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transportrail - Le webmagazine des idées ferroviaires

ERTMS : économie et déploiement

ERTMS et enjeux économiques

L’Union Européenne a défini un réseau cible à horizon 2020 de 40 000 km de lignes équipées ERTMS dont 25 000 prioritaires sur les grands corridors fret. Le coût de déploiement sur le réseau européen prioritaire est élevé, évalué entre 5 et 6 MM€. Cependant, une partie des équipements nationaux seront à renouveler dans ce laps de temps : il faut donc évaluer le coût « supplémentaire » de l’ERTMS par rapport au coût « de base » de renouvellement à l’identique des équipements… si tant est que cela soit possible au regard des évolutions technologiques.

L’étude de la Cour Européenne des Comptes en 2017 est assez révélatrice :

  • le coût « bord » est évalué entre 300 et 500 000 € par engin moteur dans le cas d’un matériel neuf, et entre 600 000 et 900 000 € dans le cas de l’équipement d’un matériel existant (Allemagne, Pays-Bas).
  • Le coût « sol » varie entre 100 000 et 350 000 € / km selon la densité de trafic visé sur la ligne et selon l’imputation des coûts de renouvellement d’une ligne existante au Danemark et en Suède, le coût complet « dépose du système national + installation ERTMS » a atteint 1,4 M€ / km.

L’évaluation économique doit aussi prendre en considération :

  • les effets potentiels de la standardisation des composants (économies d’échelle) ;
  • le bénéfice capacitaire et la part d’éventuels investissements éludés les éventuels investissements capacitaires éludés par l’équipement ERTMS (voies supplémentaires) : le bilan est à analyser au cas par cas, et peut s’avérer très variable :
  • l’impact de la centralisation de la commande du réseau quand elle n’existe pas déjà.

Il ressort donc que le niveau 1 présente peu d’intérêt sur le coût de possession de l’infrastructure. Le niveau 2, surtout s’il entraîne la suppression de la signalisation latérale, constitue un équilibre potentiellement plausible, néanmoins conditionné à une gestion plus fine du matériel roulant pour, du moins en phase transitoire, dédié des parcs à des lignes équipées. Néanmoins, il suppose un équipement assez important de l’infrastructure pour assurer la détection des trains et leur transmettre les informations utiles.

Le niveau 3 suscite parfois bien des convoitises mais semble encore lointain car lié à un cocktail d’innovations technologiques qui n’est pas encore mature… Nous y revenons plus loin.

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Königstein - 30 juillet 2012 - Un passe-frontière de l'Europe centrale : l'EC171 Berlin - Prague est assurée par une rame des CD et tractée par une locomotive tchèque type 371 à partir de Dresde. © N. Hoffmann

Il ne faut pas nier que la mise en œuvre d’ERTMS représente un investissement important. Le rythme de migration dépend d’abord du renouvellement « naturel » des équipements existants et des modalités de financement, donc l’implication des Etats, et enfin de la performance des systèmes préexistants.

L’Allemagne n’a pas perçu dans un premier temps les avantages procurés par rapport au tandem LZB-PZB déjà assez efficace. La combinaison de l’évaluation économique, avec la réduction des coûts de maintenance et la mutualisation des approvisionnements, et de la pression à l’interopérabilité notamment pour le fret a un peu changé la donne : à horizon 2022, 1450 km du RTE-T devrait être équipé et 80% de celui-ci devrait être en niveau 2 sans signalisation latérale d’ici 2030. Un objectif facilité par l’accord entre l’Etat et la DB pour financer l’équipement du réseau et du matériel roulant.

A court terme, c’est une complexité de plus, tant pour les gestionnaires d’infrastructures que les opérateurs, dégageant en principe à long terme un bilan plus favorable. Il faut donc que les décideurs soient en capacité de se projeter… ce qui n’est pas toujours facile. L’Union Européenne pourrait faire d’ERTMS un des grands chantiers du Mécanisme pour l’Interconnexion en Europe afin de décrisper les plus réservés. En Suisse et au Royaume-Uni, un mécanisme de financement a été mis en œuvre pour soutenir l’équipement du réseau.

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Dillingen - 2 février 2013 - Courte composition mais masse importante pour ce train de fonte liquide entre les sites de Dillingen et de Völklingen avec une BR185 équipée France de la DB. © N. Hoffmann

Petits et grands tracas de l’ERTMS

Sur le plan industriel, plusieurs équipementiers ont développé des produits répondant aux normes ERTMS mais pas systématiquement interchangeables entre eux, ce qui limite le bénéfice des économies d’échelle et crée une dépendance des réseaux vis-à-vis de leur(s) fournisseur(s).

Autre point de vigilance, la fameuse Baseline, la description numérique des infrastructures, fait l’objet d’intenses discussions entre les réseaux, les opérateurs, les Etats et l’Union Européenne sur un sujet par définition très mouvant du fait des évolutions régulières de la consistance des installations, à la faveur des projets de modernisation et de développement. En 2017, la Baseline 3.2 a fini par s’imposer, compatible avec la précédente version 2.3.

Or apparaît une situation peu confortable : toutes les Baseline ne sont pas compatibles entre elles ! Tout le monde se met à l'esperanto, mais chacun avec sa grammaire ! Ce sujet semble encore loin d'être clos et devient la pierre d'achoppement entre les gestionnaires d'infrastructure : la Suisse serait même prête à développer une version 4, mais rien ne dit qu'elle saurait parler à des versions antérieures. Le principal risque sur la viabilité à long terme d'ERTMS est peut-être là si chaque évolution de l'esperanto le rend incompréhensible de ceux qui le pratiquent déjà. C'est un peu La lumière qui éteint (si vous êtes amateurs de Signé Furax)...

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Liestal - 10 avril 2016 - Les petits tracas de l'ERTMS sur l'axe du Gothard avaient quelque peu perturbé l'exploitation du corridor fret, où les Traxx de Bombardier ont été temporairement interdites en attendant de lever les incompatibilités de version. Heureusement, car elles y montent rarement seules comme ici avec une triplette. © transportrail

A la pointe de la technologie aux débuts de l'ERTMS en 1993, le GSM-R est une technologie type 2G complètement dépassée. Dès 2012, un groupe d'études a amorcé la définition d'un nouvel outil de transmission en lien avec les évolutions de la téléphonie mobile. Le FRMCS (Future Railway Modern Communication System) s'appuie sur la technologie 5G et apportera à l'ensemble du système ERTMS un niveau de performance et de fiabilité sensiblement accru avec une plus grande rapidité de transmission de l'information et la possibilité de mieux la segmenter en fonction des usages. Cependant, encore faut-il que la 5G soit déployée dans chacun des Etats...

Il faut aussi que le rythme de déploiement d'ERTMS au sol et à bord des trains ne subisse pas quelques soubressauts. Au Danemark, le déploiement de la partie embarquée de l’ERTMS accuse 7 ans de retard. Prévu en 2023, il ne sera achevé qu’en 2030, ce qui pose problème sur certaines lignes où le retrait des équipements nationaux était déjà prévu.. ou n'avait pas été programmé, comme sur la ligne nouvelle  Copenhague – Ringsted ouverte en décembre 2018 : il a fallu in extremis l’équiper en signalisation classique puisque moins de 25% du parc Intercity de la DSB était alors équipé ERTMS.

ERTMS niveau 3... ou CBTC ?

C’est en quelque sorte la simplification maximale des infrastructures puisque la régulation du trafic est assurée par leur géolocalisation : il s’affranchit de la plupart des équipements au sol, dont une partie est portée par le matériel roulant, et suppose la mise au point d’une régulation fondée sur une géolocalisation à haut niveau de fiabilité.

Il n’existe à ce jour qu’une seule application « expérimentale » 3, en Suède, sur une ligne régionale entre Borlänge et Malung. Sur cette ligne, l’installation de ce système de signalisation a permis de réduire les coûts d’exploitation et d’offrir plus de souplesse quant à l’évolution de l’offre en s’affranchissant du principe de block à cantons fixes. Bref, un débit maximal pour un équipement minimal : d'après l'université de Milan, une exploitation sous un ERTMS niveau 3 satellitaire diminuerait le coût d'exploitation (au sens régulation du trafic) d'environ 65%. Le niveau 3 constitue dans ses principes un optimum économique pour le gestionnaire d’infrastructure, mais il apparaît difficilement atteignable du fait du délai pour équiper l’intégralité du matériel roulant de l’ensemble des opérateurs… et tout simplement de la mise au point à grande échelle des équipements pour la géolocalisation.

En Italie, deux lignes sont équipées d'un système expérimental d'exploitation régionale satellitaire (via Galileo) développé par Ansaldo et RFI. Plus de balises au sol, mais la nécessité d'assurer une couverture totale du territoire, ce qui n'est pas simple ni sur la ligne de Sardaigne (Cagliari - San Gavino) ni dans le Piémont (Bivio Sangone - Pimerolo).

Le niveau 3 est aussi concurrencé par les systèmes CBTC, conçus pour les systèmes urbains, et qui ont trouvé des applications ferroviaires sur des lignes dédiées : à Londres sur le tronçon central de la future Elizabeth Line, et à Paris d'abord sur EOLE (NExTEO entre Pantin et Nanterre) puis sur les RER B et RER D (le premier dans son intégralité, le second entre Saint Denis et Villeneuve Saint Georges).

Bref, il n'y a pas vraiment de concurrence : les CBTC sont adaptés aux lignes dédiées à une seule catégorie de trains (la banlieue en zone dense) alors qu'ERTMS, éventuellement avec ATO, a vocation à équiper les lignes interopérables avec mixité de trafic.

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Paris Haussmann Saint Lazare - 15 décembre 2015 - Le tronçon central du RER E aura besoin à terme d'un système écoulant 28 trains par heure et par sens à une vitesse maximale de 120 km/h. Débat entre ERTMS et CBTC rapidement tranché : le niveau 3 ERTMS ne sera pas disponible au mieux avant 2030, donc le CBTC s'est logiquement imposé, surtout sur une ligne dédiée donc sans réel besoin d'interopérabilité. © transportrail

Le niveau 3 polarise de nombreux esprits, car il serait en quelque forte la fusion des systèmes, mais à trop attendre sa mise au point, il risque de provoquer un statu quo en matière de modernisation des installations pendant de trop nombreuses années. Certains réseaux, dont la France, auraient envie de shunter le niveau 2 pour attendre le niveau 3 : de toute façon, sans financement consistant et pérenne, tout ceci reste virtuel.

ERTMS en Europe... mais aussi dans le monde entier

En attendant le niveau 3, probablement pas avant 2030 à un stade industriel, les réflexions sur l'intégration d'un module ATO (Automatic Train Operation, c'est à dire le pilotage automatique supervisé par l'agent de conduite) fait son chemin, pour optimiser l'exploitation et retarder les investissements lourds tout en augmentant la capacité des lignes. On citera la dynamique impulsée par la République Tchèque, la Suisse (un test a été réalisé fin 2017 entre Berne et Olten) mais aussi au Mexique sur la ligne nouvelle périurbaine Mexico – Toluca, pour débiter 24 trains / heure / sens à 160 km/h, ou à Londres, sur Thameslink avec un premier train niveau 2 + ATO en mars 2018 pour une application en 2019 à hauteur de 22 trains / heure / sens. En Allemagne également, cette combinaison est envisagée sur plusieurs S-Bahn, avec Stuttgart comme terrain expérimental.

En 2020, plus de 100 000 km de voies dans 51 pays du monde étaient équipés en ERTMS, ou faisaient l'objet d'un contrat d'équipement, dont 20% en Chine. En Europe, ERTMS était déployé ou en cours de déploiement sur 32 562 km de voies physiques, soit 3 fois plus qu'en 2010. L'Europe représente 52% du marché ERTMS. Du côté du matériel roulant, même proportion d'évolution avec 12 124 engins (auto-)moteurs équipés, en cours d'équipement ou commandés (donc nativement dotés).

Quant aux lignes à moindre trafic, l’analyse pondérée investissement – fonctionnement – échéance de disponibilité ne favorise pas forcément la course à la technologie. Il semblerait que le niveau 1 puisse être suffisant pour des exploitations simples avec peu d’objets (signaux et appareils de voie) à contrôler, notamment sur des lignes où les cantons longs (exemple : pas de découpage intermédiaire entre gares) sont compatibles avec le plan de transport demandé. C’est la solution retenue en Suisse, où la balance des coûts est négative pour des solutions sans signalisation latérale.

Suite du dossier : ERTMS en France, quelles applications ?

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