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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

La longue gestation du RER bruxellois

La redécouverte du rôle du train dans la desserte des grandes métropoles

La saturation des infrastructures routières autour de Bruxelles est un phénomène peu surprenant dans un pays à l'urbanisme assez compact concourant à de fortes interactions entre les bassins urbains. La situation de Bruxelles est assez intéressante car la capitale belge est assez comparable avec les principales métropoles françaises comme Lyon, Marseille, la conurbation nordiste et Toulouse. Le délaissement du trafic local à partir des années 1960 a été très marqué au profit des liaisons Intervilles.

La Région de Bruxelles bénéficie cependant d'une trentaine de gares dont l'utilisation était limitée par l'addition d'une offre faible, d'autant moins attractive que les gares et le matériel roulant présentaient un état peu flatteur, et surtout de l'absence de tarification intégrée avec le réseau urbain de la STIB.

Autre faiblesse, immédiatement perceptible sur le schéma ci-dessous : le réseau ferroviaire comprend 4 itinéraires principaux mais tous orientés nord-sud. Il n'existe aucun axe ferroviaire est-ouest, hormis les lignes 1 et 5 du métro, mais avec un rôle limité à la partie centrale du territoire. Les relations entre l'est et l'ouest impliquent donc l'emprunt des raccordements donnant accès aux infrastructures d'orientation nord-sud. Ce qui augmente leur sollicitation et donc la complexité de l'exploitation d'un RER bruxellois.

RERbruxelles

Principes généraux et problématique capacitaire

Le RER bruxellois repose sur des principes assez communs : d'abord, une redécouverte du potentiel du train sur le créneau des déplacements de petite et moyenne distance... et par conséquent, une capacité insuffisante des infrastructures pour concilier un niveau de desserte au standard de ce qu'on peut qualifier de RER (donc une cadence au moins à la demi-heure et une cible au quart d'heure) et des liaisons Intercity à cadence soutenue, du fait des distances relativement courtes dans ce pays compact.

L'objectif du RER bruxellois est à la fois de favoriser l'usage du train sur les déplacements quotidiens dans un périmètre d'une trentaine de kilomètres autour de Bruxelles, avec un ensemble de 120 gares, allant bien au-delà des gares de la seule Région de Bruxelles, mais aussi d'inciter les bruxellois à l'emprunter pour leurs déplacements au sein de la capitale, afin de jouer la carte de la complémentarité avec le réseau de la STIB, notamment pour soulager certaines sections du métro ou du réseau de tramways.

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Evere - Gare de Bordet - 4 mai 2019 - Aménagements minimalistes en gare, affluence elle aussi réduite : le RER bruxellois est un long serpent de mer, objet de tensions politiques, ce qui n'en facilite pas la crédibilité auprès de la population. © transportrail

L'augmentation de capacité du réseau ferroviaire autour de Bruxelles constitue donc un élément cental du projet, élaboré dès le début des années 1990, afin de dissocier les trains locaux et Intercity. Les principes généraux n'ont été finalement actés qu'en 2003 du fait de la complexité institutionnelle de la Région de Bruxelles :

  • recomposition des dessertes L (local) et P (renfort de pointe) en une seule mission S (suburbain) ;
  • au moins 4 trains par heure et par sens en heure de pointe ;
  • desserte vers les gares de l'axe Bruxelles Nord - Bruxelles Midi ;
  • création de nouveaux points d'arrêt : Germoir, Tour et Taxis, Bruxelles Ouest et Anderlecht ;
  • accès au quartier des institutions européennes ;
  • accès à l'aéroport de Zaventem ;
  • système tarifaire unifié ;
  • aménagement des gares, de l'intermodalité et actions parallèles sur la capacité des réseaux routiers afin de favoriser le report modal.

Le plus difficile n'est pas d'y penser mais de le faire !

La naissance du RER est d'autant plus difficile que l'opérateur SNCB et le gestionnaire d'infrastructures Infrabel ont assez rapidement étalé au grand jour leurs divergences : le premier voulait afficher une première étape au plus tôt alors que le second aurait souhaité un lancement en phase avec la mise en oeuvre des aménagements de l'infrastructure. En outre, Infrabel avait mis en évidence l'incohérence entre les travaux liés au RER bruxellois, la planification des travaux dans les grandes gares et le schéma de déploiement d'ERTMS sur le réseau belge, avec le risque de fausse manoeuvre sur les équipements de signalisation. Sans compter une prise de position politique des élus bruxellois, craignant que le RER ne soit un levier facilitant la fuite des classes moyennes vers la périphérie d'une capitale dont la paupérisation est déjà largement avancée.

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Perspectives pour le RER bruxellois en 2012. Le calendrier a légèrement dérapé... (source Infrabel)

L'opérateur a eu le dessus et une première série de nouveautés sur l'offre sont apparues dès décembre 2015 pour atteindre une cadence à la demi-heure en semaine sur l'ensemble des gares de l'agglomération bruxelloise par un assemblage de dessertes plus ou moins homogènes en attendant l'achèvement des travaux d'infrastructures.

La gare Tour et Taxis, sur l'itinéraire de contournement Ouest de Bruxelles, a été remise en service après rénovation, 21 ans après son abandon, en cohérence avec le plan de reconquête de ce terrain de 37 hectares qui accueillera par exemple le siège de la Région de Flandres. La station Germoir, véritable création, se situe pour sa part au sud-est de Bruxelles, à 500 m de la place Flagey à Ixelles, dans un quartier assez peuplé, à tendance culturelle et nocturne.

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Bruxelles Tour et Taxis - 5 mai 2019 - Récemment rouverte, cette gare porte un nom assez étrange, déformation du nom de la famille Thurn und Taxis d'origine autrichienne, qui contrôla le service belge des Postes dès le 17ème siècle. Les terrains le long du canal de Willebroeck ont accueilli les entrepôts royaux et les installations d'une vaste gare aux marchandises. Ils font l'objet depuis plus de 30 ans d'un vaste projet de transformation d'une trentaine d'hectares. Le RER arrive donc par anticipation. © transportrail

Dans le coeur de l'agglomération, la réalisation du tunnel Schuman - Josaphat, long de 1250 m et mis en service en avril 2016, répond à l'un des objectifs centraux du projet : la desserte des institutions européennes, en eliant la ligne Bruxelles - Namur à la ligne de ceinture. Il est emprunté par les lignes S5 Geraardsbergen – Mechelen et S9 Braine-l'Alleud – Leuven, mais aussi par les Intercity venant de Namur et Chareroi à destination de l'aéroport, qui peuvent ainsi être déviés de la jonction Nord-Midi. La gare Schuman a été complètement remodelée, avec d'importants travaux se déroulant au-dessus des quais de la station de métro afin d'améliorer la correspondance, sans fermeture du métro. Au sud du tunnel, la ligne Bruxelles - Namur a été en partie mise à 4 voies, tout comme les sections Bruxelles - Hall et Bruxelles - Louvain.

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Bruxelles Schuman - 5 mai 2019 - La station de métro a été complètement transformée pour accueillir l'ouvrage ferroviaire qui la traverse, supportant une partie des quais de la partie de la gare située sur le raccordement Josaphat-Schuman. Un bon exemple d'intermodalité... encore un peu rare dans la capitale belge. © transportrail

 

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Bruxelles - Gare Schuman - 5 mai 2019 - Illustration du complexe ferroviaire du quartier des institutions européennes avec l'émergence du tunnel Josaphat-Schuman sur la gauche du cliché : le train qui entre en gare est à destination de Bruxelles Midi via les raccordements de Schaerbeek. Pas forcément l'itinéraire le plus court... © transportrail

Les branches de Nivelles, Ottignies et Danderleeuw sont toujours en travaux, ce qui ne manque pas de renforcer les tensions politiques puisque, lu au travers du filtre institutionnel, ce constat est utilisé par la Région de Flandre pour souligner qu'elle a accompli sa part du projet, alors qu'en Wallonie, les travaux continuent d'accumuler les retards. Le site d'Infrabel détaille l'état d'avancement des réalisations.

Infrabel a néanmoins mis en service en novembre 2018 la mise à 4 voies de la section de 15 km entre Anderlecht et Lombeek – Sainte Catherine, sur laquelle circulent 25 trains par heure de pointe : 10 ans de chantier pour un coût de 540 M€. Le réaménagement de la gare d’Anderlecht n’est cependant pas encore achevé.

En Wallonie, la desserte Bruxelles – Louvain serait cadencée au quart d’heure en 2023-2024 et à la demi-heure en direction de Nivelles. Les travaux de capacité sur cet axe ont débuté en août 2018. Les travaux sur la section Bruxelles – Ottignies ont repris au printemps 2018.

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RER-Bruxelles

Des effets sensibles mais des marges de progression encore conséquentes

Le renforcement des dessertes locales opéré par la SNCB, par étapes dès 2015, a tout de même produit des effets bénéfiques : l'offre a augmenté de 35% entre 2015 et 2018 et la réponse du trafic a été significativement supérieure puisque l'opérateur constate une croissance du trafic de 44%, soit une élasticité remarquable de 1,26. L'effet se ressent aussi mais dans une moindre mesure, le week-end, sur des trajets pus long : entre Nivelles et Bruxelles par exemple, l'offre du samedi a été doublée et le nombre de voyageurs a grimpé de 50%. Cependant, on partait de loin... voire de très loin !

La SNCB met en avant une liaison Bondael - Bordet en 22 minutes à raison de 5 trains par heure, Gare du Midi - Schaerbeek à même fréquence en 14 minutes : sur les 34 gares de la Région de Bruxelles, la moitié dispose d'au moins 3 trains par heure et par sens. Cependant, l'usage du RER en alternative au réseau de la STIB reste marginal, l'axe Nord-Sud fait - un peu - exception. En réalité, le RER profite d'abord aux voyageurs de l'extérieur de Bruxelles pour se diffuser dans l'agglomération par le biais des correspondances avec le métro et les tramways. Prendre le train pour relier les gares du Nord et du Midi n'est pas un réflexe. Le sera-t-il un jour ?

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Etterbeek - 4 mai 2019 - Bien connectée aux tramways, qui s'arrêtent devant le bâtiment voyageurs, la gare d'Etterbeek accueill ici un train pour Ottignies composé de 2 rames Desiro MainLine. © transportrail

En 2019, l'aspect tarifaire, dont on sait l'aspect déterminant, n'a été que partiellement traité avec une option à 5€ par mois pour accéder aux trains dans la Régions de Bruxelles avec un abonnement Mobib. Une formule minimaliste qui est aussi la conséquence du millefeuille administratif bruxellois. Il manque une instance commune, comparable aux communautés tarifaires allemandes ou à Ile de France Mobilités. Le volet intermodal est également en retard, du fait de la faiblesse des moyens consacrés à l'aménagement des gares et à l'organisation des pôles d'échanges et d'une logique privilégiant les opportunités de rabattement en voiture en fonction de la capacité à créer de nouveaux parkings, dont certains ne sont guère utilisés (Louvain la Neuve, 2200 places par exemple).

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Schaerbeek - Gare Meiser - 4 mai 2019 - Imposants ouvrages pour l'insertion de la voie ferrée dans un environnement urbain assez dense autour de la gare Meiser. Cependant, son usage reste encore assez confidentielle, d'autant qu'elle est assez éloignée des stations de tramway du même nom... © transportrail

Matériel roulant : donner une image plus flatteuse du train de proximité

Le RER bruxellois a bénéficié de l'arrivée de 95 automotrices commandées à Siemens, fournissant son Desiro ML (Main Lines) : il s'agit d'un matériel tout ce qu'il y a de plus classique pour du transport régional, avec deux portes par face et un aménagement intérieur privilégiant la capacité assise, donc un matériel pas très adapté aux grands flux de voyageurs. Composées de 3 caisses, d'une longueur totale de 79,9 m, elles sont plutôt bien motorisées avec 2200 kW pour 145 t (soit 15,18 kW / t). Aptes à 160 km/h, elles offrent une capacité assez élevée de 280 places assises. L'accès s'effectue de plain-pied depuis des quais de 760 mm.

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Bruxelles Schuman - 5 mai 2019 - Marquant l'arrêt dans la partie nouvelle de la gare Schuman vers le tunnel Josaphat, cette AM08 donne assurément un coup de jeune au RER bruxellois, mais son aménagement intérieur typé pour le trafic régional en fait un matériel assez peu adapté aux dessertes métropolitaines. Un problème également connu, avec la même plateforme Siemens Desiro, par la S-Bahn de Vienne. © transportrail

Ces rames sont venues remplacer des automotrices quadragénaires pas très performantes et dont les prestations étaient quelque peu datées et dont les opérations de rénovation avaient surtout eu pour objectif d'assurer la jonction temporelle avec l'engagement de ce grand programme d'investissement portant sur 305 automotrices pour l'ensemble du réseau belge.

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Bruxelles Midi - 29 juillet 2012 - Les 388 automotrices des séries AM62 à AM79 à l'allure passablement datée ont joué les prolongations en attendant l'arrivée des Desiro. Un lot de 40 éléments avait été rénové en 2006 sous le label Cityrail pour assurer les trains L et P autour de Bruxelles. Elles ont rété retirées du service en 2014. © transportrail

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Bruxelles Nord - 29 juillet 2012 - D'une capacité limitée à 180 places, avec une disposition à 5 places de front en seconde classe, les automotrices classiques n'offraient pas véritablement des prestations à la hauteur des enjeux de desserte de la Région de Bruxelles. © transportrail

Assurément, pour que le RER bruxellois puisse répondre aux objectifs qui lui sont assignés, il faudra probablement envisager d'autres rames pour assurer ce service, car le manque de portes et d'espace pour la station debout pourrait être un handicap dans le temps.

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