de la ligne existante jusqu'au Muy où débuterait une nouvelle section rejoignant l'agglomération cannoise. Cependant, les oppositions nourries à une nouvelle infrastructure dans la traversée du Var ont abouti par étapes à différer toute décision. Pour l'instant, ce ne sont que des études, pour stabiliser un tracé, sans réalisation avant 2030, qui devrait être en principe le plus rapide, avec une vitesse de l'ordre de 270 km/h pour les sections Aubagne - Toulon et Le Muy - Cannes. Entre Toulon et Le Muy, l'option de relèvement de la vitesse des voies existantes avait été suggérée par la Commission Mobilités 21, SNCF Réseau proposant 2 voies nouvelles parallèles aux existantes, à une vitesse accrue. Manifestement, l'heure du choix n'est pas arrivée.

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Cuers - 27 octobre 2016 - Ce TER Marseille - Nice est emmené par une BB22200 modifiée pour la réversibilité avec les RIO et RRR et se retrouve en tête d'une rame Corail réversible à la place d'une BB22200 dotée des équipements de multiplexage, d'où la présence de la voiture-pilote en tête du convoi. Dans ce secteur du centre-Var, le schéma retenu est la mise à 4 voies de la ligne existante. © L. Hopp

Du fait de l'émergence du RER toulonnais, le besoin de passer à 6 voies la gare centrale de Toulon semble avoir été abandonnée.

Autre question dans le secteur toulonnais : la compatibilité entre ces aménagements et la création d'une station TER à l'est de la ville à Sainte Musse à proximité de l'A57. Situé à mi-chemin entre la gare de Toulon et celle de La Garde, elle pourrait renforcer le rôle du train dans une agglomération toulonnaise qui écarte toujours l'idée d'un tramway. Le projet de BHNS desservirait le site, qui comprend notamment un hôpital et un lycée.

Aller plus loin ?

Des études exploratoires ont été également engagées pour la section de Nice à la frontière franco-italienne. Il est vrai que, côté italien, les travaux d’amélioration de l’axe littoral ont pris quelques longueurs d’avance, avec un tracé très majoritairement souterrain, à 200 km/h, et donc extrêmement gourmand en financement public. Le projet a été surtout porté par le maire de Nice, pour une liaison avec Gênes en 2 heures et avec Milan en 3h30 en capitalisant sur les investissements italiens, avec un gain total de près de 1h30. Dans ces conditions, la capacité de la ligne classique serait dédiée aux omnibus. Néanmoins, cette section ne fait pas partie des dossiers retenus pour les prochaines années… sinon décennies…

L'effet ERTMS

C’est un élément de nature à influer sur le cours de l’histoire du projet LNPCA. Avant 2030, la signalisation actuelle de l’axe Marseille – Nice aura besoin d’être renouvelée. SNCF Réseau a choisi de faire de cet axe le laboratoire de la conversion d’une ligne classique à ERTMS, en retenant le niveau 2 sans signalisation latérale, pour maximiser les bénéfices capacitaires et optimiser le coût de l’opération.

Dans un premier temps, peut-être assez durable, le nœud marseillais ne sera pas équipé, pour étaler l’investissement sur le matériel roulant : la stratégie privilégie manifestement la section Cannes – frontière, là où l’attente en matière d’exploitation est peut-être la plus forte. L'objectif serait un équipement vers 2025 et de porgresser ensuite vers l'ouest pour arriver à Marseille en 2029. Il semble également prévu d'intégrer au périmètre la section Cannes - Grasse, ce qui serait logique, compte tenu de sa faible longueur, de sa totale intégration aujourd'hui dans le schéma de desserte du RER azuréen et de son rôle renforcé avec la section orientale de LNPCA, dont l'accès s'effectuera par cette ligne.

Le calendrier semble cohérent avec celui de RFI, le gestionnaire d'infrastructure italien, qui prévoit l'équipement de la section Vintimille - Gênes à horizon 2030 également... mais avec un investissement clarifié par l'Etat. Côté français, le financement est assuré dans la trajectoire de renouvellement, sans engagement de l'Etat, et la Région PACA a prévu 35 M€ pour équiper 31 rames régionales.

Reste à voir quelle sera la contribution sur la capacité de la ligne : compte tenu des vitesses de fond de la section Cannes – Nice, qui n’excèdent pas 110 km/h, l’hétérogénéité des sillons est moindre que sur des grands axes à 160 km/h et par conséquent, ERTMS pourrait procurer une partie des bénéfices du projet de ligne nouvelle entre Cannes et Nice : reste à savoir dans quelle mesure cette nouvelle situation de référence sur la ligne classique pourrait impacter l'intérêt de la section nouvelle.

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