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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Le tram-train à la française : peu de succès

Peu de disciples français du modèle de Karlsruhe

Lorsque le réseau de Karlsruhe mit en service en 1992 les premières lignes de tram-train circulant à la fois sur le réseau urbain et sur des infrastructures ferroviaires classiques de la DB, en France, on avait soit réalisé des lignes de tramways suburbaines rapides sur une plateforme dédiée, soit recyclé d’anciennes emprises délaissées pour y accueillir des tramways. Mais on était encore dans la phase d’apprentissage de la réintroduction du tramway dans les grandes villes.

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 Bilfingen - 1er novembre 2016 - Karlsruhe a suscité quantité de débats et d'études en France. Mais peu d'applications. D'ailleurs, en Allemagne, le système de transport développé ici est resté une exception... ou presque puisque seules  Kassel et Sarrebrück sont allées jusqu'à une interconnexion entre le réseau urbain et le réseau ferroviaire. © transportrail

Le premier tramway moderne à Nantes a été réalisé en partie sur l’emprise élargie de la ligne Nantes – Châteaubriant, sur la section Hôpital Bellier – Haluchère.  En Île-de-France, la fantomatique ligne Puteaux – Issy Plaine avait été transformée pour créer la ligne T2 exploitée par la RATP. On faisait donc du tram-train sans réellement le savoir, mais les réalisations de Karlsruhe eurent un tel retentissement dans le monde du transport public français que de nombreuses études furent lancées pour imagine son application dans nombre d’agglomérations françaises. TTK, le bureau d’études duquel était né le tram-train de Karlsruhe pouvait se mettre en visibilité au travers d’intéressants scénarios mais parfois un peu trop volontaristes. L’étude du GART Quand le tramway sort de la ville ouvrait également la voie à de nombreuses applications.

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Issy les Moulineaux - 25 novembre 2017 - L'ancienne ligne SNCF entre Puteaux et Issy Plaine proposait un service fantômatique. Le tramway T2 qui lui a succédé en 1997 est une ligne aujourd'hui saturée. La réussite de la RATP avec ce tramway rapide a suscité un sursaut d'orgueil de la SNCF... qui n'a cependant pas su égaler le succès du T2. © transportrail

Cependant, les concrétisations impliquant le réseau ferré national – mettons temporairement à part les tramways urbains rapides sur des emprises reconverties comme le Chemin de fer de l’Est de Lyon – furent nettement plus limitées. Les seuls projets réellement amorcés devaient concerner :

  • Lyon (Ouest Lyonnais) ;
  • Nantes pour la réouverture de la ligne de Châteaubriant, puis la desserte de Clisson par « effet d’aubaine » du fait du retard du projet initial,
  • Mulhouse (ligne de la vallée de la Thur) ;
  • l’Île-de-France (T4, T11 en service en 2018).

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Bondy - 22 septembre 2017 - Avec T4, la SNCF voulait montrer ce qu'elle pouvait faire dans le domaine du transport urbain... mais le succès reste assez limité par une qualité de service moyenne, dues à de fréquentes indisponibilités du matériel, acquis à l'époque au prix fort. Avec la création de la branche Montfermeil, la SNCF va se lancer dans le tramway classique, en voirie. © transportrail

En revanche, les réflexions à Saint-Étienne, Grenoble, Strasbourg et Lille n’ont pas connu de suite. Certains, y compris au sommet de la SNCF, voyaient des trams-trains un peu partout sur le réseau y compris dans de petites villes et même avec des réouvertures de ligne… Mais au-delà d’une petite phrase, peu d’études sérieuses.

A l’exception de Mulhouse, avec un projet urbain d’emblée conçu avec une interconnexion, les projets engagés sous l’étiquette « tram-train » n’étaient en réalité que des exploitations ferroviaires légères sur le réseau national. A Lyon, il ne devait s’agir que d’une première étape avant une interconnexion urbaine qui avorta aussitôt le projet annoncé par la Région et la SNCF, en raison d’un différend politique avec le Grand Lyon et d’une posture de principe : « pas de tramway dans la presqu’île ».

Pourquoi parler de « tram-train à la française » ?

A priori, l’expression est inappropriée car, même dans la sacro-sainte école de Karlsruhe, il y a bien des lignes de tram-train qui ne circulent que sur le réseau national allemand, et, à l’inverse, des lignes ainsi dénommées qui n’y circulent jamais. Bref, sous l’appellation « tram-train », on retrouve à la fois :

  • des tramways rapides sous réglementation urbaine ne pénétrant pas sur un réseau ferroviaire ;
  • des trains légers sous réglementation ferroviaire qui ne pénètrent pas sur un réseau urbain ;
  • des trams-trains interconnectant les deux types de réseau.

Le tram-train, dans sa version interconnectée, c’est la rencontre de deux univers ferroviaires différents :

  • l’urbain, avec une exploitation à vue, une primauté à la sécurité active (notamment la capacité de freinage) et une logique de résultat (Globalement Au Moins Equivalent) plus qu’une approche par des normes,
  • le ferroviaire lourd, avec une exploitation au signal, une primauté à la sécurité passive (résistance du matériel) et surtout une culture du moyen plus que du résultat avec l’arsenal normatif de la SNCF.

A Karlsruhe, la convergence entre l’EBO, en charge des homologations sur le réseau de la DB, et le BoStrab, organisme en charge des réseaux urbains, a permis de mettre en œuvre des modalités d’interconnexion relativement simples, combinant la signalisation ferroviaire et le changement de tension (750 V continu / 15 kV 16 2/3 Hz), mais aussi dans la définition des caractéristiques du matériel roulant (en admettant la meilleure sécurité active, par un freinage plus court compensant le légèreté du matériel) et des contraintes exportées sur l’infrastructure (contre-rails, cœurs d’aiguillages sur les lignes ferroviaires, rail à gorge profonde sur les réseaux urbains par exemple).

En France, il a fallu bousculer les habitudes de la SNCF, mais aussi des organismes en charge de l’homologation : l’EPSF n’existait pas encore, mais le STRMTG, en charge notamment des réseaux urbains, avait déjà plus d’expérience. C’est en particulier à ce moment que la confrontation des deux cultures a produit les spécificités françaises du tram-train dès lors qu’était imaginé la circulation sur le réseau ferré national d’un matériel léger. Les plus optimistes pourront trouver – en cherchant bien - que le tram-train est un peu le lointain descendant de l’A2E imaginé en Bretagne, adapté aux enjeux périurbains, mais avec tout de même un peu plus de succès.

Les variantes françaises

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Le système ferroviaire français a donc développé ses propres versions du tram-train. On retrouve les solutions classiques précitées, mais deux autres catégories sont apparues.

Le quatrième type de tram-train circule sur des lignes qui appartiennent bien au réseau ferré national, mais dont les caractéristiques de l’infrastructure interdisent toute autre circulation ferroviaire, du fait de l’adoption d’un gabarit plus réduit (2,65 m) avec un positionnement adéquat des quais et des divers obstacles. Autre facteur pouvant conduire à intégrer une ligne dans ce quatrième type, le choix d’une signalisation particulière conduisant au même type d’exclusion.

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Villetaneuse - 1er juillet 2017 - Il aura fallu être patient pour emprunter la tangentielle nord : 3 ans de retard et quelques centaines millions de surcoût auto-justifiant le tram-train du fait du phasage... dont on ne connait pas encore l'issue réelle. © E. Fouvreaux

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Châteaubriant - 21 août 2015 - Le tram-train en France est d'abord un TER léger sur une emprise dédiée. La ligne de Châteaubriant a ainsi été équipée pour s'affranchir d'une directive incongrue sur les passages à niveau. Le confort proposé reste tout de même assez frustre. © transportrail

Il résulte aussi des faiblesses ferroviaires françaises (qui ne veut pas contrarier l’avenir – hypothétique – d’une renaissance du fret ferroviaire lourd sur ces axes), de l’absence d’un référentiel simplifié (comme en Allemagne), et du caractère souvent inacceptable d’un déclassement de ligne, même pour la faire renaître ou l’utiliser plus intensivement…

S’y ajoute un épiphénomène aux effets dévastateurs : la directive émise par le gouvernement (plus précisément le Secrétaire d’Etat aux Transports, Dominique Bussereau) en 2008 suite à l’accident d’Allinges, à propos des passages à niveau, devant être supprimés lors d’une réouverture de ligne. Le tram-train est apparu comme un moyen d’éviter l’application de la directive, bien que sa valeur juridique soit des plus limitées.

Emerge un cinquième type, avec une section urbaine et une partie ferroviaire excluant les autres circulations ferroviaires.  On y retrouve pour l’instant Nantes – Châteaubriant, si courte soit la section urbaine (station Haluchère pour l’intersection avec le tramway et s’affranchir des passages à niveau). Ce sera aussi le cas du T13 francilien puisque la tangentielle ouest comportera une section ferroviaire existante à exploitation classique (supervision par le commandement de Saint Lazare, BAL et 25 kV) entre Saint Cyr et l’entrée de Poissy et des sections urbaines aux extrémités (Saint Cyr, Saint Germain en Laye et Poissy)…. Mais seuls des trams-trains pourront circuler sur T13.

Même le cas mulhousien est assez particulier puisque la troisième voie jusqu’à Lutterbach se situe dans le domaine ferroviaire national, mais avec signalisation, réglementation et alimentation 750 V urbaines, avant de rejoindre la ligne de Kruth qui constitue à ce jour le seul cas de ligne à exploitation mixte ferroviaire classique (TER et fret) et tram-train.

Un seul autre cas est en cours de réalisation en Île-de-France avec la ligne T12 Versailles – Massy – Evry : le tram-train circulera en mixité avec le fret (et un TGV) entre Versailles et Epinay-sur-Orge, appartenant donc au troisième type, celui du tram-train « pur ».

Tram-train : quel bilan ?

Il n’est guère flatteur. Si on en juge par le niveau des commandes du marché en cours, le Dualis d’Alstom, 110 rames sont aujourd’hui commandées, en production ou en circulation, sur un marché de 200. S’y ajoutent les 27 Avanto de Siemens fournis pour Mulhouse et le T4 francilien.

Le tram-train français n’a pas véritablement réussi, comme à Karlsruhe, à combiner les avantages des deux « mondes » urbain et ferroviaire. C’est presque l’inverse avec un matériel au confort frustre, de surcroît pour le Dualis pas vraiment adapté à une exploitation urbaine (4 portes pour 42 m contre 5 portes pour 37,5 m sur l’Avanto), et dont la conception a exporté nombre de contraintes sur le réseau ferré national (transportrail y revient dans le dossier consacré à ces matériels). De ce fait, le tram-train à la française est peu adapté à une desserte urbaine : on n’imagine pas le Dualis sur le cœur de réseau strasbourgeois ou sur l’axe stratégique Presqu’île – Part-Dieu à Lyon.

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Lyon Saint Paul - 6 juin 2014 - A peine lancé en février 2001, le projet de tram-train de l'Ouest Lyonnais a été amputé de la partie urbaine pour des raisons avant tout politiques. Résultat, en 2018, le trafic est encore à peine à la moitié de la prévision initiale. © transportrail

Sur le réseau ferroviaire, la légèreté du tram-train, et en particulier la conception du Dualis à plancher bas intégral (dont la justification n’est pas avérée) génère une usure accélérée du rail avec un comportement dynamique médiocre (façon « balle de ping-pong) à 100 km/h, nécessitant un niveau de maintenance renforcé comparable à une ligne parcourue à 220 km/h par des TGV.

La mise au point des projets et leur réalisation ne fut pas non plus sans douleurs. A Nantes, la réouverture de la ligne de Châteaubriant prit un tel retard que les rames, arrivées à l’heure, durent être engagées sur une autre ligne (Nantes – Clisson) afin de ne pas perdre la garantie du constructeur, quitte à engager dans l’urgence et non sans mal des travaux d’adaptation de l’infrastructure pour une ligne conventionnelle et sans que le matériel roulant n’ait été réellement conçu pour (d’où l’affaire des détecteurs de boîtes chaudes avec les moteurs à aimants permanents).

En Île-de-France, la situation en serait presque ubuesque : T4 n’utilise la fonction « train » que pour capter le 25 kV de la caténaire (mutualisée avec l’axe Paris – Strasbourg) et pour accéder au technicentre de Noisy le Sec. Même logique sur T11, la tangentielle nord, où le tram-train dans le système ferroviaire national a lui-même généré des surcoûts conduisant à phaser le projet et donc à justifier le recours à un système hybride toujours dans le seul but d’accéder aux installations de maintenance.  

Le surcoût unitaire d’acquisition des rames du T4, de l’ordre de 2 M€ par rame (soit 30 M€ pour l’ensemble du parc) aurait permis de payer un atelier de maintenance dédié et donc d’envisager une exploitation complètement autonome et donc un scénario type T2, soit avec la RATP soit avec une délégation de service public.  On sait néanmoins que la SNCF voulait montrer qu’elle pouvait aussi faire du transport ferré urbain léger… mais à quel prix et avec quelles complexités avec l’émergence du projet d’antenne urbaine vers Montfermeil et une fiabilité du matériel moyenne amenant à de fréquents allègements du service. L’acquisition des Dualis pour l’exploitation de la branche Montfermeil vient d’ailleurs amplifier ce surcoût, notamment avec la modification de l’infrastructure pour adopter un profil mixte urbain / ferroviaire. A se demander si T4 n’est pas finalement un tram-train du sixième type (mais notre dossier confinerait à la théorie shadok des passoires…)

Quant au T11, au regard des retards et surcoûts vertigineusement accumulés, l’implication du tandem SNCF-RFF aurait pu se limiter au volet foncier pour dégager l’emprise afin d’y établir un tramway urbain rapide.

Fort de cette réputation, le tram-train n’a pas franchement bonne presse et les projets se sont quasiment tous éteints. Hormis en Île-de-France, il n’est plus guère question de nouvelles réalisations.

Dans notre dossier sur les potentialités nantaises, émergent les rares applications qui, finalement, pourraient venir justifier le choix du tram-train sur la ligne de Châteaubriant, avec la réouverture de la ligne de Carquefou, nécessitant de sortir les trams-trains de la gare de Nantes de capacité insuffisante. transportrail a ainsi identifié une piste possible d’insertion urbaine, qui viendrait au passage délester la ligne T1 du tramway… mais avec inéluctablement un tram-train du cinquième type puisque le réseau urbain est au gabarit 2,40 m et qu’on n’ose pas insérer des trams-trains de 84 m (42 m en UM2) sur les voies actuelles utilisées intensivement (une rame toutes les 3 minutes à l’heure de pointe). Ainsi, nous avons suggéré un itinéraire urbain strictement indépendant des infrastructures existantes, formant donc un « second réseau » urbain au gabarit 2,65 m.

Tout au plus, la Région Grand Est envisage l’exploitation de la réouverture Bollwiller – Guebwiller avec un tram-train mulhousien détaché.

A Lyon, si le scénario d’un prolongement en surface du tram-train de l’Ouest Lyonnais a toujours été écarté, l’alternative souterraine amènerait à poser la question de l’utilité d’un matériel hybride sur des voies ferrées dédiées… sauf à imaginer une interconnexion au-delà de la gare de la Part-Dieu avec la ligne T3 et Rhônexpress, qui sont aujourd’hui au gabarit 2,40 m mais éventuellement rectifiables. Dans tous les cas, le Dualis serait-il assez bien configuré pour des flux conséquents avec seulement 4 portes ? Ce n’est pas assuré.

Quant à d’autres cas dans des agglomérations plus modestes, il apparaît que peu de cas d’interconnexions semblent pertinents, alors que les trams-trains du premier type pourraient avoir plus d’avenir. Au Havre, le devenir de la ligne de Rolleville et de celle de Comines dans la métropole lilloise pourrait passer par une reprise en mode urbain intégrée à une extension du tramway. A Aubagne, le projet Val’tram doit s’interconnecter au réseau... ou devait, avant sa mise en sommeil en 2018 sur fond de différends entre élus de la nouvelle métropole marseillaise. A Bordeaux, nous suggérons la valorisation de la ligne de ceinture par l’insertion de deux voies tram dans le cadre de la mise à voie unique de la ligne existante pour former une rocade nord-ouest.

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Montivilliers - 2 mars 2013 - C'est peut-être un bon exemple pour les prochaines évolutions du transport périurbain : la Lézarde Express Régionale pourrait être relativement facilement convertie en tramway urbain rapide, sans interconnexion, pour proposer un meilleur service dans l'agglomération havraise. © transportrail

Il faudra en revanche adopter des matériels roulants plus adaptés à des lignes à caractère suburbain car l’ultradominant Citadis d’Alstom avec ses bogies Arpège n’est pas très à l’aise quand il faut aller vite sur de longues distances. Chez Alstom, le nouveau Citadis à bogies Ixège et la version spécifique révélée en 2018 pour Francfort semblent mieux armés tout en conservant une architecture à plancher bas intégral, mais les autres industriels (CAF, Bombardier, Siemens notamment) ont de solides atouts dans leurs catalogues, ce qui pourrait – peut-être – dynamiser un marché français très centré sur un seul produit…

Notre dossier continue avec les matériels tram-train circulant en France.

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