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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

L'itinéraire bis de Paris à Reims (ou ce qu'il en reste...)

Les chemins de fer de l’Est avaient assez rapidement compris la nécessité de délester l’axe principal Paris – Strasbourg par le maillage du réseau. Pour la liaison entre Paris et les Ardennes, il s’agissait aussi de raccourcir la longueur du trajet Paris – Reims en s’affranchissant du passage par Epernay.

Aujourd'hui, l'itinéraire présente une diversité peu commune sur une distance modérée (105 km), avec une première section en grande couronne francilienne, mais à l'exploitation très proche d'un service régional hors Ile-de-France, une section centrale sur laquelle ne circulent plus que quelques épisodiques trains de fret et une antenne à l'étoile périurbaine de Reims. Sans surprise, il s'agit d'une ligne de desserte fine du territoire.

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Crouy-sur-Ourcq - 4 mars 2022 - Tout concourt à croire que nous sommes sur une ligne à l'écart des grands flux urbains... sauf si on regarde de près cet AGC qui arbore le logo de Transilien. A cheval sur l'Ile-de-France, les Hauts-de-France et Grand Est, cette ligne est décidément assez atypique. © transportrail

Un assemblage de lignes

Initialement, une concession était accordée le 10 juin 1857 aux Chemins de fer des Ardennes et de l’Oise pour une ligne de Reims à Soissons, dont le rachat par la Compagnie de l’Est intervenait dès 1859.

Le plan Freycinet de 1879 incluait une jonction entre la ligne de Paris à Strasbourg et celle de Soissons à Givet, au moyen d’une section Trilport – Bazoches via la vallée de l’Ourcq. La déclaration d’utilité publique fut prononcée en deux étapes : le 22 mai 1882 de La Ferté-Milon à Bazoches et le 18 janvier 1883 de Trilport à La Ferté-Milon.

Le 21 novembre 1885, l’exploitation était possible sur une partie de l’itinéraire entre La Ferté-Milon et Oulchy-Brény, avec raccordement à la ligne 1 à Château-Thierry au moyen d’une section ouverte simultanément dans le cadre d’une autre concession. Le 1er juin 1894, les sections Trilport – La Ferté-Milon et Oulchy – Bazoches étaient mises en service, parachevant ce que les Chemins de fer de l’Est allaient dénommer « ligne 2 ». Ce parcours de 106 km entre Trilport et Reims raccourcit la liaison Paris – Reims, en 156 km contre 171 via Epernay.

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Le raccordement à la ligne 1 à l’est de Trilport, dénommé bifurcation de Germigny, donnait lieu à un complexe de grande longueur avec saut-de-mouton et, à l’origine, un triangle complet incluant une bretelle vers Strasbourg.

La ligne connut évidemment de nombreux dommages durant la première guerre mondiale, concernant évidemment d’abord les ouvrages d’art, rapidement reconstruits du fait de son rôle stratégique durant le conflit.

Le 5 mai 1938, la section Soissons – Bazoches perdait son trafic voyageurs : l’accès à la vallée de la Vesle passait donc uniquement par la vallée de l’Ourcq.

La section La Ferté-Milon – Reims perdit ses trains de voyageurs en 1962, dont un Paris - Luxembourg qui rechignait toujours à passer par l'itinéraire plus rapide via Bar-le-Duc et Metz. La parenthèse fut refermée 20 ans plus tard, la ligne faisant partie du lot des réouvertures décidées par le gouvernement Mauroy à l’initiative du ministre des Transports, Charles Fiterman. Cependant, « réouverture » ne veut pas forcément dire « redynamisation » : la desserte demeurait de faible consistance et donc assez peu attractive. On comptait en semaine 9 allers-retours sur la section Meaux – La Ferté-Milon et 6 allers-retours entre La Ferté-Milon et Reims, dont 4 dessertes traversant La Ferté-Milon : il fallait alors 2h30 pour relier Paris Est à Reims moyennant 15 arrêts intermédiaires.

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Trilport - 14 avril 1984 - Une autre époque : certaines lignes aux marges d'Ile-de-France avaient véritablement toutes les caractéristiques d'un service omnibus de province, ici incarné par un X3800 Picasso et une remorque Decauville. Reprise du service... mais selon des usages inchangés ! © Rail4402

La SNCF engagea à partir de 1985 l’automatisation de la signalisation en passant au BAPR afin d’augmenter le trafic, notamment en cas de déviation du trafic Paris – Reims. La modernisation des 4 postes fut achevée en 1995. La section Trilport – La Ferté-Milon connut ensuite un regain d’intérêt lié à la réalisation de la LGV Est, avec la création d’un raccordement pour accéder à la base travaux de Lizy-sur-Ourcq, avec banalisation de la voie 2, motivant le passage en BAL jusqu’à Ocquerre.

Néanmoins, entretenue a minima, la ligne subit de plus de plus les effets du vieillissement avec un phénomène devenant récurrent : la réduction de vitesse en été du fait de la dilatation des rails au-delà des valeurs autorisées.

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La Ferté-Milon - 5 mars 2000 - On ne change pas de couleurs, mais le matériel est un peu plus moderne... mais pas de beaucoup. Seulement 15 ans séparent la sortie de l'X3846 précédemment illusteé de celle de l'X4318 ci-dessus. © Rail4402

Versant francilien : cadencement et élimination du matériel ancien

En 2007, pour éliminer la traction Diesel en gare de Paris-Est, le STIF commanda 24 rames AGC bimodes B82500 pour remplacer les compositions RIB + BB67400 sur les dessertes non électrifiées de Provins et La Ferté-Milon. En décembre 2009, une nouvelle desserte cadencée était instaurée comprenant un train par heure et par sens de Meaux à La Ferté-Milon avec ce nouveau matériel, en correspondance à Meaux sur les trains Paris – Château-Thierry également cadencés à l’heure. Les élus locaux ont alors relayé les demandes de certains usagers pour conserver des services directs pour Paris. Ceux-ci ne pouvant être assurés avec les AGC insuffisamment capacitaires, la SNCF dut maintenir des compositions RIBBB67400 pour 2 allers-retours le matin et autant le soir. Ces trains assurent un renforcement de la cadence à la demi-heure en pointe. Le week-end, la desserte reste cadencée à l’heure, et ne descend aux 2 heures que le dimanche matin du fait d’un trafic très modeste.

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Paris Est - 12 juillet 2007 - RIB et BB 67400 ont assuré des services directs de Paris à La Ferté-Milon jusqu'à épuisement des possibilités de ce matériel souffrant d'une médiocre fiabilité et offrant un confort limité surtout sur un trajet de plus d'une heure. © transportrail

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Trilport - 20 avril 2011 - Entre Meaux et Trilport, les AGC circulent en traction électrique. Durant l'arrêt, le conducteur abaisse le pantographe et poursuit son trajet en traction thermique. © transportrail

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Crouy-sur-Ourcq - 31 août 2010 - Les 5 derniers AGC arrivés en Ile de France arborent une variante de la livrée adoptée pour le Francilien, nettement plus réussie que la première décoration. La capacité de ces rames répond parfaitement aux besoins sur la section Meaux - La Ferté-Milon et a permis une réduction sensible mais pas totale des prestations des BB67400 et des RIB. © transportrail

Versant champenois : une offre modeste et tronquée

Le 3 avril 2016, la desserte ferroviaire entre Fismes et La Ferté-Milon était suspendue en raison de la dégradation de l’état de la voie. Cependant, la ligne a été maintenue par la desserte de marchandises, qui n'est pas mince : outre les trains de sable du site Sifraco d'Oulchy-Brény, en formations de 1000 à 2400 tonnes (tout de même !), l'usine Cogifer de Fère-en-Tardenois est un bon client de la ligne. Ainsi au début des années 2000, elle expédiait 20 000 tonnes de rail et 400 appareils de voie. Inconvénient, un ballet de manoeuvres pour accéder aux embranchements, coûteuses en temps de parcours.

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Fère-en-Tardenois - 18 juin 2020 - Depuis 2016, la double voie entre La Ferté-Milon et Fismes n'accueille plus que quelques trains de fret à vocation locale comme ici ce convoi céréalier tracté par la BB75107 de Lineas. © P. Sambourg

En revanche, elle avait échappé à la vague de simplifications en conservant sa double voie en dépit d'un maigre trafic, par son statut d'itinéraire alternatif sur Paris - Reims. Même reléguée dans la catégorie des capillaires fret, aucune rationalisation n'a été engagée. La raison est ubuesque ou kafkaïenne selon les goûts : les économies de maintenance auraient entraîné une participation de SNCF Réseau à l’investissement, qui préfère donc conserver une infrastructure surdimensionnée pour l’usage.

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La Ferté-Milon - 4 mars 2022 - Les installations de la gare sont surdimensionnées par rapport à la réalité de son trafic. Une seule voie suffit. Les voyageurs doivent quand même emprunter la traversée piétonne des deux voies principales, le terminus étant assuré de façon latérale, au cas où passe un train de fret... © transportrail

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Muizon - 6 juillet 2013 - Sur le versant champenois, cet AGC file en direction de La Ferté-Milon, puisque lorsque ce cliché a été pris, la section centrale était encore ouverte à la circulation des trains de voyageurs. © transportrail

En 2022, la desserte propose en semaine 12 allers-retours principalement concentrés sur la pointe où un cadencement à la demi-heure a été instauré en 2019. En journée, la desserte est faible avec des intervalles de 4 heures : il n’existe en réalité qu’un aller-retour en mi-journée. Le samedi, le service est beaucoup plus léger avec 4 allers-retours. Le dimanche, la desserte ferroviaire n’existe pas : il n’y a que des autocars.

Il existe donc un écart très important entre les deux versants de la ligne, sans compter le trafic épisodique sur la section centrale, dont la probabilité d'une reprise d'activité apparaît très mince pour ne pas dire nulle. La section Reims - Fismes ne pourrait même pas servir à la réactivation de la liaison vers Soissons, qui pourrait être intéressante, mais la ligne est à l'abandon, quand l'emprise existe encore...

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Reims - 26 mars 2016 - Sous la verrière à la charpente en béton de la de Reims, les AGC série 76500 en livrée Champagne-Ardennes pour Laon et La Ferté-Milon, pour quelques jours encore... © transportrail

Electrifier pour simplifier la gare de Meaux

L’électrification de la section Trilport – La Ferté-Milon revêt deux enjeux particuliers : il n’est plus question d’éliminer la traction Diesel, mais d’autoriser le réaménagement de la gare de Meaux pour la rendre accessible : tant que cohabitent des trains à plancher haut (Z2N et Francilien) et à plancher bas (AGC) sur une gare ne comprenant que 2 quais principaux, il n’est pas possible de proposer un accès de plain-pied aux trains.

C’est aussi le moyen de simplifier l’exploitation de la gare de Meaux : actuellement, les AGC arrivant de La Ferté-Milon vont se garer sur une voie de service côté Paris avant de se mettre à quai une fois passé le Paris – Château-Thierry. La voie centrale est quant à elle occupée toutes les 15 minutes en pointe et toutes les 30 minutes en journée par des missions Paris – Meaux semi-directes (desservant toutes les gares de Chelles à Meaux).

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Meaux - 25 mai 2013 - La mission Paris - Meaux omnibus à partir de Chelles utilise la voie centrale pour son terminus. Le prolongement de la moitié de la desserte à La Ferté-Milon simplifierait l'exploitation et unifierait la hauteur des accès du matériel roulant (avec la possibilité de rehausser les deux quais à 92 cm). Seule critique à ce schéma, une surcapacité des trains au-delà de Trilport. Cependant, comme le montre ce cliché, le service est asuré en rame simple en heure creuse, ce qui limite le surcoût d'exploitation. © transportrail

L’objectif de ce projet est donc de prolonger la moitié de ces trains à La Ferté-Milon afin d’assurer le même niveau d’offre qu’aujourd’hui entre Meaux et La Ferté-Milon, uniquement avec des trains directs pour Paris. La perte de temps liée à la desserte de Chelles, Vaires-Torcy, Lagny et Esbly équivaut aux 7 minutes de correspondance actuelles, et peut être aussi compensée à terme par l’accès donné à la ligne 16 du Grand Paris Express.

Enfin, en n’ayant plus que des trains à plancher haut, il sera possible de relever à 920 mm les quais de la gare de Meaux et de la rendre accessible aux voyageurs à mobilité réduite.

Avec cette électrification, les AGC pourront complètement quitter les effectifs de l’Ile de France, l’objectif étant de récupérer quelques rames Francilien pour assurer la desserte, ce qui pourrait être possible même avec un marché désormais clos en engageant quelques éléments destinés à succéder aux Z2N sur les services Paris – Meaux qui continueront d’y faire terminus.

Pour la desserte régionale depuis Reims, tant qu’elle est assurée en antenne jusqu’à Fismes, il serait aisé de la convertir à la traction électrique en se contentant d’une installation de recharge dans cette gare et en utilisant la caténaire existante à Reims. Il faudrait pour cela utiliser du matériel compatible (donc à ce stade plutôt des éléments bimodes dont les parties thermiques seraient remplacées par des batteries). Le schéma serait évidemment différent s’il fallait envisager le rétablissement de la continuité du service, mais il n’est pas à l’ordre du jour.

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