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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

Fret ferroviaire français (1) : du déclin à la libéralisation

Les effets du choc pétrolier… mais pas seulement

Quand on cherche l’origine du déclin du fret ferroviaire en France, le choc pétrolier de 1973 marque assurément le point de rupture puisqu’en 1975, le trafic n’était plus que de 64 milliards de tonnes-km contre 75 un an plus tôt. Ce premier chiffre n’est cependant pas suffisant car à la crise du Moyen Orient s’est ajoutée une crise de la production, notamment dans des secteurs où le transport ferroviaire était dominant, à commencer par l’extraction minière et la sidérurgie.

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Montmélian - 12 avril 1971 - Une autre époque à tous points de vue : locomotives électriques d'origine PLM, électrification par 3ème rail, marchandises remorquées de nature hétéroclite : cela sent le Régime Ordinaire à plein nez ! (cliché X)

Pour limiter les pertes de trafic, la SNCF tentait de développer et d’améliorer ses services car parallèlement, la modernisation du secteur industriel et des processus de production entraînait une évolution des besoins, vers plus de souplesse et de flexibilité. Cependant, ces mesures s’avéraient notablement insuffisante : au cours de la décennie 1970, la part de marche du rail s’effondrait de 25% quand celle de la route progressait de près de 30%.

La réforme permanente, pour quel résultat ?

Les années 1980 devaient être celles de la reconquête, avec l’augmentation des tonnages admissibles (jusqu’à 3600 tonnes sur les trains complets), le relevage de la charge à l’essieu de 20,5 à 22,5 tonnes et l’accélération des trains de ce qu’on appelait à l’époque le Régime Ordinaire, de 90 à 100 km/h : le projet « ETNA » (pour Evolution Technologique pour un Nouvel Acheminement) devait proposer une nouvelle offre commerciale avec des délais d’acheminement compris entre 1 et 6 jours.

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Foix - 6 septembre 1984 - Un classique de la vallée de l'Ariège : le trafic de talc de Luzenac est resté fidèle au chemin de fer. Les BB4100 d'origine Midi remontent la rivière en direction de l'usine. La composition fait appel à 3 locomotives compte tenu de leur pusisance modeste de 1160 kW. © M. Van der Velden

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Viaduc du Rouchat - 14 août 1986 - Du wagon presque isolé... mais 2 BB9400 en livrée Arzens sur la ligne des Causses ! Un trafic qui a été laminé et repris presque intégralement par le transport routier. © M. Van der Velden

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Chagny - 16 juillet 1986 - Les BB9400 et leur modeste puissance de 2210 kW avaient été conçus dans une optique d'allègement qui s'est soldé par une certaine fragilité. Le convoi du régime ordinaire est composé de wagons variés. Les améliorations successives ont permis à ces trains de reouler à 80 puis 90 et même 100 km/h. (cliché X)

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Vigeois - 24 juillet 1986 - La SERNAM, acteur incontournable du fret ferroviaire français de l'après-guerre, vu ici sur l'axe Paris - Toulouse. La ligne du Capitole accueillait un trafic fret assez conséquent, jouant la complémentarité avec la ligne Paris - Bordeaux bien occupée avec les TEE et autres rapides à 200 km/h. Le train est emmené par 2 BB8500, l'une à caisse longue et l'autre à caisse courte, probablement du dépôt de Limoges. (cliché X)

En 1989, la réforme des régimes Ordinaire et Accéléré aboutissait à la naissance de « Fret SNCF ». Sur un nombre de triages réduits, mais désormais polyvalents, la SNCF proposait une nouvelle offre de trains, plus rapides (de 100 à 160 km/h). Cependant, la conjoncture économique devait entraîner une nouvelle contraction de l’offre, avec la perte de 5 des 27 triages et la fermeture de 3000 km de lignes fret. En diminuant encore de 5% les tonnages transportés, la situation du fret devenait déjà critique au point qu’un premier plan de relance était engagé en 1994, se traduisant par un florilège de nouvelles abréviations comme « MARS » (Moyen d’Améliorer la Répartition et le Séjour des Wagons) et « NAW » (Nouvel Acheminement des Wagons).

Créneau porteur, le transport combiné était aussi promis à un bel avenir avec le lancement de Commutor, dont l’expérimentation à Trappes dès 1991 donnait toute satisfaction quant à l’automatisation du transfert des conteneurs, mais une réflexion à l’échelon européen était parallèlement engagé (a-t-elle d’ailleurs cependant abouti ?).

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Loisy sur Marne - 2 août 1991 - Regarder le transport ferroviaire de marchandises dans le rétroviseur, c'est aussi retrouver les anciennes séries de locomotives de la SNCF : la BB12021 circule ici sur l'axe Paris - Strasbourg. Livrées à partir de 1954 dans le cadre de l'électrification en 25 kV de l'axe Valenciennes - Thionville, elles étaient surnommées crocodiles, mais sans avoir les mêmes caractéristiques que leurs cousines suisses. (cliché X)

Les tonnages transportés bénéficiaient d’un légerregain au milieu des années 1990, mais loin de renouer avec les résultats du début des années 1980 : le tonnage transporté a quasiment diminué de moitié, mais les 55 milliards de tonnes-kilomètres de 1998 sont encore loin des 75 milliards réalisés 25 ans plus tôt. Faut-il préciser que les parts de marché perdues par le rail ont été intégralement récupérées par la route ?

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Viviers - 17 juillet 1985 - Impossible d'aborder le fret dans les années 1980 sans faire un tour sur la rive droite du Rhône et de l'illustrer avec les BB8100. Ces locomotives trappues développant 2120 kW ont inlassablement écrémé nombre de trains durant plus d'un demi-siècle sur tout le domaine Sud-Est électrifié en 1500 V. A l'époque, la rive droite accueillant une centaine de trains par jour : 5 fois plus qu'aujourd'hui ! © M. Van der Velden

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Villefort - 28 août 1998 - Les marchandises n'étaient pas l'apanage des grands axes : la ligne des Cévennes et le train de pâte à papier entre Langeac et Tarascon animait cet itinéraire de haute valeur touristique, avec ici 2 BB67400. © Ch. Wenger

Les voeux pieux de l’Etat

L’Etat réagit et fixe comme objectif de 100 milliards de tonnes-km en 2010, soit un doublement de la part de marché du rail en 10 ans. Pour moderniser la production, il autorise la SNCF à passer commande de plus de 400 locomotives : les BB27000 acquises auprès d’Alstom, les BB75000 auprès d’Alstom et Siemens et les BB60000 auprès de Vossloh. Parallèlement, la SNCF rationalise son parc en réformant parfois prématurément des séries disposant encore d’un potentiel élevé et d’aptitudes au fret lourd (comme les CC6500). 

En outre, le plan Fret concerne aussi l’infrastructure avec l’augmentation de la capacité, tant par l’amélioration des performances de la traction, la mise en qualité des sillons et une révision du positionnement des intervalles de maintenance. Le besoin d’une nouvelle politique fret est aussi à l’origine de certains projets tels les contournements ferroviaires de Lyon, Nîmes et Montpellier, la 3ème voie au sud de Strasbourg.

On se souvient aussi de la volonté affichée de l’ancien Ministre des transports de faire de la ligne des Causses un axe stratégique pour le fret, mais toutefois limité à 62 sillons par jour, à condition de créer 5 croisements et de se munir d’une centaine de locomotives pour des trains au mieux de 1100 tonnes… à couper en deux trains sur le viaduc de Garabit au tonnage contraint. L’idée tourna – évidemment – court !

La décennie 2000 devait être celle du renouveau : elle sera celle du plongeon, malgré les 700 M€ versés par l’Etat, âprement négociés avec la Commission Européenne : le « plan Fret » n’est pas parvenu à stopper le déficit en deux ans comme annoncé, malgré un élagage sévère des trafics par élimination des contrats les moins rentables. La SNCF donnait l’impression aux entreprises de les inciter à aller vers la route, ce qu’elles ne manquaient pas de faire compte tenu de prestations ferroviaires de plus en plus en décalage par rapport aux attentes des entreprises, recherchant rapidité, souplesse, mais surtout une offre fiable et économiquement pertinente.

Surtout, cette première moitié des années 2000 mettait en évidence une situation très difficile pour l’économie française, confirmant plus que jamais l’existence de la « banane bleue » des cours de géographie : la dorsale industrielle de l’Europe se déplaçait vers l’est, et son axe majeur d’Anvers à Gênes passait à l’écart de la France.

 Suite : le déclin malgré la libéralisation

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