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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Grande vitesse et maillage du territoire français

Vitesse et proximité

Souvent qualifiées de « maillon manquant » ou de « voie du désenclavement », les LGV reproduisent un argumentaire également développé pour les voies rapides routières. Les deux ont pour point commun de focaliser l'attention des élus locaux qui ont su s'approprier le TGV, notamment dans leurs discours électoraux, quitte à aboutir à des solutions pour le moins rocambolesques : souvenons-nous des TGV Atlantique tractés par une locomotive Diesel CC72000 entre Nantes et Les Sables d'Olonne avant que la ligne ne foit électrifiée. Bref, tout un chacun veut son TGV, quitte à ce qu'il ne vienne qu'une seule fois par jour, sans vraiment se soucier de l'utilité et encore moins du financement...

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Gondreville - 18 janvier 2014 - Exemple heureusement qui n'a duré qu'un temps (mais c'est déjà de trop) : la liaison Brive - Lille n'avait pour seul objectif qu'afficher un TGV dans le Limousin. Pour le reste, intérêt ô combien discutable. Le faible trafic en a eu logiquement raison. © transportrail

L’effet des LGV sur la dynamique des territoires a été l’objet de nombreux débats entre universitaires, économistes, dans les ministères, à la DATAR, à la Cour des Comptes et même au sein de la SNCF. Il se dégage tout de même plusieurs points de consensus.

Les effets de la grande vitesse sont assez ambivalents compte tenu de l’impact sur les territoires qui ne sont que traversés. Deux formules volontairement caricaturales pour engager le propos : « pour aller plus vite, il faut d'abord s'arrêter moins souvent » et « on peut perdre du temps à vouloir aller plus vite », illustrant la question de l'équilibre vitesse - maillage du territoire.

La prédominance de Paris confortée

D'abord, la constitution du réseau TGV reproduit les principes de l'étoile de Legrand avec une hypercentralisation autour de Paris, alors que le TGV a été pensé à peu près en même temps que la DATAR développait le concept de métropoles d'équilibre, et mis en service un an avant la première loi de décentralisation. Le TGV a d'abord consolidé la suprématie de Paris plutôt que d'accompagner l'essor des capitales régionales. Certaines villes se retrouvant à environ une heure de Paris ont même été satellisées (Le Mans, Lille, Reims par exemple) : le TGV a ainsi accentué l'effet de vide autour de Paris. Même Lyon subit ce déséquilibre : on enregistre le matin deux fois plus de voyages sur la journée dans le sens Lyon – Paris – Lyon que Paris – Lyon – Paris.

Yves Crozet, directeur du Laboratoire d'Economie des Transports à l'Université Lyon 2, va plus loin dans cette analyse : « il ne faut pas attendre de miracle du TGV sur les territoires » en citant quelques exemples :

  • plus que de la création d'activités nouvelles, on assiste à de la relocalisation d'activités existantes à proximité du TGV : c'est un jeu à somme quasi nulle ;
  • l'agglomération lilloise a gagné de nombreux emplois à l'arrivée du TGV en 1993, mais dans un contexte économique globalement plus favorable : tout en étant la ville d'Europe la mieux desservie en TGV comparée à sa population, elle perd des emplois de façon continue depuis 2008 ;
  • à Nancy et Metz, peu d'effet tangibles ont été constatés par l'arrivée du TGV et la Lorraine a perdu 5% de ses emplois depuis 10 ans, confirmant que la grande vitesse ne peut qu'accompagner une dynamique économique préexistante et non la susciter ;
  • la réduction des temps de parcours avec la capitale peut avoir des effets pervers : un projet de grand hôtel de luxe à Rennes a été abandonné au profit d'un séjour des touristes à Paris et d'un aller-retour dans la journée.

Gares nouvelles et connexion au réseau existant

Ensuite, le gain maximal de vitesse est obtenu en réduisant le nombre d'arrêts intermédiaires. Conséquence, un effet tunnel entre les deux extrémités des infrastructures nouvelles, les territoires « délaissés » devant globalement supporter une régression de la qualité de leurs dessertes que la régionalisation du transport ferroviaire n’a que partiellement - et tardivement - compensé. Cette impression de délaissement des territoires traversés a été renforcée par le choix de ne pas connecter les gares TGV au réseau classique, principe qui n'a que partiellement été corrigé par la suite.

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Avignon TGV - 30 décembre 2013 - Il aura fallu être patient pour que les trains régionaux arrivent jusqu'à la gare nouvelle d'Avignon. Ici, un TER pour Carpentras. Les trains venant de Miramas par Cavaillon et de Valence peuvent être théoriquement mis en connexion avec les offres TGV. © transportrail

Les coûts estimés au travers de la VFCEA pour créer une correspondance au Creusot entre les TGV et le TER de l’axe Dijon – Nevers montrent à quel point l’intégration systématique de connexions intra-ferroviaires est nécessaire dans l’objectif de maîtriser les dépenses publiques dans la durée : ce qui aurait été anodin sur le budget de la LN1 en 1981 est devenu un projet difficilement finançable en 2015… Les leçons n’ont pas été totalement tirées : si SEA ne prévoit aucune gare nouvelle, LNMP envisage deux gares nouvelles au positionnement singulier :

  • une gare à Béziers accessible uniquement par la route alors que la LGV croiserait la ligne classique à 1500 m du site envisagé pour la gare ;
  • une gare à Narbonne au sud de la bifurcation Perpignan / Toulouse, qui imposera aux TGV Lyon – Toulouse ou Bordeaux – Marseille de rebrousser à Narbonne TGV (sauf à envisager de ne pas la desservir), et donc de perdre une grande partie du gain de temps procurée par l’augmentation de vitesse. Consolation, la gare est prévue en correspondance avec la ligne classique…

On notera aussi qu’en 2016, la DUP de GPSO a fait disparaître la connexion de la gare de Mont de Marsan TGV avec la ligne TER Bordeaux – Morcenx – Mont de Marsan qui aurait été prolongée par la réouverture aux voyageurs d’une section de ligne aujourd’hui dédiée au fret.

Le train à grande vitesse au-delà des lignes nouvelles

La relation aux territoires s’exprime aussi par la sélection des destinations au-delà des LGV en fonction des potentiels de trafic les plus conséquents ou des opportunités liées à l’exploitation, notamment par rapport aux stationnements nocturnes, occasion de prolonger des trains de fin de pointe (par exemple un Paris – Nancy à Epinal). De ce point de vue, la capacité du TGV à aller au-delà des lignes nouvelles est un atout majeur par rapport à d'autres systèmes de transport car il peut effacer certaines ruptures de charge. Au-delà de la LN1, le TGV a pu irriguer St Etienne, Grenoble, Chambéry, Annecy, Genève, Valence, Avignon, Marseille, Nice, Nîmes, Montpellier... mais aussi des villes plus modestes comme Bellegarde, Aix les Bains, Montélimar...

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Dane-et-Quatre-Vents - 15 août 2013 - La LGV Est connut ses turpitudes : rappelons qu'il fut envisagé de lui substituer un train pendulaire sur la ligne classique. On évoquera aussi les gares Meuse et Lorraine, isolées du réseau classique. L'interconnexion TGV - réseau classique reste une faiblesse que les nouvelles lignes peinent encore à effacer. © transportrail

Le rapport au territoire peut s'exprimer en chiffres mais à condition de correctement les manier : la Cour des Comptes s’est fourvoyée en comparant les 250 gares desservies en France et en Europe par les TGV avec les 17 gares de la seule ligne du Tokkaïdo Shinkansen entre Tokyo, Nagoya et Osaka, soit l’équivalent de Paris – Bordeaux. Même chose dans sa comparaison entre le nombre d’arrêt TGV et TER entre Rennes et le Finistère en confondant nombre d’arrêt par jour et nombre d’arrêt par sillon…

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Saint Malo - 13 septembre 2020 - La force du TGV, c'est aussi sa compatibilité avec le réseau existant (du moins les lignes électrifiées) pour diffuser les effets de la grande vitesse au-delà des lignes nouvelles. Cela donne lieu à des erreurs d'interprétation malheureusement largement relayées, car pour quelques cas discutables, il serait déplacé de généraliser le raisonnement à toutes les dessertes. © transportrail

La vitesse doit donc être prise en compte non plus de gare à gare, mais de porte à porte. Si la SNCF y voit un moyen de développer son chiffre d’affaires par des activités extra-ferroviaires, elle ne doit pas perdre de vue que la proximité de ses services vis-à-vis des bassins de vie est primordiale. Le caractère excentré des gares nouvelles, pour fait de vitesse, génère des discontinuités de vitesse par les parcours d’approche. L’exemple de Montpellier Odysseum est emblématique avec d’un côté 20 minutes de gain de temps et de l’autre 25 minutes supplémentaires de parcours d’approche de la gare.

Or comment assurer une continuité d'acheminement des voyageurs vers les gares desservies par le TGV alors que le devenir du réseau ferré régional est clairement mis en question par des décennies de sous-investissement et un manque de dynamisme de l'opérateur qui développe une stratégie de contournement en faisant la promotion de l'autocar, du covoiturage ou de l'autopartage.

C’est en région parisienne que le sujet est le plus frappant du fait d’une desserte encore principalement concentrée sur les gares tête de ligne au cœur de Paris, ce qui génère un effondrement important de la vitesse de déplacement de porte à porte, mais aussi un engorgement des réseaux urbains. Cependant, dans le cas francilien, la poursuite de l’interconnexion des LGV pour accroître la desserte de pôles périphériques demeure dépendante d’une évolution favorable du modèle économique des dessertes Intersecteurs, aujourd’hui les plus en proie à la concurrence routière et aérienne.

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