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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Haut Bugey : petite ligne deviendra (presque) grande

Une traversée du Jura d'ouest en est

Ce ne devait pas être une ligne d’intérêt général : la déclaration d’utilité publique de cette ligne le 30 mars 1867 en faisait un chemin de fer d’intérêt local. Elle fut reclassée d’intérêt général en 1870, bien qu’ayant été concédée à la Compagnie des Dombes et du Sud-Est. Ouverte par cette dernière en 1876-1877 de Bourg-en-Bresse à La Cluse, elle fut absorbée par le PLM en 1881, un an avant l’achèvement de la section La Cluse – Bellegarde.

carte-bourg-bellegarde

Ce n’est pas une ligne de montagne, mais le Bugey, versant sud du massif du Jura, est une région escarpée : le profil aligne les rampes de 20 à 28 ‰. Le parcours comprend 2 ouvrages majeurs. Le tunnel de Mornay, initialement long de 2548 m, a été prolongé de 41 m, pour améliorer sa protection contre les éboulements (tête ouest) et on y a construit une station de ventilation (tête est), car étant en rampe de 24 à 27 ‰ sur 1600 m, il était un calvaire pour les équipes sur les locomotives à vapeur (et, dans une moindre mesure, pour les voyageurs). Comme la ligne a été construite à l’économie, il fallut régulièrement engager des travaux de confortement sur les ouvrages et en particulier dans ce tunnel où coulent plusieurs sources.

BOURG BELLEGARDE

CP-gare-bellegarde

CP-gare-bellegarde

Deux cartes postales des installations ferroviaires de Bellegarde sur Valserine : la première donne une vue d'ensemble avec au centre le dépôt et sur la droite les installations de la gare haute d'origine DSE, orientée en direction de Culot. La seconde met en avant le bâtiment voyageurs, qui connut une histoire assez tourmentée. Bellegarde était aussi la tête de ligne du tramway de Chézery, qui disparut en 1937. Cette ligne comprenait plusieurs ouvrages d'art remarquables pour un tramway d'intérêt local.

A la sortie du tunnel, la voie doit franchir l’Ain. Le viaduc de Cize-Bolozon incarne la ligne du Haut Bugey. Long de 272,5 m, la voie ferrée y passe à 54 m au-dessus du cours moyen de la rivière. Saboté par la Résistance en 1944, il s’était presque intégralement effondré : il fut reconstruit en béton armé (avec parements de pierre) entre novembre 1946 et mai 1950.

CP-viaduc-cize1

Incontournable de la ligne, le viaduc de Cize-Bolozon franchit l'Ain avec un ouvrage routier au premier tiers de sa hauteur : sa réalisation fut à l'epoque une prouesse technique, qu'il fallut reproduire après son bombardement en adaptant les techniques de construction.

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Cize-Bolozon - Avril 2004 - Les X2800 étaient les rois de la ligne avec leur puissance élevée pour l'époque : cette composition à 2 autorails et 3 remorques s'inscrit dans ce cadre remarquable. © Y. Séligour

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Ceyzeriat - Août 2003 - L'autre ouvrage connu de la ligne, c'était le pont des Vignerons, disparu avec l'électrification puisque ne dégageant pas le gabarit électrique. Les dernières années d'exploitation des X2800 ont également été prisées des amateurs. © Y. Séligour

La modicité de l’investissement pour construire la ligne se perçoit aussi dans le bâti, ce qui donna lieu à quelques séquences cocasses : le maire de Nantua, alors Ministre des Travaux Publics, avait fait pression sur le PLM pour améliorer l’esthétique de « sa » gare. Un peu plus loin, la déviation en 1932 dans le secteur de Lalleyriat donna à la ligne une gare nouvelle, inspiré des chalets du Bugey, unique sur le parcours.

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Les Neyrolles - 24 mai 1990 - Juste avant l'arrêt de l'exploitation, l'X4208 Livradois-Forez avait parcouru une dernière fois la ligne des Carpates : l'itinéraire était particulièrement prisé des amateurs. La gare des Neyrolles était aussi l'un des points les plus photogéniques avec son bâtiment particulier. © Y. Séligour

N’échappant pas aux restrictions budgétaires, la performance de la ligne avait été réduite dès 1977 avec un ralentissement à 30 km/h sur 6 km dans les tunnels de Mornay et Racouze. Dans les années 1980, les autorails ne circulaient plus qu’à 65 ou 70 km/h, tandis que le trafic marchandises s’étiolait avant d’être supprimé en 1989. La fermeture de la section La Cluse – Bellegarde le 26 mai 1990 cantonnait la ligne à la jonction entre le Haut Jura (Oyonnax, Saint-Claude, Morez…) et la Bresse et au-delà vers Lyon.

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Saint Germain de Joux - 26 mai 1990 - Dernier jour de service commercial entre La Cluse et Bellegarde. C'est à l'X2120 du dépôt de Lyon-Vaise qu'est revenu la mission d'assurer ces ultimes circulations. (cliché X)

La Région Rhône-Alpes décida de financer des travaux de rénovation entre Bourg et Cize-Bolozon pour retrouver une vitesse de 80 à 90 km/h. Dans leur sillage, le raccordement direct de La Cluse permit d’accélérer l’accès à Oyonnax et Saint-Claude.

Le projet « Haut Bugey »

Les premières réflexions sur l’usage de cet itinéraire pour des relations à longue distance remontent à… 1959 quand la SNCF envisagea une liaison Paris – Genève en RGP1 via Bourg-en-Bresse et Bellegarde. En 1971, la même desserte fut étudiée par turbotrain, avant que ne soit envisagée pour la première fois l’électrification de la ligne, en 25 kV, dans la perspective de circulation de TGV, alors même que la construction de la ligne à grande vitesse Paris – Lyon venait tout juste d’être décidée.

Créés dès 1981, les TGV Paris – Genève ont été logiquement tracés via Mâcon, Bourg-en-Bresse, Ambérieu et Culoz, seule option possible à l’époque. Dans la série « on a tout étudié », ont été successivement examinés :

  • un relèvement de vitesse sur la ligne classique, avec ou sans trains pendulaires ;
  • une ligne nouvelle à grande vitesse entre Bourg-en-Bresse et Genève, complétée par un relèvement à 220 km/h de la section Mâcon – Bourg-en-Bresse ;
  • une déviation via la future ligne à grande vitesse Lyon – Turin au moyen d’un barreau rapide entre Aix les Bains, Annecy et Genève.

Le 11 septembre 1997, la convention entre RFF, la SNCF et les CFF définissait les conditions d’amélioration des liaisons Paris – Lausanne et Paris – Genève. Pour cette dernière, devant les coûts colossaux des projets de ligne nouvelle, la ligne des Carpates fit consensus. Les études aboutirent à une enquête publique à l’automne 2003, après la confirmation du financement de la Confédération Helvétique. La déclaration d’utilité publique fut prononcée le 2 février 2005.

Les 29 km entre La Cluse et Bellegarde allaient donc sortir de leur anonymat, et pour une noble cause : améliorer une offre Paris - Genève, mais aussi vers la Haute Savoie. Comme quoi, certaines petites lignes peuvent avoir de grands avantages… même après une désactivation durable, pour peu que la propriété de l’infrastructure ait été conservée. Quoique de profil sévère (le surnom « ligne des Carpates » donné par les vaporistes est une déformation de « casse-pattes »), avec des courbes de faible rayon, il semblait possible de pouvoir gagner 30 minutes sur le trajet Paris – Genève par une modernisation de grande ampleur de l’intégralité des 65 km entre Bourg-en-Bresse et Bellegarde, réduisant de 47 km la distance Paris – Genève, principale liaison France – Suisse.

L’opération « Haut Bugey » a donc complètement modernisé l’axe Bourg – La Cluse, avec un important volet relatif à l’augmentation des vitesses, y compris par des rectifications de tracé de sorte à autoriser 120 km/h de Bourg à Ceyzeriat et autour de Nurieux, 90 à 100 km/h ailleurs et un puits à 80 km/h entre Cize-Bolozon et Nurieux. La partie la plus conséquente du projet se situait évidemment entre La Cluse et Bellegarde, et singulièrement en gare de Bellegarde puisqu’il fallait réorienter la ligne de sorte à procurer un accès direct à Genève. La démolition de l’ancien dépôt a ainsi permis de créer la nouvelle gare, comprenant 2 voies et un quai central, en rampe et au tracé en S, accueillant des trains de 400 m. Les voyageurs transitent par un élégant hall en forme circulaire, au pied duquel est installé la gare routière. Ils rejoignent ensuite les quais de la gare historique, qui subit malheureusement un incendie peu avant la fin des travaux. L’ensemble reste assez fonctionnel et compatible avec des correspondances relativement courtes (10 minutes).

L’orientation vers le Sud de la fin de la ligne à Bellegarde n’était en fait pas une question de besoin commercial… mais d’altitudes : le dénivelé était tel que l’arrivée de la ligne des Carpates constituait une gare haute, avec raccordement à la ligne Lyon – Genève plus au Sud. La situation actuelle est donc un raccordement direct avec une gare en forte pente (25 ‰), situation absolument unique en France : ainsi, la motrice de tête d’un TGV en UM orienté vers Genève (longueur : 400 m) se situe… 10 m plus bas que la motrice de queue. Cette très curieuse configuration, qui a longtemps posé problème en relation avec le changement de tension évoqué plus loin, est matérialisé par des repères d’altitudes visibles tout au long du quai, sur la paroi rocheuse du côté Sud de celui-ci.

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Cize-Bolozon - 8 mai 2016 - La rame 852 Océane est venue de faire prendre en photo sur la ligne du Haut Bugey dont on notera que les poteaux caténaire sont installés du bon côté par rapport au repère des photographes ! © P. Hürzerel

Un projet qui faillit capoter

La Suisse s’était engagée à financer 50% du coût initial du projet, soit 110 des 220 M€ annoncés. Au final, l’opération Haut Bugey a coûté 341,5 M€, soit quand même 55% de plus que l'estimation initiale. Soucieuse de ses intérêts, la Suisse avait plafonné sa contribution, d’autant qu’elle était sans aucune prise technique sur le dossier piloté alors par RFF. Au final, le surcoût a été pris en charge par l’Etat (un peu), RFF (beaucoup), et les collectivités locales françaises.

Le financement a donc été finalement réparti comme suit :

  • France : 127,5 M€
  • Suisse : 110 M€
  • RFF : 79,15 M€
  • SNCF : 6,95 M€
  • Région Rhône-Alpes : 6,93 M€
  • Département de l’Ain : 5,26 M€
  • Département de Haute Savoie 4,3 M€
  • Communauté d’Agglomération de Bellegarde : 960 000 €

D’autre part, certains riverains essayèrent eux aussi de torpiller le projet, par un recours devant le Conseil d’Etat pour faire annuler la DUP, avec l’appui d’une avocate ancienne et ex-ministre de l’Environnement : ils se voyaient déjà avec des TGV à 300 km/h au fond leur jardin… et ne croyaient pas les documents officiels évoquant des vitesses de 90 à 140 km/h, puisque pour eux, un TGV doit aller à pleine vitesse…

Heureusement, l’opération fut maintenue et mise en service à l’horaire 2011, avec un an de retard suite à l’allongement des procédures de travaux à Bellegarde.

Suite du dossier

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